Auteurs, éditeurs, essayistes, érudits, savanturiers… Plusieurs personnalités du monde des littératures de l’imaginaire francophones ont accepté de répondre à quelques questions sur le héros d’Henri Vernes : sa découverte, son influence, son avenir, son créateur…
1. Quand et comment avez-vous découvert Bob Morane ? En particulier avec quel titre de la série ?
Un copain de classe m’avait prêté Le Retour de l’Ombre Jaune, en Marabout. Je vois toujours cette couverture, comme si c’était hier, avec
cette caverne éclairée d’une lumière verte, cet espèce de cercueil transparent, où reposait le corps du terrible ennemi de Bob Morane. J’ai été passionné
par cette histoire, qui était de la science-fiction. Ensuite, j’ai tout fait pour trouver les autres volumes, y compris piller la bibliothèque paroissiale,
qui en abritait un certain nombre… et je me suis mis à hanter les librairies locales, pour guetter les nouveautés et les rééditions en Marabout (une
libraire me surnommait même « Monsieur Bob Morane » quand j’arrivais, car elle savait d’avance ce que j’allais lui demander…). Je pense que l’on devait
être en 1967, pour la lecture des Sosies de l’Ombre Jaune, quelque chose comme ça… j’avais dix ans.
Je l’ai découvert à la fin des années 60, mais je n’ai plus de titre en tête, rien que des images fugaces qui surnagent : Bill Ballantine tentant de
s’extraire d’un conduit de cheminée, la maison souterraine de l’Ombre jaune. Bien mince tout cela
Vers l'âge de sept, huit ans, un jour où je m'ennuyais à la maison, n'ayant rien à lire, ma mère m'avait envoyé à la bibliothèque paroissiale me procurer
un livre. Je ne savais même pas qu'il existait des endroits où on mettait des livres à la portée des gens. Mais comme elle m'avait dit comment m'orienter
une fois devant l'église, seul endroit où je savais me rendre par mes propres moyens, j'y suis allé. Je me suis retrouvé dans un local bourré d'ouvrages ;
sur la table, des livres en vrac, probablement ceux que les emprunteurs avaient restitués. Plutôt désorienté face à cette profusion, je n'ai pas su quoi
répondre quand le responsable de la salle m'a demandé ce que je voulais. Que pouvais-je vouloir ? Un livre, mais encore ? La timidité m'a fait répondre
n'importe quoi pour en finir au plus vite. J'ai cité le premier titre qui s'offrait à ma vue. Il s'agissait du Maître du silence. J'aurais
pu tout aussi bien réclamer Tête d'or de Claudel ou Tropique du Cancer de Henry Miller, encore que je doute que ce
dernier figurât dans une bibliothèque paroissiale. Sur la couverture, on voyait Bob Morane donner un coup de poing à un assaillant muni d'un sabre.
L'image, très certainement, m'avait attiré. Le type est allé chercher dans un antique buffet transformé en bibliothèque. Il ne voyait pas. Je n'avais pas
un autre titre en tête ? C'est alors qu'il a dit que j'avais de la chance parce qu'il venait de repérer le livre sur la table des retours, juste devant
moi. Je suis donc reparti avec mon livre, choisi par hasard.
Après, il m'arriva la même chose qu'à Obélix. Je suis tombé dedans, et, en moins d'un an, j'avais dévoré l'essentiel, commencé ma collection, et placé
l'Ombre Jaune dans mon panthéon des méchants vraiment fascinants.
Les Chasseurs de Dinosaures
a été mon premier livre sans images. Je devais avoir dans les 12 ans lorsque j’ai découvert l’univers de Bob Morane dans la collection Marabout Junior. Il
y avait une petite épicerie (brol-winkel, comme on dit à Bruxelles) où on vendait tant des cigarettes que des bonbons et des livres de poche à un prix
stupide. C’est là que j’avais rendez-vous avec l’Aventure et Bob Morane. Ensuite, j’ai été captivé par toute la série et en particulier par l’Ombre Jaune.
Une grosse partie de mon argent de poche filait à la petite boutique puis j’ai réservé les aventures suivantes dans une librairie du quartier quand
Marabout Junior est devenu Pocket Marabout.
J'ai vécu quinze ans en Afrique. Une enfance et une adolescence, d'abord au Maroc puis en Guinée. Le président de l'époque, Sékou Touré, dirigeait son pays
d'une main de fer, comme beaucoup de dirigeants de ces années-là (bizarrement aujourd'hui, ça n'a pas beaucoup changé… mais passons). Les Européens et les
Guinéens étaient, de fait, séparés. Mon père travaillait à l'usine Péchiney de Fria-Kimbo, et ma mère était institutrice. En ce temps-là, pas de télé, pas
de radio, pas de portable, pas de tablettes… La situation économique du pays n'arrangeait pas non plus le commerce, on s'en doute. Pour se distraire, nous
avions droit à du cinéma sur grand écran – deux films à la suite, plus des actualités au début – et une petite bibliothèque, animée par les instituteurs et
les professeurs de l'école – école qui allait jusqu'au Brevet des collèges.
J'ai commencé à dévorer les livres de la bibliothèque rose, puis verte, puis les romans catholiques édifiants (« Missions sans bornes », ou la collection
« Jean-François »), ainsi que des romans d'amour et des journaux-revues (France Dimanche, par exemple). Comme quoi, pour ne pas trop s'ennuyer, il
fallait faire feu de tout bois.
Un jour, au milieu des romans que je pensais avoir tous lus, je suis tombé sur un Marabout Junior : Tempête sur les Andes. La couverture
peinte par Joubert nous montrait un avion qui se lance sur sa proie, un bimoteur, dans une vallée escarpée… J'avoue que cela m'a intrigué, mais sans plus.
Et puis j'ai commencé à lire… J'ai découvert un héros à la trentaine conquérante (j'ai toujours détesté les personnages qui avaient mon âge, à l'époque,
ces petits je-sais-tout qui résolvaient une aventure embrouillée alors qu'ils n'avaient même pas dix ans!)… L'histoire qui se déroulait en Amérique du Sud
m'a plu et, surtout, j'ai noté la liste de romans précédents. L'empereur de Macao, L'idole verte, La fleur du sommeil, Les démons des cataractes, Échec à la main noire… Comment résister à la poésie
surréaliste de tels titres? J'ai tout de suite eu envie de me plonger dans d'autres romans… Hélas, Tempête sur les Andes était le seul qui
avait été acheté par la bibliothèque et j'ai dû attendre de longs mois avant de m'en procurer, en France, aux vacances suivantes.
Je le répète, l'ambiance générale du roman était intéressante, sans plus, puisque je venais également de découvrir les journaux Tintin et Spirou. Comme quoi, Morane est à l'image d'un thé qui infuse longtemps…
J’ai commencé enfant par les adaptations en bande dessinée de William Vance. Elles étaient prépubliés dans Tintin et on m’offrait souvent des
recueils du journal pour les vacances scolaires. Les romans, c’est venu plus tard, vers quinze-seize ans, quand je me suis mis à collectionner toutes les
séries fantastiques et SF que je trouvais : Perry Rhodan, Harry Dickson, Doc Savage, etc. Bob Morane était dedans.
Je ne suis pas totalement sûr que ce soit le premier de la série que j’aie rencontré ou lu (des camarades de classe en lisaient, la bibliothèque des
louveteaux avait quelques exemplaires sur ses rayonnages, en particulier la première édition des Dents du Tigre), mais c’est certainement
le premier que j’ai possédé : Le Temple des crocodiles, que ma mère m’a acheté en récompense d’un 19/20 en anglais, en classe de sixième.
Ce devait donc être en 1966, à peu près. La distribution était un peu aléatoire : toutes les librairies n’en vendaient pas, certaines avaient d’anciens
exemplaires, d’autres recevaient les nouveautés. Avec les camarades de classe qui lisaient Bob Morane, on s’échangeait les adresses de
librairies qui en vendaient comme les amateurs peuvent se signaler les coins à champignons (mais les sites particulièrement riches en récolte, comme pour
les champignons, on les gardait pour soi !).
Pour en revenir au Temple des crocodiles, je suppose que c’est l’ambiance égyptienne – on étudiait l’Antiquité en cours d’Histoire – qui
m’a fait opter pour ce titre en particulier, sur le tourniquet qui en présentait toute une cargaison. J’avais bien aimé l’histoire, mais c’est en
rencontrant des aventures plus franchement fantastiques ou science-fictives que j’ai vraiment accroché.
J’ai découvert Bob Morane à l’âge de 9 ans avec Les sosies de l’ombre jaune. Il était sur le tourniquet des poches Marabout dans la petite
librairie-papeterie de mon village, là même où j’ai aussi découvert Fantask, puis Strange et Marvel.
Ce n’est pas le titre qui m’a le plus marqué mais j’ai tout de même dû adorer, puisque je me suis plongé dans l’univers de l’aventurier. Le Bob Morane qui m’a profondément marqué est L’Épée du paladin, la bande-dessinée sur scénario d’Henri Vernes et dessins de
Gerald Forton. Là, je me suis pris une claque avec cette histoire de voyage dans le temps, et de héros en imperméables se battant contre des loups en plein
hiver médiéval ; il m’arrive de la relire, tous les deux ou trois ans, en période de Noël. J’aime bien aussi certains albums de la période William Vance.
Je me souviens ainsi très clairement d’une image montrant les commandos du SMOG en tenue polaire, équipés de M16. Va savoir pourquoi…
J'ai découvert Bob Morane quand j'étais gamin, mettons vers dix ans, quand ma grand-mère m'a offert deux volumes de la série (en Marabout Junior, à
l'époque, donc) : Le Collier de Çiva et Trafics aux Caraïbes. C'est le premier surtout qui m'a marqué et rendu accro.
Peut-être parce que, dans la foulée, ma grand-mère m'a aussi donné toutes les planches de BD Bob Morane qu'elle découpait chaque semaine
dans Femmes d'Aujourd'hui, et qu'il y avait aussi dans le lot Le Collier de Çiva. Il est possible que l'ancrage fourni par les
dessins ait joué un rôle pour me passionner — même si le dessinateur était en l'occurrence Attanasio, dont je ne suis pas un grand fan, contrairement à ceux
qui l'ont suivi sur la série, Gerald Forton (pour moi l'idéal sur BM) et William Vance.
J’ai commencé à lire Bob Morane quand j’avais une dizaine d’années, nous sommes donc fin 1962 ou début 1963 : un copain de classe m’en a prêté et j’ai tout
de suite accroché – ce devait être un titre SF car j’étais déjà un lecteur assidu de la collection « Anticipation ». Et je me suis mis à les acheter
d’occasion chez les bouquinistes, appréciant ces aventures où intervenaient dinosaures, mammouths — ah, Les Géants de la taïga ! — ou
soucoupes volantes, sans parler bien entendu de ce super-méchant qu’est l’Ombre jaune.
Dans le premier Bob Morane que j’ai lu, il était question d’un satellite : ce devait être La Forteresse de l’Ombre jaune
ou bien Le Satellite de l’Ombre jaune. Après avoir lu celui-là, j’en ai acheté d’autres, principalement ceux du cycle du Temps. En tout,
j’ai dû en lire une vingtaine, peut-être trente. Surtout ceux avec une part de fantastique ou de science-fiction. Je me souviens aussi de ma première BD
Bob Morane : Les Poupées de l’Ombre jaune. Si les romans m’ont passionné sans me faire plus d’effet que cela, cet album-là m’a terrifié.
Ma découverte du personnage fut assez tardive dans la mesure où, lecteur de science-fiction parvenu au terme des disponibilités du petit libraire de ma
ville, je me mis à chercher quelque chose d'autre à lire pour satisfaire ma boulimie de lecture. Je connaissais la collection Pocket Marabout puisque
j'étais un grand amateur de Doc Savage de Kenneth Robeson dont je ne loupais aucun épisode. Souvent, déjà, j'avais écarté les autres
volumes de la collection, j'avais négligé, en particulier, ceux qui étaient marqués d'un point rouge alors que mes préférés étaient frappés de
bronze. Ce jour-là j'ai vraiment regardé ces volumes compagnons et parmi ces aventures africaines ou policières qui ne m'inspiraient qu'un léger mépris,
j'en ai remarqué d'autres, plus alléchantes. Nous étions en 1970 et j'achetais Les cavernes de la nuit. Le livre fut probablement dévoré dans la journée
et, désormais débarrassé de mes réticences, dès le lendemain, j'allais rafler les autres Bob Morane disponibles ! Du moins ceux qui
relevaient de la SF, mais les autres furent vite à mon menu.
J’étais, je crois, en sixième. Il y avait une armoire de livres au fond de la classe dont seul le professeur de français avait la clef. Un jour – on était
vers la fin de l’année scolaire – il a été chercher un bouquin dans cette armoire et nous en a lu quelques pages, à la fin de l’heure de cours. Comme ça,
sans explication. Et puis il a continué la lecture, à la fin du cours suivant. Ça a duré jusqu’à la fin de l’année scolaire… mais hélas sans qu’on arrive à
la fin du livre. C’était Les Yeux de l’Ombre Jaune, en Marabout Junior. Comme je vivais dans un bled paumé où il n’y avait qu’un seul
point de vente de livres, une Maison de la Presse minuscule qui ne s’embarrassait pas à prendre des commandes, je n’ai pas pu me procurer le livre. Et à la
rentrée scolaire, j’ai constaté qu’il avait disparu de la grande armoire à livres. Quelqu’un l’avait chouravé. Il m’a fallu des années pour connaître la
fin…
J’avais treize ans quand j’ai lu pour la première fois un Bob Morane que l’on m’avait prêté. C’était Les Joyaux du Maharadjah… et il ne
m’a fait aucun effet. On m’a prêté plus tard Les Dents du Tigre et là, ça a été le début d’une passion qui se poursuit toujours. C’était
en 1976, à la fin de la « période Marabout » et on en trouvait encore dans toutes les librairies.
Cela ne nous rajeunit pas, je devais avoir 13 ans (cela devait être début juillet 1971), j’accompagnais mon père dans une maison de la presse pour acheter
ses cigarettes et pendant qu’il attendait, j’ai regardé un présentoir où il y avait des livres. J’en ai pris, j’ai lu le quatrième de couverture et je l’ai
porté à mon père pour qu’il me l’achète. C’était L’Héritage du Flibustier. J’ai dévoré le livre en une journée et le samedi suivant j’ai
demandé à mon père de me ramener d’autres Bob Morane. Et pendant toutes les vacances, j’ai lu des Bob Morane. Et j’ai
continué pendant toute l’année, rattrapant le temps perdu sur la collection. Et j’ai adoré la série de l’Ombre jaune. Mais mon personnage préféré reste
Miss Ylang Ylang. Je me souviendrais de l’illustration dans son fourreau noir.
*
2. Les romans Bob Morane ont-ils exercé une influence sur vous, que ce soit dans vos goûts ou votre parcours ?
Une influence sur mes goûts… il est difficile de répondre à ce genre de question. Ce que je peux dire, c’est que, lorsque j’ai découvert les aventures de
Bob Morane, j’ai été enthousiasmé, c’était vraiment ce que je cherchais. J’avais déjà un passif assez sévère : j’avais appris à lire — mais vraiment
appris à lire… — dans les albums Tintin (je suis resté un grand admirateur d’Hergé), mes parents m’avaient donné à lire très tôt des Jules Verne (Voyage au centre de la Terre, Vingt mille lieues sous les mers, etc., dont les gravures reprises dans l’édition du Livre
de Poche me fascinaient), je dévorais le Journal de Mickey où étaient publiées les aventures de Guy L’Éclair (Flash Gordon)
dessinées par Dan Barry (et, ce que j’ai découvert bien longtemps après, remarquablement scénarisées par Harry Harrison : c’était de la SF de qualité, au
point de vue thématique). Mes aventures de Bob Morane préférées étaient celles relevant de la SF, cela allait de soi, et plus spécifiquement celles mettant
en scène l’Ombre Jaune. Mais j’appréciais aussi les autres, plus « classiques » : les personnages imaginés par Henri Vernes étaient très attachants et,
comme souvent en littérature populaire, on en vient à apprécier les comparses — le truculent Bill Ballantine, le professeur Aristide Clairembart, la
sémillante Sophia Paramount… —, encore davantage que le héros lui-même. Je me souviens de ma joie lorsque je voyais mentionné le nom du professeur
Clairembart, ce qui signifiait à coup sûr une formidable — et fantasque — énigme archéologique à la clé…
Un autre point important est que les aventures de Bob Morane ont attiré mon attention sur les éditions Marabout : je me suis mis à explorer les fameux
tourniquets où étaient rangées les différentes collections Marabout, et je suis tombé sur un volume, les 25 meilleures histoires noires et fantastiques de Jean Ray, justement présentées par Henri Vernes ! Quel choc ! Et Pour une autre Terre, d’A. E. Van Vogt ! Et l’anthologie Les 20 meilleurs récits de science-fiction, avec des nouvelles
qui sont des classiques du genre… Grâce aux éditions Marabout, et donc indirectement grâce aux Bob Morane d’Henri Vernes, j’ai vraiment
découvert la science-fiction, en ce sens que je me suis aperçu qu’il y avait des écrivains du genre, en dehors de Jules Verne et de quelques isolés que je
cernais mal — j’étais jeune, tout de même… —, ainsi que des collections qui accueillaient régulièrement de la science-fiction. Tout ceci s’est structuré
pour moi.
Aucun. Ce qui m’a profondément et durablement marqué, ce sont les aventures d’Harry Dickson de Jean Ray, sans cesse lues et relues, choc profond.
Assurément. J'écrivais déjà, des poésies et des romans. Le temps d'assimiler les codes du récit d'aventures, il ne me fallut pas longtemps pour délaisser
le roman de cape et d'épée en cours pour créer mon propre héros, qui a affronté un méchant nommé l'Ombre Noire, bien sûr, et un certain Professeur Teufel
directement dérivé du Docteur Xhatan.
Je me suis aussi rendu compte que les aventures de science-fiction me plaisaient davantage que les intrigues policières, sans parler des ambiances
fantastiques. Dans les compléments de lectures (il y en avait à l'époque), on y apprenait qu’Henri Vernes était l'ami de Jean Ray. Les éditions Marabout
savaient aussi bien faire leur pub : il y avait en fin de volume la présentation de titres des autres collections, pas seulement de celles dédiées à la
jeunesse. Avec des résumés tout à fait saisissants. C'est ainsi que j'ai lu, sous le manteau, à onze ans, Les Contes du whisky de Jean
Ray, dont certains récits m'ont fait cauchemarder, et que j'ai embrayé sur Erckmann-Chatrian, Seignolle, Owen…
J'ai écrit à Henri Vernes à l'âge de onze ans, pour lui proposer des scénarios, ayant constaté que ses intrigues se répétaient. En fait, deux romans
reprenaient le principe des membres d'un groupe assassinés les uns après les autres, avant qu'ils n'aient eu le temps de parler. J'ai donc proposé des
scénarios — à l'époque, je rêvais seulement qu'il les écrive pour que je puisse les lire. J'ai reçu une lettre de remerciements, mais, évidemment, rien n'a
été repris. Je me suis rêvé plus tard comme un possible repreneur des aventures de Bob Morane.
Quand j’étais pré-adolescent, certainement. Je me souviens de vacances en Suisse avec mes parents et mon jeune frère. Nous nous amusions à « jouer » Bob
Morane et Bill Ballantine. À l’hôtel où nous étions descendus, à Ascona, il y avait une jeune touriste que nous avions rebaptisée Miss Ylang-Ylang pour la
circonstance dans notre imaginaire. J’étais à fond dans le rôle et dans mes fantasmes. Par après, bien sûr, je me suis orienté vers d’autres auteurs plus
spécifiquement dans le domaine de la SF (Arthur Clarke, Ray Bradbury, A.E. Van Vogt, Clifford Simak…). Des années plus tard et donc aujourd’hui je me suis
replongé dans les aventures de mon premier héros. Mais il faut reconnaître que tout n’est plus de grande qualité.
Très nombreux sont les écrivains, aujourd'hui, qui confessent avoir, dans leur enfance, lu des Bob Morane. Je pense qu'un héros de littérature populaire exerce
une profonde influence sur ses lecteurs — et lectrices, car il y en avait autour de moi. De manière puérile, Morane a été un modèle auquel je voulais
ressembler: haute taille (là, c'est raté), bagarreur (hem… là également), ayant toujours une jolie fille à ses bras (là toujours…), mais j'adorais son sens
de la justice et son côté à la fois grand gaillard et gentleman. Il représentait la quintessence française – et c'était souvent souligné dans les années
soixante. J'aimais aussi, avouons-le également, l'érotisme qui se lovait dans les couvertures excellentes et sensuelles de Pierre Joubert, érotisme qui
n'était pas pour rien, évidemment, dans l'intérêt que je ressentais. Hélas, c'était la seule touche un rien « interdite » qu'il y avait dans les Morane. À
l'époque, je ne savais pas que c'était tout simplement parce que nos aînés ne voulaient pas, via une censure tatillonne, éveiller les sens des jeunes ados
que nous devenions. Pour cela, Jean Bruce et Paul Kenny m'ont été beaucoup plus utiles… Héros trentenaire, donc, ne cherchant pas l'argent mais l'aventure,
accompagné d'un Écossais truculent et venant au secours de jolies filles dont il ne faisait que baiser la main… Ma foi, ce triple ingrédient m'allait très
bien.
Pour l'écriture, oui, Morane m'a également servi, notamment dans les excellentes descriptions des paysages, de l'ambiance générale d'un pays (même si, pour
la plupart, elles étaient « pompées » sur les encyclopédies de l'époque, ainsi que l'a dit Vernes). Il y avait pas mal de saines péripéties — quand Vernes
ne se laissait pas trop à photocopier un roman précédent… Par contre, j'ai peu appris sur le rythme et les dialogues d'un roman, car je lisais
parallèlement Dumas, qui est un maître en la matière, ainsi que des romans d'anticipation fiction, sans oublier les BD franco-belges (avec Michel Vaillant,
Ric Hochet, Guy Lefrancq, Tanguy et Laverdure, etc.).
Morane m'a été très utile car ce n'est pas un héros illustrant un seul genre littéraire. Cet aventurier se déplace dans l'espace, le temps, l'histoire,
bref, il correspondait parfaitement pour moi à l'idée que je me suis toujours fait de l'art : ce dernier doit nous entraîner dans des univers hors du
commun…
Pas vraiment. Mais j’ai toujours trouvé que la série était un objet parfait. Ce n’est pas rien de créer tout un monde vivant qui dure encore soixante ans
plus tard. À la limite, il n’y a même pas besoin d’ouvrir les livres. La poésie des titres et la beauté des couvertures de Joubert suffit à déclencher
l’imaginaire. J’aime beaucoup cet effet « galerie ».
Indubitablement, ça a constitué pour moi un marchepied vers le fantastique et la science-fiction, une collection de livres où j’ai rencontré pour la
première fois des thèmes et des genres que je retrouverais ensuite en passant au niveau supérieur : H. G. Wells, les romans du Fleuve Noir… et plus tard,
la collection J’ai Lu SF. Quand Marabout Junior est devenu Marabout Pocket, j’ai également découvert Doc Savage que je pensais naïvement contemporains (à
ma décharge, les traductions étaient parfois rectifiés pour le laisser penser) et qui m’a ouvert la voie des pulps et de la science-fiction américaine.
Sans aucun doute. Enfant, j’ai découvert le plaisir de lire principalement avec les deux Verne(s), Jules et Henri. Et puis il y a une chose importante,
évidente mais que l’on oublie trop souvent, c’est que le lecteur ne découvre pas les livres dans l’ordre chronologique de parution. Tu ne commences pas par
Homère, disons, pour arriver à China Miéville. Et donc j’ai découvert toutes les grandes thématiques de la science-fiction via les larges emprunts que
Vernes faisait aux chefs d’œuvre du genre. Par exemple, Krouik est une variation d’Ubik de Philip K. Dick. Pareil pour Le cycle d’Ananké un démarquage du Monde du Fleuve de Philip José Farmer. Et ne parlons même pas de sa patrouille du
temps… Mais peu importe, Bob Morane est une authentique création, et Henri Vernes un formidable passeur.
Je me suis assez vite rendu compte que je préférais les histoires de Bob Morane relevant de la science-fiction, genre Les chasseurs de dinosaures qui a dû me déclencher des mini AVC en cascade, que les histoires d’aventures « réalistes ». Mais bon, dès
qu’un titre apparaissait sur le tourniquet, je le prenais…
Outre le fait qu'ils m'ont donné des heures de plaisir quand j'étais adolescent, ils m'ont aussi initié à la science-fiction. Je pense qu'on peut donc dire
qu'ils ont joué un rôle non négligeable dans mon parcours d'écrivain, oui.
Les romans d’Henri Vernes ont certainement été l’un des éléments déterminants dans mon goût pour cette littérature de SF populaire qui ne m’a jamais
quitté, même si j’ai ensuite découvert, lu et apprécié d’autres auteurs à l’écriture ou aux intrigues plus « sophistiquées » mais qui ne se lisent pas,
bien entendu, de la même manière. Bob Morane, aux côtés de Jean Kariven ou du chevalier Coqdor par exemple, a réjoui toute ma jeunesse et donné cette
bouffée de liberté et de sense of wonder qui manquaient si cruellement dans notre pays avant 1968. Cela changeait très agréablement de tous ces
auteurs académiques et ennuyeux que nous étions obligés de lire et d’étudier au lycée…
Dans les années 80, j’écrivais des livres dont vous êtes le héros. Peu avant le lancement de Bob Morane Magazine, le PDG d’Infogrames, Bertand
Bonnell, m’a contacté pour savoir si je pouvais écrire des LDVELH « Bob Morane ». Faute de temps, j’ai d’abord refusé, mais B. Bonnell est revenu à la
charge. Cette fois, j’ai accepté, en demandant à pouvoir répartir le travail d’écriture avec des amis. J’ai donc écrit un Bob Morane dont
vous êtes le héros et ce sont des camarades qui ont rédigé les trois autres. Tout est paru sous mon propre nom, mais l’argent a bien été réparti entre moi
et mes amis. Il s’agissait d’un boulot purement alimentaire et je serais incapable de me souvenir lequel LDVELH est de moi. Probablement celui paru dans le
numéro « Océans » du magazine.
Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où je ne suis pas un vrai « fan » de la série. Je ne suis qu'un amateur critique du héros et
de la longue théorie de ses aventures. Si Morane eut une influence sur moi, elle fut diffuse car je ne le rencontrai finalement que tardivement dans mon
parcours de lecteur (même si ce fut à dix ans !). Toutefois, il m'a fortement intéressé en tant que personnage emblématique et majeur de la littérature
destinée à la jeunesse. Sa polymorphie, qui ne fut pas le moindre de ses attraits, m'enseigna peut-être qu'il était possible de mélanger les genres. Cette
notion n'est pas originale aujourd'hui pourtant, à l'époque, elle était nouvelle.
Oui. Je me suis rapidement mis à en lire d’autres et je me suis tout aussi rapidement rendu compte qu’il y en avait certains qui étaient beaucoup plus
intéressants que les autres… et un jour, j’ai fini par comprendre que ceux qui me plaisaient vraiment relevaient d’un truc qui s’appelait
« science-fiction ». Je crois, pour en avoir souvent discuté, que beaucoup d’amateurs de SF de ma génération ont plus ou moins découvert le genre avec Bob
Morane.
Mon goût pour l’aventure et la science-fiction date d’avant que je découvre Bob Morane (avec en particulier la série « Les Conquérants de l’Impossible », de Philippe Ebly, à la Bibliothèque Verte) et l’envie de collectionner également. Il n’y a donc pas eu
d’influence de Bob Morane.
Oui, c’est Bob Morane qui m’a amené à la science-fiction, au fantastique, et surtout qui m’a vraiment donné le gout de la lecture, pendant des années Bob
Morane m’a accompagné dans mes lectures, c’est lui qui m’a fait découvrir la collection anticipation au Fleuve Noir. Il reste un des héros présent dans ma
mémoire. Je pense aussi que dans l’écriture il me reste un fond de Bob Morane, inconsciemment. L’aventure, le mystère…
*