Après The Hellstrom Chronicle, on continue à s'intéresser aux insectes du cinéma avec Phase IV. Dans cet unique long-métrage du graphiste Saul Bass, aussi languissant que contemplatif, l'humanité est confrontée à une menace inédite prenant l'aspect… de fourmis.
Phase IV, Saul Bass (1974). 83 minutes, couleurs.
À la suite de The Hellstrom Chronicle, les insectes ont (si je puis m’exprimer ainsi) essaimé au cinéma.
Certes, il y avait déjà eu Des monstres attaquent la ville ( Them!), médiocre film de sci-fi des années 50, où deux géantes fourmis mutantes en carton-pâte hantent le désert du Nouveau-Mexique avant de se faire pulvériser les mandibules dans les égouts de Los Angeles – le récit présente les choses autrement mais avouons que les petites bêtes prennent cher alors qu’elles cherchaient juste à vivre en paix. Post- Hellstrom, citons Empire of the Ants (1977), que j’ai vu… et dont je n’ai gardé aucun souvenir tant c’était nul. On peut oublier également It Happened at Lakewood Manor (1977), où un hôtel est attaqué par des fourmis de taille normale, avec des acteurs en roue libre tâchant de faire croire qu’elles sont méchantes (oui, c’est un navet, à ne visionner qu’entre potes et après avoir bu quelques tequilas épicées à l’acide formique). À vrai dire, les insectes et autres arthropodes mutants agressifs dans les films de SF sont légion, et il serait possible de dresser une liste longue comme la marabunta de films et téléfilms mettant en scène des abeilles, des araignées, des mantes religieuses, d’autres abeilles, d’autres araignées, des scorpions, et ai-je déjà cité les abeilles et les araignées ?
Bref. L’un des films de genre les plus fascinants qui soient au sujet des insectes est et reste Phase IV. Il s’agit là de l’unique film de Saul Bass. Au débotté, ce nom n’évoque pas forcément quelque chose… mais sans Saul Bass, les génériques et les affiches de film ne seraient pas ce qu’ils sont. Graphiste de métier, Bass a exercé une influence prépondérante sur ces à-côtés essentiels d’un long-métrage, de L’Homme au bras d’or d’Otto Preminger jusqu’à (disons) Shining de Stanley K – ses travaux ultérieurs n’auront pas le même impact. Son apport au cinéma reste indéniable : avant Saul Bass, les affiches représentaient platement les personnages du film ou une scène-clé. Avec ce graphiste, l’affiche devient expressive et transmet l’ambiance du film.
À partir de 1964, Bass réalise plusieurs courts-métrages mais il faut attendre 1974 pour qu’il tourne son seul et unique long : Phase IV . L’insuccès de celui-ci ne l’incitera pas à poursuivre dans cette voie. Dommage…
Sur un scénario de Mayo Simon (à qui l’on doit aussi celui deFutureworld, la suite du Westworld de 1973), Phase IV nous raconte en toute simplicité les prémices du remplacement de l’humanité par une autre espèce. Pour une fois, l’origine n’est pas une mutation due à des conneries humaines, du genre déchets radioactifs balancés dans un champ ou épandage de produits toxiques, mais… une mutation d’origine cosmique.
« That spring, we were all watching the events of space and wondering what the final effect would be. Astronomers argued over theory while engineers got pretty excited about variables and magnetic fields. Mystics predicted earthquakes and the end of life as we knew it. When the effect came it was almost unnoticed. »
Le Dr Ernest Hubbs (Nigel Davenport) s’est rendu compte que les populations de fourmis en Arizona croissaient de manière curieuse – une croissance associée à une diminution drastique du nombre de leurs prédateurs (araignées, lézards, oiseaux). Il recrute comme assistant James Lesko (Michael Murphy) et établissent une base informatisée dans le désert, non loin d’un lotissement à peine construit… et de tourelles de bases carrées, construites de toute évidence par les fourmis.
Les premiers temps sont décourageants : rien ne se passe. Hubbs décide de provoquer le contact en détruisant les tours. Les deux scientifiques incitent les habitants de la région à fuir ; une famille n’écoute pas, et seule une adolescente, Kendra (Lynne Frederick) en réchappera, trouvant refuge dans le dôme-labo.
Lesko et Hubbs partagent des vues bien distinctes sur la manière d’aborder le problème. Avec sa formation de cryptologiste, le premier est d’avis qu’il faut chercher le contact : après tout, les fourmis communiquent et il a commencé à déchiffrer leur langage. Le second penche pour une approche plus radicale : trouver la reine et puis la buter. De fait, les fourmis font réellement preuve d’intelligence et de capacités hors-normes, jusqu’à mettre en danger la vie des humains réfugiés dans le dôme-labo.
Tout espoir est-il perdu ? Et qu’en est-il de cette fameuse phase IV donnant son titre au film ?
Celui-ci se divise en trois parties, titrées « phase I », « phase II » et « phase III », que l’on pourrait décrire par « Contact », « Conflit » et « Communication ». Le film s’achève sur la phase IV, laissant le spectateur deviner ce en quoi celle-ci peut consister. À l’origine, Phase IV se terminait différemment : une séquence psychédélique de cinq minutes concluait le long-métrage, octroyant encore moins de place au doute. Cette fin a été coupée par le studio… et, pour une fois, ça n’est pas une mauvaise chose. Trop lourdement symbolique, les cinq dernières minutes (dont des bribes sont conservées dans l’état final du film mais que l’on peut trouver aisément sur YouTube) amoindrissent l’effet. (Néanmoins, la novélisation du film, écrite par Barry N. Malzberg – auteur de pas mal de livres avec des couvertures comme on n’en fait plus – et parue avant sa sortie, se baserait sur cette fin originale.)
Là où Phase IV continue à surprendre, c’est dans ses séquences mettant en scène les fourmis, que l’on doit à Ken Middleham, photographe déjà responsable des prises de vue de The Hellstrom Chronicle. Entre les deux œuvres, Middleham a accompli de superbes progrès dans la manière de dramatiser les insectes, en jouant sur la profondeur de champ, les ralentis et les ombres. Si on peut regretter une trop grande anthropomorphisation dans la mise en scène des fourmis (leurs petits cris quand elles sont en masse, l’alignement des cadavres de leurs congénères tombés au combat, leur propension à construire des galeries vachement larges et lissées), le reste suscite encore l’admiration. Par la suite, Middleham intervient sur des nanars comme Les Insectes de feu (Jeannot Szwarc, 1975), Les Survivants de la fin du monde (Jack Smight, 1977, d’après Route 666 de Roger Zelazny) ou des trucs un peu plus respectables comme Les Moissons du ciel (Terrence Malick, 1978). À la différence de The Hellstrom Chronicle, il parait plus certain que, dans le cas présent, moins d’insectes ont été endommagés lors du tournage – ceux qui meurent étaient sûrement déjà morts.
Des insectes qui en remontrent aux humains – ceux-ci n’apparaissent d’ailleurs qu’au bout de dix minutes. Le casting est réduit (six acteurs au total pour jouer les deux scientifiques et la famille de Kendra), et on peut noter que Phase IV signe les retrouvailles du rustre Nigel Davenport et de la poupine Lynne Frederick après Terre brûlée . À vrai dire, les acteurs ne sont pas mauvais dans leurs rôles : le film leur laisse tout simplement peu de place, se contentant d’une caractérisation minimale.
Dans sa mise en scène, Phase IV est aussi le reflet de son époque. Lent et stylisé, le film est magnifié par la musique : planante à souhait, elle évoque Pink Floyd et Klaus Schulze dans ses sonorités synthétiques. De quoi susciter l’assoupissement pour le spectateur le moins attentif.
Il n’empêche. Si Phase IV a passablement vieilli, le film de Saul Bass reste une œuvre éminemment regardable et tout à fait digne d’intérêt, plus de quarante après sa sortie. En matière de films mettant en scène des fourmis, on n’a pas fait mieux.
Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui