Le dernier album en date de la chanteuse suédoise Stina Nordenstam, The World Is Saved, est sorti il y a quinze ans. Voilà qui fait une bonne raison pour s'intéresser à ce disque précieux… ainsi qu'à deux-trois autres trucs enthousiasmants.
Le dernier album en date de la chanteuse suédoise Stina Nordenstam, The World Is Saved, est sorti il y a quinze ans. Voilà qui fait une bonne raison pour s'intéresser à ce disque précieux… ainsi qu'à deux-trois autres trucs enthousiasmants.
Quelqu’un sait-il ce qu’est devenue Stina Nordenstam ? Cette chanteuse suédoise a débuté sa carrière avec le très tranquille et très jazzy Memory of a color (1991). Lui a succédé And She Closed Her Eyes en 1994, dans la même veine. Avec Dynamite, Stina brisait (pardon, c’était facile) les codes et proposait un album plus âpre (dont la pochette plagie par anticipation et avec vingt ans d’avance celle de ★ de David Bowie). Constitué de reprises (Leonard Cohen, Prince, les Doors), People are strange (1998) revenait à une pop plus accessible, et le superbe This Is Stina Nordenstam (2001) aurait pu (aurait dû, avec un tel titre) signer le début de sa gloire. Marqué par deux excellents duos avec Brett Anderson, le chanteur à la voix aussi rocailleuse que suave de Suede (« Trainsurfing » et surtout la doucereuse et inquiète « Keen Yellow Planet »), This Is Stina Nordenstam est un petit joyau de pop indie. Et en 2004, la chanteuse venue du froid a sorti The World Is Saved, son dernier album à ce jour.
« Take it from me
The world is saved »
Le monde est sauvé : il ne reste plus qu’à disparaître.
Longtemps, le site web de Stina Nordenstam a indiqué « en construction », mais il ne renvoie vers plus rien… Sa page Facebook, active sporadiquement en août 2011 et juillet 2014, n’a rien affiché de nouveau depuis longtemps – et n’affichait pas autre chose que des liens Youtube vers les chansons. Le dernier lien en date renvoie vers Memories of a colour ; l’avant-dernier vers la chanson issue de l’album And She Closed Her Eyes : « So This Is Goodbye ». Bon.
En vrai, le monde n’est pas encore sauvé, et le dernier album (en date ?) de Stina Nordenstam n’est pas vraiment le sujet de ce billet. Après après avoir parlé de fin de monde ici, là, là aussi et même là, continuer sur une lignée désastreuse me paraît de bon aloi. Mais écoutez ce disque quand même, il est réconfortant.
Le moins que l’on puisse dire est que Homo sapiens fiche la pagaille sur Terre – et pas qu’un peu –, au point que l’on parle désormais d’anthropocène pour désigner l’ère géologique en cours, où les altérations apportées par l’humain à son environnement sont visibles. Au hasard : on pense souvent aux rizières ou à ces horreurs que sont les mines à ciel ouvert, mais il ne faudrait pas oublier les innombrables ossements de poulets… ou même l’atmosphère, considérer comme objet géologique, dont la teneur en CO2 a augmenté (mais je n’apprends rien à personne). Il en est pour prôner l’extinction à plus ou moins court terme de l’humanité (un exemple, on va y revenir), via l’anti-natalisme… Que se passerait-il si ces vœux de disparition étaient exaucés maintenant – si l’humanité disparaissait, disons, demain. C’est là une intéressante expérience de pensée, et c’est surtout le sujet de Homo Disparitus (que j’ai lu en VO, d’où sa présence à W et non à H, lettre déjà occupée par un autre essai pas moins intéressant).
« A generation ago, humans eluded nuclear annihilation; with luck, we’ll continue to dodge that and other mass terrors. But now we often find ourselves asking whether inadvertently we’ve poisoned or parboiled the planet, ourselves included. We’ve also used and abused water and soil so that there’s a lot less of each, and trampled thousands of species that probably aren’t coming back. Our world, some respected voices warn, could one day degenerate into something resembling a vacant lot, where crows and rats scuttle among weeds, preying on each other. If it comes to that, at what point would things have gone so far that, for all our vaunted superior intelligence, we’re not among the hardy survivors?
[…]
So, let us try a creative experiment: Suppose that the worst has happened. Human extinction is a fait accompli. »
À la manière du narrateur d’un documentaire sur Arte, Alain Weisman développe cette expérience de pensée, la pousse dans ses retranchements logiques, et, comme le livre concerne la Terre, son passé, son présent, et son devenir, nous emmène de part et d’autres du globe terrestre, à différents points névralgiques, des summums de la modernité aux zones les plus sauvages, des endroits où l’hubris humaine est la plus criante à ces choses qui nous survivront… un certain temps.
Plusieurs constats se dessinent à la lecture de l’ouvrage. D’une part, les zones à peu près intactes, préservées dans un état à peu près premier, sont rares. Weisman nous emmène ainsi dans la forêt de Białowieża, située à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie ; c’est là l’un des derniers représentants de l’immense forêt qui couvrait l’Europe avant que les humains n’entreprennent de la défricher. En matière de forêt primaire, on ne fait pas mieux… mais cette zone reste en danger, en dépit des tentatives faites pour la protéger. Est-ce que l’Europe retournerait à cet état si nous disparaissions demain ?
Quid des animaux ? Depuis les débuts d’homo sapiens, la mégafaune a pris cher… mais pas partout. Aux Amériques, en Nouvelle-Zélande et tous les autres endroits isolés où l’humain est arrivé tardivement, les grands animaux ont disparu très vite, chassés jusqu’à l’extinction. En revanche, en Afrique, lions, girafes, éléphants n’ont pas été (encore) entièrement décimé, sûrement parce qu’ils ont évolué en même temps qu’homo sp. et ont appris à reconnaître sa dangerosité. Pour Weisman et ses interlocuteurs, il ne fait guère de doute que la faune prospèrerait vite à nouveau en l’absence d’humains. Le seul caveat vient du fait que, en Afrique tout particulièrement, ces poches de vie sauvage sont séparées les unes des autres, ce qui conduit à l’appauvrissement du stock génétique et à un écosystème bancal. Weisman dresse aussi un constat assez moche : bon nombre de réserves naturelles (du moins aux USA) sont situées sur des sites d’enfouissements de déchets dégueulasses. Mais, hé, de quoi se plaint-on : faune et flore donnent l’impression de prospérer. Impression est le terme à retenir. Sans oublier les espèces invasives, parfois importées pour des raisons qui nous apparaissent aujourd’hui d’une imbécillité inouïe (tel l’étourneau sansonnet, introduit aux USA parce qu’un type s’est dit que ce serait vachement plus cool si Central Park abritait toutes les espèces d’oiseaux mentionnées par Shakespeare).
« This may sound blasphemous, but maintaining biodiversity is less important than maintaining a functioning ecosystem. » Chuck Peters
Que faut-il faire ? Plus haut, j’évoquais l’anti-natalisme. Weisman rapporte ainsi les propos du fondateur du Mouvement pour l’Extinction Volontaire de l’Humanité (le nom est assez programmatique, non ?), Les Knight, lequel tâche de montrer le bon côté des choses : au bout de cinq ans, finie, la mortalité infantile ; au bout de vingt, adieu la délinquance juvénile.
« The last humans could enjoy their final sunsets peacefully, knowing they have returned the planet as close as possible to the Garden of Eden. » Les Knight
Certes, mais il faudrait prendre soin de nettoyer aussi toutes les merdes que les humains ont semé derrière eux. Les villes ? Elles ne dureront guère. L’auteur nous emmène à New York : en matière de zone urbanisée, bétonnée à l’excès, là aussi on ne fait pas mieux. Pourtant, l’île de Manhattan est en sursis permanent : s’il n’y avait les pompes pour garder le métro au sec (car où l’eau peut aller sur une île essentiellement couverte de surfaces non-absorbantes), la situation deviendrait vite critique. Avec le travail de sape de l’eau (notamment via le gel), les bâtiments s’abîmeraient vite et il ne s’en faudrait que de quelques mois avant qu’ils ne deviennent la proie d’incendies (les papiers et les feuilles mortes, ça brûle si vite). Ailleurs, c’est pareil. Les constructions les plus récentes ne dureraient guère, car pas vraiment bâties pour résister à l’usure du temps. En revanche, les édifices plus anciens, faits de pierre, resteraient plus longtemps en place.
Et puis il y a tout le reste : le plastique (« The long-term prognosis for plastic […] is exactly that: long-term. ») et autres polymères, qui, sous l’action des rayons UV, se désintègrent assez vite – ballot pour tous ceux enfouis dans les abysses, ça va rester là un petit bout de temps. Sans oublier les centrales nucléaires et leurs déchets. Les centrales, au nombre de 441 quand le livre est sorti (450 en 2016 d’après ce rapport, avec la France en 2e position du nombre de centrales), dont il faudra bien stocker les déchets – des joyeusetés dont la demi-vie peut s’avérer bien plus longue que les 10 000 ans envisagés par l’administration US pour son site WIPP (Waste Isolation Pilot Plant) au Nouveau-Mexique. Dans l’essai Yucca Mountain, John D’Agata évoquait les difficultés représentées par cette entreprise : s’assurer que personne ne s’en approche pendant les prochains milliers d’années, et éviter que l’endroit en question ne fuie. (Lisez [Anatèm] au passage, Neal Stephenson a un avis sur la question.)
Que restera-t-il des humains au bout du compte ? Des composés chimiques quasi-inaltérables. Des paysages altérés (comme ces montagnes aux sommets arrasés dans les Appalaches : pour récupérer le charbon, c’est plus simple…). Les visages du Mont Rushmore et les pyramides d’Égypte, qui s’éroderont mais dureront encore un petit bout de temps. Des bouts de céramique, matériau très résistant, ou les statues de bronze (sauf si elles ont été coulées dans l’intervalle). Il restera aussi, pour quelques milliards d’années, ces sondes envoyées dans l’espace interstellaire, portant quelque mémento de l’humanité : Pioneer 10, Voyager 1 et 2 … Weisman omet les sondes et appareillages scientifiques abandonnées sur la Lune ou Mars : eux aussi dureront un certain temps, jusqu’à ce que l’érosion et/ou les micro-météorites aient raison d’eux.
Homo Disparitus est sorti en 2007 : c’est peu dire qu’en une douzaine d’années, les constats émis par les scientifiques – climatologues, biologistes, etc. — sont de plus en plus alarmants. À chaque jour qui passe, sa mauvaise nouvelle. Les bonnes, il y en a, mais leur impact semble dérisoires. Bref. Les visions d’une nature à peu près restaurée, sans humains, que nous propose Alan Weisman s’avèrent fascinantes. En parallèle, le portrait qui se dessine de l’humanité, au travers des entretiens et des réflexions, n’est guère flatteur. Pourtant, Weisman ne verse pas dans une approche méchamment moralisatrice ou dans un pathos outrancier – la nature, même altérée, s’en sortira très bien sans nous, merci pour elle. Le ton est sobre, ce qui le rend d’autant plus efficace. Et la lecture de l’ouvrage s’avère des plus enrichissantes.
En guise de conclusion, on voit parfois passer sur les réseaux sociaux cette image :
Oui, certes, la disparition des abeilles – qui ne sont pas les seuls insectes pollinisateurs – serait catastrophique pour les plantes et les animaux (dont les humains). Mais mais la partie inférieure de l’image enjolive les choses : il faudrait sûrement retirer les rhinos, les éléphants, les girafes et les aras de l'illustration, y mettre plein de déchets (pneus, plastiques, sans oublier de signifier d'une manière ou d'une autre tous les trucs invisibles, genre radiations – quel est le con qui a oublié d'éteindre la dernière centrale nucléaire ?) et rajouter des espèces invasives pour faire bonne mesure.
Introuvable : non
Illisible : non
Inoubliable : oui