W comme White God

L'Abécédaire |

Après 1 et Taxidermia, l'on continue à s’intéresser au cinéma de genre hongrois avec White God. Où, dans une Budapest imposant le recensement de tous les chiens et la mise à la fourrière de ceux de « race mixte », le meilleur ami de l'homme se rebelle contre ce dernier…

White God [Fehér isten], Kornél Mundruczó (2014). Couleurs, 121 minutes.

Ha, la joie des films étrangers non-anglophones… qui écopent d’un titre en anglais lors de leur diffusion sur les écrans français. De fait, Fehér isten signifie effectivement « dieu blanc » en magyar, et rien ne justifie vraiment son titre anglais (si ce n’est le distributeur se disant que « Dieu blanc », ça sonne assez moyen). Bref, après 1 et Taxidermia, ce navrant Abécédaire continue à s’intéresser au cinéma de genre hongrois.

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White God est le sixième film de Kornél Mundruczó, après notamment Johanna (2005), une réinterprétation de la vie de Jeanne d’Arc en comédie musicale dans un asile psychiatrique, et Tender Son: The Frankenstein Project (2010), une réinterprétation du Frankenstein de Mary Shelley. Mais White God ne réinvente rien du tout, et, au milieu d’une constellation de références, invente…

Les premières images du film : une jeune adolescente circule à vélo dans une ville déserte. Personnes dans les rues. Sur un pont, une voiture stationne au milieu de la chaussée, portières ouvertes, feux allumés. Ce n’est pas la seule. Quelque chose s’est passé, mais quoi ? Au spectateur féru de cinéma post-apo viennent en tête des images entraperçues dans 28 jours plus tard ou The Walking Dead. La fillette continue à pédaler dans la ville. Soudain, au détour d’une rue, voilà une meute de centaines de chiens qui déboulent, qui coursent la jeune cycliste avant de la dépasser, le tout sur fond d’une intense musique à l’orgue. (C’est fou ce qu’un orgue, au risque de la grandiloquence, vous densifie une scène.)

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Les images suivantes nous ramène quelque temps en arrière. La mère de la jeune Lili doit s’absenter à l’étranger, et laisse sa fille aux bons soins de son ex-époux. Le père de Lili n’apprécie guère le fait que la gamine ne se sépare pas de Hagen, son chien. Cela, d’autant qu’une loi est passée, imposant le recensement des chiens et le paiement d’une taxe si l’animal en question n’est pas hongrois / de race pure. Or Hagen est un bâtard, ou plutôt un « chien de race mixte » comme préfère le dire sa maîtresse ; un chien pas exactement au format caniche. Le père de Lili est intraitable, il ne paiera pas la taxe ; Lili n’est pas obstinée et refuse catégoriquement que son compagnon aille dans un refuge, où il sera fatalement piqué. Hagen finit par être brutalement abandonné lors d’une dispute entre la fillette et son père. Livré à lui-même, le chien entame une odyssée dans les rues de Budapest, pourchassé par les services vétérinaires de la ville. Il finit par arriver entre les mains d’un type qui veut le transformer en chien de combat. Dans le même temps, Lili persiste à le chercher à travers la ville, au mépris du reste. Jusqu’au moment où Hagen finit par retrouver la liberté, emmenant avec lui des centaines d’autres chiens…

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Le titre, a priori énigmatique, peut s’interpréter si l’on se place du côté du chien, pour qui l’humain est potentiellement un dieu. (Et on sait bien qu’il est difficile d’en être un…) White God a une dimension hautement métaphorique et ne s’en cache pas. Un jour, on taxe les chiens de race mixte, et le lendemain… Difficile de s’empêcher de penser à Matin brun de Franck Pavloff, opuscule qui avait fait parler de lui en son temps : dans ce texte bref, le gouvernement interdit d’abord la possession d’animaux non bruns, et de petites compromissions en petites compromissions, cette discrimination amenant droit au fascisme. Ici, tout lien avec la Hongrie menée d’une poigne musclée par Victor Orban ne saurait être une coïncidence.

White God convoque également toute un ensemble de références. L’itinéraire cahotique de Hagen, en particulier sa rencontre avec le dresseur, rappelle Croc-blanc… aussi bien que le film Max, le meilleur ami de l’homme (1993), dans lequel un chien est transformé en machine à tuer. Ce n'est là pas le passage le plus subtil du film, mais il marque. Les séquences finales pourraient rappeler, de très loin, ces films d’épouvante que sont The Pack (1977) et The Breed (2006) – quoique l’ambition du présent long-métrage ne se situe aucunement du côté de l’horreur, en dépit de quelques scènes volontiers sanglantes. Pas de post-apo canin non plus, en dépit de ce que laisse croire la scène introductive – même si la fin, ouverte, laisse les conséquences à l’imagination du spectateur.

White God n’est pas exempt de défauts mineurs : les courses-poursuite entre chiens et humains ont, pour quelques rares passages, tendance à subir des moments de flottement ; le nombre de chiens dans les séquences finales a tendance à fluctuer (mais entre « beaucoup » et « très beaucoup », difficile de bien compter). Il n’empêche : les séquences avec ces dizaines de cabots impressionnent durablement, le film délaissant alors son aspect « caméra portée à l’épaule » pour une succession de plans plus marquants, avec des ralentis esthétisants — en particulier celles du début. Quant à Hagen, ce ne sont pas moins de deux chiens qui l'interprètent ; le travail de dressage (je ne sais pas si c'est le terme le plus adéquat) force le respect. Heureusement, les acteurs humains ne sont pas en reste, avec la jeune Zsófia Psotta en premier lieu, crédible dans son rôle d’ado en porte-à-faux avec son père et l’école.

En somme, une bonne surprise que ce White God, récompensé à juste titre par plusieurs prix, notamment le prix Un Certain Regard décerné à Cannes en 2014.

Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui

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