G comme A Girl Walks Home Alone at Night

L'Abécédaire |

Où l'on s'intéresse à A Girl Walks Home Alone at Night, premier long-métrage d'Ana Lily Amirpour et — probablement — le meilleur western vampirique iranien qui soit (mais le film concourt seul dans sa catégorie…).

A Girl Walks Home Alone at Night [دختری در شب تنها به خانه می رود], Ana Lily Amirpour, 2014. 99 minutes, noir et blanc.

Souvent, je m’amuse à décrire le Rocky Horror Picture Show comme la meilleure comédie musicale érotique de science-fiction – mais le film de Jim Sharman concourt seul dans sa catégorie. Dans la même catéorie « unique en son genre», on pourrait définir A Girl Walks Home Alone at Night d’Ana Lily Amirpour comme le meilleur western vampirique iranien – et c’est bien le seul, jusqu’à présent.

Après la tétralogie en cinq épisodes Twilight, c’est peu dire qu’on en avait marre des vampires au cinéma. Point trop n’en faut, dit-on. Mais en 2014 sont sortis deux films ayant l’insigne mérite de vouloir renouveler le genre et de présenter autre chose que des vampires énamourés luisant au soleil. Le premier est Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, ou le parcours de deux suceurs de sang désabusés, des ruines de Detroit jusqu’aux nuits de Tanger. Une errance magnifiée par le charisme de ses protagonistes, Tom Hiddelston et Tilda Swinton.

Le second, objet du présent billet, est A Girl Walks Home Alone at Night, objet filmique non moins fascinant.

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Cette fille qui rentre seule chez elle la nuit venue, c’est une vampire. La ville, c’est Bad City, quelque part en Iran. (Il y a peut-être là un jeu de mot : dans les langues indo-iraniennes, « bad » signifie « ville ». Si les personnages du film désignent leur ville sous le nom de [quelque-chose]bad, les sous-titres disent « Bad City ». « Ville-ville » donc ? « Vile ville » ??) Un jeune homme, Arash, vivote de petits boulots et tâche de gérer son père, Hossein, accro à l’héroïne. L’autre vampire de la ville, métaphorique pour le coup, c’est Saeed le dealer – accessoirement maquereau –, type haïssable avec qui Arash doit composer. Une nuit, la vampire raccompagne le sinistre individu chez lui, et le vide de son sang sans autre forme de procès – la suite montrera qu’elle n’incarne pas pour autant une justicière nocturne. C’est après une fête costumée, où Arash erre en triste comte Dracula, qu’il rencontre la vampire, avec qui va se nouer une intriguante relation…

Tourné en langue persane, avec des acteurs iraniens, A Girl Walks… a cependant été intégralement filmé dans un recoin de la Californie du sud, sorte de friche industrielle située en plein désert, où l’on trouve des puits de pétrole et une imposante usine électrique. Un décor magnifié par le noir et blanc un brin cradingue du film.

Les acteurs ne sont pas en reste pour participer au charme du film. Si Dominic Rains a un rôle bref et un brin trop caricatural dans celui du dealer, on retient davantage Arash Marandi et ses faux airs de Shia LaBeouf dans la peau d’Arash et, surtout, Sheila Vand, incroyablement magnétique en jeune vampire vêtue d’une marinière et d’un long voile noir traînant jusqu’au sol.

Dans l’un des meilleurs épisodes de X-Files, Le Shériff a les dents longues, Fox Mulder explique qu’il y a quasiment autant de traditions vampiriques qu’il y a de peuples. La publication du Dracula de Bram Stoker a cristallisé dans l’imaginaire une bonne part de cette mythologie, en gravant dans le marbre certaines de ses caractéristiques. Par la suite, les uns et les autres ont tenté d’apporter leur pierre à l’édifice, en ajoutant de nouvelles caractéristiques ou en cherchant d’anciens traits. Là où Jim Jarmush injectait sa propre touche au mythe du vampire dans Only Lovers Left Alive, en rajoutant ce rituel avec les gants, Ana Lily Amirpour ne conserve que le strict essentiel : la vampire se contente de vivre la nuit (pas de cercueil) et d’être dotée de deux canines pointues, rétractables. Rien concernant une aversion à l’ail, au soleil ou aux symboles religieux – d’ailleurs, qu’en est-il des vampires dans les pays musulmans ? y sont-ils insensibles à la croix ? Mais l’une des jolies trouvailles dans A Girl Walks…, c’est d’avoir transformé le voile islamique en cette cape typiquement bela-lugosienne. En dehors de la présence de foulard, nulle autre mention de religion dans ce film.

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Enfin, A Girl Walks Home Alone at Night se distingue par sa bande originale, où se côtoient chansons iraniennes, rock et musique d’inspiration western (en particulier les cinq morceaux composés par Federale pour le dernier album en date, The Blood flowed like wine, qui lorgne volontiers du côté d’Ennio Morricone et de Calexico). Au mur de l’appartement en sous-sol de notre vampire s’affichent de nombreux posters ramenant tout droit aux années 80. (À noter que l’affreux dealer a des goûts musicaux pas terribles, à l’inverse de ceux, assurés, de la vampire.)

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En dépit de nombreuses qualités, A Girl Walks Home Alone at Night souffre de quelques défauts, en particulier le rythme. Le film développe un court-métrage éponyme (un format sur lequel Ana Lily Amirpour s’est faite la main), ce qui explique probablement son aspect languissant : étendu à la durée d’un long-métrage, le rythme y perd et la dernière demi-heure du film s’avère franchement longuette. Dommage

Le prochain long-métrage d’Ana Lily Amirpour, a priori prévu pour cette année 2016, s’intitule The Bad Batch et l’Imdb en propose un résumé tout à fait alléchant : « A dystopian love story in a Texas wasteland and set in a community of cannibals. » Au casting : Keanu Reeves, Jason Momoa et Jim Carrey (sans déconner ?). Pas question de passer à côté.

Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui

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