F comme Feu Vénus

L'Abécédaire |

Stanislas Lem, l'auteur de l'inoubliable Solaris est décédé voici dix ans — en mars 2006. Un prétexte tout trouvé pour se replonger dans son œuvre, et l'on commence avec le tout premier roman de l'auteur : Feu Vénus, adapté au cinéma en Allemagne de l'Est sous le titre L'Étoile du silence

Feu Vénus [Astronauci], Stanislas Lem, traduit du polonais par Alexandre Guthart. Gallimard, coll. « Le Rayon Fantastique », 1962 [1951]. 250 pp, poche.

Cette année 2016 est celle du dixième anniversaire du décès de Stanislas Lem, le plus fameux des auteurs de science-fiction de langue polonaise – une bonne occasion pour se pencher sur son œuvre. Une œuvre partiellement indisponible : en dépit de la renommée acquise par Lem avec Solaris, doublement adapté au cinéma par Andreï Tarkovski puis Steven Soderbergh, l’essentiel de ses romans et recueils est aujourd’hui épuisé en France.

Quoi de plus naturel que de débuter cette rétrospective par Feu Vénus, le premier roman de l’auteur ? Un roman qui commence avec l’événement de la Toungouska. Météorite ? Comète ? Ou vaisseau extraterrestre…? Certains scientifiques lancent d’audacieuses hypothèses, selon laquelle un ovni aurait effectué plusieurs passages auprès de la Terre, avant de manquer s’écraser au cœur de la Sibérie. Un objet est découvert sur place, une étrange bobine qui, dépliée, contient un message rédigé dans une langue incompréhensible. Déchiffré, il s’avère qu’il s’agit d’un compte-rendu ; en creux, les scientifiques peuvent émettre de nouvelles hypothèses sur la nature des visiteurs. Quant à leurs intentions, rien n’est moins sûr ; lors d’un vote, les savants choisissent de considérer non-hostile. L’analyse de la trajectoire indique que l’astronef vient du système solaire intérieur. Plus précisément de Vénus… Décision est prise d’envoyer une expédition, à bord du Cosmocrator, vers la deuxième planète de notre système solaire pour comprendre de quoi il retourne.

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Feu Vénus se divise en deux parties. La première, la plus courte, raconte l’évènement de la Toungouska et ses conséquences puis suit les préparatifs de l’expédition du Cosmocrator ; la seconde, narrée par Robert Smith (que je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer avec la trombine échevelée du chanteur de The Cure), commence au décollage du vaisseau et se poursuit avec l’exploration de Vénus.

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À l’époque de rédaction du roman, cette planète garde tous ces mystères, l’épais voile de nuages qui la recouvre n’ayant pas encore été percé. Mais Lem déjà imagine un monde loin de la touffeur de la Vénus telle qu’imaginée par Edgar Rice Burroughs : il décrit certes un monde chaud, mais aride et radioactif par endroit. Il faut attendre 1962, année de parution du roman en France, pour en apprendre davantage, lorsque la sonde Mariner 2 survole Vénus et indique sa désespérante température de surface ; les sondes soviétiques Venera 4 à 6 pénètrent dans l’atmosphère au fil des années suivantes et confirment le caractère proprement invivable de l’astre ; Venera 7 est la première à s’y poser en décembre 1970 et Venera 9 la première à envoyer une photo de la surface.

Avec Feu Vénus, Stanislas Lem hésite probablement encore sur la voie à suivre : la sienne, propre, ou bien les canons de l’époque. Le roman contient bon nombre d’éléments typiques de la production science-fictive du Bloc de l’Est à l’époque : un futur forcément radieux (on en retrouvera de pareils dans la SF est-allemande ou russe) :

« Une chose est certaine : aucune machine ne rendra l’homme inutile. Autrefois, il y a cent ans, les hommes pensèrent que les machines les priveraient de travail et de pain. Or ce n’était pourtant pas le fait des machines mais des mauvais régimes sociaux.  »

… ainsi qu’un intérêt marqué pour les sciences (un personnage passe un demi-chapitre à raconter une anecdote au sujet de la création d’un caoutchouc hyper-résistant). Pourtant, on devine déjà de quoi sera fait l’œuvre future de l’écrivain polonais, avec en particulier le détournement des poncifs et le motif de l’incommunicabilité. Concernant le premier : Lem oriente son aventure non vers la rouge Mars mais vers Vénus. Et à la différence des auteurs est-allemands, dont les aliens des décennies 50-60 sont souvent bienveillants ou bien à la recherche d’une guidance humaine éclairée, ceux de Lem n’apparaissent pas dotés des meilleures des intentions, et la vérité, révélée dans les ultimes chapitres du roman, est pour le moins triste – le titre français du roman prend alors tout son sens. Par ces aspects-là, Feu Vénus rappelle Fiasco, que Lem publiera quelque trente-cinq ans plus tard (et qu'on relira dans un futur tour d'alphabet).

Premier roman, Feu Vénus tient plutôt bien la route, plus de soixante ans après sa parution, à condition d’être un brin indulgent. En plus de la description datée de Vénus, l’aspect technique a pris un énorme coup de vieux (la fusée façon Tintin, les calculateurs de bord). Il n’empêche : les déambulations dans les paysages torturés de Vénus valent la lecture, en dépit d’une traduction correcte mais qui mériterait un bon coup de peigne.

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Feu Vénus a bénéficié d’une adaptation cinématographique, sous le titre L’Étoile du silence (1960). Cette coproduction germano-polonaise compte au rang des rares films de SF jamais produits par la RDA : la DEFA (Deutsche Film-Aktiengesellschaft) en a, en tout et pour tout, produit quatre. Quatre et demi, disons, si l’on compte Chemie und Liebe, sorti en 1948, un an avant la fondation de la République Démocratique Allemande. Cette considération mise à part, L’Étoile du silence représente le premier véritable film de SF est-allemand.

Le long-métrage débute sous la forme d’un exposé, à l’instar du roman, mais se poursuit de manière plus conventionnel par la suite. Les premières minutes commencent mal, le film accumulant les bourdes. Arseniev, le charismatique leader du Cosmocrator, balance à un parterre de scientifiques cette ahurissante affirmation :

« Cependant, nos connaissances sur le sujet ont déjà beaucoup avancé ; nous savons que ce vaisseau venait d'une part de notre système solaire, d'autre part d'une planète plus éloignée du Soleil que notre Terre. Attendu qu'aucune forme de vie ne peut exister sur la planète Mercure, la conclusion qui s'impose, conclusion logique, mathématique et astronomique, est que la base de lancement de ce vaisseau ne peut que se trouver sur Vénus, notre étoile polaire.  »

Erreur de doublage ou texte originel inepte ? Voilà qui ne donne pas envie de confier sa destinée à un tel astronaute.

En dépit d’un début maladroit, que n’arrange pas un doublage français assez catastrophique, L’Étoile du silence finit par gagner en intérêt. On note ainsi la volonté d’avoir un équipage international, avec notamment un Américain (pas rancuniers, les Soviétiques), un Africain et deux Asiatiques, dont une femme : pour l’époque, ça n’est pas si courant, la norme hollywoodienne présentant essentiellement des protagonistes blancs masculins (et des filles pour justifier les passages explicatifs et servir de faire-valoir). Pas de prosélytisme communiste : on nous décrit une Terre globalement en paix – seuls les USA font un peu du boudin dans leur coin, mais bon… (putain de capitalistes !).

Les meilleurs passages se situent sur Vénus, avec ses paysages sombres et désolés à mêmes de susciter quelque émotion – pour peu que l’on fasse preuve d’indulgence envers les effets spéciaux un brin vieillots. Pour l’époque, ça n’était sûrement pas si mal. L’exploration de la forêt de verre ou de la grotte où s’agite un magma noir demeurent saisissantes.

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Lem, semble-t-il, n’aurait pas goûté cette adaptation. En dépit de ses défauts, c’est là une curiosité qu’on aurait cependant tort de dédaigner.

Introuvable : oui
Illisible : pas tout à fait
Inoubliable : oui

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