Il va de soi que Bob Morane vit dans un univers fictif qui entretient de fortes ressemblances avec celui dans lequel nous vivons. Rien n’empêche alors de
s’amuser à déceler les correspondances entre ce monde littéraire créé de toutes pièces par Henri Vernes et le nôtre. Car il y en a… Au fil des quelque deux
cent trente volumes se dessine une chronologie et une géographie particulières.
L’Histoire selon Morane
1. Temporel ?
Le monde où vit Bob Morane a une perception différente de l’histoire, voire une histoire différente de la nôtre.
Au fil des romans se dessine toute une Histoire. Les Chasseurs de dinosaures permet de constater que tous les « terribles lézards » de l’Ère secondaire vivaient ensemble dans une jolie pagaille. Dans un passé plus ou moins lointain, la Terre a été peuplée par des civilisations
disparues (les Atlantes d’Opération Atlantide, les Muvians des Tours de cristal, les Hyperboréens d’Opération Chevalier Noir). Le futur sera radieux, ou peut-être pas : tout dépend de l’efficacité de la Patrouille du temps dans sa lutte
contre Monsieur Ming… (On y reviendra un peu plus loin.)
Plus récemment, il y a bel et bien eu la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle notre héros a fait ses preuves. Pour le reste, l’Histoire officielle
n’est guère utilisée comme référent. Si référent il y a, c’est Morane lui-même, ses aventures lui valant la célébrité. Les personnes qu’il croise, amis
comme ennemis, ont souvent entendu parler de lui – ce qui oblige l’aventurier à se déguiser de temps à autres ou à mentir sur son nom. Si les aventures
sont connues, les événements n’influent pas toujours sur la marche du monde, généralement, parce que leur portée est limitée.
Il est cependant des événements d’importance conséquente, comme la simili-Troisième Guerre mondiale (Les Dents du Tigre) déclenchée par
l’Empire Asiate, lors de laquelle Moscou et Leningrad sont rasés. C’est à partir de ce conflit, dont il ne sera plus jamais fait référence par la
suite, que les aventures de Morane semblent passer dans un univers qui n’est plus le nôtre et que la chronologie diverge (si peu). De fait, l’Histoire
moranienne et notre Histoire ne divergent que peu.
On remarquera la réticence d’Henri Vernes à dater ses histoires. Les aventures de son héros se déroulent dans une seconde moitié de XXe siècle
intemporelle. Seuls quelques indices discrets permettent de rattacher les aventures à une période historique. Dans Les Dents du Tigre (encore), un indice permet de connaître la date de naissance de Morane (le 16 octobre 1926) :
« Peut-être ne suis-je plus ce que j’étais en 1942 quand, à seize ans, m’étant échappé de la France occupée, je m’engageai dans la Royal Air Force en,
profitant de mon physique, me faisant passer pour majeur. »
Indication présente seulement dans la première édition du roman. Par la suite, cette précision disparaîtra, pour d’évidentes raisons d’adéquation entre le
héros et son lectorat sans cesse renouvelé. Dans les aventures suivantes, ce sera le progrès technologique, les modèles de voiture… ou un chat nommé
d’après un Président de la république, qui permettront de dater un tant soit peu la série, celle-ci restant dans un présent flou.
La « duplication » opérée par Gilles Devindilis dans le roman éponyme ramène Bob Morane en 1953. Le temps va-t-il s’écouler pour lui ? À suivre…
2. Atemporel ?
Quant à l’histoire personnelle de Morane et la chronologie de ses aventures, c’est une autre paire de manche. On vient de le voir, Les Dents du tigre fige l'âge de l'aventurier, qui a dès lors et pour toujours trente-trois ans. Précédemment, on a vu que les éléments permettant de tisser une biographie de Morane sont rares. Notre héros n'a pas vraiment de passé.
Quant aux aventures et leur succession, celles de l’Âge d’or semblent se
suivent dans l’ordre chronologique et sont censées avoir lieu à la date de leur publication (i.e. La Vallée infernale se déroule en 1953). Les notes de bas de page rappelant les précédentes tribulations de Bob Morane le prouvent.
Par la suite, avec les BD aux scénarios originaux paraissant en parallèle des romans, cette chronologie se révèle moins systématique, au point que l'ordre de succession des aventures, dès alors différent de l'ordre de parution, finisse par moins importer. Parfois, quelques
soucis de cohérence interne surviennent.
En voici un exemple : dans le diptyque La Cité de l’Ombre jaune/Les Jardins de l’Ombre jaune(1965), Morane et
Ballantine arpentent Kowa, la nécropole située sous Chinatown ; ils y reviennent dans avec Sophia Paramount lorsque les Poupées de l’Ombre jaune attaquent. Dans la BD originale (1971), tout y est comme neuf alors que dans sa novélisation (1974) l’auteur
prend en compte la première incursion de Morane en ces lieux. Les héros retournent à Kowa dans L’Ombre jaune fait trembler la terre
(1976)… où Sophia semble avoir totalement oublié qu’elle y a mis les pieds, à l’inverse de Morane. Doit-on en conclure que ce dernier roman se passe avant Les Poupées… ? Oui, car L’Ombre jaune s’en va-t-en guerre se passe en 1906 et Les Poupées… « de nos jours » (années 70). Non, si l’on considère que les romans du Cycle du Temps se déroulent
consécutivement. Mais c’est là pinailler. Faire preuve d’une solide cohérence interne ne semble jamais avoir été le souhait de Vernes.
Par ailleurs, le temps moranien est à trous : toutes les péripéties de notre héros ne sont pas racontées. Certaines, se déroulant hors-champ, sont juste
évoquées. Par exemple la fin du dix-neuvième Bob Morane, le héros s'est fait méchamment tatanné par le Masque du jade et annonce son intention de gagner le Japon pour y
apprendre le karaté. Péripétie qui ne sera pas racontée par l’auteur. Passées Les Dents du tigre (qui opère, répétons-le, une bascule importante dans le paradigme moranien, entre un héros qui vieillit et évolue, et un héros figé dans le temps). Bob Morane apprend donc le karaté, et c'est bien la seule chose qu'on le verra apprendre. Quant au temps à trous, l’extrait suivant est significatif :
« Au cours de ce périple qui le menait de ville en ville et de pays en pays, l’homme constata rapidement que la présence de Bob Morane en quelque endroit
que ce fût coïncidait toujours avec un événement local. Il y avait eu cette évasion spectaculaire de prisonniers politiques, à Temuco. Il y eut également
l’emprisonnement de trois gros industriels à Salvador, à la suite d’un scandale dans l’immobilier. À Port-Étienne, ce fut le démantèlement d’un gang qui
étranglait plusieurs entreprises de pêche en mer. À Marseille, l’anéantissement d’un réseau de trafiquants d’héroïne. À Mobile, l’arrestation d’une « huile
» du coton, convaincue d’assassinat et de détournements de fonds. À Fort-Lamy, un autre scandale avait éclaté à propos d’un important gisement d’étain, que
l’on venait de découvrir, et qu’une grande puissance européenne tentait de s’approprier au détriment des autochtones. » Mise en boîte maison
Autant de péripéties à raconter à l'avenir… ou non. Dans son formidable article, « Le Mythe de Superman » (in De Superman au surhomme), Umberto Eco analyse cette incongruité liée à l’absence
de chronologie dans les aventures de l’Homme d’acier.
« Superman tient en tant que mythe uniquement si le lecteur perd le contrôle des rapports temporels et renonce à les prendre pour base de raisonnement,
s’abandonnant ainsi au flux incontrôlable des histoires qui lui sont racontées. » U. Eco, « Le Mythe de Superman »
Que l’on remplace « Superman » par « Bob Morane » et la phrase reste valable. De fait, le héros et ses amis ne peuvent pas vieillir : vieillir, ce serait
donc admettre que le temps a prise sur lui, et à moins de sortir, façon lapin d’un chapeau, un artifice forcément très artificiel justifiant le
non-vieillissement (comme accorder l’immortalité au héros Perry Rhodan), les héros seraient aujourd’hui des octogénaires (et ce bon vieil Aristide
Clairembart reposerait au cimetière). Présente lors de l’Âge d’or moranien, la chronologie des aventures se fait donc discrète voire inexistante après Les Dents du Tigre. Une chronologie
suppose une mémoire, donc à nouveau un temps qui s’écoule.
3. Le Cycle du Temps
Sous-cycle à l’intérieur du Cycle de l’Ombre jaune, le Cycle du Temps élève l’affrontement entre Morane et Ming à un
niveau cosmique. Les deux ennemis se pourchassent à travers le temps et l’espace, grâce à la scrupuleuse vigilance de l’ambiguë Patrouille du Temps. Les
douze romans du Cycle du Temps forment une succession d’épisodes, sans autre liens entre eux que l’apparition de Ming à une époque donnée
(le Moyen-Âge ou le futur lointain), et les efforts de nos trois agents extraordinaires de la Patrouille pour lui mettre des bâtons dans les roues. On y
explore le Moyen-Âge français, un Paris ou un New-York post-apocalyptique…
Parti sur des chapeaux de roues (les cinq premières aventures paraissent presque coup sur coup), le rythme se ralentit peu à peu — mais les romans y
gagnent en profondeur : des titres comme La Prison de l’Ombre jaune ou Les Fourmis de l’Ombre jaune comptent parmi les
meilleurs Bob Morane. Néanmoins, force est de reconnaître que si la matière se prête volontiers au jeu des paradoxes temporels, Henri Vernes n’en fait
guère cas. À croire que le colonel Graigh surveille l’auteur.
4. Paradoxe
Le voyage dans le temps, au même titre que la rencontre extraterrestre et le voyage spatial, est l’un des thèmes les plus rebattus de la science-fiction.
Et en ce domaine, ce n’est pas les aventures science-fictives de Bob Morane qui donneront des maux de tête.
Petit rappel. Morane et ses amis voyagent dans le temps par deux moyens :
> la machine du professeur Hunter (Les Chasseurs de dinosaures et L’Épée du paladin) ;
> les temposcaphes de la Patrouille du temps.
Dans ses romans de SF, Henri Vernes semble éluder toute problématique liée au paradoxe temporel. Ce qui se passe dans le futur se déroule en même temps
dans le passé. Si Morane est en difficulté au Moyen-Âge à un instant t, la Patrouille du Temps au XXIIIe siècle doit se hâter de lui envoyer un
objet pour qu’il lui parvienne à l’instant t+1 et non t+2, où le héros sera alors déjà mort. À croire que les trois instances
temporelles, passé, présent et futur, se déroulent simultanément. Ou bien que le passé est une autre région de l’espace.
De même, l’histoire est l’histoire ; ce qui doit se passer se passera, et la très poul-andersonienne Patrouille du temps se doit d’y veiller le
plus scrupuleusement possible. Une unique fois, Morane doit sciemment provoquer un paradoxe (La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu), sur
ordre de la même Patrouille — mais la fin révèle qu’il y a anguille sous roche.
Cette réticence à provoquer (et donc résoudre) un paradoxe se retrouve dans les romans plus tardifs. Morane est projeté à deux reprises le 6 juin 1944 : L’Émissaire du 6 juin et Retour à « Overlord ». La première fois par les services secrets et à l’aide de la machine du
professeur Hunter ; la seconde par la Patrouille du Temps, avec le sauvetage du Lt Cavendish en toile de fond. Les deux aventures ayant lieu en même temps,
Morane pourrait (devrait) se rencontrer lui-même. Il n’en est pas le cas. (Il n’est qu’un seul Bob Morane.)
Bob Morane est un être hors du temps, âgé de trente-trois ans depuis 1958 et vivant dans un éternel présent… quand bien le monde autour de lui évolue.
Justement, qu’en est-il du monde qu’arpente l’aventurier ?
*
Petite géographie moranienne
Cliquer sur l'image pour accéder à la carte Google des emplacements des deux cents premières aventures de Bob Morane.
1. Le monde est son royaume…
Au cours de ses quelque deux cent trente, aventures, Bob Morane arpente le globe terrestre. La Vallée infernale, située dans les jungles
de Papouasie-Nouvelle-Guinée, donne le ton : dépaysement et exotisme. Morane explore l’Afrique, l’Amérique, le Moyen-Orient, l’Océan glacial arctique, et
si bien des aventures débutent à Paris, ce n’est qu’à sa 21e aventure, Échec à la main noire, qu’il reste en Europe (Venise).
Les Bob Morane de l’Âge d’or se déroulent pour majeure part à l’étranger. La relative lenteur des moyens de transport de l’époque donne
l’impression d’un monde encore vaste. À partir de l'Âge classique, Morane reste davantage en Occident, voire en Europe. Par exemple, dans les cinq romans compris entre L’Ombre jaune et L’Espion aux cent visages, Morane œuvre essentiellement en Europe du Nord (Londres, Paris ou Anvers).
Lors de l’Âge d’or, les mots « Terra incognita » existent encore — mais plus pour longtemps. Les pays lointains contiennent des zones encore
mal explorées, et qui auraient peine à trouver place sur une carte. C’est le cas des plateaux himalayens dans Le Masque de jade, Les Dents du tigre (ou, plus tardivement, Les Berges du temps). L’Antarctique (Le Secret de l’Antarctique), les hauts
plateaux andins (Les Crapauds de la mort), les fonds marins (Opération Atlantide) sont également riches en lieux
mystérieux et méconnus, où des civilisations se sont bâties en tout secret.
Notons que Morane semble éviter systématiquement certains lieux : hormis quelques capitales, une bonne part de l’Europe est ignorée (tout le continent sauf
la France, l’Angleterre et la Belgique), tout comme le Maghreb et l’Asie centrale. L’Afrique se résume essentiellement à son cœur. De manière tout aussi
curieuse, l’Écosse de Bill Ballantine n’est le cadre que de deux aventures : La Prisonnière de l’Ombre jaune, où il ne s’agit de rien de
plus qu’un décor, et la novella « Le cri de la louve », où les potentialités sont mieux employées.
Au cinéma, un même décor peut servir à plusieurs films (King Kong et Les Chasses du Comte Zaroff). Avec Henri Vernes, c’est
sensiblement pareil. Les lieux sont souvent stéréotypés : Londres est une métropole noyée par le smog, l’Afrique se résume à la Centre-Afrique, l’Amérique
du Sud au Pérou ou au Brésil, l’Amérique du Nord se résume souvent à San Francisco et San Francisco à Chinatown…
À mesure qu'Henri Vernes vieillit, Bob Morane se fait de plus en plus casanier, et les aventures se déroulent pour bonne part en Europe, à Paris ou
Bruxelles. Les « Terrae incognitae » se font rares, les tribus dites « primitives » sont assimilées. Bref, le monde perd de son intérêt et l’aventure
traditionnelle, dans la droite lignée de H. Rider Haggard ou Edgar Rice Burroughs, n’a plus lieu d’être.
2. Hic sunt dracones
Henri Vernes n’hésite pas à inventer de nouveaux pays pour le besoin de ses histoires. Petits pays (le Zambara dès la 6e aventure du héros, L’Héritage du Flibustier) ou moins petits (l’Empire Asiate dans Les Dents du tigre ou la Confédération Balkanique des Mangeurs d’atomes). Du temps de la Guerre froide, l’URSS ne semble pas exister — Morane se rend sans soucis en Sibérie dans Les Géants de la Taïga — et ce qui a été l’URSS est simplement appelé Russie (Les Dents du tigre à nouveau).
Au fil des romans, une géographie parallèle se crée, fourmillant de micro-états. C’est cependant l’Amérique du Sud et centrale qui paraît la plus riche en
nouveaux pays, à croire que le continent sud-américain reste la Frontière, un lieu riche de potentialité où les états se font et se défont dans la
pagaille…
Quelques pays imaginaires :
• Amazonia (La Terreur verte), dictature d’Amérique centrale ;
• Boldavie (Menace sous la mer), dictature d’Europe centrale ;
• Confédération balkanique (Les Mangeurs d’atomes), équivalent moranien de la Yougoslavie ;
• Empire Asiate (Les Dents du tigre), équivalent de la Chine ;
• Sultanat de Jarawak (Le Sultan de Jarawak);
• Kurkastan, état de l’ex-URSS (« Escale forcée ») ;
• République de Deception (Le Secret des sept temples), petit pays d’Amérique centrale ;
• Paloma, petite république voisine du Zambara (Trafics à Paloma) ;
• Santa Elena, en Amérique centrale (« Chambre 312 ») ;
• San Barbasco (La Cité des rêves), en Amérique centrale ;
• San Felicidad, petit état d’Amérique centrale (Escale à Felicidad) ;
• Serado, île de la mer des Caraïbes (Panne sèche à Serado) ;
• Sildavie (La Griffe de l’Ombre jaune), petit état européen (toute ressemblance avec Tintin…) ;
• Sud-Soudan (Les Berges du temps), anticipé vingt-trois ans avant la sécession véritable du Soudan du Sud ;
• Tumbaga, pays de la mer des Caraïbes, en conflit contre le Zambara (Guérilla à Tumbaga) ;
• Zacadalgo (Piège au Zacadalgo), petit pays d’Amérique centrale ;
• Zambara (L’Héritage du Flibustier), autre petit pays d’Amérique centrale ;
• Une grande puissance, jamais nommée, aux buts occultes, mais que l’on peut supposer être l’URSS, pays qui n’est jamais cité (sauf dans La Forteresse de l’Ombre jaune).
3. Ailleurs
L’aventure serait ennuyeuse si, parfois, Bob Morane ne découvrait pas des lieux sortant de l’ordinaire. Des endroits plus mystérieux encore que Chinatown et
ses nécropoles souterraines, que le cœur de l’Afrique noire ou les tréfonds de la jungle amazonienne…Le progrès technologique a beau avoir permis d'améliorer la cartographie, dissimulant toute les zones d'ombre sur la carte, il reste suffisamment d'espace pour dissimuler lieux mythiques et extraordinaires. Morane explore la Vallée des brontosaures dans sa 10e aventure, découvre les derniers Mayas dans la 12e, rencontre le serpent de mer en Arctique dans la 13e… et explore l'Atlantide dans la suivante.
a. Les Terres creuses
Morane a souvent l’occasion d’explorer des cavernes dont l’ampleur fait frémir (Les Crapauds de la mort dans la Cordillère des Andes ou,
du côté du Loiret, les surprenantes Cavernes de la nuit). La Terre serait-elle creuse ? Henri Vernes, malgré sa tendance à faire référence
aux pseudosciences (la cryptozoologie en tête), ne verse jamais dans l’hypothèse de la « Terre creuse ». Mais, chez lui, le sol n’est jamais sûr.
b. Les continents perdus
Une marotte du professeur Clairembart est la découverte des vestiges de Mu, du moins dans les premières aventures. Il en retrouve des vestiges sur les
hauts plateaux himalayens (Les Dents du tigre), et, projeté dans le passé, assiste à la fin de ce continent hypothétique (Les Tours de cristal). Bob Morane a également l’occasion de descendre à deux reprises dans ce qu’il reste de l’Atlantide, visitant ainsi
quatre cités atlantes moribondes (Aztlan et Ryleh dans Opération Atlantide ; Ichtys et Zoddogh dans Les Spectres d’Atlantis).
c. L’espace
Bob Morane a les pieds sur Terre, et n’éprouve guère d’intérêt pour l’espace. Il s’y aventure pour la première fois dans la bande dessinée Les Tours de cristal, aventure spatio-temporelle échevelée. En 1969, année lunaire s'il en est, va-t-il quitter le plancher des vaches ? Effectivement, Morane visite la banlieue spatiale proche dans la bande dessinée Opération Chevalier Noir, afin d’y désactiver le satellite d’une antique
civilisation avancée. Il y était déjà allé l'année d'avant pour anéantir un autre satellite, celui de l’Ombre jaune (Le Satellite de l’Ombre jaune). Le plus loin
qu’il aille est cependant cet artefact, Theos, situé à une vingtaine d’années-lumière (La Prison de l’Ombre jaune). Et c’est bien Monsieur
Ming qui voyage le plus dans l’espace interplanétaire : outre le satellite Theos, l’Ombre jaune visite Phobos (qui, comme chacun le sait, n’est pas un
astéroïde capturé par Mars mais un artefact extraterrestre) et une planète lointaine (Les Bulles de l’Ombre jaune).
d. Mondes parallèles
À plusieurs reprises, Morane arpente des univers qui ne sont pas le sien.
Récemment, il y a eu cette autre dimension, où vivent les Harkans. Morane et Ballantine y font un tour (ou peut-être que non) dans Les Ruines de Barkalia. Plus tôt, il y avait cet univers intercalaire (plutôt que parallèle), probablement doté de cinq ou six dimensions physiques — ce
qui n’empêche pas nos héros de s’y porter comme des charmes —, habité par des cristaux anthropophages (Les Berges du temps). (On peut encore citer ce monde de blancheur, où le pouvoir de la suggestion peut faire surgir n’importe quoi et où Morane apprend sa propre fictivité : « Aux origines de
l’imaginaire ».)
Néanmoins, Ananké est le plus connu de ces mondes parallèles (ayant donné son nom à l’éditeur actuel d’Henri Vernes).
Signifiant « fatalité » en grec, ce monde est bâti selon une géographie différente de la nôtre. Il s’agit de douze mondes concentriques, séparés par des
murailles (parfois métaphoriques). Chaque monde diffère du précédent en taille, en climat, en population, voire en logique. Le bocage du 1er
monde est suivi par un désert de glace, auquel succède une plaine vivant pour part sous un soleil éternel, pour part dans une nuit complète. Etc.
La géographie et le fonctionnement de ce monde parallèle restent peu développés. Y accède-t-on par seulement deux portes, situées à Paris et Bruxelles,
comme on l’apprend dans Les Murailles… ? Le curé du village de Vulku, dans le 11e monde (Les Plaines…), semble
être arrivé par une porte, située au château de Saint-Ange, directement dans le 10e monde. Les mondes sont-ils inclus entre deux murailles ?
Jusqu’où s’étend alors le 1er monde ? Les murailles sont parfois métaphoriques et leur passage s’effectue par une épreuve (passage du 3 e au 4e monde (Les Périls…), passage du 5e au 6e (Les Anges…). (Sur bobmorane.be : un plan d'Ananké.)
Cycle emblématique, « Ananké » n’est cependant pas une réussite totale : seuls les deux premiers volumes, Les Murailles d’Ananké et Les Périls d’Ananké, tiennent la route. Les Anges… est trop long malgré ses
bonnes idées. Les deux derniers abandonnent toute ampleur, deviennent de brefs recueils de nouvelles égarés dans l’anecdotique, et les passages de bravoure
alternent avec le médiocre ou les idées sous-exploitées.
Si le cycle d’Ananké est riche de potentialités, force est de reconnaître qu’il ne remplit pas toutes ses promesses.
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Selon Indochine, Bob Morane est le « roi de la Terre ». La chanson n’a pas tout à fait tort. Explorateur de l’espace et du temps, l’aventurier a surtout
sillonné les six continents et écumé les sept mers au cours d’un XXe siècle à l’histoire floue. Avec un peu d’escapades dans le futur, le passé et quelques
ailleurs improbables pour pimenter les choses. Une clef probable de son succès comme on le verra dans le prochain épisode…
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