Un jeu d'échecs, les portes de la perception et les étoiles pour destination. L'on relit Le Gambit des étoiles, premier roman de Gérard Klein, paru dans ce recoin de Galaxie voici soixante ans…
Un jeu d'échecs, les portes de la perception et les étoiles pour destination. L'on relit Le Gambit des étoiles, premier roman de Gérard Klein, paru dans ce recoin de Galaxie voici soixante ans…
Plusieurs œuvres étoilées m’ont permis de devenir le lecteur que je suis. Étoilées, moins en raison des prix et récompenses reçues par lesdites œuvres qu’en raison de la prosaïque présence du terme « Étoile » dans le titre : La Guerre des étoiles côté cinéma, pour commencer (forcément). Et côté littérature, citons la série de livres dont vous êtes le héros « Le Challenge des étoiles »… et le présent Gambit des étoiles de Gérard Klein.
Ce qui me donne l’occasion de revenir justement sur La Guerre des étoiles : avec les rééditions retripatouillées de sa saga, George Lucas semble œuvrer en faveur d’un mot d’ordre qui pourrait s’énoncer ainsi, « See it again for the first time ». Pas besoin de semblables retouches pour Le Gambit des étoiles ; c’est un livre que j’ai eu le bonheur de lire une première fois (jeune), d’en oublier les révélations finales pour le relire une deuxième fois (à peine moins jeune) comme si c’était la première. J’étais jeune, et cette relecture fut magique, avec une conclusion qui m’a bluffé derechef. Quand je l’ai relu une troisième fois (un peu plus âgé), je me souvenais de ce que j’avais oublié la première fois, et cette magie ne s’est pas reproduite. Néanmoins, tout le reste – l’émerveillement – était là. Et maintenant (vieux et chenu) ?
« Il avait trente-deux ans et se nommait Jerg Algan. La presque totalité de ses jours s’était passée sur Terre ; il avait sillonné les mers sur des glisseurs louches, survolé les continents à bord d’avions désuets, vestiges du siècle passé ; il s’était doré au soleil sur les plages d’Australie, avant que le plateau désertique ne basculât dans l’océan, il avait chassé le dernier lion d’Afrique.
Il n’avait presque rien fait. Il n’avait jamais quitté la Terre. Jamais il n’avait franchi l’atmopshère. Entre deux vagabondages, il vivait à Dark de métiers bizarres, comme on ne peut le faire que dans la plus grande ville — la seule, à vrai dire – de la Terre. » (p. 17)
L’incipit donne l’impression que Jerg Algan a tout fait, tout vu. Un homme d’expérience, aguerri, chevronné ? Moui… car cela ne l’empêche pas de se faire avoir comme un bleu et d’être trompé par un recruteur. Le voilà condamné à prendre place à bord d’un vaisseau spatial, terminus les étoiles. En cette époque future, l’humanité s’est élancée à la conquête des cieux depuis un demi-millénaire. Mais la Galaxie est aussi vaste que les planètes nombreuses, et pour peupler ces dernières, il faut parfois envoyer des (in)volontaires. Le tout, sous l’égide de Bételgeuse, où se trouve le gouvernement central – la Terre, berceau des origines, est désormais réduite à quantité négligeable. Néanmoins, les Dix Planètes Puritaines voient d’un mauvais œil la mainmise de Bételgeuse, et complotent pour s’en libérer. Jerg Algan, qui n’a pas digéré son recrutement forcé, s’est juré de faire tomber cet inique gouvernement central. Lorsqu’un marchand anonyme sur Ulcinor, l’une des Planètes Puritaines, lui remet un échiquier fait d’un matériau inconnu et gravé de symboles étranges, Algan est loin de se douter où cela va le mener en fin de compte… Il est de ces légendes racontées par les vieux spatiaux où il est question de peuplades humanoïdes mais pas humaines, de citadelles gigantesques…
« Il y avait encore, dans les étoiles, une place pour les hommes de l’ancien temps. La sienne. Celle du grain de sable dont on a besoin pour bloquer une mécanique adverse, celle du furet que l’on désire envoyer dans le terrier de la proie.
La place du cavalier sur un échiquier.
Sautant d’étoile en étoile.
Essayant de bloquer le roi adverse.
Le roi noir qui régnait sur la Galaxie. » (p. 136)
Comme le titre le laisse justement supposer, les échecs – ou plus exactement, l’échiquier – vont jouer un rôle prépondérant dans l’intrigue, alliés au zotl, une drogue extraite d’une racine. D’un côté, la rigueur mathématique d’un plateau de 8 par 8 ; de l’autre, un moyen d’ouvrir les fameuses portes de la perception. À la différence du Huit ou de La Ville est un échiquier, Klein ne cherche pas à faire coller à tout prix son intrigue à un jeu – un jeu essentiellement humain, dont les règles de ce côté-ci de la Galaxie peuvent s’avérer différentes ailleurs, entre d’autres mains. Pourtant, jeu il y a : d’abord une opposition larvée entre Bételgeuse et les Planètes Puritaines — avant que l’on comprenne la petitesse de ce conflit face à… N’en disons pas plus.
Néanmoins, là où Le Gambit des étoiles m’avait émerveillé étant gamin, la relecture s’en révèle décevante par endroits : pourtant, le style, riche et ample – plein d’imparfait du subjonctif, est indéniablement présent, tout comme les idées et le souffle. Mais le roman donne surtout l’impression de chasser deux lièvres à la fois, laissant une impression flottante : Jerg Algan est à la fois blasé et ingénu ; la conquête spatiale est récente (cinq cents ans) et ancienne ; les distances incommensurables entre les étoiles séparent irrémédiablement les gens mais cela n’empêche guère Bételgeuse d’exercer son pouvoir. Et le récit est épouvantablement masculin : pas un seul personnage féminin n’y pointe le bout de son nez. Des défauts appelant peut-être l’indulgence, surtout si l’on considère qu’il s’agit là d’un premier roman écrit censément par un Gérard Klein âgé de dix-huit ans.
Paru à l’origine dans le Rayon Fantastique (sous une couverture de Jean-Claude « Barbarella » Forest), Le Gambit des étoiles a été maintes fois réédité en soixante ans : chez Marabout (1971, couverture d’Henri Lievens), chez Néo (1980 et 1984, sous une couverture de Jean-Michel Nicollet), et enfin au Livre de Poche — d’abord dans la collection Jeunesse en 1986 (couverture d’Adamov) puis dans la collection SF en 2005 (couverture de Manchu). Pour ma part, c’est avec l’édition de 1986 que j’ai découvert ce roman, et il est certain que les illustrations intérieures d’Adamov – le dessinateur des Eaux de Mortelune – ont exercé un rôle majeur dans l’attrait que le livre a eu sur moi. Ce sont là des visions évocatrices et vertigineuses.
Bref : en dépit de ses défauts, typiques d’un roman de jeunesse, Le Gambit des étoiles demeure une œuvre attachante, imprégnée d’un sense of wonder réjouissant. Que demander de plus ? Les étoiles ?
Échiquéen : Mon dieu, c’est plein d’étoiles…
Introuvable : si l’édition illustrée par Adamov n’est trouvable que d’occasion, ce n’est pas le cas de l’édition au Livre de Poche
Illisible : non
Inoubliable : oui