S comme Songs of Distant Earth

L'Abécédaire |

Des étoiles — et des exoplanètes — plein les yeux… et les oreilles. L'air de rien, on s'intéresse au roman Chants de la Terre lointaine d'Arthur C. Clarke, et surtout à son adaptation musicale, intitulée Songs of Distant Earth, par Mike Oldfield.

Chants de la Terre lointaine [Songs of Distant Earth], Arthur C. Clarke, roman traduit de l’anglais [UK] par France-Marie Watkins. Dernière édition  : Milady, coll. « Imaginaire », 2010 [1986]. Poche, 352 pp.
Songs of Distant Earth, Mike Oldfield (Warner, 1994). 17 morceaux, 56 minutes.

Chants de la Terre lointaine est probablement le premier roman de SF « pour grandes personnes » que j’ai lu étant gamin. La couverture, signée Michael Whelan, m’avait tapée dans l’œil. Sans surprise, je n’ai pas compris grand-chose au roman de Clarke — mais j’avais dix ans. Cela nous ramène donc en un lointain passé…. c’est-à-dire en 1994. (1994, l’année de parution d’Amber d’Autechre, des Nourritures extraterrestres de René et Dona Sussan et des Quatre Fantastiques.) Par la suite, je l’ai relu, et ne l’ai apprécié que davantage.

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Chants de la Terre lointaine se déroule dans un futur lui aussi lointain. Les observations sont formelles, le Soleil va se transformer en nova. À l’aide de vaisseaux-inséminateurs, abritant dans leurs flancs de quoi fabriquer toute une population humaine, hommes et femmes essaiment sur quelques planètes, dont Thalassa. Quelques siècles plus tard, les colons de cette planète majoritairement recouverte d’eau (d’où son nom, bravo Sherlock) coulent une existence tranquille et insouciante. Jusqu’à ce qu’apparaisse dans le ciel le Magellan, dernier astronef à avoir quitté la Terre peu de temps avant son engloutissement par le Soleil agonisant. Les habitants de Thalassa vont être confrontés à deux bouleversements : le premier est le plus évident, il s’agit de l’arrivée potentielle d’un million de réfugiés, en hibernation au sein du Magellan ; quant au second… Disons, pour ne pas trop spoiler, que les colons n’ont pas prêté attention aux signes avant-coureurs en provenance de la faune des fonds marins.

Avec ces postulats, l’auteur de 2001, l’odyssée de l’espace avait de quoi pondre l’équivalent d’un thriller. Mais, comme contaminé par l’atmosphère placide de la planète océane qu’il décrit, Clarke conte à la place une histoire tranquille. Le roman pourrait s’avérer un pensum ennuyeux : ce n’est pas le cas, l’auteur a du métier et parvient à maintenir l’intérêt tout au long des pages. Un Clarke mineur mais loin d’être déplaisant.

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Venons-en à présent à Mike Oldfield. J’ai toujours eu un faible pour les premiers disques du musicien britannique : si Tubular Bells ne m’a jamais beaucoup parlé, ce n’est pas le cas de Ommadawn (1974), Hergest Ridge (1975) et Platinum (1979), dont les repiquages sur cassettes ont tourné en boucle sur l’autoradio familial quand j’étais gamin. Sans oublier Incantations (1978) et ses quatre faces occupées chacune par un morceau d’un seul tenant, qui me plaisent particulièrement dans le genre. Il y a donc un indéniable aspect nostalgique dans mon goût pour Oldfield, goût qui a bien survécu au passage des années : portés par des atmosphères brumeuses et évocatrices, ces albums me plaisent toujours autant. Le Mike Oldfield des années suivantes, plus orienté vers la confection de pop-songs m’a bien moins intéressé. Jusqu’à ce que je découvre bien tardivement que l’Anglais avait sorti un disque intitulé Songs of Distant Earth en 1994 – soit la même année où je découvrais du haut de mes dix ans, le roman de Clarke. Évidemment, cela lui vaut d’emblée une place dans cet Abécédaire désolant.

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Première réaction à l’écoute : c’est quoi cette soupe new age ? Où se cache l’auteur de Hergest Ridge, d’Ommadawn ou d’ Incantations ? Où sont les ambiances brumeuses ? Certes, depuis le début des années 80, Oldfield a changé d’approche musicale, proposant des chansons pop – comme « Moonlight Shadows » et « To France » – aux côtés de morceaux-fleuve occupant toute la face d’un vinyle. Ce Songs… arrive après une série de disques faisant la part belle aux chansons pop (sur pression de sa maison de disques, si j’ai bien suivi), après l’étonnant (et anti-commercial) Amarok (1990) et l’honorable Tubular Bells II (1992). Un album qui, avec son approche plus synthétique qu’analogique, picote un peu les oreilles – du moins, celles du navrant auteur de ces lignes.

Une voix filtrée qui énonce des extraits de la Genèse ou qui rappellent Apollo XI (« In The Beginning » et « Let There Be Light »), des chœurs éthérés très world music (partout), d'horripilantes cornemuses triomphantes sur « Magellan »… et surtout, des boîtes à rythme pas très inspirées et de vilains synthés dont les sonorités ont bien mal vieilli. Certains parmi vous se rappellent peut-être d’Adiemus de Karl Jenkins (mais si, rien que pour cette chanson, parue justement en cette même 1994 et ayant fait le tour du monde grâce à la pub de Delta Airlines). Songs of Distant Earth se situe dans cette lignée new-age-isante, avec un petit côté Vangelis (dont j’évoquais le dernier album en date par ici), mais enchaîne hélas les clichés musicaux.

De temps à autre, on tombe sur un titre qui aurait pu faire une bonne chanson, mais avec des arrangements différents : c’est le cas de « Oceania » ou « Ascension », où Oldfield rappelle qu’il sait composer de beaux morceaux de guitare. Un peu plus loin, « Tubular World » rappelle (forcément) Tubular Bells ; ce n’est pas désagréable. Mais à tout prendre, le trop court morceau final, « A New Beginning », rend un bel hommage aux chants tribaux polynésiens. L’ensemble de l’album se montre narratif dans la progression, même si les liens avec le roman de Clarke apparaissent plus que ténu en fin de compte.Par rapport aux albums de la première période d’Oldfield, où les couches sonores se superposaient jusqu’à un rendu brumeux et envoûtant, celui-ci repose beaucoup sur les seuls synthés. L’ambiance s’y fait beaucoup plus aérée – voire un peu vide, et assez peu science-fictive. e principal défaut reste que les mélodies sont assez peu inspirées et se complaisent dans une certaine mièvrerie. C’est sucré, inoffensif, mais ne supporte guère l’écoute répétée.

On ne doute pas de la sincérité de Mike Oldfield par rapport au roman de Clarke – un auteur auquel le musicien rendait déjà hommage dans Tubular Bells II avec le morceau « Sentinel », référence à la nouvelle ayant fourni le point de départ de 2001, l’odyssée de l’espace. Un album mineur ? Peut-être. Qu’importe : Arthur C. Clarke a apprécié, comme il s’en explique dans les notes du livret. C’est déjà ça.

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Introuvable : non
Inécoutable : aïe
Inoubliable : gné

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