Auteurs, éditeurs, essayistes, érudits, savanturiers… Plusieurs personnalités du monde des littératures de l’imaginaire francophones ont accepté de répondre à quelques questions sur le héros d’Henri Vernes : sa découverte, son influence, son avenir, son créateur…
3. Lisez-vous (ou relisez-vous) encore Bob Morane ? Estimez-vous que, à soixante ans et en 2013, le « vrai héros de tous les temps » a encore un avenir ?
De temps à autre, je me replonge dans les adaptations en bandes dessinées. J’aime beaucoup refeuilleter ces albums signés Dino Attanasio, Gérald Forton,
William Vance, Coria… En bandes dessinées, ces aventures conservent un charme certain à mes yeux.
Les romans… c’est plus rare, et généralement pour retrouver des références concernant tel ou tel thème. Henri Vernes avait un art du recyclage assez
étonnant, on fait le tour de la littérature populaire d’aventure avec les Bob Morane… On lui reproche parfois d’avoir trop recyclé, justement, et aussi
d’avoir fait appel à des nègres pour certaines histoires… Et alors ? C’est de la littérature populaire, assumée comme telle. Il a eu raison : Henri Vernes
est un véritable écrivain populaire.
L’avenir ? Si Henri Vernes peut continuer à voir vivre son héros sous une forme où sous une autre, c’est très bien. Il le mérite. Largement.
Pourquoi pas : les vrais héros ont toujours un avenir, mythes hors-mode, comme Némo ou Quichotte.
J'ai relu les Bob Morane autour de la trentaine, dans le cadre d'un ouvrage sur le personnage, que je coordonnais pour Fantasmagoria. Il ne s'est
finalement jamais fait. Il m'est arrivé de lire quelques-uns des derniers épisodes, vers la quarantaine. Sans retrouver, évidemment, la magie de l'époque.
Je cherchais davantage à identifier ce qui, enfant, m'avait plu. Depuis, je n'y suis plus retourné, craignant trop d'être déçu. Si je le fais, ce ne sera
pas avec la même approche, on s'en doute.
Je ne saurais dire si l'aventurier de tous les temps a encore un avenir : je n'ai plus l'âge requis pour apporter une réponse. Mais c'est un héros facile à
investir pour peu qu'on le dépoussière. On peut le comparer à Spirou : le personnage tient le coup, son univers est suffisamment riche pour que des auteurs
en reprennent des éléments et en jouent à loisir, tout en restant en phase avec son époque. Il suffit de le confier à un auteur capable.
Je crois que la bonne idée d’Henri Vernes est de passer le flambeau. Il faut reconnaître que beaucoup d’aventures récentes n’ont plus le panache des
premières et que certaines d’entre elles sont carrément décevantes (je pense particulièrement au très récent L’œil du Samouraï qui est un
florilège de stupidités et qui manque totalement de scénario). Mais par ailleurs, oui, je relis volontiers des aventures dignes de très bons romans de
science-fiction (comme La Prison de l’Ombre Jaune) ou de fantastique dont pour moi le Cycle d’Ananké est une petite perle ! Bob Morane a
encore de l’avenir à cette condition que Vernes passe le flambeau. C’est triste à dire mais je crois qu’il n’est plus à la hauteur pour maintenir son héros
à un niveau crédible et palpitant comme il l’était par le passé.
Sur un ensemble de plus de deux cents romans, il serait dommage de passer à côté de certains titres. Il y a bien une bonne centaine de romans qui valent
encore la peine d'être lus (oui, oui, j'ai bien écrit « cent » !) – notamment ceux écrits, en sous-main, par le directeur de la collection, avec
l'assentiment sourcilleux de Vernes, Philippe Vandooren. Voir à ce propos le chapitre que Francis Saint-Martin et moi avons consacré au sujet des
« nègres » verniens dans notre petit ouvrage: Bob Morane, profession aventurier, chez Encrage, qui donne le ton de notre respect envers
l'auteur et ses aides… La période des années 70, les différents cycles, certains romans des premières années également, oui, je les relis, et avec plaisir
et j'y apprends encore beaucoup. Mais tant qu'à faire, je reprends les premiers dans leur « jus » de l'époque, sans le passage de la censure politiquement
correcte qui ne veut plus de « nègre » et autres termes soumis à la foudre des tribunaux. Une œuvre, quelle qu'elle soit, doit toujours être replacée dans
son contexte et lue « historiquement ».
Morane n'aura d'avenir que s'il est repris par un véritable éditeur qui mettrait le paquet sur la publicité (en réutilisant le cinéma, les dessins animés,
les jeux vidéo, etc.). Doc Savage, son illustre devancier, pourtant américain, n'a jamais réussi à revenir dans l'espace culturel populaire américain. Il y
a bien des tentatives régulières, mais ce premier super héros de pulps a son histoire derrière lui. Morane suit-il ses traces ? Dans mon for
intérieur, je crains bien que oui.
Cependant, grâce à de nouveaux auteurs et une politique d'édition intelligente, courageuse et respectueuse de quelques données fondamentales de Morane, de
ses compagnons et compagnes d'aventure, pourquoi ne pas croire au miracle ?
Lire, relire, non. Feuilleter, de temps en temps. Parcourir la liste des titres pour sentir à nouveau la magie, oui. Et, concernant l’avenir, je suis sûr
que le personnage en a beaucoup. C’est un archétype qui peut être modernisé et décliné à l’infini. Ça dépendra du talent de ceux qui prendront la suite
d’Henri Vernes.
Ça m’est arrivé d’en relire, par curiosité ou pour un article : j’ai ainsi relu les Monstres de l’espace pour une « biographie » du Cthulhu de H. P.
Lovecraft, où je recensais des cas spectaculaires d’invasions extra-terrestres. J’ai aussi lu quelques titres qui m’avaient échappé à l’époque de leur
parution, comme les Ananké que je ne me rappelle pas avoir vus quand ils sont sortis. La distribution était assez sporadique et on était toujours à la
merci d’un client qui passe avant pour s’emparer des nouveautés !
L’avenir de Bob Morane, je ne sais pas trop quoi en penser.
Il s’agit de livres qui apportaient un souffle moderne dans la France des années 60, une sorte de roman-feuilleton des années 60, de vrais pulps à la
française. On peut sans doute continuer à écrire des nouvelles aventures de Bob Morane, le maintenir contemporain (même s’il vaut mieux désormais passer la
Deuxième Guerre mondiale sous silence), mais je ne sais pas si, sous la forme romanesque, il répond tout à fait aux attentes du public actuel. À l’époque,
Bob Morane était un peu une série charnière, qui ménageait une transition entre des romans aux intrigues d’aventure réaliste (espionnage et action dans des
pays exotiques, grosso modo) qui formaient une grande partie de la littérature pour jeunes ados, et le fantastique et la science-fiction, souvent
considérés comme une littérature plus adulte.
Je ne sais pas si un tel cocktail peut satisfaire le lectorat actuel pour qui SF et fantastique sont monnaie courante, et que le cinéma a habitué à des
aventures plus trépidantes, même dans le réalisme. Les années 60, c’est l’époque où le monde commence à s’ouvrir, où la Caravelle est un avion magique, où
on va « le dimanche à Orly » regarder décoller et atterrir les avions, où les voyages commencent à se démocratiser tout en préservant leur aura d’exotisme.
Les principaux ressorts de la série sont passés dans la pratique courante, désormais. Je ne sais pas si les jeunes lecteurs actuels peuvent avoir envie de
lire les nouvelles aventures de Bob Morane en romans, même si on doit admettre que le personnage s’est plutôt bien débrouillé pour survivre, en soixante
ans. Mais je vois davantage son avenir dans les bandes dessinées, qui peuvent offrir au public l’exotisme et l’action de façon plus immédiatement
spectaculaire.
Je n’en relis pas pour préserver le merveilleux. Par contre j’en ai un souvenir assez précis. Ainsi je me rappelle que dans La prison de l’ombre jaune, on découvre un rare épisode d’enfance de Bob avec son père, une injustice commise à l’école qui anticipe déjà
ce que va devenir le garçon. Ce type de renseignements au compte-goutte sur le héros était un véritable trésor.
Je ne pense pas que « L’aventurier de tous les temps » ait encore un avenir. Bob évolue dans un monde aux territoires inconnus, bien loin de Google Maps.
Bill Ballantine se rince copieusement au whisky ZAT 77, ce qui était le comble du normal pour les gamins de l’époque. Entre deux méfaits de l’Ombre jaune,
les compères filent à 180 sur les petites routes de Dordogne, s’arrêtent pour déguster une daube dans une petite auberge avant de regagner le domaine
familial. Bob Morane serait déphasé dans notre époque et, perplexe, ne cesserait de passer ses doigts légèrement déformés par la pratique du karaté dans
ses cheveux secs et drus…
Il y a bien longtemps que j'ai cessé d'acheter le dernier Bob Morane à sa sortie et il est peu probable que ça me reprenne un jour. En
revanche, oui, il m'arrive de relire les anciens, parfois simplement par nostalgie, parfois pour un authentique plaisir de lecture. Ça dépend des volumes,
en fait. Il y a dans le lot de remarquables romans d'aventures — je ne parle pas du côté SF simplissime et souvent pompé sur des classiques comme La Machine à Explorer le Temps ou La Patrouille du Temps — et de jolis ratages. Dans l'ensemble, cependant, je trouve que
ça tient bien, à condition de les avoir lus étant gamin. Bob Morane était un héros des années 50, à la base, il faisait encore illusion dans les années
70, mais je pense qu'il est difficilement lisible pour les jeunes de maintenant. Je sais qu'il y a quelques années, des tentatives avaient été faites pour
moderniser la série, je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui, n'ayant pas lu les derniers inédits, écrits par de nouveaux auteurs, mais j'avoue que ça
ne m'intéresse pas. Le charme de la série, c'est aussi son côté un peu poussiéreux.
J’ai relu en 1999-2000, pour la première fois depuis plus de vingt ans à l’époque, un certain nombre de Bob Morane lorsque Lefrancq a publié différents
cycles : je me suis bien amusé à relire les deux volumes du Cycle du temps (et retrouvé avec toujours autant de plaisir l’Ombre jaune), j’ai
trouvé tout à fait excellent le Cycle d’Ananké et découvert le Cycle des crapauds paru chez La Renaissance du Livre et que je ne
connaissais pas (ou avais totalement oublié…). J’ai aussi relu certains des vieux Marabout que j’achète systématiquement quand je les trouve dans des
brocantes, nostalgie des couvertures au charme parfois un peu désuet. Bob Morane est, à mon avis, en train de prendre cette patine que donne le temps à
certains personnages, solidement ancré avec Bill Ballantine dans une époque et un monde — ceux des années 1950-1960 — qui le rendront intemporel, un peu
comme Sherlock Holmes dans le Londres victorien ou Doc Savage dans le New York des années 1930.
Quant à avoir un avenir, je ne suis pas sûr qu’il faille le faire continuer dans notre monde contemporain : je n’ai pas lu les derniers romans écrits par
le continuateur d’Henri Vernes car ils ne m’ont pas vraiment tenté, peut-être à tort. Il me semble que de nouvelles aventures devraient se dérouler dans ce
qui est pour nous le passé (comme pour les Doc Savage écrits aujourd’hui). Et Henri Vernes nous a donné 200 volumes, n’est-ce pas suffisant pour notre
bonheur de lecteur ?
Je n’ai pas relu Bob Morane depuis vingt-cinq ans, hormis les BD, que je me procure régulièrement (à l’inverse des romans, à l’occasion). À mon âge, je
n’ai plus forcément envie de relire cette littérature, si ce n’est pour l’effet de nostalgie (comme c’est le cas avec Harry Dickson). Et je relirai plus
volontiers quelque chose comme Arsène Lupin. Ou les Bob Marone, de grande qualité eux aussi. Quant aux bandes dessinées, pareil, s’il se
présente un dessinateur de la trempe de Vance, avec un bon scénario.
Je lis les nouveautés, ainsi que de temps à autres quelques volumes anciens, mais je ne pense pas que littérairement le personnage ait un avenir, du moins
dans sa définition actuelle. J'ai rédigé pour Reflets une série d'articles où j'expose mon sentiment quant à la postérité de Morane. Sans un passage
réussit sur le petit ou le grand écran, le personnage va finir par mourir dans l'indifférence. Les tentatives un peu pitoyables de Claude
Lefrancq, destinées à exploiter un public de fans, ne font qu'illustrer mes propos. Aujourd'hui, on vend cinq fois plus chers qu'autrefois des livres
brefs, vite lus et vite oubliés. Même si certaines sont agréables, aucune des nouveautés ne peut prétendre à la qualité des histoires parues jusqu'au mitan
des années 70. La BD pourrait ralentir ce processus, on verra bien ce que donnera le relooking initié par Lombard à la suite du départ de Coria, mais si
les romans disparaissent, ce survivant sera-t-il le nôtre ?
Non, je n’ai pas lu de Bob Morane depuis que j’ai écrit un livre sur le sujet, il y a maintenant une vingtaine d’années. Quand on arrive à
un certain âge, on finit par estimer que le passé est le seul endroit où vivre pourrait être encore supportable. Le monde d’aujourd’hui est tellement vide
de sens ! La manière de vivre de la plupart des gens relève, à mes yeux, de la psychiatrie. Relire un Bob Morane, ça serait comme une
tentative de remonter le temps. Le livre serait juste un support pour retrouver le monde de l’enfance, un monde plus simple, plus évident, plus harmonieux.
Et dans la catégorie des madeleines temporelles, il y a plus efficace que ces petits livres assez niais en définitive ! Déconnectés de leur contexte — ou
plutôt des souvenirs qui sont attachés à l’époque de leur lecture — ces livres n’ont pas le moindre intérêt. Qu’est-ce qu’un lecteur d’aujourd’hui pourrait
y trouver ? Par contre certaines couvertures, je ne dis pas… il y en a qui ont conservé toute leur charge émotionnelle.
Je lis toujours Bob Morane. Je n’ai jamais arrêté, même si c’est plus pour la collection et la fidélité que par intérêt pour les nouvelles
histoires. Quant à l’avenir, je suis persuadé que le personnage pourrait vivre encore très longtemps à condition qu’il soit mieux géré que par l’éditeur
actuel (éditions Ananké). Il est difficile de parler d’avenir quand, à l’heure actuelle, quasiment aucune librairie ne propose les dernières sorties.
Personnellement, je pense que positionner le personnage dans les années 50, avec un effet « vintage », permettrait de lui redonner une deuxième vie. Même
si je ne suis pas un fan des « reboot », la nouvelle version de Bob Morane en bandes dessinées qui se profile me semble plus porteuse d’avenir.
Oui, je relis quelques ouvrages de temps en temps, j’ai relu la série Ananké, la magie de mes 13 ans a disparu, mais dans l’ensemble,
ils n’ont pas vraiment vieilli. Par contre je ne sais pas si le vrai héros à un avenir pour les jeunes, mon fils n’a pas du tout accroché et les héros
modernes sont différents. Il reste le héros pour plusieurs générations, j’ai lu la nouvelle série, mais c’est quand même pour les fans. Pour les nouvelles
générations je crois que ce n’est pas leur héros. Ou alors il devrait évoluer. Mais serait-il encore Bob Morane ? Peut-être que si un film sortait alors il
redeviendrait à la mode.
*
4. Si vous avez rencontré Henri Vernes, comment s’est passée cette rencontre ?
Oui, je l’ai rencontré quelques fois, une fois longuement avec mon ami Jean-Luc Rivera (nous sommes allés chez lui à Bruxelles). Et auparavant, Jean-Luc
l’avait invité en 2006 au Festival de Sèvres qu’il organise chaque année. C’est un régal d’écouter Henri Vernes : on comprend ce qu’est un grand raconteur
d’histoire ! Un bon vivant, qui a toujours été entouré de jolies filles, et un grand voyageur… Un type qui a su mener ses affaires, également, et cela
fait plaisir, quand on voit comment pas mal de créateurs populaires ont été traités… Je me passionne, entre autre, pour la littérature populaire
d’avant-guerre – surtout quand elle louche vers les thématiques de science-fiction –, et discuter avec Henri Vernes, qui a été un lecteur des ces vieux
auteurs, et lui-même un des grands artisans de la littérature populaire « moderne », est un plaisir intense. Avant sa venue à Sèvres, je lui avais fait
parvenir l’étude sur Les Terres creuses que j’ai rédigée avec mon ami Guy Costes, et qui venait tout juste de sortir. Avec Jean-Luc Rivera
et quelques amis, nous l’accueillîmes à son hôtel et dinâmes ensemble. Quand je lui fus présenté, il s’exclama à peu près, dans mes souvenirs : « Ah !
C’est vous qui avez écrit ce livre extraordinaire ! D’habitude, on m’envoie des manuscrits illisibles ! » Le moins que l’on puisse dire, c’est que le
courant est tout de suite passé… Je me souviens notamment avoir joyeusement polémiqué avec lui sur la taille réelle des mammouths, à propos d’une aventure
de Bob Morane, Les géants de la Taïga… Il m’a envoyé un peu plus tard une lettre touchante, que je conserve précieusement.
Je l’ai rencontré une fois, pour un entretien radio. C’était à son domicile bruxellois, antre aux merveilles et bric-à-brac de randonneur de l’imaginaire.
On y trouvait une chaise à porteur à côté d’une armure de samouraï, un monde de choses savoureuses et hétéroclites. Sur un petit bureau, ouverte, un cahier
manuscrit : un Bob Morane en cours.
J’ai eu l’occasion de parler à Henri Vernes au téléphone il y a des années lorsque l’Association de l’Œil du Sphinx m’avait chargé de lui demander une
préface à un ouvrage sur Lovecraft. Difficile de donner un avis sur ce simple coup de fil mais monsieur Vernes m’a paru sympathique quoique plutôt
« carré », la trempe d’un homme qui sait ce qu’il veut mais aussi fier de ce qu’il est. J’ai fort apprécié ses récents Mémoires où il a
acquis un peu de modestie qui lui sied beaucoup mieux que dans le précédent Bob Morane et moi… 50 ans d’aventures où il parlait même
d’avoir fait un procès à Hollywood parce qu’une des aventures de Superman ressemblait fort à l’une de Bob Morane (procès perdu bien sûr et qui aura
beaucoup amusé les Américains). Quand on sait que le personnage de Siegel a été créé dans les années 30, ça fait sourire (jaune !).
J'ai d'abord rencontré Henri Vernes, comme tout un chacun, sur les photos publicitaires en 4ème de couverture. Un homme à la quarantaine bien active,
puisqu'il était mis en situation de héros lui-même, via des tenues affriolantes (celle de plongeur sous-marin ou de pilote d'essai). En fait,
celui qui me plaisait, c'était Bob Morane, pas son auteur. J'espérais simplement qu'il écrive le maximum d'aventures du personnage, c'est tout. Les
circonstances ont fait que, créant une petite étude sur Morane dans les années 80, puis rencontrant les premiers créateurs de la revue Reflets,
lien entre les amateurs du commandant, j'ai serré la main d’Henri Vernes dans les années 84. C'était également l'époque où, toujours avec Francis
Saint-Martin, nous faisions des petits pastiches de Morane, Bob Marone, sous la forme de faux pocket Marabout (les pocket Caribou). J'avoue que
nous étions tous les deux dans nos petits souliers, car nous avions envoyé les pastiches à Henri Vernes. Quelle n'a pas été notre surprise de voir qu'il le
prenait très bien, avec l'humour qui convenait.
Et puis est arrivé la chanson d'Indochine, la reprise réelle des Morane par l'éditeur Lefrancq. J'ai revu, de temps à autres, Henri Vernes lors des
conventions consacrées à son personnage. Nos relations ont toujours été fugaces mais correctes. En 2007 voilà que nous sortons, Francis et moi, Bob Morane, profession aventurier. Là, les relations avec Henri Vernes ont tourné au vinaigre. Certainement mal conseillé, l'auteur m'a
personnellement envoyé une lettre me menaçant des tribunaux, puis il a consacré deux numéros de Reflets à de soi-disant erreurs commises dans
l'ouvrage qui l'indisposait…
L'éditeur, Francis et moi n'avons pas répondu aux assertions — parfois de très mauvaise foi — d’Henri Vernes, considérant que les choses se régleraient
avec le temps. C'était oublier que notre auteur est tout, sauf un Sage et qu'il ne pardonne jamais. Je me suis donc retrouvé blacklisté par lui et, depuis,
les relations que j'entretiens sont égales au zéro pointé. Ceci dit, comme dit plus haut, c'est le personnage qui m'a intéressé, pas l'auteur. On peut,
certes, parfois tomber sur une adéquation entre un auteur et sa création (Gérald Forton, par exemple, est aussi agréable et talentueux au réel que
lorsqu'il a le crayon en mains…), mais ce n'est pas, ni obligé ni important…
J’ai reçu le premier prix Bob Morane en 1999 pour Aucune étoile aussi lointaine. Je suis allé à Bruxelles et c’est Henri Vernes qui m’a remis le
trophée. J’étais impressionné. Pas seulement à cause de Bob Morane, mais aussi parce que je repensais à Jean Ray et à la fameuse anecdote sur la liste des
Harry Dickson qu’ils avaient dressée tous les deux. Quand je le lui ai dit, il m’a tapoté l’épaule genre « bah, mon p’tit gars » mais j’ai vu qu’il était
content et du coup, moi aussi.
Je n’ai encore jamais rencontré Henri Vernes.
Je l’ai effectivement rencontré, par l’entremise bienveillante de Jean-Luc Rivera. J’étais très ému, et lui très aimable. Il m’a rédigé une dédicace dans
mon exemplaire de Commando épouvante, le mythique n° 100 !
J'ai rencontré Henri Vernes il y a plusieurs années, à Bruxelles, quand il m'a remis le Prix Bob Morane pour mon roman L'Ogresse. Ça m'a
donné un peu l'impression de boucler une boucle, puisque j'avais commencé avec Bob Morane, j'étais donc assez ému. Pour le reste, j'ai
échangé trois mots avec Vernes, j'ai eu l'occasion de lui dire à quel point son œuvre avait été importante pour moi, mais nous n'avons pas eu de de vraie
discussion.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Henri Vernes pour la première fois en décembre 2006 lorsqu’il a été mon invité d’honneur aux Rencontres de l’Imaginaire de
Sèvres. Nous avons dîné – quatre admirateurs et lui – tranquillement la veille de celles-ci et ce fut une soirée qui est restée gravée dans nos mémoires :
nous avons découvert un vieux monsieur plein de verve et d’humour, toujours débordant d’énergie, qui nous a raconté intarissablement ses souvenirs
passionnants, parlé de Jean Ray et d’Harry Dickson qu’il avait lu enfant et de ses lectures de fascicules et de livres remontant à sa jeunesse, une mémoire
infaillible pour des souvenirs vieux de plus soixante-quinze ans à l’époque, répondant à des questions précises de Joseph Altairac sans se tromper ! Le
lendemain il passa sa journée à dédicacer non-stop, avec une gentillesse et un humour sans faille, les Bob Morane apportés par ses admirateurs qui
formaient une queue impressionnante. Et j’ai eu l’immense honneur de me rendre chez lui, à Bruxelles, dans son appartement-musée deux ou trois ans plus
tard : après une visite commentée de ses collections — c’est un véritable cabinet de curiosités au sens du XVIIe ou XVIIIe siècle — nous sommes allés dans
l’un de ses restaurants favoris, car c’est un fin gourmet et un amateur de bons vins, pour un déjeuner où il fut aussi pétillant et pétulant que jamais. De
grands souvenirs donc d’un grand monsieur !
J’ai rencontré Henri Vernes lors de sa venue aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, en 2006. J’ai acheté sur place un roman et une BD, que je lui ai
fait dédicacer. À part « J’aime beaucoup ce que vous faites », je ne lui ai pas vraiment parlé.
J'ai rencontré plusieurs fois Henri Vernes et, à chaque fois, j'ai apprécié sa disponibilité et sa gentillesse. La première fois fut à Angoulême, me
semble-t-il, mais il y a bien longtemps et après quelques phrases échangées, nous passâmes notre chemin. Nous eûmes par contre l'occasion de discuter à
d'autres occasions et en particulier lors du repas qui clôtura la journée passée à Mons lors d'un des premiers hommages rendus à son personnage. Ce fut ce
soir-là, après force libations, que la douzaine de joyeux compagnons décida de la création du Club Bob Morane, sous la Haute Présidence de l'auguste Henri
Vernes ! Mais toute anecdote mise à part, j'ai toujours aimé chez l'auteur sa fidélité en amitié et son amour des livres. C'est un authentique connaisseur
de la littérature populaire et des pulps qu'il découvrit dans sa jeunesse. Mais mes contacts avec lui ne m'ont jamais permis de le connaître mieux, ce que
je regrette, heureusement que certains de ses livres m'autorisent une fictive familiarité.
En 1993 ou 1994, quand il a appris que j’étais en train d’écrire un livre sur Bob Morane, sans doute via les gens de la revue Reflets et/ou du
Club Bob Morane, il a contacté mon éditeur – Henri Dhellemmes — pour obtenir une copie de mon manuscrit, avant publication. Ça s’est fait dans mon dos,
sans qu’on me demande mon avis (encore moins mon accord) même si l’éditeur m’a informé de cette demande et du fait qu’il allait y répondre favorablement.
Mon unique commentaire fut que ça n’avait pas la moindre importance ! Deux semaines plus tard, à mon grand étonnement, mon éditeur m’a fait suivre mon
manuscrit de retour… littéralement couvert d’injures à mon encontre, avec des passages rageusement barrés, des développements dans les marges, etc. À
l’encre rouge (comme à l’école, quand le Maître « corrige » un élève). C’était fou ! Je dois dire que je n’ai jamais été un « fan » de Bob Morane et n’ai jamais rien éprouvé envers Henri Vernes, à l’inverse du petit groupe d’admirateurs monomaniaques qui gravitaient autour
de lui, à l’époque. Genre fan club des collectionneurs de toutes les éditions avec toutes les variations d’imprimerie ! Je ne me suis jamais intéressé à
l’homme Henri Vernes, je ne lui ai jamais écrit, je n’ai jamais cherché à le rencontrer. Ce qui m’intéressait, en faisant ce livre, c’était d’essayer de
comprendre comment un simple « personnage » de la littérature pour adolescents, somme toute assez banal à ses débuts (même si gamin, ça m’avait vraiment
éclaté !) avait pu arriver à ce statut, à cette audience, à cette longévité. J’ai écrit d’autres livres sur des personnages de fiction, j’ai même créé une
collection d’ouvrages consacrés à des personnages (Bob Morane, mais aussi Arsène Lupin, Dracula, Le Saint, etc.), un concept repris par les Moutons Électriques des années plus tard, avec une autre ampleur. Je crois que la littérature populaire fonctionne volontiers sur des archétypes, qu’elle pratique
souvent ce que j’ai appelé, dans des articles théoriques, le « pas de côté », qu’elle interroge ainsi un « envers du monde » où réside toute une
connaissance — qui nous parvient, d’habitude et le plus souvent, sur un mode synchronistique. Ça a à voir avec la psychologie des profondeurs, et c’est
passionnant. Il y a cet aspect rimbaldien de l’écrivain qui se fait voyant — ou shaman. Transmetteur de quelque chose, « canal »… Une bonne partie des
premiers Bob Morane a à voir avec les grands mythes modernes, comme la cryptozoologie dans sa composante fantastique. Mine de rien, il y a
des messages là-dedans comme par exemple l’idée (je devrais dire l’évidence) que l’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence (ça, c’est le vrai
fondement de la cryptozoologie). Il y a toutes ces choses et bien d’autres dans les premiers Bob Morane. Une autre chose qui m’intéresse, c’est cette
notion selon laquelle la science-fiction est une littérature collective : les écrivains de SF sont des lecteurs de SF, c’est une littérature qui roule sur
le « supposé connu », l’ensemble des œuvres de SF forme une méta-œuvre dont l’accès, de fait, est de plus en plus difficile au fil des années ; c’est ce
qui explique que quelqu’un qui aborde le genre à l’âge adulte, sans y avoir fait ses classes, enfant, n’y comprend rien et donc n’y trouve aucun intérêt.
C’est moins vrai depuis une vingtaine d’années, simplement parce que c’est impossible aujourd’hui de ne pas tomber dans la SF quand on est petit, puisque
c’est la culture dominante ! Mais c’est un autre sujet. Bref, moi, je voulais essayer de retrouver « les sources » d’Henri Vernes ; je voulais tenter de
replacer l’écriture des premiers romans dans le contexte des « découvertes » (quel que soit leur degré de sérieux, de validité, de « scientifiquement
correct »…) de l’époque, d’une espèce d’état de modernité des idées, dans la littérature, dans le cinéma, dans la presse de vulgarisation scientifique, les
journaux de voyage, la presse coloniale… Ça participe aussi à ma fascination pour la Belgique ! En fait, Henri Vernes n’a strictement rien compris à ma
décharge. D’une part il a estimé que mes recherches sur ses sources et influences revenaient à l’accuser d’être un plagiaire — ce qui n’a strictement rien
à voir ; d’autre part j’ai vite compris qu’il s’attendait (qu’il aurait aimé…) que mon livre soit davantage centré sur lui, façon « Henri Vernes, sa vie,
son œuvre », alors que ce n’était pas mon projet. Le ton est monté assez vite, un vocabulaire relevant des procédures judiciaires ayant pointé son nez, mon
éditeur — courageux mais pas téméraire — a tout simplement répondu à Henri Vernes que puisqu’il le prenait comme ça, le plus simple était d’annuler le
bouquin. Ce qui, personnellement, ne me posait aucun problème : à l’époque j’avais des dizaines de sujets de livres sous le coude, et aucune envie de
perdre mon temps dans des polémiques épuisantes et, de mon point de vue, sans objet. Alors, tout soudain, Henri Vernes s’est montré conciliant : non, non,
non, il ne fallait pas annuler le livre… mais peut-être tout de même faire quelques corrections… Bref, le livre est sorti, avec bien peu de différences par
rapport au manuscrit original. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles d’Henri Vernes. Cette histoire s’est passée il y a vingt ans. J’ai toujours conservé le
manuscrit rageusement annoté (je devrais plutôt dire griffonné !) par Henri Vernes, hé, c’est une sacrée pièce de collection ! En fait, le sentiment qui me
reste de cette non-rencontre est de la tristesse. Car la morale de mon livre, c’est qu’un personnage peut échapper à son auteur et atteindre quelque chose
qui est presque de l’ordre de l’immortalité. Et c’est un phénomène extrêmement rare. En cela, Henri Vernes a réalisé quelque chose de vraiment hors du
commun, de tout à fait extraordinaire. C’est ça, sa réussite. Je regrette qu’il n’ait pas compris que c’est ce constat – qui ressemble tout de même à de
l’admiration, non ? – qui sous-tendait tout mon discours. Mais bon, tant pis…
Comme je suis membre du Club Bob Morane et que je suis allé plusieurs fois à la rencontre annuelle à Bruxelles où il est toujours présent, j’ai eu
l’occasion de le voir mais cela n’a jamais été une rencontre au niveau personnel.
J’ai rencontré Henri Vernes au salon de Sèvres. C’est un monsieur charmant, tout en sourire, qui, malgré son âge, discute avec ses lecteurs, qui raconte sa
vie d’aventurier, qui parle de Bob Morane avec le cœur. J’avoue que quarante ans après ma découverte de Bob Morane, cela m’a fait un pincement au cœur de
parler avec Henri Vernes. Il restera toujours pour moi un grand auteur et un grand monsieur.
*