Ce huitième épisode du dossier Bob Morane part à la rencontre des héritiers d'Henri Vernes, Christophe Corthouts et Gilles Devindilis, poursuivant les aventures du héros depuis que Vernes a pris sa retraite. Dans cette première partie, Christophe Corthouts, collaborateur de longue date de Vernes et auteur à part entière de La Malédiction de Michel-Ange, deux cent trente-deuxième aventure du personnage (mais pas seulement), répond à nos questions…
Christophe Corthouts, à quand remonte votre découverte de Bob Morane ? Et avec quel titre de la série ?
J’avais une dizaine d’années. C’est mon grand-père, lecteur assidu, qui m’a glissé Les Jardins de l’Ombre Jaune entre les mains, en me
disant : « Tu vas voir, c’est aussi chouette que de la BD… Mais tu pourras créer les images dans ton tête ». Ce fût vraiment mon passeport pour
l’imaginaire !
Quels autres livres ou auteurs vous ont marqué dans votre jeunesse ? (Ou même par la suite.)
Stephen King a été et restera un choc et un plaisir infini… C’est un des rares auteurs dont j’ai tout lu, jusqu’aux articles incompréhensibles sur le
base-ball ! Je l’ai découvert avec Dead Zone… Et j’ai ensuite tout dévoré… Et aujourd’hui encore, quelle que soit la lecture dans laquelle
je suis plongé, je cesse toute activité lors de la sortie d’un de ses romans. Plus largement, je suis passé par une période de « folie de lecture » ou je
dévorai à peu de choses près tout ce qui ressemblait à un bouquin populaire… De SAS à Moorcock, en passant par Laurent Genefort ou
Brussolo !
Avant d’écrire Bob Morane, vous avez déjà publié plusieurs livres : Virtual World, www.meurtre.com ou L’Étoile de l’Est (sous le pseudonyme de Christophe
Collins). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Virtual World
et www.meurtre.com sont effectivement des romans que j’ai publié en 1997 et 1998, aux éditions Lefrancq, avant ma collaboration avec Henri
Vernes. Par contre, L’Étoile de L’Est est la première enquête de Sam Chappelle, un commissaire de police, liégeois et franc-maçon, que
j’ai créé en 2011. Et donc la troisième aventure sera publiée au printemps 2014.
À quand remonte votre première rencontre avec Henri Vernes ? Comment s’est-elle passée ?
J’avais une quinzaine d’années, je pense. C’était dans un salon du livre, à Durbuy, en Belgique donc. J’étais fan… Et je tenais entre les mains mon
exemplaire de L’Arbre de Vie, je pense, paru aux Éditions du Fleuve Noir. Cela a dû se résumer à « Bonjour monsieur, je m’appelle
Christophe, merci monsieur pour la dédicace. Au revoir. »
Racontez-nous comment vous en êtes venu à poursuivre les aventures de Bob Morane ?
C’était en 2001… En fait, j’avais publié deux romans aux Editions Lefrancq à la fin des années 90. Et à cette époque, Henri Vernes était également publié
par le même éditeur. Apparemment, mon travail, ma plume, mes idées, lui plaisait. Il m’a donc contacté pour savoir si je serais intéressé par l’idée
d’écrire un Bob Morane… Sur lequel il pourrait ensuite, bien entendu, placer sa patte. Après quelques essais, il accepté mon idée pour Le Portrait de la Walkyrie, qui est paru en 2002, si mes souvenirs sont bons.
Entre ce Portrait de la Walkyrie et La Malédiction de Michel-Ange, avez-vous donc collaboré souvent avec Henri Vernes sur Bob Morane ?
Oui, tout à fait. En moyenne pour un ou deux Bob Morane par an.
Un titre dont vous êtes particulièrement satisfait ?
Si je voulais faire une pirouette, je dirais « le prochain ». Mais j'aime assez La Lumière de l'Ombre Jaune qui est, à mes yeux, une
chouette histoire qui mêle classicisme moranien et nouveauté à la Corthouts.
Comment vous êtes-vous coulé dans le moule moranien créé par Henri Vernes ? Cela a-t-il été facile ?
Je me suis pas vraiment « coulé » dans le moule, parce qu’Henri Vernes a toujours été clair… Il n’est pas possible d’écrire comme lui… À moins de flirter
avec le pastiche, la copie… Il était donc intéressé par ma manière d’écrire, ma façon de voir le personnage et de lui faire vivre des aventures plus
« modernes ». Je dirais que l’élément « moranien », le style Vernes, c’est lui qui l’ajoutait lors de la phase de « réécriture » qui suivant toujours la
remise d’un manuscrit de ma plume.
Envisagez-vous, ou pensez-vous qu’il possible d’imposer sa patte sur Bob Morane, une série littéraire déjà très balisée avec ces deux cent trente titres ?
Honnêtement, je ne sais pas si la question est de savoir qu’il est possible d’imposer sa patte… Ou si la question est plutôt « les fans de la première
heure sont-ils d’accord d’accepter une autre patte » ! Je pense qu’avec le temps, les aventures de Bob Morane ont rejoint les rangs des « intouchables »
aux yeux de certains, ce que je peux tout à fait comprendre. Mais finalement, est-il vraiment possible de déterminer un « style » Vernien ? Lorsque je
relis La Vallée Infernale, puis ensuite Le Satellite de l’Ombre Jaune, je réalise que l’écriture d’Henri Vernes a aussi
évolué. Elle s’est tendue, enrichie d’autres façons de décrire le monde, les actions, les personnages. Pour ma part, j’ai écrit des Bob Morane que j’aurais
aimé lire (je sais, c’est un peu bateau comme réponse…), avec un style d’écriture et des références qui sont forcément les miennes.
Avant de co-signer officiellement La Malédiction de Michel-Ange, vous avez déjà co-écrit plusieurs Bob Morane. Comment se déroule le travail avec Henri
Vernes ?
J’ai déjà un peu abordé cette question dans mes réponses précédentes. En général, je rédige une aventures dans son intégralité, au fil de l’écriture
lorsque j’ai des questions je prends simplement mon téléphone pour la poser à Henri. Ensuite, ce manuscrit est revu par Henri. La Malédiction de Michel Ange est officiellement co-signé parce qu’il n’y a pas eu de réécriture vernienne.
Dans ses interviews, Henri Vernes explique sa manière d’écrire un Bob Morane, qui, à partir d’un titre et d’une situation initiale, laisse une large part à
l’improvisation. Quant à vous, quelle est votre méthode pour écrire un Bob Morane ?
J’avoue que je suis la même méthode ! Mais c’est généralement ma méthode d’écriture… Je sais d’où je pars, et où je vais… Mais le chemin pour relier ces
points est parfois tortueux. Cela veut dire aussi qu’il m’arrive de me perdre et de devoir revenir sur mes pas, effacés, reprendre certaines situations…
Mais dans l’ensemble, le « cahier des charges » d’un Bob est assez classique, donc le développement de l’histoire répond à une trame
générale qu’il est facile de suivre.
Avez-vous cependant déjà pensé à sortir de ce moule ? Sous cet aspect, certains titres comme La Prisonnière de l’Ombre jaune, raconté par Bill et Sophia,
ou La Prison de l’Ombre jaune, sortent du lot.
J'ai y songé plusieurs fois… Mais j'avoue que j'étais alors « effrayé » à l'idée de faire du Corthouts, plutôt que faire du Morane… Et de me retrouver avec
un roman qui ressemble à la créature de Frankenstein, après les révisions apportées par Henri.
Dans La Malédiction de Michel-Ange intervient monsieur Ming. N’est-ce pas difficile de faire revenir un ennemi aussi emblématique que celui-ci ?
Non, Ming est une… mine ! C’est un personnage tellement fort, avec une telle palette… Et puis, il faut bien admettre que Bob Morane est lui-même une sorte
de « superman » sans peur, sans reproche, quasi sans faiblesse… Et il y a intérêt à avoir un type en face qui a les épaules aussi larges, si pas plus
larges que lui ! Avec Bob Morane, c’est parfois le même souci qu’avec Clark Kent… Il est d’une telle perfection que rendre ses aventures « palpitantes »
relève du tout de force. D’autant que, comme vous le signalez, Henri Vernes a quasi deux cents romans sous la ceinture, alors il a sans doute abordé toutes
les genres et tous les périls imaginables, ou presque.
La Malédiction de Michel-Ange oscille entre fantastique et thriller. Avez-vous un genre de prédilection, en tant que lecteur et en tant qu’auteur ?
J’aime beaucoup le mélange des genres. J’essaie d’emprunter au « thriller » le rythme, la tension, l’impression qu’il va toujours se passer quelque chose…
Parce que j’essaie d’emmener les lecteurs pour un tour de grand huit… Mais le fantastique, la SF, le polar, la terreur même, sont des outils qu’il est aisé
d’utiliser avec Bob Morane… Parce qu’il a déjà parcouru tous ces territoires sous la plume d’Henri !
Allez-vous confronter Morane à de nouveaux ennemis récurrents ? Et lui faire rencontrer des amis tout aussi récurrents ?
La galerie de personnages existants est déjà tellement fournie… Mais c’est vrai que j’essaie d’introduire parfois des personnages issus de ma propre
imagination. Dans La Malédiction de Michel-Ange, la Comtesse Zagarella, sorte de voleuse/mercenaire/ joue un rôle… Qu’elle tenait déjà
dans une courte nouvelle parue dans un recueil. J’essaie aussi de suivre la « tradition » vernienne des personnages féminins proches de Bob Morane…
Avez-vous comme projet de tisser des liens entre vos romans et les « Nouvelles Aventures » qu’a entamées Gilles Devindilis ?
Nous avons en tous les cas prévus de ne pas « nous marcher sur les pieds », même si les « Nouvelles Aventures » de par leurs origines (que je ne dévoilerai
pas pour ne pas spoiler celles et ceux qui n’auraient pas encore lu Duplication) m’offrent finalement toute liberté pour poursuivre les
aventures d’un Bob Morane contemporain.
Justement, quels sont vos projets pour la suite des aventures de ce Bob Morane contemporain ?
La prochaine aventure est « dans le four ». Elle s’intitule L’Idole Viking et s’inspire de certaines théories selon lesquelles les Vikings
auraient posé le pied sur le continent nord-américain bien avant Christophe Colomb… J’y évoque aussi les Berserkers, ces guerriers « invincibles » qui
semaient la mort du les champs de bataille vikings.
Dans certaines aventures des années 90, début 2000, on sent Bob Morane moins en phase avec son époque que par le passé. Gilles Devindilis répond à ce
problème à sa manière avec Duplication. Selon vous, comment ce héros né en 1953 peut-il rester en adéquation avec les époques qu’il traverse ?
Je pense qu’il faut aussi se mettre dans la peau d’Henri Vernes… À près de quatre vingts ans dans les années 2000, on ne lui en voudra pas, après deux
cents aventures, d’avoir un peu levé le pied. Le monde a changé… Je pense qu’Henri est encore en contact avec le monde et je peux vous assurer, de première
main, qu’il a regard pertinent sur les choses qui se déroulent sous ses fenêtres. Mais transcrire cela dans les aventures d’un héros né dans les années 50,
ce n’est pas toujours aisé. L’idée de Gilles est excellente. Dans mon cas, je préfère explorer l’idée d’une transformation du personnage… Il conserve des
valeurs, mais il se heurte tout de même à la réalité d’aujourd’hui.
Enfin, quelle est votre opinion sur du projet de reboot de la bande dessinée par Armand, Brunschwig et Ducoudray ?
Difficile pour moi de répondre, parce que j’ai simplement vu les dessins préparatoires. Et j’en entendu quelques rumeurs concernant le contenu des
scénarios, mais certainement pas des éléments assez clairs pour me faire une opinion. Dans l’état, les deux personnages que j’ai vu, Bob et Bill ne me
déplaisent pas. Reste à voir comment ils vont « bouger » de cases en cases !
Le mot de la fin ?
L'aventure, c'est l'aventure… Et l'aventure, c'est et cela restera Bob Morane… Et, bon sang de bois, qu'un jeune réalisateur s'empare de ce magnifique
univers et en fasse un vrai chouette grand film populaire… Je pense que Bob Morane à un potentiel énorme, surtout aujourd'hui avec la technologie et les
nouvelles manières de produire des films… Le tout sera de s'occuper du scénario avec intelligence pour que le film ne soit pas, comme John Carter,
accusé d'avoir piqué les idées des autres… Alors que ce sont les autres qui se sont clairement inspirés des écrits de Burroughs !
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Le blog de Christophe Corthouts/Collins.
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