W comme Wild Palms

L'Abécédaire |

« Si tu as peur du rhinocéros, le rêve s’en va et c’est la chose la plus terrible au monde. » Un rhinocéros dans une piscine vide et la réalité perd de sa substance… Un quart de siècle après sa diffusion, on s'intéresse à l'étonnante série Wild Palms, créée par Bruce Wagner. Le décalque californien de Twin Peaks ? Oui, mais plus encore…

Wild Palms, série créée par Bruce Wagner (1993). Une saison de 5 épisodes (pilote de 90 minutes + 4 × 45 minutes).
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Retour vers… le passé. Rappelez-vous : l’année 1993, c’est la sortie de Jurassic Park et de Super Mario Bros à une semaine d’intervalle ; musicalement, Billy Idol sort son incompris Cyberpunk et c’est aussi l’année des débuts officiels d’Autechre… Du côté du petit écran, Fox Mulder et Dana Scully font leurs débuts dans X-Files , tandis qu’on continue à se demander ce qu’il va bien advenir de ce pauvre Dale Cooper à l’issue de l’inégale saison 2 de Twin Peaks. Et c’est l’année de Wild Palms. Série créée par Bruce Wagner, produite par ce dernier et Olivier Stone, l’unique saison de Wild Palms diffusée dans la deuxième quinzaine de mai 1993 sur ABC – et trois ans plus tard sur Arte – n’a guère marqué les esprits. À part une image : celle d’un rhinocéros dans une piscine vide.

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« Ça commence comme ça. »

Le générique pourrait bien débuter à la manière d’un soap sirupeux : les hauts palmiers caractéristiques de Los Angeles, oscillant dans le vent, sur un fond musical lénifiant. Et le spectateur de craindre le pire. Mais, le générique achevé, revoici les même palmiers dans une ambiance nocturne et inquiète. Un homme se réveille dans sa chambre ; il traverse sa luxueuse maison et accourt jusqu’au jardin. Dans la piscine (vide, donc) se trouve un rhinocéros. Et sur sa main, à la pliure du pouce, s’étend un petit tatouage représentant un palmier…

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Reconnaissez-vous le type entre Jim Belushi et Kim Catrall ? C'est William Gibson himself…
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Nous sommes en 2007, à Los Angeles. Un avenir proche que peu de choses viennent différencier de 1993 (la mode, essentiellement). Harry Wyckoff est avocat pour le compte d’un cabinet spécialisé dans les brevets, et espère devenir associé sous peu. Marié à Grace, brunette vaporeuse un brin dépressive, il est le père de deux enfants : l’impétueux Coty, à la gueule d’ange (ne pas s’y fier) et la mutique Deirdre. Un matin, Harry reçoit la visite d’une ex, Paige Katz ; elle a une mission pour lui : retrouver son fils, Peter, qui a disparu cinq ans plus tôt. N’ayant aucune raison de refuser à son accorte amie, Harry accepte… sans se douter que cela va représenter le début des ennuis pour lui. Bien vite, Harry quitte son emploi pour rejoindre l’équipe du sénateur Tony Kreutzer – où travaille aussi Paige. Le vieux et irascible sénateur possède une chaîne de télévision, Channel 3, et a pour but de favoriser le développement d’une technologie de 3D – plus exactement, de diffusion d’hologrammes hyper-réalistes, qui prennent littéralement une autre dimension avec l’absorption d’une drogue, la mimézine. Justement, avec son air candide, Coty a été recruté pour participer à l’émission Vitrail, sorte de tête de gondole de cette nouvelle technologie. Quant à Harry, il comprend qu’il se retrouve pris dans un conflit opposant un groupe politique occulte bien à droite, les Pères, fondus d’une nouvelle discipline, la Synthiotique, et les Amis, une mouvance libertarienne…

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« Si tu as peur du rhinocéros, le rêve s’en va et c’est la chose la plus terrible au monde. »

À la fin du dernier épisode, on n’en saura pas plus sur le rhinocéros. Pourquoi ? Comment ? Qu’importe : on aura eu l’impression de voir quelque chose de rare et surprenant.

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Le sénateur Kreutze, évangélique en diable.
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La dame que Jim Belushi regarde avec étonnement est en réalité un hologramme plus vrai que nature…

Difficile d’en dire davantage sans gâcher l’effet de surprise. Dans le genre objet télévisuel surprenant, Wild Palms se pose là. À première vue, l’influence de Twin Peaks semble prépondérante… mais Wild Palms consiste en fait en l’adaptation du comics éponyme scénarisé par Bruce Wagner en 1990 (un comics quasi-introuvable sinon à des prix prohibitifs), soit donc un peu avant la série de David Lynch et Mark Frost. Avec ses cinq épisodes, la série de Bruce Wagner va à l’essentiel et déploie une histoire étonnante, avec des thèmes bien différents de ceux abordés par Twin Peaks. Ici, il est question de réalité virtuelle, d’hologrammes, d’uploads de conscience, de politique et de religion – Wild Palms se permet ici un pied de nez à la dianétique de Ron L. Hubbard au travers de la Synthiotique, cette secte dirigée par Kreutzer. Et de palms (palmier) à psalm (psaume), le saut est vite fait. Bon nombre des problématiques se rattachent au mouvement cyberpunk – au point qu’on a d’ailleurs le plaisir de voir William Gibson au détour d’une scène –, dans une ambiance à mille lieues de Blade Runner. Si, à l’heure actuelle, se détacher de l’influence du film de Blade Runner apparaît mission impossible, comme en témoigne la série Altered Carbon, Wild Palms prouve que, si-si, il suffit de le vouloir un peu. Difficile aussi de ne pas penser à une œuvre postérieure, cet objet filmique chelou qu’est Southland Tales, même si le film de Richard Kelly et la série de Bruce Wagner n’ont en commun que le cadre californien et la citation du poème de T.S Elliott, «  Les Hommes creux ».

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Il y a beaucoup trop de piscines vides par ici…

Esthétiquement, la série de Bruce Wagner a toutefois pris un petit coup de vieux : la photographie est assez plate, avec une luminosité uniforme typique des œuvres des années 80 et des décors dépouillés – c’est l’inverse de l’ambiance à la fois sombre et éminemment chaleureuse de Twin Peaks. (Et les rares images de synthèse sont assez moches.) Le tout, dans un contexte clairement cyberpunk. La musique de Ryuichi Sakamoto surprend : les nappes vaporeuses de synthés rappellent la partition d’Angelo Badalamenti pour Twin Peaks, sans que le compositeur japonais ne parvienne à élaborer une mélodie marquante. Ça s’écoute mais ça n’adhère pas – comme de l’eau sur une surface en téflon. L’emploi parcimonieux de chansons comme «  House of the Rising Sun » ou « Gimme Shelter », ou encore d’airs issus d’œuvres de Beethoven ou Richard Wagner, fait en contrepartie d’autant plus ressortir ces dernières.

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Coty : ce gamin est un psychopathe.

Avec son air digne et triste, James Belushi se fond à merveille dans le rôle de Harry Wyckoff, même si son jeu semble parfois curieusement à côté de la plaque. Dans le rôle de l’ambiguë Paige Katz, Kim Cattrall (aperçue notamment dans Deadly Harvest ) s’en sort bien pour jouer la femme fatale déchirée par ses sentiments. Robert Loggia interprète avec brio l’inquiétant sénateur Kreutzer – quatre ans plus tard, on reverra l’acteur derrière la caméra de David Lynch : l’irascibel Mr Eddy dans Lost Highway, c’est lui. Un satisfecit pour Ben Savage, passablement flippant dans la peau d’un psychopathe de onze ans (« Tu sais que ce que j’aime ? J’adore les hommes qui tailladent les peintures de grands maîtres. Aujourd’hui est un jour pour les licornes.  »). (Et notons la présence de Brad Dourif, dans un rôle torturé comme à l’accoutumée.)

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La réalité virtuelle ne convient pas des masses à Brad Dourif…

Si Wild Palms a tout pour convaincre – moyennant une petite dose d’indulgence pour ses aspects datés –, on peut néanmoins regretter une intrigue un brin confuse, des choix de scénario (Paige Katz mène un double jeu sans que ça ne lui porte excessivement préjudice ; certains individus recherchés par tout le monde se baladent tranquillement dans LA, ou bien se promènent par un réseau de passages secrets situés sous les piscines (celles sont opportunément très souvent à sec)) et un montage parfois curieux (doux mais abrupt dans ses changements de scène). Si la série s’avère riche thématiquement, on pourra regretter aussi que bon nombre d’éléments demeurent survolés : en particulier le « techno-shamanisme », qui n’est guère approfondi à mon goût. Des défauts véniels, que l’on pardonnera face à l’ambition et au caractère novateur de la série, objet télévisuel surprenant.

Par la suite, Bruce Wagner a scénarisé un téléfilm de SF, White Dwarf (qu’on essaiera peut-être d’aborder dans ce désolant Abécédaire), en a tourné deux autres, et a écrit le script du récent Maps to the Stars de David Cronenberg – un film qui contient quelques liens avec Wild Palms.

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« Le palmier qui dépasse, la pensée qui s’élève, dans le décor de bronze. »
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Wild Palms s’est vu complété par un ouvrage, The Wild Palms Reader, qui, outre des extraits du comics originel, comprend notamment des contributions des auteurs Norman Spinrad, Thomas Disch, William Gibson (qui faisait déjà un caméo dans la série), de la musicienne Genesis P. Orridge, de Howard « Watergate » S. Hunt, du chercheur en intelligence artificielle Hans Moravec. L’ouvrage, à destination des fans et autres complétistes, vient enrichir la mythologie de la série, et présente une collection de documents retraçant le parcours et l’ascension du personnage de Tony Kreutzer, et développe quelque peu le concept de la Synthiotique. Fascinant et amusant, à défaut d’être aussi indispensable que la série.

Introuvable : non
Irregardable : sauf allergie aux 90s
Inoubliable : oui

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