Ultime roman de Stanislas Lem, Fiasco voit l'auteur de Solaris revenir aux thématiques du premier contact extraterrestre et de l'impossibilité de la communication. Un roman-somme, passablement pessimiste… malheureusement desservi par une traduction calamiteuse.
Fiasco [Fiasko], roman de Stanislas traduit [massacré] du polonais par Roger Lanquetin. Calmann-Lévy, 1988 [1986], 260 pp.
On approche de la fin de l’exploration de la bibliographie de Stanislas Lem – Solaris ne sera pas abordé dans le cadre de ce navrant Abécédaire, votre serviteur n’estimant ne pas avoir grand-chose à dire sur ce roman qui n’ait déjà été dit ; Le Congrès de futurologie et les aventures d’Ijon Tichy feront l’objet d’un billet à part ; les recueils de contes seront abordés en leur temps, tout comme les romans autobiographiques. Du coup, reformulons : on approche de la fin de l’exploration de la bibliographie romanesque de Stanislas Lem. Et avec Fiasco, l’un de ses derniers romans parus, l’écrivain polonais revient à une thématique déjà abordé par le passé (notamment dans Solaris, La Voix du maître, L’Invincible) : celle du premier contact.
Les cinquante premières pages de Fiasco emmènent le lecteur sur Titan : les humains ont établi plusieurs bases sur le satellite de Saturne. Le jeune Parvis, tout juste débarqué sur Titan, se voit confié la mission de partir à la recherche d’un de ses collègues ayant disparu, Pirx. Ce dernier est un personnage créé par Stanislas Lem en 1966 ; ce cadet de l’espace est le héros de dix nouvelles et novellas (parues d’abord en Lituanie en 1966, puis en Pologne en 1968, et en Angleterre au tournant des années 80 ; l’ensemble — à l'exception de la nouvelle « Vol de Patrouille » in anthologie Autres mondes, autres mers (1970) — demeure inédit en français). Parvis s’embarque donc à bord d’un Diglator, un exosquelette géant – cf. les jaegers de Pacific Rim – et arpente les terres inhospitalières du satellite. S’il retrouve le Diglator de Pirx, il échoue toutefois à retrouver le corps du pilote, et finit lui-même par être victime d’une avalanche.
Quelques siècles plus tard, le vaisseau spatial Euridyce, passant au large de Titan, récupère les corps congelés de toutes ces personnes ayant disparu dans les chaos gelés de Titan. Deux corps sont en suffisamment bon état pour être revivifiés, mais un seul pourra l’être effectivement : s’agit-il de Pirx ou de Parvis ? Une fois réveillé, l’intéressé lui-même l’ignorera. Qu’importe : renommé Tempe, l’ancien pilote participe au voyage de l’Euridyce en direction du trou noir Hadès, dont les propriétés gravitationnelles seront mises à profit pour lancer un vaisseau plus petit, l’Hermès, pour un voyage de cinq années-lumière en un temps minimal. L’objectif de l’équipage est de foncer en direction de la planète Quinta, dans le système Zêta de la Harpie : des signaux d’origine extraterrestre y ont été détectés – des signaux qui pourraient bien correspondre à des explosions thermonucléaires, et pas question de traîner en chemin, de peur que les émetteurs desdits signaux s’annihilent entretemps.
L’Hermès arrive donc en vue de Quinta. Drôle de planète, cernée par un anneau de débris de glace d’origine artificielle, et dont les émissions radio consistent en bruit blanc. Et qui refuse obstinément tout contact. Pourtant, la civilisation habitant Quinta semble intelligente, et avoir atteint un stade technologique lui donnant accès à l’espace. L’équipage de l’Hermès arrive à la conclusion que les Quintains sont plongés dans un état de guerre froide des plus frigorifiants : aucun des belligérants ne bouge, de peur de donner un avantage à l’autre. Les humains s’impatientent, et, agacés, décident d’employer de grands moyens pour forcer les extraterrestres à communiquer. À savoir, détruire la lune de Quinta (bam). En voilà, une manifestation de force. Mais l’effet obtenu ne s’avère pas celui escompté, les débris du satellite tombant sur la planète suite à un déséquilibre dans l’explosion causé par l’un des camps. Finalement, et avant que l’Hermès ne se résolve à employer des moyens encore plus puissants, Quinta accepte la demande de contact.
Cet ouvrage se situe un peu à part dans la bibliographie de Lem : il s’agit ici de son seul (a priori) roman de commande, à destination de son éditeur allemand, alors que Lem était en exil à Berlin-Ouest (il reviendra en Pologne en 1988). Quoi qu’il en soit, l’écrivain ne change pas son fusil d’épaule et Fiasco condense plusieurs thématiques, abordées régulièrement dans ses précédents romans : l’impossibilité de la communication entre humains et aliens (Człowiek z Marsa, Solaris, La Voix du maître), le peuple extraterrestre coincé dans une guerre sans fin, impossible à gagner (L’Invincible), avec pour résultat un monde dévasté par les conflits (Feu Vénus, Eden). Lem estimait-il avoir tout dit ? À l’exception d’un ultime roman mettant en scène le personnage récurrent d’Ijon Tichy, Pokój na Ziemi (Paix sur Terre) en 1987, l’auteur polonais cessera ensuite d’écrire des fictions. (Edit : l’ultime roman en question est bien Fiasco, dont l’écriture remonte à 1985 ; Pokój na Ziemi a une date de rédaction antérieure.)
Fiasco s’avère un roman assez peu satisfaisant, bancal dans sa structure : les cent premières pages consacrées aux personnages de Parvis puis de Tempe n’ont qu’un intérêt mineur au vu de la suite. S’agissait-il de clore les aventures de Pirx ? Les cent dernières pages sont les plus intéressantes, mais pâtissent de personnages falots (à peine se souvient-on d’Arago, religieux embarqué à bord de l’Euridyce, qui ponctue toutes ses phrases de locutions latines), de longues pages de réflexions. Mais les idées demeurant intéressantes, voire brillantes au sujet du paradoxe de Fermi et du devenir des civilisations technologiques, et l’on pardonne à Lem ces manques narratifs et romanesques.
Là où, en revanche, le roman pèche méchamment — et s'avère, pour le coup, un fiasco complet —, c’est du côté de la traduction. Celle-ci a été commise par un certain Roger Lanquetin, qui ne semble pas avoir idée qu’il traduisait un texte de science-fiction. Et dans science-fiction, il y a science.
Florilège :
• « Egzosquelette » (calque du polonais « egzoszkielet ») au lieu d’exosquelette
• « Egzobiologie » au lieu d’exobiologie
• « vaisseau maternel » au lieu de « vaisseau mère »
• « Antropic principale » au lieu de « principe anthropique »
• « réaction caténaire » au lieu de « réaction en chaîne »
• « d’étoiles refroidies en nains noirs » : j’imagine qu’il voulait parler de naines brunes
• « mezozoïque » ou « memozoïque » au lieu de « mésozoïque »
La parution française date de 1988, soit cinq ans avant la naissance du web tel qu’on le connaît actuellement, et onze ans avant Wikipédia. Il n’empêche : trouver de telles bourdes a quelque chose d’assez étrange, comme si personne dans l’équipe éditoriale avait oublié de faire son boulot. Dès lors que le texte devient technique, la traduction vire à la catastrophe, ce qui résulte en des paragraphes illisibles. Remarquez, il s’en dégage une certaine incommunicabilité toute lemienne…
Introuvable : non
Illisible : oui, la faute à la traduction
Inoubliable : presque