Nouvelle incursion dans la science-fiction est-allemande, cette fois au travers d'un film : Signale – ein Weltraumabenteuer. Ce long-métrage de Gottfried Kolditz se voulait une réplique au 2001 de Stanley Kubrick, mais que valent lenteur et contemplation dans l'espace de l'autre côté du Rideau de fer ?
Signal : une aventure dans l’espace [Signale, ein Weltraumabenteuer], Gottfrid Kolditz (1970). 88 minutes, couleur.
Asteroidenjäger, Carlos Rasch. Verlag Neues Leben, 1961. Grand format, 198 pp.
En dépit de sa médiocrité générale, la science-fiction est-allemande me fascine depuis une bonne dizaine d’années. Sûrement parce qu’il s’agit d’un champ d’étude relativement limité : la République Démocratique Allemande a duré du 7 octobre 1949 au 3 octobre 1990. Une existence circonscrite sur un territoire qui ne l’était pas moins. Il s’est donc publié, dans ses quarante et une années d’existence, un nombre déterminé – du moins, déterminable – de romans de science-fiction. Mais… il ne faudrait pas oublier les films de SF de RDA. Dans mon billet sur Feu Vénus, j’ai écrit que leur nombre est précis et tient sur les doigts d’une main, à savoir quatre et demi. Bon, la réalité, comme toujours, n’est pas aussi simple : des films de SF est-allemands, il y en a plus de quatre. Mais deslongs-métrages est-allemands tenant du space opera, là, il y en a quatre. Et demi.
Le demi, c’est Chemie und Liebe (Amour et Chimie) de Arthur Maria Rabenalt, et je le compte ainsi parce qu’il est sorti le 1er juin 1948, donc avant la proclamation de la République Démocratique d’Allemagne (qui a eu lieu le 7 octobre 1949), quand il s’agissait encore de la zone d’occupation soviétique. Les quatre autres sont, dans l’ordre de sortie, L’Étoile du silence ( Der schweigende Stern, d’après Feu Vénus de Stanislas Lem – auteur polonais bien plus souvent adapté au ciné et à la TV qu’on ne le pense de prime abord) en 1960, puis Signale – ein Weltraumabenteuer Gottfrid Kolditz en 1970 et objet du présent billet, suivi de Eolomea de Herrmann Zschoche en 1972 et enfin Im Staub der Sterne (Dans la poussière des étoiles) en 1976, à nouveau de Gottfrid Kolditz. Deux adaptations et deux films originaux : tous quatre furent produits par la DEFA – Deutsche Film AG, le studio d’État de la RDA, qui, au cours de son existence (légèrement supérieure à celle de la RDA : 1946 à 1992), a ainsi produit plus de 700 films, 750 films d’animation et plus de deux mille documentaires.
Quelques billets plus tôt, on évoquait Carlos Rasch pour son roman Im Schatten der Tiefsee et sa réécriture dopée aux radionucléotides sous le titre Magma am Himmel. Rasch est également l’auteur d’un autre roman (son premier, d’ailleurs) intitulé Asteroidenjäger – un titre se traduisant par « Chasseur d’astéroïdes ». Paru en 1961, ce roman se déroule dans un avenir distant et plutôt radieux : la Terre est désormais unie. À bord de l’AJ-408, un équipage venu des quatre coins du globe terrestre entame sa mission visant à protéger la Terre des astéroïdes. Et voilà que l’AJ-408 détecte un appareil à la forme étrange, qui refuse obstinément de s’identifier. Il s’avère que l’astronef est terrien : il s’agit de l’Astronautic, une fusée qu’un impact a coupé en deux. Son équipage a capté un message provenant de l’étoile ε Eridani, un message plein d’espoir invitant les humains à ne pas faire trop de conneries avec le nucléaire, parce que, hé, c’est DANGEREUX, et à être raisonnables en attendant de rejoindre la grande communauté galactique.
Et ce roman de Carlos Rasch a bénéficié d’une adaptation sur grand écran, par Gottfrid Kolditz, réalisateur est-allemand (1922-1982) dont la filmographie aborde plusieurs genres. Le scénario de Signale reprend sensiblement l’intrigue de Asteroidenjäger : le prologue montre l’astronef Ikaros subir une avarie majeure à la suite d’un impact d’astéroïde, quelque part du côté de Jupiter. Pas de chance, l’équipage venait tout juste de capter un signal intelligent. Sur Terre, on s’interroge : y a-t-il des survivants ? Sans attendre l’accord des autorités, un autre astronef, le Laika, est envoyé à la rescousse (et répare quelques stations spatiales en chemin). Et… je serais bien en peine de raconter davantage l’intrigue, tant celle-ci est anémique.
Une chose est sûre : 2001, l’odyssée de l’espace a suscité bon nombre d’émules, d’un côté comme de l’autre du Rideau de Fer. Il semble que le Solaris de Tarkovski ait été une tentative de réponse ; le présent Signale s’essaie aussi à l’être, pour un résultat… bon… assez médiocre. Et il est difficile de regarder le film de Kolditz sans avoir en tête celui de Kubrick. Spoiler : pas de chance, ça n’est jamais à l’avantage du premier.
Visuellement ? La photographie est terne et pas vraiment aidée par les tons beige/brun/gris des astronefs – une monotonie où surgit parfois un peu d’orange pétant (le pull-over de l’un, les scaphandre des autres). Quant au montage, il est souvent abrupt.
Les personnages ? Certes, les protagonistes sont un peu plus développés ici que ces messieurs Bowman et Poole, mais ça ne va pas bien loin. On notera que, à l’instar de L’Étoile du silence, les équipages de l’Ikaros et du Laika sont non seulement mixtes mais cosmopolites : Noirs, Arabes, Indiens, Asiatiques… il ne manque guère que les Amérindiens. Oh, et il y a un Français, nommé Gaston.
Néanmoins, aucun des protagonistes n’éveille sympathie ou répulsion, juste de l’indifférence. Là où le film s’avère involontairement comique, c’est dans les quelques scènes situées sur une plage de la Baltique : on y voit nos protagonistes disserter tout en déambulant sur les mains dans le sable (avouez-le, disserter en marchant la tête à l’envers, c’est tellement mieux). Dommage que le cadrage laisse deviner qu’un assistant leur tient les pieds. À côté, enfants comme adultes, emplis de joie de vivre, se déplacent souvent en faisant la roue. Ou à dos de cheval, galopant gaiement dans le ressac. Certes, il faut représenter l’utopie… mais vu comme ça, c’est ridicule.
Les effets spéciaux ? Les scènes dans l’espace, techniquement correctes (et silencieuses !), laissent trop souvent deviner les maquettes ; il manque de la profondeur et du mouvement, en particulier lors des scènes d’accostage des navettes. Il en va de même pour les scènes en apesanteur à bord du Laika.
La musique ? Kolditz a fait appel à Karl-Ernst Sasse, à la tête de l’orchestre symphonique de la DEFA. Sa partition oscille entre électro, jazz swing… et tics-tacs d’horloge. Sans oublier quelques chœurs rappelant, de loin, Lux Aeterna de Ligeti à quelques moments choisis. Dans l’ensemble, pas de quoi rivaliser avec les choix musicaux de Kubrick. Surtout lorsque les scènes dans l’espace se déroulent en plein silence : le Beau Danube Bleu, ça vous marque une séquence. Le silence aussi, mais on croit voir surtout ici le manque de budget.
Et enfin, les perspectives cosmiques et l’aspect philosophique ? L’aspect « contact extraterrestre », déjà marginal dans le roman, l’est ici tout autant. Admettons : les scénaristes auraient pu tenter d’infléchir l’intrigue vers l’aspect sauvetage spatial / course contre la montre… mais le film progresse avec une lenteur exaspérante, sans le moindre suspense. Lorsqu’il s’achève enfin, au bout de quatre-vingt-dix longues minutes, c'est un soulagement.
L’ensemble s’avère un semi-ratage, dont le visionnage suscite surtout un ennui exaspérant. L’édition allemande du DVD (dépourvue de sous-titres, schade) propose en bonus un court-métrage, Liebe 2002 de Joachim Hellwig, sorte de film expérimental plutôt curieux et plus intéressant que Signale. Après ce film, Gottfrid Kolditz a toutefois récidivé en tournant l’un des deux autres space opera de RDA, Im Staub der Sterne – auquel on s’intéressera en temps voulu natürlich.
Introuvable : en DVD
Irregardable : oui
Inoubliable : non