B comme The Bad Batch

L'Abécédaire |

« Dans un désert dystopique, une jeune femme est kidnappée par des cannibales. » Voilà le pitch de The Bad Batch, deuxième film de la réalisatrice iranienne Ana Lily Amirpour, pitch laissant imaginer le croisement de Punishment Park et La Colline a des yeux. Au moins. Mais les intentions cool font-elles de bons films ?

The Bad Batch, Ana Lily Amirpour (2016). Couleurs, 119 minutes.

Il y a quelques tours d’Abécédaire, on s’était intéressé à A Girl Walks Home Alone At Night (2013) de la réalisatrice iranienne Ana Liny Amirpour. Ce premier film, tourné en persan mais aux USA et en noir et blanc, s’avérait une tentative plutôt convaincante de réinterpréter la figure du vampire dans une ambiance lointainement western. Pas sans défauts, ce long-métrage mérite toutefois d’être rangé sur la même étagère que Morse ou Only Lovers Left Alive dans le genre « anti-twilighterie ». L’attente était donc grande quant à son deuxième long-métrage, présenté par un pitch des plus alléchants : « Dans un désert dystopique, une jeune femme est kidnappée par des cannibales. » Voilà qui laissait imaginer la rencontre entre Punishment Park et La Colline a des yeux. Au moins.

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Et puis le film est sorti directement sur Netflix, ce qui n’est pas exactement un bon signe. Le début d’année 2018 l’a triplement prouvé : sous couvert de coup événementiel, la chaîne de VOD sert – à mon sens – parfois de dépotoir de projets n’ayant pas trouvé de distributeur, tels le Cloverfield Paradox de sinistre mémoire, le médiocre Mute de Duncan Jones ou le décevant Annihilation d’Alex Garland. Bref, découvrir que le film d’une réalisatrice que l’on qualifierait volontiers d’« À suivre » atterrit sur Netflix n’est pas rassurant… Mais n’anticipons pas.

Arlen est une « bad batch » : de la mauvaise graine, en somme. Inadaptée sociale (son seul crime ?), la voilà lâchée en plein désert, à la lisière du Texas : un panneau indique bien qu’elle se trouve désormais dans une zone de non droits. La jeune femme s’enfonce dans la plaine aride mais ne reste pas seule bien longtemps : elle est bien vite rattrapée par deux types au volant d’un buggy. Boum. Quand elle reprend conscience, elle gît par terre, dans un campement édifié autour de la carcasse démembrée d’un avion. Chose assez peu rassurante, elle est bâillonnée et ligotée. Elle est entière, aussi – mais plus pour longtemps : une femme arrive et, après une petite piqûre d’anesthésiant, lui découpe l’avant-bras et le mollets droits. Le grésillement qui résonne ensuite ne laisse que peu de place au doute : Arlen est tombée chez des cannibales… Et s’enfuir paraît la meilleure stratégie de survie. Contre toute attente, sa tentative réussit, et la voilà bientôt à Comfort, bourgade fortifiée, dirigée de loin par un mystérieux individu, The Dream. Amputée mais vivante, Arlen n’a qu’une idée  : se venger de ceux qui l’ont dévorée.

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Après le rape & revenge, le maim & revenge ?

Si seulement.

Le noir et blanc de A Girl Wals Home Alone At Night cède ici la place à des couleurs saturées – le jaune du désert et du short d’Arlen, le bleu du ciel, le rouge du sang. Les acteurs inconnus (ou quasi) sont remplacés par un casting un peu plus costaud : Suki Waterhouse (qu’on a pu voir dans Price and Prejudice and Zombies) balade sa moue et ses moignons sans enthousiasme ; Jason Momoa, en brute pas si épaisse que ça (il dessine avec talent, comme quoi on peut être cannibale et artiste à la fois), fournit le service minimum, avec un accent cubain vraiment pas crédible ; Keanu Reeves est le rêve incarné (avec une présence moins anecdotique que dans The Neon Demon). Côté caméo, il y a aussi Diego Luna (invisible) et Jim Carrey (méconnaissable). On retrouve un même goût pour une bande-son aux petits oignons, qui marque cependant ici bien moins que dans A Girl, en dépit de quelques trouvailles. Hélas, Amirpour a toujours du mal à gérer le rythme : son western vampirique ne brillait pas par son suspense, mais l’ambiance rêveuse et nocturne maintenait l’intérêt du spectateur tout au long de ses cent minutes. Ici… assez vite, l’ennui pointe – et, pas de chance, le long-métrage dure deux heures. Dommage que le film n’ait malheureusement pas grand-chose à dire ni à raconter.

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Le contexte est fort peu détaillé. On comprend que les habitants de ce désert sont des parias, pas forcément des criminels, dont le gouvernement se débarasse sans trop faire de sentiments (bouh, ça dénonce grave) ; on constate qu’ils vivent de pas grand-chose – faire les poubelles et/ou opter pour le cannibalisme (wow, ça dénonce sévère). Et, grosso-modo, ça ne va pas beaucoup plus loin. Punishment Park reste incontesté sous cet aspect-là. En matière de cannibalisme, le film n’est pas très saignant, passé le démembrement initial d’Arlen : le caractère légèrement choquant de la mutilation et de la consommation de viande humaine n’est pas exploité (ou pas assez). Au temps pour l’effet traumatisant. Cannibal Holocaust et La Colline a des yeux n’ont rien à craindre. En fait, tout donne l’impression que The Bad Batch cherche à se donner une atmosphère de film culte indé, façon midnight movie, étrange et provocateur, et si les dix premières minutes (allez, soyons généreux : la première demi-heure) entretiennent l’illusion, la suite – en dépit de quelques séquences réussies, çà et là – ne tient pas la longueur. Le pitch était magique, pourtant…

Une déception. Mais bon, vu où ce film a atterri, on savait un peu à quoi s’y attendre, non ?

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Tout n’est bien sûr pas à jeter dans les productions Netflix : en matière de longs-métrages (les séries sont plus souvent de meilleure qualité), Okja, à défaut d’être pleinement réussi, méritait le coup d’oeil ; les récentes adaptations de 1922 et Jessie font honneur à Stephen King, et la pilule feel-good électro XOXO n’est pas non plus désagréable à regarder. Mais en ce qui concerne Ana Lily Amirpour, il reste à espérer qu’elle visera mieux la prochaine fois.

Introuvable : sur Netflix
Irregardable : n’allons pas jusque là, c’est juste dispensable
Inoubliable : hélas…

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