« Il est plus que temps. Il faut un héros. Tout drame, tout conte, tout poème, a besoin de cet être privilégié autour duquel l’action livre bataille. Il
est jeune, beau, mystérieux ; il est le point de mire de toutes les haines et de tous les amours. Sans lui, l’œuvre est un corps sans âme. » Paul Féval, Les Habits noirs.
Les romans Bob Morane
, outre des aventures effrénées de par le monde, c’est aussi une fantastique galerie de personnages. À commencer par le héros lui-même… Chevalier des temps
moderne, Don Quichotte qui a troqué Rocinante contre un avion de chasse, se battant non contre des moulins à vent mais contre des menaces bien plus
réelles. Cela, bien sûr, avec l’aide de ses meilleurs amis.
Bob Morane, sa vie, son œuvre
1. Nom : Morane. Prénom : Robert
Henri Vernes l’avait envisagé au départ, le héros aurait pu s’appeler Robert Ujac. Mais Morane, comme le jeune guerrier massaï, cela sonne bien mieux.
Robert, ou plutôt Bob : un prénom monosyllabique à consonance américaine, reflète ces temps d’après-guerre.
À noter qu’un véritable Robert Morane a existé, sans que Vernes en ait connaissance en 1953. Avec son frère Léon (1885-1918), Robert Morane (1886-1968) a
contribué au développement de l’aéronautique française. Par une curieuse coïncidence, Morane débute sa première aventure en tant que pilote d’avion.
Éléments de biographie
« L’homme était grand et de carrure athlétique. Son visage, quoique jeune, était marqué, tanné par le soleil et tous les vents du monde, et ses cheveux
noirs, coupés courts, lui donnaient vaguement l’air d’un militaire nouvellement démobilisé. » L’Héritage du Flibustier
« Bob Morane était toujours tel qu’elle l’avait connu, musclé et mince comme une statue grecque, dominateur comme un chevalier sur son destrier, parfois
charmeur comme un troubadour, avec un visage de croqueur d’univers ; quant à ses yeux gris, ils avaient la dureté d’une lame d’acier et, plus rarement –
quand il la regardait peut-être – la douceur nostalgique d’un ciel de Flandre. » Les Cavernes de la nuit
Voilà pour l’apparence physique du héros, qui ne changera guère (hormis l’apparence militaire, qui s’amenuise à mesure que le temps passe). Au fil des
aventures, le personnage imaginé par Henri Vernes voit toutefois se développer sa biographie.
Morane est né un 16 octobre 1926. Par commodité, le même jour qu’Henri Vernes. Néanmoins, dès Les Dents du Tigre, le héros a et aura pour
toujours trente-trois ans (plus ou moins quelques années). Un âge christique, s’il en est. Mais de là à faire de Morane un messie, il y a un pas que Henri
Vernes s’est toujours refusé à faire.
On ne sait guère de choses de l’enfance de Morane, ni de sa famille. Une unique scène d’enfance est narrée dans La Prison de l’Ombre jaune
. C’est bien tardivement qu’on apprend que ses parents se nomment Bernard Morane et Rose Alba Mélanie Lecomte du Garec (in Le Dernier Massaï). Le passé du héros n’a rien de mystérieux, il n’est juste pas évoqué, parce que non-pertinent (on reviendra
dans l’épisode 4 de ce dossier sur l’intemporalité du héros).
Au début de ses aventures officielles, Morane est censé avoir déjà vécu bon nombre d’aventures, dont on ne saura toutefois pas grand-chose, hormis la
présence de Bill Ballantine à ses côtés. Un héros de la Seconde Guerre mondiale, est-il souvent spécifié, pilote de la Royale Air Force aux cinquante-trois
victoires homologuées. À mesure que le temps passe, ce passé guerrier sera de moins en moins évoqué, voire plus du tout – afin de garder une adéquation
avec les lecteurs, qui, de moins en moins, ont vécu la guerre. Ainsi, dans le diptyque se déroulant lors de la Seconde Guerre mondiale (L’Émissaire du 6 Juin/Retour à « Overlord »), il n’est nullement fait mention que le héros a déjà vécu cette époque.
Bob Morane habite quai Voltaire à Paris. Au cours de ses aventures, il va acquérir quelques points de chute çà et là : un monastère dans la Dordogne, un
palazzo à Venise (Échec à la main noire), une vallée dans les Andes (Tempête dans les Andes). Un relatif confort matériel
pour Bob. Dont il n’a de cesse de se priver, préférant les conditions les plus inhospitalières…
À l’aventure !
Bob Morane est aussi pantouflard qu’aventurier. À peine se trouve-t-il à son pied-à-terre parisien qu’il s’ennuie ; parti à l’aventure, il regrette de ne
pouvoir s’installer dans un fauteuil confortable, un vieux livre à la main. Néanmoins, dans les aventures des dernières années, l’aspect casanier de Morane
semble prendre le dessus, le héros partant moins volontiers au loin. Le reflet d’un auteur vieillissant ?
Pourquoi Bob Morane part-il à l’aventure ? La bougeotte est une raison, la poisse en est une autre. Peu importe l’endroit où aille Morane, la fatalité l’y
suit et déclenche l’aventure. Au début, c’est souvent pour un trésor que Morane part ; par la suite, c’est aussi la présence d’un vieil ennemi ou un bon
ami à sauver.
« Bob Morane, le raccommodeur d’assiettes brisées, le Chevalier des Plaies et des Bosses, voyageant pour son plaisir, et en boy-scout encore ! » C’est
ainsi que Morane se présente dans L’Héritage du Flibustier.
Côté caractère, Morane est un individu chevaleresque, toujours prêt à sauver la veuve et l’orphelin. Surtout si c’est une orpheline. Il se compare
volontiers au Juif errant, ou à un chevalier (errant aussi), émule de Don Quichotte. Cela énerve parfois son ami Bill Ballantine, qui aimerait que Morane
fasse moins preuve de circonspection dans des situations délicates. Mais Ballantine sait qu’il détesterait Morane si celui-ci contrevenait à son code
d’honneur. À savoir : éviter de tuer un ennemi, ne jamais lui tirer dans le dos, être miséricordieux et désintéressé. Un héros comme on n’en fait plus, au
point de frôler la légende :
« Pour l’homme qui le poursuivait, Morane n’était pas loin de devenir un personnage légendaire. Une sorte de Judex mâtiné de Rouletabille, avec un zeste
d’Arsène Lupin. Et, même, parfois, l’homme en arrivait à se demander si Morane existait réellement. » Mise en boîte maison
Statut du héros
« – Et cesse de dire "monsieur". C’est Bob…
– Comme Bob Morane ? s’étonna le gosse.
– Tout juste, répondit Bob avec un sourire. Tout juste… »
Le Sentier de la guerre
D’emblée, Morane possède une célébrité certaine. Ses aventures sont connues du monde entier, et les gens savent que, souvent, là où Morane passe, il y a de
la casse. Dans les premiers romans, Morane est censé rédiger et publier ses propres aventures, ce qui lui vaut sa renommée. Par la suite, il n’est plus
guère question d’écriture, et la seule activité littéraire que le héros poursuit, outre la quête de vieux manuscrits chez les bouquinistes du bord de
Seine, c’est le journalisme pour le magazine Reflets, dont il est le collaborateur exceptionnel. Activité qui permet à Vernes de justifier la
présence de Morane un peu partout sur le globe.
Afin de confondre davantage réalité et fiction (et à la manière d’un Conan Doyle), Henri Vernes lui-même finit par se présenter comme le biographe de Bob
Morane. L’auteur est ainsi le narrateur de La Prisonnière de l’Ombre jaune (même si c’est Bill Ballantine qui, de facto, raconte
l’histoire). Un biographe fidèle pour autant ?
« – Faut pas croire à tout ce qu’Henri Vernes raconte, déclara Morane sur un ton soudain devenu grave. » L’Œil de l’iguanodon
Et Morane sait-il également qu’il est un personnage de fiction ? Il semble que oui :
« – Une chose que tu oublies, Bill, c’est que les personnages de romans ça ne vieillit pas… » déclare-t-il à propos de Sophia, qui, comme ses amis, ne
vieillit pas, dans Les Passagers du miroir.
Bob, cet enfant
Morane est un grand enfant. (Et Ballantine n’est pas là pour remonter le niveau.)
Les aventures de Morane sont écrites au début pour un public jeune, et de ce fait, Morane a parfois un comportement proche de celui de l’enfant. Pour ne
pas se faire comprendre de ses ennemis, il parle javanais avec Ballantine. Pour ne pas se faire repérer, il n’hésite pas à se déguiser, le Marin ivre a
longtemps sa prédilection. Et comme un enfant à qui l’on dit qu’il ne faut pas toucher la vitre du four (ou de ne pas laisser ses mains dans les portes
automatiques du métro, sinon tu vas te faire pincer très fort), Morane persiste à faire tout ce qu’on lui déconseille. Se jeter dans la gueule du loup est
son activité favorite.
Fatalitas… Baraka !
Morane entretient une relation particulière avec le hasard et la fatalité – volonté de l’auteur, bien sûr. La Fatalité est toujours présente : c’est elle
qui fait que, peu importe le lieu où se rende Morane, il se passera forcément quelque chose.
« La fatalité, dit [Bob] doucement, ça n’existe que si vous en tenez compte… Pour qu’elle ne s’acharne pas sur vous, il suffit de ne pas y croire ! » Les Murailles d’Ananké
Un vœu pieu. Mais, qu’il la nomme Dame Chance ou baraka, elle est toujours avec Morane. On ne compte plus toutes les fois où il craint qu’elle l’abandonne…
Mais l’aventurier s’en sort toujours à temps.
« Dès à présent, Morane pouvait se considérer comme le roi de la baraka. Ou, plutôt, comme l’empereur de la baraka. Car il en était le roi depuis belle
lurette. » Les Périls d’Ananké
Cette alternance entre coups du sort et coups de chance forme le quotidien de Morane.
*
Ses meilleurs amis
1. Bill Ballantine
William Ballantine, dit Bill. Attention, Ballantine ne rime pas avec Valentine.
Colosse, Écossais, roux : trois mots pour définir le meilleur ami de Morane. Tout ce qui se rapporte à Ballantine et à sa force doit forcément être entouré
de superlatifs : des mains larges comme des roues de charrette, des poings épais comme des têtes d’enfant, capable de vous rendre K.O. d’une pichenette.
Qu’on en juge par cet extrait :
« Le second, d’une stature colossale, avec des épaules de lutteur poids super-lourd, un large visage coloré, au front de taureau surmonté d’une chevelure
d’un roux flamboyant, et dont émanait une impression de force herculéenne, presque surhumaine. » S.S.S.
Ballantine est le premier compagnon de Morane, présent dès la prime aventure. Et même avant : les deux amis ont lié amitié lors de la Seconde Guerre
mondiale, Ballantine étant le mécano de Morane. C’est de là qu’il a pris la détestable habitude d’appeler Morane « commandant ». À chaque aventure, Morane
a beau répéter à Bill de ne plus l’appeler ainsi, les habitudes de l’Ecossais ont la vie dure.
Comme Morane, ses origines et son passé ne sont pas guère évoqués par Vernes. Et sa vie, hors des aventures qu’il partage avec son ami, reste mystérieuse.
Éleveur de poulet est un métier qu’il n’exerce qu’un temps : il finit par vendre son exploitation.
Au début pourtant, Ballantine n’accompagne pas systématiquement Morane. Présent dans la première aventure, il est absent des trois suivantes, et n’apparaît
qu’en guest star dans Panique dans le ciel. Il passe alors son temps en Écosse, à s’occuper de son élevage de poulets, et se
contente d’intervenir de temps à autres, lorsque Morane l’appelle. Ce n’est qu’à partir des Dents du tigre qu’il devient un compagnon
régulier, et du Masque bleu que sa présence sera systématique. Ce qui n’empêche pas certaines aventures d’être des Ballantine- light (notamment les plus tardives, où l’Écossais n’intervient souvent que peu voire pas du tout).
Dès son ancrage régulier dans la série, le personnage de Bill se stéréotypise à travers une série de traits de caractères : son caractère superstitieux
(origine celtique oblige), sa propension à jurer autant que le capitaine Haddock, son parler argotique et ses expressions savoureuses…
« Choum-choum ou non, j’ai l’estomac aussi sec qu’une clavicule de dinosaure. Si je ne l’arrose pas, il va craquer comme une peau de tambour mal huilée. » Les Sept Croix de plomb
Sans oublier son amour du whisky – du Zat 77, apprend-on dans Le Dragon des Fenstone. En boire relève pour lui du devoir patriotique. Des
caractéristiques qu’Henri Vernes ne se prive pas de répéter à chaque aventure.
Bill Ballantine est l’âme sœur de Morane : « Depuis que nous allons ensemble, de coup dur en coup dur, nous vivons un peu en symbiose » dit-il dans Rendez-vous à nulle part. C’est surtout, sous un aspect littéraire, le contrepoint savoureux à un héros souvent par trop lisse. Sans Bill,
Bob est moins bon.
2. Aristide Clairembart
«… un petit vieillard à la barbiche de chèvre et aux lunettes cerclées d’acier. Il eut cependant été difficile de préciser son âge, car son visage
demeurait rose et sans rides, comme celui d’un enfant et, derrière les verres épais des lunettes, ses petits yeux vifs brillaient d’une étonnante
jeunesse. » Les Dents du tigre
Archéologue, ou plutôt cryptarchéologue, ami de la première heure de Morane.
Un temps, Clairembart est un compagnon régulier du commandant, qu’il rencontre au cours de sa deuxième aventure. Lors de l’Âge d’or moranien, l’archéologue
est même davantage présent que Bill Ballantine. Sa présence ensuite se raréfie, au moment où les « Bob Morane Girls » se font plus présentes et où les
romans quittent le simple domaine de l’aventure pour aller plus franchement dans l’espionnage ou la SF, où la présence du savant est moins requise.
À partir de l’Âge adulte moranien, Clairembart disparaît quasiment, ne revenant qu’à l’occasion (lors de novélisations de BD, par exemple). Ce n’est que
bien plus tard, à l’Âge néoclassique, que l’archéologue fait un léger retour, d’abord de manière distante (par exemple, via un appel téléphonique, pour
lancer Morane à l’aventure) avant de l’accompagner de nouveau sur le terrain (Le Réveil de Kukulkan).
3. Sophia Paramount
« Elle était assez grande – la taille mannequin, un mètre soixante-dix environ – et son ciré noir ne parvenait pas à camoufler tout à fait un corps mince
et musclé de sportive. Le visage étroit, au modelé fin et parfait, était entouré, comme d’une auréole, de cheveux fauves, coupés court ; quant aux yeux,
très grands, qui semblaient vouloir dévorer toute la figure, on n’en distinguait pas très bien la couleur, mais Morane devina qu’ils devaient être verts. » S.S.S.
Sophia Bancroft de son vrai nom. Rousse incendiaire et reporter « de charme et de choc » au journal anglais Chronicles, qui sait aussi bien manier
l’appareil photo que faire du karaté (discipline dont elle est 5e dan).
Elle rencontre Morane et Ballantine lors d’une enquête sur les soucoupes volantes (S.S.S.). Jeune journaliste intrépide, rousse à faire
tourner les cœurs. Sauf celui de Morane ? C’est à voir. Elle est sûrement un peu amoureuse du Commandant : « Ce que j’aimerais, c’est passer une mignonne
mini-robe ou un micro-short, et aller m’attabler en votre compagnie au bord de la mer, tout en écoutant de la musique douce » déclare-t-elle dans L’Archipel de la terreur.
Si, au début, c’est une inséparable compagne de Morane et Ballantine seulement lors de leurs aventures temporelles contre l’Ombre jaune, elle accompagne
ses amis très régulièrement dans l’Âge néoclassique. Des amis qu’elle sort souvent de situations inextricables, juste à temps. Elle n’a rien d’une petite
fille fragile.
4. Frank Reeves et Alan Wood
Frank Reeves est présent lui aussi dès la première aventure de Morane, et serait sûrement devenu le compagnon officiel du commandant, n’eût été la belle
Carlotta qu’il rencontre dès La Galère engloutie et qu’il épouse à la fin de cette même aventure. Par la suite, Reeves se contente de
faire de la figuration lors de diverses aventures, y tenant rarement un rôle important (sauf dans Les Chasseurs de dinosaures ou Les Larmes du Soleil). Une aventure tardive, L’Anse du pirate, débute avec la mort de Reeves, mais celle-ci n’est simulée
que pour mieux embarquer Morane à l’aventure. Le drame est rarement présent et Vernes ne peut se résoudre à tuer ses personnages.
Alan Wood, chasseur de son état, connaît un destin semblable : présent dans les premières aventures africaines de Morane, il découvre l’amour (La Vallée des brontosaures) et n’intervient plus guère par la suite.
Compagnons du héros aux caractéristiques trop semblables à celles de Morane, ils ne pouvaient guère coexister durablement avec celui-ci.
5. Les services secrets
Dès le début, Morane est amené à collaborer avec les services secrets. Dans Panique dans le ciel, c’est avec les services secrets
britanniques qu’il collabore ; dans Oasis K ne répond plus, c’est le contre-espionnage qui fait appel à lui. Les interlocuteurs sont
toujours les mêmes : George Lester pour le MI-5, Sir Archibald Baywatter pour Scotland Yard, Herbert Gains pour la CIA.
Les relations de Morane avec les services secrets sont ambivalentes : c’est toujours avec réticence qu’il collabore avec eux. Cela, dès le début aussi (il
faut lui tirer les oreilles dans Oasis K ne répond plus pour qu’il accepte sa mission). Loyal aux démocraties occidentales mais jamais
entièrement dupe, Morane est un barbouze à temps partiel. Et il n'éprouve pas le moindre remord lorsque la mission se conclut par un échec (Oasis K… mais aussi Trois Petits Singes).
6. La Patrouille du Temps
Encore plus secrète que les services secrets : la Patrouille du Temps (Time Patrol). C’est une organisation non-gouvernementale du XXIIIe siècle, chargée
de veiller à ce que le Temps suive bien son cours. N’ayant pas le droit d’intervenir directement, la Patrouille fait appel à des agents extraordinaires
pour faire le sale boulot. En particulier (on ignore s’il y en a d’autres), trois agents issus du XXe siècle : Morane, Ballantine et Sophia Paramount.
Si la Patrouille du Temps apparaît tout d’abord dans deux aventures indépendantes, (Les Chasseurs de dinosaures et S.S.S.), c’est avec le Cycle du Temps et la lutte contre monsieur Ming, alias l’Ombre jaune, qu’elle prend sa véritable dimension. Une fois cet
ensemble de douze aventures achevé, la Patrouille se fait plus discrète mais continue à intervenir de temps à autre.
Au cours des aventures, le rapport de Morane à la Patrouille évolue. De collaborateurs enthousiastes, ils finissent par s’en défier, jusqu’à haïr
cordialement le chef de la Patrouille, l’impeccable colonel Graigh. Une défiance partagée par Sophia, qui aurait pourtant été mariée (ou aurait eu une
relation) avec lui. Comme les services secrets contemporains de Morane, la Patrouille n’aime vraiment pas se salir les mains.
Quis custodiet ipsos custodes ?
Dans Les Déserts d’Amazonie, on apprend que la Patrouille est temporairement hors la loi. Dans La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu, Graigh nous informe que la Patrouille est supervisée par un mystérieux Consortium (mais
existe-t-il ?), voire même par d’autres instances encore plus secrètes et œuvrant à une échelle plus grande. Le lecteur n’en saura pas plus : l’un des
défauts d’Henri Vernes est de laisser bon nombre d’aspects de l’univers moranien dans le flou artistique. Et à lire les romans du Cycle du Temps, on n’aura l’impression que la Patrouille ne compte que deux membres : Graigh et son subalterne, l’agent Z39.
*
Les femmes de Bob Morane
Où sont les femmes ? Pas dans le lit de Bob Morane, c’est sûr.
Lors de l’Âge d’or, les aventures de Morane se déroulent dans un milieu essentiellement masculin. À partir de l’Âge classique, les femmes font une
apparition plus marquée, peut-être pour plaire à un lectorat qui se féminise.
Que serait James Bond sans les Bond Girls ? Que serait Bob Morane sans les « petites filles » ? Pour notre héros, toutes les dames à qui il vient en aide
sont des « petites filles ». De fait, la plupart n’ont qu’entre vingt et trente printemps, et un certain nombre sont orphelines. La liste des « Morane
Girls » commence cependant par une exception : la vieille collectionneuse de perles du Sultan de Jarawak.Et dans le lot, certaines demoiselles n’acceptent guère de se faire traiter de petites filles – une réticence qui arrive assez tardivement (Dahlia Shani
dans Le Cratère des immortels).
La personnalité de ces dames alterne entre princesses en détresse et « kick-ass girls ». Cette deuxième catégorie se fait plus présente à partir de la fin
des années 60 (citons la cascadeuse Domi Lore, présente dans La Malle à malices et Les Jeux de l’Ombre jaune).
Avec ces « petites filles » d’un livre, Morane a-t-il le temps d’entretenir des relations amoureuses ? Pas vraiment, car ça n’est jamais le thème. Il est
question d’aventure, pas de romance, diantre ! De fait, l’argument amoureux n’est jamais un motif employé pour lancer Bob à l’aventure.
Tania Orloff est certes la première amoureuse de Morane, mais les effusions se limitent à des baisers sur la joue. Parfois, Morane et une fille se
tiennent, brièvement, la main. Pendant longtemps, Morane ne fait juste que venir au secours des jeunes femmes qu’il sauve. Au fil du temps, Morane se
laisse plus ou moins tenter par celles qui partagent ses aventures (Lena Stobe dans Le Roi des Archipels ou Dahlia Shani). Par la suite,
il se permet de passer un peu de temps avec elles… mais cela se déroule toujours hors-champ. C’est le cas de Jean Sangre de Aguinaldo, fille d’un mafioso
malais (Alias M.D.O.), ou de la princesse Ethelwed (Les Sortilèges de l’Ombre jaune).
« – Je veux rester quelque temps en cette époque afin de chasser l’ours, répondit Bob d’une voix mal assurée. Ces animaux abondent en ces âges barbares.
Mais Bill Ballantine connaissait trop son ami pour être dupe. Il le considéra par en dessous, avec un petit sourire narquois.
– Chasser l’ours ? Peut-être… dit-il. Mais un ours avec de longues tresses blondes et un visage d’ange. Un ours qui s’appelle Ethelwed et ressemble autant
à un ours qu’un diamant bleu à un morceau de pierre ponce. » Les Sortilèges de l’Ombre jaune
Plus tardivement, Aïsha, jeune Sud-Soudanaise devenue top-model à Paris, est désignée par Morane comme « son amie » (Retour à « Overlord »
). On n’en saura pas plus.
Dans la longue interview de 50 ans d’aventures, Henri Vernes affirme que Morane a sûrement déjà couché avec Miss Ylang-Ylang, même si son
âme est noire et qu’elle se trouve du mauvais côté des valeurs que défend Morane. Une « aventure » hors-champ, bien entendu. On remarquera que Morane
éprouve un gros faible pour les Eurasiennes et les Asiatiques : outre les récurrentes Ylang-Ylang et Tania Orloff, citons Natalie Wong (La Rivière de perles), Anne Pei Min (L’Œil d’émeraude) ou encore Tokyo Lil (L’Œil du Samouraï).
La sexualité de Morane a pu être l’objet de questionnement, voire de parodies (comme dans la bande dessinée parodique Bob Marone). Et les romans
prêtent parfois à l’équivoque (citons La Galère engloutie, où Morane et Reeves semblent partager le même lit… mais portent quand même des
pyjamas). L’âge du public visé par Marabout Junior empêche Morane de posséder une dimension sexuelle ouverte (mais Henri Vernes se rattrapera dans la série
des Don). Ce qui n’empêche pas un soupçon d’érotisme, lorsque les formes et les courbes parfaites de Miss Ylang-Ylang et Sophia Paramount
sont évoquées.
« D’un mouvement des bras au-dessus de la tête, elle étira son long corps élégamment musclé sous la robe de nuit arachnéenne.» La Nuit des négriers
À vrai dire, il semble que le seul véritable amour de Morane soit Bill Ballantine. Un amour platonique, là encore, comme on a pu en voir d’autres dans la
littérature : par exemple, Frodon et Sam.
« [Bob] ne voulait pas admettre le fait que Bill, son vieux compagnon d’armes, presque son frère, avec qui il avait cent fois nargué le trépas, gisait là,
mort, que plus jamais il ne l’appellerait « commandant », que plus jamais il ne ronchonnerait, que plus jamais… » Commando Épouvante
(Qu’on se rassure, Bill n’est pas mort dans Commando Épouvante.)
*