Il y a maintenant un peu plus de trois ans, la sonde Rosetta, en orbite autour de la comète Tchouri, déposait à sa surface l'atterrisseur Philae… Un an plus tard, le compositeur grec Vangelis sortait de son long silence discographique avec un disque-hommage à la sonde spatiale de l'ESA. Mission accomplie ?
Au départ, je pensais consacrer ce billet à R plus seven, album d’Oneohtrix Point Never, en vertu du fait que ce tour d’Abécédaire est placé sous le signe du nombre 7 (commeici, ici ou là, voire encore là en poussant un peu). Mais… en dépit de la qualité du disque, je me suis rendu compte à mon grand regret que je n’avais pas grand-chose à en dire au-delà de quelques généralités. Oneohtrix Point Never est le projet d’un seul homme, Daniel Lopatin, dont la musique, volontiers expérimentale, se fait un mélange audacieux d’ambient et de minutieuses sculptures sonores.
Paru en 2013, R plus seven est son sixième album, ou le septième si l’on inclut Rifts (2009), compilation rassemblant des œuvres plus anciennes. Il s’agit là d’une dizaine de morceaux mutants, quelque part entre Arca, Aphex Twin et Flying Lotus. Mais… à part décrire laborieusement chaque morceau, expliquer que le premier me paraît ressembler à du Philip Glass sous amphétamines, et cetera, je ne voyais pas trop quoi déclarer de pertinent à son sujet. Tant qu’à rester sur la lettre R, j’aurais pu aborder aussi les précédents albums : la roborative compilation Rifts, Replica ou Returnal. L’étonnant Returnal vaut la peine qu’on y tende une oreille : le disque débute par « Nil Admirari », un magma bruitiste où cris distordus, bruit blanc et crachotement saturés agressent sauvagement l’auditeur sur cinq longues minutes, avant qu’une accalmie apparaisse, avec l’aérien « Describing Bodies ». Après la décharge sonique initiale, éprouvante au possible, tout le reste de l’album est un voyage lent et apaisé. Mais toujours pas de quoi faire un billet complet.
Et puis je me suis souvenu qu’un vieux briscard des synthés était sorti de sa retraite l’an passé, pour proposer un album-hommage à la sonde Rosetta.
Rappel des événements. Le 4 juillet 2005, la sonde Deep Impact de la Nasa avait lâché un impacteur sur la comète Tempel 1. Et l’agence spatiale américaine de se gargariser d’avoir planté dans une comète une sonde grosse comme une machine à laver, cela le jour de la fête nationale US. Hey dude, see the symbol?! Pas mal mais peut mieux faire. Partie un an plus tôt, la sonde Rosetta s’est placée en orbite autour de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko – alias Tchouri – en novembre 2014, dans le but d’en apprendre davantage sur ces objets célestes et d’y déposer un atterrisseur, Philae. Pas une mince affaire…
Rappel des évènements bis : Vangelis, de son petit nom Evangelos Odysseas Papathanassiou, est un compositeur grec à qui l’on doit quelques fameuses bandes originales de films, comme Les Chariots de feu, 1492 : Christophe Colomb, et surtout Blade Runner. Hors du champ cinématographique, Vangelis a également sorti plusieurs album ayant une inspiration scientifique : Albedo 0.39 (1976) ou Mythodea – une composition datant de 1993 mais publiée en 2001, à l’occasion du lancement de la sonde américaine Mars Odyssey. Et, à l’exception des bandes originales pour les films Alexandre le Grand (2004) et El Greco (2007), ce Mythodea restait la dernière œuvre solo du musicien en date. Jusqu’à ce qu’une conversation téléphonique avec l’astronaute néerlandais André Kuipers, à ce moment-là dans la Station Spatiale Internationale, inspire le compositeur grec, et lui donne envie de composer un album rendant hommage à cette sonde.
Rosetta est paru le 23 septembre 2016 ; une semaine plus tard, la sonde spatiale s’écrasait sur la comète.
« Origins (Arrival) » pose d’emblée les choses : retentit d’abord un bourdonnement inquiétant, puis, au bout de vingt secondes, voici que débarquent en masse de célestes nappes de synthétiseurs, Vangelis annonce la couleur. Le maître des synthés, c’est lui. On frise un peu l’overdose comateuse sur le morceau suivant, « Starstuff », dont les deux dernières minutes, à défaut d’être originales, rappellent quelque peu l’introduction de Blade Runner. « Infinitude » relève l’intérêt, proposant une jolie mélodie soutenue par des chœurs aériens. De quoi préparer le terrain pour « Exo Genesis », jolie pièce où les notes impétueuses d’un piano virevoltent sur fonds de puissantes couches de synthés. Conséquence, « Celestial Whispers » nous propose un petit interlude en apesanteur.
Après un début très électronique, « Albedo 0.06 » reprend puissamment le thème musical de « Origins (Arrival) » – un morceau dont le titre rappelle forcément l’album Albedo 0.39 du compositeur, mais fait référence pour le coup au pouvoir réfléchissant de la surface cométaire (assez faible, donc). Un morceau qui ne décolle pas vraiment mais qui n’en demeure pas moins agréablement évocateur. « Sunlight » consiste en une nouvelle avalanche de nappes synthétiques un brin émollientes.
Alors que l’auditeur menace de s’assoupir sous ces tonnes de synthés lénifiants, Vangelis enchaîne coup sur coup plusieurs morceaux venant secouer l’auditeur de sa torpeur : « Rosetta », une ballade à la mélodie immédiate, hélas un brin grandiloquente dans sa seconde moitié. Enfin, « Philae’s Descent » vient insuffler un peu de tension, avec trois minutes dramatiques, cinématographiques au possible. On ne peut s’empêcher d’imaginer Philae valdinguant dans l’espace à mesure qu’il s’approche de Tchouri, une descente captée par une caméra tremblante. Le petit atterrisseur réussira-t-il à se poser sur le sol cométaire ? Nope. Suit « Mission Accomplie », morceau sous-titré « Rosetta’s Waltz ». Bon, vu le succès de l’atterrissage de Philae, on peut chipoter sur le choix du titre du morceau, lequel morceau consiste en une valse héroïque – cette fois viennent à l’esprit l’image des équipes de l’ESA. « Perihelion » ressemble au rejeton de « On the Run » de Pink Floyd et du générique de fin de Blade Runner ; il s’agit là du morceau le plus long, le plus rythmé et surtout le plus accrocheur du disque ; son titre fait référence à Perihelion Cliff, élément géologique au pied duquel s'est posé l'atterrisseur. Sans surprise « Elegy » est un morceau à l’ambiance mélancolique – mais bon, rien d’étonnant, « Elegy » ne s’appelle pas « Sarabande » pour rien –, manière d’épitaphe pour une sonde spatiale. Enfin, « Return to the void » offre une conclusion éthérée au disque.
Avec Rosetta, Vangelis ne se révolutionne pas vraiment. Le musicien grec fait ce qu’il sait faire, et plutôt bien – au point qu’on aurait presque l’impression d’écouter un best-of dont les morceaux s’enchaînent à la perfection. Très cinématographique, cet opus se situe néanmoins bien loin des sommets d’évocation et de puissance émotionnelle atteints par les BO de Blade Runner ou 1492.
Introuvable : non
Inécoutable : non, à moins d’être allergique aux synthés
Inoubliable : oui malgré tout