Quelle sera la musique du futur ? On se pose la question avec Zukunftsmusik, dernier album en date de l'Allemand DJ Hell, un disque où flottent les ombres de Kraftwerk et de John Carpenter. Le futur se trouve-t-il dans le passé ?
Quelle sera la musique du futur ? On se pose la question avec Zukunftsmusik, dernier album en date de l'Allemand DJ Hell, un disque où flottent les ombres de Kraftwerk et de John Carpenter. Le futur se trouve-t-il dans le passé ?
Imaginer ce que peut être la musique du futur est un exercice amusant. Au cinéma, certains réalisateurs s’y sont essayés ; je ne veux pas parler des films ayant une musique futuriste, mais bien des films où l’on entend la musique qui sera jouée dans le futur. Ce qui met d’emblée hors-jeu Star Wars, l’histoire se situant, rappelez-vous, « il y a bien longtemps ». Tant pis donc pourceci ou cela. Mais dans le futur, on continuera à se rendre à l’opéra, y compris dans l’espace, à seule fin d’y entendre une diva bleutée . Dans l’avenir du Starship Troopers de Paul Verhoeven, on écoute encore David Bowie : la chanteuse Zoë Poledouris (fille de) effectue une reprise de « I’ve never been to Oxford Town » du Thin White Duke, lors de la scène du bal de promotion (à partir de 2’00" sur la vidéo). Plus proche de nous, dans l’adaptation par Alfonso Cuaron des Fils de l’Homme, le personnage de Jasper écoute ainsi une musique qu’il qualifie de « zen » . Le post-apo n’a rien de bon : le personnage joué par Jean Reno dans Le Dernier Combat écoute sur K7 des trucs assez abominables (pas réussi à trouver d’extrait, désolé).
Côté littéraire, l’écrivain de SF allemand Hans Dominik (dont j’évoquais le roman Die Macht der Drei ) a publié en 1921 une nouvelle intitulée « Zukunftsmusik » dans la collection de livres jeunesse Das Neue Universum. La nouvelle y raconte l’exploitation future de l’énergie atomique. En réalité, le terme a été forgé en 1860 par Richard Wagner dans un essai du même nom, publié en français sous le titre La Musique de l’avenir. Le musicien allemand y expose ses vues sur l’opéra. Mais le présent se consacre non pas à ce texte mais à l’album éponyme de DJ Hell, cinquième du musicien, paru il y a quelques mois.
DJ Hell est le pseudonyme de Helmut Josef Geier, musicien bavarois. L’occasion de se souvenir que, dans la langue de Ralf Hütter et de Richard Wagner, « hell » signifie « lumineux/clair/vif » et non pas « enfer » (qui se dit « Hölle »). Ce qui n’empêche pas notre DJ de jouer sur cette ambiguité et de proposer, dans certains disques, un titre comportant « Hell » (« My Life Is Hell », « Hellracer », les deux « Inferno » du présent disque). Assez peu prolifique, DJ Hell n’a publié que cinq albums en près de vingt-cinq ans de carrière, et le présent Zukunftsmusik fait suite au double Teufelswerk (« l’œuvre du diable ») datant de 2009.
Zukunftsmusik : la musique du futur ? Quelle est-elle ? À cette question, DJ Hell propose non pas une mais quinze propositions de réponses.
Le premier morceau surprend : long de l’ambiance survoltée de Teufelswerk, « Anything, Anytime » est une ballade triste, à l’ambiance pesante. Le futur n’est plus ce qu’il était.
« Car, Car, Car » se caractérise par sa mélodie ample et sa voix vocodorisée débitant un manifeste à l’ironie pince-sans-rire, à la gloire de la voiture.
« A car is a car
It drives you near or far
It transports us to all kinds of places »
Et on sait que la voiture, en Allemagne, c’est sacré – qu’on se souvienne de « Autobahn » de Kraftwerk. Le clip présente une collection de voitures du futur : des véhicules au look rétro dont la plupart sont dépourvues de portières et de roues (et parfois d'habitacles) : hé, c'est la musique du futur, et dans le futur, on se téléportera. Musicalement, le morceau ressemble à la rencontre de Kraftwerk et de Dopplereffekt (groupe issu… de Detroit, comme son nom ne l'indique pas).
On croit à nouveau entendre Kraftwerk un peu plus loin, sur « Wir reiten durch die Nacht » (« nous cavalons à travers la nuit ») : les voix passées au vocoder, forcément. Mais un Kraftwerk rencontrant cette fois un émule de Vangelis. Toujours au rang des rencontres plus ou moins improbables, le bref interlude « I Want My Future Back » évoque celle entre Boards of Canada (les synthés désaccordés) et de John Carpenter (les notes obsédantes), au fond d’un vieux bar. Tout est possible.
Au milieu de tout ça, on entend « Army of Strangers », une pop-song mélancolique, aux cordes qui montent en puissance. Lorsque DJ Hell cesse de chuchoter à la moitié du morceau pour enfin donner de la voix, on croit entendre des échos de David Bowie – période berlinoise. Forcément (je me répète.).
« Inferno, Pt. 1 », interlude mélancolique et atmosphérique, forme une introduction à une succession de morceaux inquiets. De fait, une ambiance lourde pèsue sur « High Priests of Hell », où s’entremêlent des voix (en français, en anglais et d’autres langues encore). Peu à peu, le morceau vire au cauchemar (ces grognements hargneux qui surgissent à la moitié du morceau). À peine moins angoissé, « Guede » est une longue cavalcade au rythme effréné sur laquelle vient se poser un saxophone hanté. Un saxo qui s’attarde sur « 2 Die 2 Sleep », le genre de morceau blême, signifiant que la fête est finie.
Ou pas. Tellement pas. Car voici « I Want U », morceau qui tabasse et qui vient rappeler que, lorsqu’il s’agit de faire s’agiter les cheveux et le reste du corps, DJ Hell sait s’y prendre (comme Teufelswerk le prouvait amplement). C’est con, c’est bête, c’est efficace. Que celui qui ne se surprend pas à agiter sa tête/ses pieds en rythme se dénonce. On appréciera tout particulièrement le clip, qui donne vie aux dessins de Tom of Finland. Pour qui ne connaît pas (ce qui était mon cas), il s’agit d’un illustrateur finnois reconnu pour ses représentations fétichistes de mecs über-virils — bûcherons, flics, cowboys –, dessins qui ont fortement influencé la culture gay. Yep, « I Want U » fleure bon la testostérone et autres substances corporelles mâles. Suit « K-House », moins rentre-dedans et doté d’une atmosphère plus cinématographique, avec un sentiment d’inéluctabilité (et on repense encore à John Carpenter). Cette ambiance filmique se poursuit dans « Inferno, Pt. 2 », autre bref intermède.
« Wild at Art » est un nouveau titre dansant, porté par une mélodie (digne de Kraftwerk, on y revient encore). Sur « Mantra », morceau le plus long de l’album avec ses neuf minutes, on entend une voix prononcé quelque prière « Ooom ». Obsédant et hypnotique : le morceau pourrait durer le double que cela ne poserait pas de problème (et dire que ce n'est rien qu'un morceau bonus). Changement de style : l’album s’achève avec « With U », pastiche d’electro-pop assez immédiat et aux paroles simples (« Alone with you / What could be better? »).
Quelle est la musique du futur ? À en juger par cet album, elle a un œil dans le rétroviseur, tant on entend ici des sonorités datant des décennies précédentes. On pourrait même parler de rétrofuturisme pourZukuntsmusik, album bien loin de l’ambiance clubbing de Teufelswerk. Loin des recherches abstraites d’ Autechre , DJ Hell recombine ses influences (Kraftwerk en tête) en une sorte de disque-hommage-bilan. Et c’est réussi.
Introuvable : non
Inécoutable : non
Inoubliable : oui