Au programme de la deuxième partie de cet épisode consacré aux personnages récurrents de l'univers de Bob Morane : après les amis, les ennemis… Car la grandeur d’un héros ne se mesure-t-elle pas à celle de ses ennemis ? Et de ce côté-là, Bob Morane n’en manque pas.
Vraiment pas. Au moins un par roman depuis 1953… Certains sont même devenus récurrents, menaçant de conquérir ou de détruire le monde. De l'Ombre jaune au Docteur Xhatan en passant par la vénéneuse Miss Ylang-Ylang, les voici passés en revue.
Ses meilleurs ennemis
1. L’Ombre jaune
« L’Ombre Jaune est la vie, mais il est aussi la mort… Il peut sauver l’humanité, mais il peut aussi la détruire. » L’Ombre jaune
Des ennemis de Morane, Monsieur Ming, alias l’Ombre jaune, est certainement le plus emblématique. Plus de quarante aventures le mettent en scène, à divers
degrés d’implication.
Au fait, pourquoi ce surnom un peu idiot ? Ming l’explique lui-même :
« J’ai pris ce nom d’Ombre Jaune, parce que l’ombre représente le combat féroce que je livre pour arriver à mes fins, combat auquel succédera le jaune de
la lumière… » L’Ombre jaune
a. Monsieur Ming
« Sur le divan, un étrange personnage se trouvait assis. C’était un Mongol qui, debout, devait mesurer près de deux mètres. Il était maigre et portait un
costume noir, très strict, au col fermé de clergyman. Ses longs bras, prodigieusement musclés s’il fallait en juger par la façon dont ils tendaient les
manches du vêtement, devaient posséder une force prodigieuse, ainsi que les mains énormes, avec des doigts pareils à des griffes d’acier. Une de ces mains
cependant – la droite – paraissait bizarrement figée, comme faite de matière morte, fossilisée.
Le visage de l’étrange personnage retenait surtout l’attention. Un visage en forme de lune, à la peau jaune, légèrement verdâtre et prolongé par un crâne
volumineux, complètement rasé. Entre les pommettes saillant à l’extrême, le nez était large, épaté. La bouche elle, aux lèvres fines mais parfaitement
dessinées, s’ouvrait sur des dents solides, pointues, ressemblant davantage à celles d’une bête carnassière qu’à celles d’un homme. Les yeux non plus
n’avaient rien d’humain. Sous les paupières obliques, ils étaient semblables à deux pièces d’or ou, encore, à deux topazes opaques. Des yeux minéraux,
sertis dans des os et de la chair bien vivants, mais qui cependant paraissaient morts. Des yeux presque sans regards, d’où émanait cependant une étrange
puissance hypnotique. » L’Ombre jaune
Ming, c’est le Fu Manchu de Henri Vernes. Tibétain ou bien Chinois, ou encore Mongol, censément âgé de plusieurs siècles, possesseur d’une grande science.
Surtout : increvable et obstiné. Il planifie sans cesse la domination de la Terre. Ou plus exactement, la fin de la domination occidentale sur monde :
« La civilisation occidentale s’est détournée de la nature ; elle foule aux pieds toutes les lois morales. Aujourd’hui, on estime davantage un homme
possédant des autos, des yachts, qu’un sage ou un philosophe cherchant la vérité pour assurer au monde une vie meilleure. Une existence mécanique,
matérielle, sur laquelle pèsent de grandes menaces, comme celle de l’atome, voilà tout ce que votre civilisation offre à l’Homme. Et je veux détruire cette
civilisation afin que tous les Humains puissent, dans l’avenir, goûter une vie paisible dans ce beau jardin qu’est notre planète. » L’Ombre jaune
Ming s’est donc juré de détruire l’Occident. Cela, par tous les moyens possibles – attentats, bandits, poupées, papillons… Cela fait de lui un méchant à la
hauteur de Morane, qui est d’ailleurs effrayé par l’individu.
Ming dirige une organisation nommée d’abord Vieille Asie, par la suite renommée Vieille Chine, puis Shin Than (qui signifie, selon les romans, Vieille Asie
ou Aurore Orientale). L’organisation n’a guère d’importance en tant que telle. Si l’on apprend qu’elle possède un conseil/directoire, c’est bien tout. Et
c’est dommage : approfondir le fonctionnement Shin Than aurait été une bonne idée.
L’Ombre jaune admire Morane (et vice versa) et lui propose régulièrement de faire alliance. A eux deux, ils feraient de grandes choses. Si Morane rejoint
Ming sur la capacité de nuisance de l’Occident et la nécessité de faire de l’écologie une priorité, les deux divergent sur les méthodes.
« Pour être juste avec lui-même, [Morane] n’était pas sans reconnaître la justesse des griefs de Ming envers la civilisation. À cette civilisation, il
avait lui aussi bien des choses à reprocher, comme le massacre aveugle des espèces animales, l’emploi des armes modernes, dispensatrices de morts
collectives auprès desquelles les grandes épidémies de jadis faisaient figure de simples divertissements. Mais, à côté de cela, bien des choses plaidaient
en faveur de la même civilisation occidentale : la suppression de l’esclavage, les lois sociales équitables, la liberté de parole, la lutte contre la
maladie. » L’Ombre jaune
Cette relation d’amour/haine entre Ming et Morane remonte à La Couronne de Golconde. Pour sa première apparition, l’Ombre jaune est encore
Monsieur Ming, un criminel tout ce qu’il y a de plus humain. Et qui manque de perdre la vie, lorsque sa main se fait trancher par une statue. Présent,
Morane réduit l’hémorragie et sauve Ming. En échange, celui-ci lui offre un pendentif, sorte de sauf-conduit, qui aidera souvent Morane, et lui sauvera la
vie en une occasion bien précise. Par la suite, la métamorphose de Ming en super-vilain s’accomplit. Se faisant donc connaître sous le surnom d’Ombre
jaune, il terrorise l’Occident. Surtout, génial inventeur, il se greffe une main artificielle et met au point un dispositif de duplication de sa propre
personne. De telle sorte qu’il est virtuellement immortel (Le Retour de l’Ombre jaune).
Si Ming a tendance à mourir régulièrement, il ressuscite tout aussi souvent. La seule fois où il est véritablement mourant (La Lumière de l’Ombre jaune), il oblige Morane à le sauver (Les Secrets de l’Ombre jaune). Notons que La Prison de l'Ombre jaune se termine sur le décès définitif, semble-t-il, de Ming, mais ce roman étant suivi de cinq autres volumes dans le cycle du Temps, on peut hésiter : Ming a-t-il ressuscité mystérieusement ou ce récit est-il un lointain flash-forward ?
La capacité de nuisance de Ming est potentiellement terrifiante, mais l’individu s’acharne sur les mêmes cibles : Londres et San Francisco. Allez savoir
pourquoi, détruire New York ne lui est jamais venu à l’esprit. Paris manque subir ses foudres (L’Ombre jaune s’en va-t-en guerre). Mais
Morane est toujours pour lui mettre des bâtons dans les roues. Par la suite, Ming oscille entre différentes époques (le Moyen-Âge, un futur lointain), mais
Morane est encore là, venant en aide à la Patrouille du Temps pour contrecarrer les plans maléfiques de l’Ombre jaune.
Occupant à lui-seul un cinquième du corpus moranien, le cycle de l’Ombre jaune passe par des hauts et des bas. Si les cinq premiers romans
du cycle sont efficaces, l’omniprésence de ce méchant finit par lui nuire : l’Ombre jaune se transforme en vilain d’opérette. Au fond, Ming n’est jamais
plus effrayant que lorsqu’il est quasi-absent du roman (Les Fourmis de l’Ombre jaune ou Le Poison de l’Ombre jaune).
b. Les troupes de choc de Monsieur Ming
Ming ne serait rien sans ses acolytes. Il emploie différents types de sbires. Les plus usités sont les Dacoïts, qui jouent du couteau comme Hendrix de la
guitare. Drogués, dépenaillés, le regard halluciné, ils sont redoutables. Leur hurlement glace le sang. Sauf celui de Morane et Ballantine, qui les
dézinguent par dizaine.
À côté des dacoïts, on croise brièvement des pygmées andamanais (Les Yeux de l’Ombre jaune), des Thugs étrangleurs, des Amoks, des Malais
intoxiqués au haschisch qui usent à outrance du kriss, des guerriers décongelés (Les Guerriers de l’Ombre jaune), les Whamps, ces
terrifiants vampires biomécaniques (Les Captifs de l’Ombre jaune).
Sans compter tout un catalogue d’inventions robotiques : singes et crocodiles mécaniques anthropophages, main géante articulée, etc.
c. Tania Orloff
« C’était une très jeune femme – vingt-deux, vingt-trois ans peut-être – et merveilleusement jolie. Visiblement, cela se remarquait à ses yeux bridés, à sa
peau ambrée et à ses pommettes légèrement saillantes, il s’agissait d’une demi-Chinoise. De taille moyenne, elle possédait la grâce d’une poupée précieuse
et son visage, que les yeux éclairaient telles deux étoiles noires, avaient de quoi inspirer des générations entières de poètes. » L’Ombre jaune
Ming a une nièce : Tatiana Orloff, dite Tania. Celle-ci aime autant qu’elle hait son oncle. Si celui-ci a été son tuteur après le décès de ses parents,
elle ne partage pas ses vues. Et c’est pour cette raison qu’elle vient en aide autant que possible à Morane – cela, dès l’inaugural L’Ombre jaune. Cela, dans le plus grand secret.
Tania Orloff et Morane partage un amour aussi tendre que platonique. Morane appelle Tania « petite fille » (comme toutes les autres filles). Sa bonté est
intrinsèque : même l’androïde basé sur sa personne finit par se rebeller contre Ming (Les Nuits de l’Ombre jaune). Curieusement, celui-ci
ne se rend jamais compte de sa duplicité.
d. Les inventions de Monsieur Ming :
Esprit génial, riche d’une science millénaire, Ming possède à son actif tout un catalogue d’inventions géniales (forcément). Citons une main mécanique
télécommandée (L’Ombre jaune), des clones robotiques (La Revanche… et Les Sosies de l’Ombre jaune), des
yeux-lasers (Les Yeux de l’Ombre jaune), des robots capables de se téléporter (La Cité de l’Ombre jaune), des plantes à
la chimie non-basée sur la photosynthèse, un démultiplicateur de force (Les Jardins de l’Ombre jaune) ou encore un satellite spatial (Le Satellite de l’Ombre jaune).
Pourtant, tout ingénieux qu’il soit, Ming se retrouve, avec le temps, surpris à dérober les inventions de savants. De l’espionnage industriel qui commence
gentiment dès Les Yeux de l’Ombre jaune, septième aventure à mettre en scène le Mongol, et qui se révèle assez systématique à la fin de
l’Âge adulte et lors de l’Âge néoclassique : Ming capture des scientifiques dans le seul but de leur extorquer leurs inventions et de les employer —
évidemment – à mauvais escient (L’Ombre jaune s’en va-t-en guerre, L’Exterminateur, La Lumière de l’Ombre jaune). De maître du monde, il se transforme même en un banal voleur dans Le Trésor de l’Ombre jaune.
Personnage au riche potentiel, malheureusement pas toujours employé au mieux, Ming reste le méchant par excellence de l’univers moranien. Les nouveaux
auteurs de Bob Morane l’ont bien compris et le font revenir dans les aventures régulières ou les « Nouvelles Aventures » (Duplication et ses suites, de Gilles Devindilis, La Malédiction de Michel-Ange de Christophe Corthouts).
2. Le SMOG
Le SMOG est l’équivalent moranien du SPECTRE qu’affronte James Bond. À cette nuance que l’organisation n’est pas dirigée par un affreux bonhomme mais par
la séduisante Miss Ylang-Ylang. Cette organisation, telle une mercenaire, vend ses services aux plus offrants.
a. Roman Orgonetz
« [C’était] un homme de taille moyenne, au corps difforme et dont le visage, laid au-delà de toute expression et surmonté d’un crâne chauve et luisant,
était fendu d’un sourire découvrant, sous des lèvres lippues, une double rangée de dents complètement aurifiées. » L’Homme aux dents d’or
Cet horrible individu est le premier méchant régulier à intervenir dans Bob Morane. Outre son apparence répugnante, sa voix chuintante et ses dents en or,
Orgonetz se caractérise par sa haine viscérale de Morane.
Individu d’origine moldovalaque (L’Œil de l’iguanodon), il fait sa prime apparition dans Mission pour Thûlé, revient dans
l’aventure suivante, La Cité des sables, où son sort demeure inconnu. On le retrouve par la suite dans diverses aventures. Avec une rare
subtilité, cet espion utilise volontiers de pseudonymes : Calle Verde, De la rue verte, ou encore Greenstreet.
Travaillant au début pour une puissance étrangère jamais nommée (l’URSS ?), il subit une rétrogradation à cause de Morane (Les Mangeurs d’atomes). Par la suite, il est embauché par la puissante organisation SMOG (Terreur à la Manicouagan), à un
poste élevé de la hiérarchie, ce qui ne l’empêche pas d’accepter des jobs en freelance.
On le sait bien, les méchants sont coriaces, et Orgonetz l’est particulièrement. Increvable, il refuse de décéder lorsqu’on le laisse pour mort, et
triomphe même de l’infirmité : paralysé dans Santeria Drums/Demonia Maxima, il gambaderait presque dans L’œil de l’iguanodon.
Après une relative éclipse durant l’Âge adulte de Morane (trop outrancier pour y être ?), Orgonetz revient en force dans l’Âge nécoclassique, plus haïssable que jamais.
b. Miss Ylang-Ylang
« C’était une femme de haute taille – un mètre soixante-dix environ –, au visage à l’ovale et aux traits parfaits, qu’éclairaient de longs yeux bridés
d’Eurasienne. Leur fixité indiquait une volonté de fer, et aussi de la cruauté. Le nez était fin, délicatement ouvré, et la bouche d’un dessin parfaitement
achevé. La matité crémeuse de la peau était encore mise en valeur par les cheveux noirs et brillants, ramenés en arrière et noués en chignon sur la nuque.
Elle portait un ensemble de soie noire, pantalon et blouse à la chinoise, ajustés. Des sandales dorées la chaussaient. Dans la main droite, elle tenait une
paire de longs gants de fine peau, noire également, dont elle s’éventait négligemment, car la chaleur des torches ajoutait encore à la moiteur oppressante
de la nuit tropicale. » Un parfum d’ylang-ylang
Cette superbe Eurasienne tient son nom de sa tendance à se parfumer à l’ylang-ylang. Il s’agit en fait du surnom que lui donne Morane la première fois
qu’il la rencontre (Terreur à la Manicouagan) mais qui finit par devenir le nom que lui donnent aussi ses complices.
Morane en tomberait amoureux (mais ne l’est-il pas déjà ?) si elle n’était donc à la tête du SMOG. Morane et Miss Ylang-Ylang s’embrassent, mais à une
seule reprise : c’est dans Commando Épouvante et la chute révélera que…
« Un destin qui, une fois de plus, allait l’obliger à combattre Bob Morane. Le seul homme auquel elle eût aimé tendre la main, pour qu’il la gardât
longtemps dans la sienne. Mais ils étaient dans des camps différents. Ils ne pouvaient que se combattre. Et chaque fois, pour Miss Ylang-Ylang, en dépit de
sa dureté, de sa cruauté, ce combat était comme un déchirement. » Opération Chevalier noir
L’amour (car c’est bien de l’amour) que Miss Ylang-Ylang porte à Bob finit par provoquer la fureur de Roman Orgonetz, qui va tout faire pour nuire à sa
collègue. On la découvre ainsi étrangement vulnérable dans La Panthère des hauts-plateaux.
Au fil du temps, la présence d’Ylang-Ylang se fait plus anecdotique, comme si l’amour l’assagissait. Si elle fait une apparition dans Les Nuits de l’Ombre jaune, c’est presque un caméo mêlé de deus ex machina.
c. Le SMOG
« Dans le repaire du Smog, l’animation des grands jours régnait maintenant. Miss Ylang-Ylang avait réuni son état-major composé, en plus d’elle-même, de
Roman Orgonetz, alias l’Homme aux Dents d’Or, un des plus redoutables scélérats que le monde interlope des services secrets eût jamais connus ; en outre,
l’ennemi juré de Bob Morane. Il y avait là également le colonel Yari Youssof, ex-grand manitou des services techniques du K. G. B., passé au Smog ; le
commandant Martin Bernon, ex-ponte du Special-Group, passé au Smog ; Walter Mundy, renégat du M. I. 5, passé au Smog. » Opération Chevalier Noir
Voilà guère tout ce qu’on sait du SMOG. On apprendra par la suite que l’organisation comprend un directoire tout-puissant, et que la position de Miss
Ylang-Ylang n’a rien de figé : un faux-pas, une faiblesse, et elle pourrait tomber en disgrâce.
Organisation mercenaire, le SMOG envisage tardivement de cesser de vendre ses services et de carrément prendre le pouvoir sur le monde (Santéria Drums/Demonia Maxima). La tentative échoue, de peu, et l’organisation ne fait dès lors plus guère plus parler
d’elle. D’autant que d’autres associations terroristes font leur apparition, telle l’organisation de Ghost dans le cycle des Harkans.
Dépassé, le SMOG…
3. Le Tigre
« Il revit les traits burinés, l'œil révulsé du borgne plongé, à ce moment-là, dans un profond sommeil artificiel. Et, surtout, il revit le sinistre dôme
de plastique transparent remplaçant la calotte crânienne de l'ancien clochard, et à travers lequel les circonvolutions du cerveau étaient parfaitement
visibles. Dans ce cerveau, Bob savait qu'il y avait seize mémoires. Celle de Jules Laborde. Celles de quatorze savants. Et celle de Kâla, le tigre. » La Colère du Tigre
Le Tigre, alias Jules Laborde, est un pauvre vagabond à qui un scientifique dévoyé a injecté la mémoire de quatorze scientifiques, maîtres en leurs
disciplines respectives… et celle d’un fauve.
Ce méchant bénéficie d’une construction élaborée : pas moins de deux romans sont nécessaires pour l’introduire (Les Voleurs de mémoire et La Mémoire du Tigre). Deux autres volumes démontrent sa dangerosité… et ses failles : La Colère du Tigre etLa Tanière du Tigre. Les deux derniers textes racontent sa chute et ses conséquences : L’Ombre jaune et l’héritage du Tigre et Le Soleil de l’Ombre jaune.
« Encore de la violence. Toujours de la violence. Le parti pris de Laborde apparaissait en filigrane : le monde entier n'était qu'un gigantesque foyer de
cruauté, et l'homme un loup pour l'homme. La nature le dépassait et, quand il se mettait en tête de vouloir l'assouvir, elle se vengeait en l'écrasant,
incapable qu'il était en réalité de la maîtriser. » La Tanière du Tigre
Le Tigre est également un écoterroriste. Du même genre que l’Ombre jaune ? Pas vraiment : lorsque les deux se rencontrent, Jules Laborde se refuse à
collaborer avec Ming, lequel veut lui extorquer ses secrets.
Le Tigre se révèle d’ailleurs un vilain plus intéressant que Ming, car frappé de véritables faiblesses (ses problèmes d’identité, son alcoolisme
chronique), et capable d’évoluer psychologiquement. Après six aventures, il disparaît. Bâti comme une tragédie, le cycle du Tigre se
caractérise par sa grande cohérence.
Surtout, par la parcimonie de ses apparitions, le Tigre évite de finir en méchant de pacotille.
4. Autres méchants
Au cours de ses aventures, Morane a maille à partir avec d’autres vilains, moins emblématiques que Ming ou le SMOG, néanmoins dignes d’attention.
a. Dr Xhatan
« Mince, vêtu de gris, il montrait un visage un peu ascétique, aux hautes pommettes, au nez légèrement busqué, le tout souligné par une barbe taillée en
pointe et par de fines moustaches aux extrémités tombantes. Les sourcils légèrement relevés en accents circonflexes, le triangle noir de la chevelure
s’enfonçant tel un coin dans la plage du haut front bombé, accentuaient encore l’apparence démoniaque du personnage. » Xhatan, maître de la lumière
Individu à l’apparence vaguement asiatique, certainement diabolique, Nicolas-Athanase Xhatan fait sa première apparition dans Opération Wolf. Et meurt à la fin du roman. Ou pas, car le revoilà quelques aventures plus tard (Le Mystérieux Docteur Xhatan, Xhatan, maître de la lumière, Rendez-vous à nulle-part).
Très intelligent, c’est un génie scientifique qui a choisi hélas de vouloir dominer le monde. Son truc, c’est la lumière, qu’il sait manipuler. Ses
inventions sèment la terreur partout où il sévit, de la jungle sud-asiatique à la France.
Nicolas-Athanase est affligé d’un frère : Hyeronimus (Les Mangeurs d’âmes), qui n’a rien du génie criminel et scientifique de son cadet.
Lui se contente d’être un gangster.
Xhatan aurait fait un méchant au long cours tout à fait convaincant, mais Henri Vernes le laisse tomber. Son avant-dernière apparition dans Rendez-vous à nulle part n’est pas la plus mémorable. Serait-il entré en concurrence avec le personnage de l’Ombre jaune ? L’un et l’autre
ont en commun de posséder de grandes connaissances scientifiques, qu’ils utilisent hélas pour faire le mal. On a pu le voir avec les compagnons de
Morane comme Frank Reeves ou Alan Wood : les personnages aux caractéristiques trop semblables ne durent pas. Adieu, Docteur X…
À noter que Xhatan effectue cependant un timide come-back dans le quatrième tome du Piège Infernal, Contre-Attaque (BM n° 228).
b. Les Hénaurmes
« De haute taille, obèses, ils étaient réellement énormes. De vraies montagnes de chair, et ils se ressemblaient à ce point qu’il était impossible de les
distinguer l’un de l’autre. » Opération Wolf
Ce trio de mercenaires consiste en trois jumeaux obèses, que rien ne distingue sinon leur idiosyncrasie : l’un termine ses phrases par Hink, l’autre par
Honk et le dernier par Hunk. Voilà leurs prénoms tout trouvé.
Leur apparition suit un parcours tortueux : ils débarquent pour la première fois dans la bande dessinée Bob Morane et le Mystère de la Zone Z
(1963), novelisée dix ans plus tard, mais leur première apparition littéraire se fait dans Opération Wolf (1963 aussi), aux côté de
Xhatan.
Ce trio est increvable : sous le nom de seigneurs de la Hénaurmerie, Morane doit même les affronter dans le passé pour défendre l’honneur de la belle
Yolande de Mauregard (L’Épée du paladin et La Prisonnière de l’Ombre jaune).
Assez ridicules et pas très politiquement corrects, les Hénaurmes ne reviennent plus après ces deux aventures temporelles.
c. Les Crapauds
« La cagoule blanche, ou ce qui paraissait être une cagoule, avait disparu, pour découvrir un masque repoussant, à la peau verdâtre et verruqueuse, aux
énormes yeux globuleux, au nez presque inexistant, à la bouche fendue en tirelire : un masque d’homme-crapaud. » L’Empreinte du crapaud
On ne sait pas trop qui sont les Crapauds. Les descendants d’extraterrestres, des mutants, ou des membres d’une secte vénérant les batraciens ? Le premier
roman où ils apparaissent privilégie la dernière hypothèse, la plus rationnelle (Les Crapauds de la mort), mais les suivants basculent
plus franchement dans l’imaginaire (L’Empreinte du crapaud). Extraterrestres égarés sur Terre des milliers (des millions ?) d’années plus
tôt, ils tentent de conquérir notre planète de différentes manières : en reprenant à leur compte des légendes locales (L’Empreinte…) ou en
dévoyant des scientifiques (Le Masque du Crapaud). Leurs vaisseaux spatiaux sont enterrés dans de gigantesques cavernes, que Morane
s’empresse de détruire dès qu’il le peut. Leur dernier coup d'éclat remonte à une dizaine d'années déjà (L'Antre du Crapaud, 1996).
d. Le Cristal
« Il s'agissait de prismes gigantesques, hexagonaux et, apparemment, constitués d'une matière dure et transparente comme du quartz. Mais était-ce bien du
quartz? Jamais Podolski n'avait eu connaissance de l'existence de cristaux de cette taille : presque deux fois celle d'un homme. Et, quelques secondes plus
tôt, ces cristaux bougeaient, réellement comme si une force interne les animait. » La Guerre du cristal
Arrivés par accident dans notre monde lors d’une expérience scientifique ratée (Les Berges du temps), les cristaux proviennent d’un
univers à six dimensions physiques. Fondamentalement étrangers à notre réalité, ce sont les méchants les plus bizarres de l’univers moranien. Se
nourrissant du calcium des os humains, ils représentent un danger que Morane et ses amis combattent. Fort heureusement, le feu leur est fatal.
Les cristaux n’interviennent que dans trois aventures. Dans la dernière, Les Pièges du cristal, on apprend qu’ils emploient désormais des
auxiliaires humains. Tout est prêt pour leur retour… On attend toujours.
e. Les Harkans
« Une sphère de chair huileuse s’extirpa de la bouche de l’homme. Une chose couverte de bave et de sang, dotée de quatre pattes atrophiées. Lachose tomba sur le sol. Elle trembla, puis sembla se racornir, pour virer au brun sale et finir par s’immobiliser. » Le Portrait de la Walkyrie
Les Harkans sont les méchants les plus tardifs à apparaître (dans Le Portrait de la Walkyrie en 2002). Un Harkan est un humain vivant avec
un symbiote issu d’une autre dimension ; plus fort, plus résistant, ils sont quasi-immortels. En eux-mêmes, les symbiotes ne sont ni bons ni mauvais, c’est
le penchant naturel de l’humain qui détermine tout. Ainsi, Léonard de Vinci himself, chef des gentils Harkans, est-il en lutte contre l’effrayant
Ghost. Ce dernier, individu défiguré, est à la tête d’une organisation à côté de laquelle le SMOG fait pâle figure, et dont le but est d’amener sur Terre
de super-Harkans, aux pouvoirs démoniaques. Si Ghost est finalement tué (La Porte du cauchemar), la menace n’est pas totalement écartée à
la fin du cycle.
*
Profession : méchant
Dans l’Âge d’or et l’Âge classique de Morane, les méchants ne sont jamais que des « forbans », « chenapans » ou « sacripants », à qui il convient surtout
de donner une bonne leçon pour qu’ils ne recommencent pas de sitôt. On le sait, on le répète, Morane est un Don Quichotte des temps modernes, à qui il
répugne de tuer – bêtes sauvages ou êtres humains.
Qui sont les méchants ? Outre les vilains récurrents évoqués plus haut, Morane doit combattre une kyrielle d’individus armés de mauvaises intentions.
a. Trafiquants en tous genres
Les méchants, ce sont pour part des trafiquants. Trafiquants d’opium (Panique dans le ciel, La Fleur du sommeil),
d’héroïne (Poison blanc), d’armes (Trafics à Paloma), d’uranium (Les Contrebandiers de l’atome) ou
d’humains (Les Damnés de l’or qui, avec sa suite, La Tête du serpent, est l'un des plus engagés de son auteur). Les pirates, Morane leur botte les fesses aussi : celles de l’Empereur de Macao par exemple.
b. Dictateurs
Pour part, ce sont des dictateurs… Porfirio Gomez qui domine le Zambara (L’Héritage du Flibustier), le sultan de Jarawak dans
l’état du même nom, David Prospero qui terrorise Haïti (Les Compagnons de Damballah) ou le dictateur nord-coréen (Le Jade de Séoul). Morane se range alors automatiquement du côté des rebelles. Mais pas toujours : le pouvoir en place est parfois
légitime et Morane se doit de le défendre contre les insurgés (Tempête sur les Andes, Escale à Felicidad). La situation
est rarement plus complexe (sauf dans Piège au Zacadalgo, Bob Morane qui n'est justement pas d'Henri Vernes).
c. Crime en bande organisée
Pour part, le crime s’organise. Outre le SMOG et l’organisation de Ghost, c’est la mafia dans Échec à la main noire, la pègre chinoise
sanfranciscaine (Le Club des Longs-Couteaux, La Rivière de Perle), le Samouraï noir et son ordre occulte (La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu). L’ampleur desdites organisation n’effraie pas Morane, qui n’hésite nullement à s’y attaquer.
d. Savants fous !
Parfois, les vilains sont parfois des scientifiques. Certains, les « savants fous », ont choisi pour une raison x ou y, de dévoyer leur
invention, qui pourrait pourtant être si profitable au reste du monde. Parce que personne ne veut de ses variétés de riz mutant, le professeur Sixte décide
de transformer la planète en désert (Les Faiseurs de désert) ; le professeur Antoine Mars sait comment réduire miniaturiser des humains
mais le fait à des fins criminelles (L’Ennemi invisible) ; le professeur Missotte transforme un pauvre clochard en monstre (Les Voleurs de mémoire) ; le physicien Conrad de Saint-Loup s’associe bien volontiers au dictateur soudanais pour expérimenter son
invention sur des « volontaires ». Certains scientifiques ne sont que des instruments de la puissance qui les emploie : Yank, biologiste, a conçu la
« Terreur verte » pour l’Empire asiate et son antidote pour les USA (Les Dents du Tigre) ; le professeur Bourgoigne a inventé un poison
faisant perdre l’usage de la parole, mésusé par le roi du Dramaout (Le Maître du silence) ; le docteur Missègue collabore bien volontiers
avec les Crapauds pour créer une race hybride (Le Masque du crapaud).
e. Monstres !
Et les monstres ? Hormis les Crapauds et les Cristaux, Morane a peu d’adversaires inhumains à affronter. Les extraterrestres des Monstres de l’espace meurent tout seuls ; les dinosaures, ça se combat moins que ça se fuit (Les Chasseurs de dinosaures). Et qui dit que le Revenant des Terres rouges en est bien un ? On rencontre de temps à autre un démon ou une créature d’outre-temps voire d’outre
espace (respectivement Les Démons de la guerre et Les Esprits du vent et de la peste, La Bête hors des âges, L’Archipel de la terreur), mais les monstres ne courent pas les aventures moraniennes.
f. Un petit tour et puis s’en va
Certains méchants ont une stature certaine, qui pourrait faire d’eux des vilains récurrents : le comte Vorodanne (Les Cavernes de la nuit
etCeux-des-roches-qui-parlent) ou le Baron de la Maille (La Nuit des négriers et Rendez-vous à Maripasoula). Du charisme, du machiavélisme, une capacité à user du come-back… On aimerait les haïr plus souvent. Néanmoins,
leur décès prive le lecteur de cette joie maligne.
g. Le Péril jaune
Il est à noter que les méchants ont toutefois une tendance récurrente à être d’origine asiatique : l’Ombre jaune n’est que le plus emblématique, en émule
de Fu Manchu. Les Hénaurmes ont une mère chinoise (Zone "Z"). Quant à Xhatan, lui aussi a des traits asiatiques. Miss Ylang-Ylang est
eurasienne, tout comme Yin Mandreza (Le Roi des archipels), Tokyo Lil (L’œil du samouraï) ou Long Phuong Cooper (La Panthère des hauts-plateaux). Et c’est le Clown de Pékin qui déclenche la Troisième Guerre mondiale (Les Dents du tigre).
Du racisme ? Dans Les Dents du Tigre, Morane professe une admiration pour les civilisations asiatiques. Et il enfonce le clou dans Les Poupées de l’Ombre jaune, face à un policier :
« Pour nous, Blancs, Jaunes ou Noirs, ça ne fait pas de différence. Ce sont seulement des hommes qui demandent à être secourus… Vous parlez comme un déchet
du Ku Klux Klan… Vu ?… »
h. L’ennemi est démasqué
Autre caractéristique juvénile des méchants : le masque. Une bonne part des méchants contre lequel se bat Morane ont le visage couvert par un masque.
• Kamog, le dernier Masque de jade (Le Masque de Jade) ;
• L’espion aux cent visages (cent visages = pas de visage) (L’Espion aux cent visages) ;
• Le Masque bleu, sous lequel se dissimule Roman Orgonetz (Le Masque bleu) ;
• Manuel Arrosa, chef des Ennemis masqués terrorisant un pauvre planteur colombien (L’ennemi masqué) ;
• Yashahi Taïkado, alias le Samouraï aux mille soleils (Le Samouraï aux mille soleils) ;
• Les membres de la secte bolivienne du Crapaud (Les Crapauds de la mort) ;
• La bande des Masques de soie (Les Masques de soie) ;
• Les voleurs de l’Oiseau de feu (L’Oiseau de feu).
Caractéristique un peu puérile, qui disparaît au cours de l’Âge adulte.
i. Imperméabilité de la méchanceté
Dans une grande partie des aventures de Bob Morane, les méchants ne se rencontrent pas. À croire que chacun vit dans un continuum séparé des autres. Lors
de l’Âge d’or de Bob Morane, aucune mention des méfaits d’un méchant n’apparaît dans une aventure mettant en scène un autre méchant. Par exemple, quand
Morane et Ballantine affrontent l’Ombre jaune, le SMOG n’existe pas (à tout le moins, n’est pas mentionné). Les méfaits du Clown de Pékin ou de Ming ne
sont mentionnés que dans les romans le concernant.
Cette « imperméabilité » s’atténue avec le temps : l’Homme aux Dents d’or s’associe au SMOG (Terreur à la Manicouagan) ; le Tigre est
capturé par l’Ombre jaune (L’Ombre jaune et l’héritage du tigre) ; Miss Ylang-Ylang et Monsieur Ming se croisent à quelques reprise ( Le Jade de Séoul, L’Exterminateur, Les Nuits de l’Ombre jaune).
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On l’a dit, la valeur du héros est fonction de la force de ses adversaires. Les ennemis, Morane n’en manque pas ; les ennemis puissants non plus : on ne
compte plus toutes les fois où le héros est à la merci d’un vilain. Du simple trafiquant aux velléitaires maîtres de la Terre (voire de l’univers), on
adore les détester, on voudrait même parfois les voir gagner un peu (Ming y arrive… mais jamais longtemps), et ils forment tous une galerie pittoresque,
participant au capital sympathie de cette série romanesque.
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