F comme The Familiar T2-T5

L'Abécédaire |

Miaou ? Voici bientôt trois ans paraissait le premier volume de The Familiar, série au long cours initiée par Mark Z. Danielewski. Jetons-y un œil à présent que la première partie de l'ensemble monumental échafaudé par l'auteur de la Maison des feuilles est finie…

The Familiar v2: Into The Forest, Mark Z. Danielewski. Pantheon Books, 2015. 880 pp. GdF.
The Familiar v3: Honeysuckle & Pain, Mark Z. Danielewski. Pantheon Books, 2016. 880 pp. GdF.
The Familiar v4: Hades, Mark Z. Danielewski. Pantheon Books, 2017. 880 pp. GdF.
The Familiar v5: Redwood, Mark Z. Danielewski. Pantheon Books, 2017. 880 pp. GdF.
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Du côté de Mark Z. Danielewski, auteur du génial La Maison des feuilles et du plus déroutant Ô Révolutions , on était resté au premier volume de son projet au long (loooong) cours, The Familiar . Long cours, euphémisme : avec vingt-sept volumes de prévus… À présent que quatre tomes supplémentaires sont parus, formant la première saison 1 de l’ensemble, il est temps d’y jeter un œil et de voir où cela mène…

« The astonishing series about a girl who befriends a cat hunting humanity. »

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Rappel des événements : le premier tome de la série, One Rainy Day in May, paru en mai 2015, nous présentait un ensemble de neuf personnages : un toxico à Singapour (Jingjing), un couple de scientifiques en fuite permanente et équipé d’un… palantir (Cas), deux truands (Luther et Isandorno), un flic d’origine turque (Özgür), un chauffeur de taxi arménien (Shnork), et surtout Anwar et Astair Ibrahim et leur fille, Xanther. À l’issue de ce premier volume se déroulant sur la seule journée du 10 mai 2014 entre Los Angeles et d’autres parties du monde, Xanther, partie avec son père acheter un chien de race, revenait chez elle avec un chaton, trouvé dans de pluvieuses circonstances. Frêle et minuscule chaton, même pas assuré de passer la nuit. Le roman se distinguait par sa mise en page élaborée, ses choix typographiques réfléchis, son style s’adaptant à chacun de ses personnages (au risque que la lisibilité en prenne un coup), son aspect sériel, son ensemble de références plus ou moins cachées, et l’impression tenace d’aborder quelque chose de beaucoup (beauuucouup) plus grand que ce simple – et pourtant déjà imposant – premier volume.

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Même pagination, même maquette alambiquée, même structure : chacun des tomes débute par quelques pages dilatoires, avec notamment des « previews  », trois par livres, qui (pour certaines) s’échelonnent sur plusieurs épisodes ou (pour d’autres) forment des one-shots ; suivent l’énonciation de cinq termes sous-tendant les thématiques majeures de l’épisode et la présentation d’un artefact remontant à la Préhistoire humaine, avant que l’épisode proprement dit ne débute. Celui-ci se termine toujours par quelques pages de crédits et remerciements, et par un long épilogue animalier, mi-poème en prose, mi-calligramme…

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Paru à l’automne 2015, Into The Forest débute pile là où One Rainy Day in May s’achevait. Pile comme : juste la seconde d’après (parce que, oui, les chapitres s’enchaînent à la seconde près). Ce qui était exposé dans le premier volume commence enfin à s’articuler dans le deuxième, et le surnaturel/science-fictif commence à poindre davantage le bout de son museau. Le chaton survit, et Xanther l’amène chez le vétérinaire… pour découvrir que la bestiole est bien plus âgée qu’elle n’en a l’air. Un chaton, vraiment ? De plus, la bestiole (toujours sans nom) a tendance à disparaître quand Xanther est au collège ; là-bas, la fillette est témoin d’événements étranges dont, contre toute attente, elle est la cause. Quant à Anwar et Astair, les parents de Xanther, ils galèrent chacun de leur côté : Astair apprend que son mémoire est rejeté et qu’il vaut mieux qu’elle se consacre à un autre sujet – les animaux familiers, et plus particulièrement les chats, et plus particulièrement encore le chat de son domicile. Anwar continue de travailler sur ses projets informatiques, Luther et Isandorno alias les bad boys montent en grade et continuent à faire des choses que la loi – côté US comme côté Mexique – réprouve ; Özgür le policier fait ses trucs de policier – meurtres et flirt du côté d’une collège – ; Shnork le taximan est malade ; Cas « The Wizard » et Bobby sont toujours en fuite, Jingjing… euh, je ne sais pas trop – ce n’est pas comme si ces chapitres écrits dans un anglais brisé et parsemé de termes chinois étaient faciles à lire. Les liens entre les personnages se font plus évidents.

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Comme le fait remarquer Mefisto, collègue d’Anwar et ami de Cas dans le tome 3, Honeysuckle & Pain, tout un ensemble de choses paraissent converger sur ce qu’il nomme une « Aberration », à savoir la famille Ibrahim et tout particulièrement Xanther. Toujours plus de convergence dans Hades : Xanther et son père font une excursion à New York, au siège de Galvadyne – une société intéressée par les travaux d’Anwar. Lors d’une soirée à un opéra-ballet, Xanther fait une crise plus grave que les autres. Du côté de Singapour, Tian Li décide de partir en quête de son chat disparu, et charge Jingjing de l’accompagner à Los Angeles.

Mais, alors que, à l’issue de ce quatrième volume, The Familiar menace de ronronner ferme (ha !) en dépit de quelques perspectives narratives intéressantes, Redwood vient redonner un nouvel élan à la série. C’est qu’il s’agit bien du season finale !

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« Le mythe c’est Redwood. » [XX XXXXXX XXX XXXXXXXX, page 342]

À l’instar du premier volume, Redwood se déroule sur l’espace d’une journée – plus précisément, une fin de journée et une nuit — et, à l’exception de deux personages, garde pour cadre Los Angeles. Jingjing et Tian Li sont donc dans la mégalopole californienne, avec un objectif en vue : retrouver leur chat. Un coup de chance monstrueux va leur permettre d’aller frapper à une porte entre toutes : celle de la famille Ibrahim…

Le chaton y gagnera son nom. Sa nature commencera à se dévoiler, tout comme sa relation spécifique à Xanther.

En bon season finale, cette conclusion ne donne qu’une envie : connaître la suite !

Sauf que…

Le moins que l’on puisse dire (répéter), c’est que The Familiar n’a rien d’une lecture aisée – même si les cinq volumes demeurent plus abordables que (au pif) Ô Révolutions. Suivant les personnages, le style de Danielewski se mêle de termes singlish (le créole anglais de Singapour), d’espagnol… voire de langues aux caractères non-latins : chinois, arabe, arménien… Par endroit – en particulier dans le volume 5 – des perturbations viennent altérer le texte. De fait, Danielewski exige que son lecteur fournisse un minimum d’efforts et s’implique pleinement dans sa lecture.

Expérimental, global dans ses thématiques, personnel et universel, The Familiar semble vouloir ratatiner la culte Maison des feuilles. Là où ce premier roman de MZD rendait volontiers hommage au cinéma, The Familiar adopte un aspect sériel – cela, dès la première de couverture, dont le cadre noir et ses arrondis évoquent celui d’un vieil écran de télévision – et mélange les genres : un zeste de soap, du thriller, la description d’une vie quotidienne… et du mystère. Entre ces deux projets littéraires, Ô Révolutions fait figure d’œuvre à part… et de transition, un road novel hyper-conceptuel traversant les USA, de la côte est à la côte ouest. Bref : un aspect sériel pour cette histoire de chaton chelou. Danielewski a saisi l’air du temps, en cette époque où les blockbusters cinématographiques paraissent se ressembler entre eux et où la véritable création se situe du côté du petit écran. (On ne pourra s’empêcher de penser, sous nos latitudes, à Alex Jestaire et ses Contes du Soleil Noir, dont les cinq volumes de la saison 1 sont sortis en 2017 au Diable vauvert : pas trop ma came, après lecture des deux premiers tomes, mais bon.)

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À l’issue de cette saison 1, peut-on estimer que le jeu en vaut la chandelle ? Une chose demeure certaine : avec The Familiar , l’auteur ne risque guère d’engranger de nouveaux lecteurs. À tout le moins, ceux qui s’accrochent pourront toujours creuser pour chercher le sens et dénicher les liens… Car des liens, il y en a : les Narcons narquois aident le lecteur en faisant des rappels vers les volumes antérieurs (voire ultérieurs [mais dans ce cas, la pagination est {curieusement} masquée]) ; sans oublier des références avec les autres œuvres de MZD : par exemple, la nouvelle « Clip #4 », Ô Révolutions au détour d’une page dans Hades… sans oublier La Maison des feuilles, décidément fondatrice (attention, on entre ici dans une zone spoiler : jetez un œil à l’index de La Maison des feuilles [dans l’édition Denoël], page 699, colonne de droite ; retrouvez le titre de l’un des cinq volumes parus de The Familiar, lisez les renvois… et interrogez-vous : l’œuvre écrite de Danielewski forme-t-elle un seul et même unique projet monstrueux, dense et ramifié, que l’auteur dévoile petit à petit ?).

Les autres, ceux qui décrochent, risquent fort d’estimer que c’est beaucoup de tracas pour pas grand-chose. Voire un triste gaspillage de papier. Ou de la masturbation intellectuelle. Pour ma part, je me situe à mi-chemin : l’ampleur et la folie du projet me fascinent, mais…

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Comme je l’écrivais plus haut, The Familiar se divise en saison – une division introduite avec la parution de Hades . La fin de Redwood annonçait le début de la saison 2 pour l’été 2018, laissant ainsi raisonnablement supposer une division en quatre saisons de cinq épisodes et une ultime saison en comportant sept. Néanmoins, début février 2018, Danielewski a annoncé que, la faute à des ventes décevantes (et un coût d’impression non négligeable) son éditeur mettait en pause The Familiar. (Réflexion faite, annoncer d’emblée une série en 27 tomes n’était peut-être l’idée la plus riche du monde pour accrocher le lectorat.)

À suivre. Ou non.

Échiquéen : miaou.
Introuvable : non
Illisible : pas toujours facile à suivre
Inoubliable : oui

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