Le livre électronique : bilan des premières expériences et projets pour l'avenir.
Quels projets nos éditeurs ont-ils dans le domaine du livre électronique ? Et pour ceux qui ont déjà un pied dans le numérique, quel bilan peuvent-ils faire de cette expérience ? Quelle part le numérique représente-t-il dans la vente d'un titre ? Le fait qu'un livre soit disponible en numérique a-t-il un effet, positif ou négatif, sur les ventes de la version papier ? Ressentent-ils les effets d'un éventuel piratage ?
En bref
Pour conclure ce dossier sur l'avènement livre électronique, il est temps de faire, avec les quelques éditeurs de notre pool qui se sont déjà essayé au numérique, un bilan de ces premières expériences. Sans surprise, les éditeurs ayant déjà publié en numérique sont pour la plupart des indépendants et/ou des structures de petite taille, qui disposent d'une importante marge de manoeuvre et d'une plus grande réactivité. La plupart signalent que les ventes numériques, comparées aux ventes physiques, sont marginales, à l'exception flagrante de notre éditeur québécois. Les fichiers proposés sans DRM, qu'ils soient vendus ou offerts temporairement à titre publicitaire sont ceux qui ont le plus de succès et peuvent parfois, en provoquant le buzz, encourager les ventes de la version papier, même s'il est « toujours difficile d’évaluer précisément quelle cause a eu quel effet dans un résultat global ». Aucun ne signale une chute drastique des ventes après la mise à disposition d'un livre numérique, signe d'un éventuel piratage, même si, comme tous le signalent, le piratage concernera probablement les best-sellers des grosses maisons d'édition.
Pour ce qui est de parler de leurs projets, peu nombreux sont les éditeurs à déclarer n'en avoir pas au moins l'embryon du début de l'idée, même si quelques-uns avouent ne pas l'envisager du tout. A nouveau, il y a rupture entre grosses maisons d'éditions, dépendant de structures comme la nouvelle plateforme Eden, souvent citée, et plus petits éditeurs qui disposent d'une plus grande liberté. Nombreux sont ceux qui disent désireux de se lancer dans le numérique, et pour qui les projets sont à l'étude ou les lancements imminents. Il y a fort à parier qu'on entendra à nouveau parler des projets dans ce domaine au cours des semaines et des mois à venir, et notamment celui du Bélial', que l'on vous expose en détail à la fin de cet article.
Alors, 2010, l'année du livre électronique ? Tous les éléments sont en place...
Quel bilan faites-vous de vos premières expériences dans le numérique ?
Pour le moment les ventes de PDF sont marginales (sur mon site). Une quarantaine en un an. Je suis incapable de faire le lien entre la
disponibilité d'un titre en pdf et ses conséquences sur la vente du livre papier. Pour le piratage, non, à l'échelle où cela
se situe chez moi, c'est impossible. Mais il est évident qu'à une plus grande échelle, cela devient un souci majeur à la fois pour
l'éditeur et pour l'auteur. Une version PDF peut être dupliquée gratuitement et diffusée. Il faudra forcément un recours
contre cette duplication pour assurer les droits des créateurs.
La Horde du Contrevent est en format numérique depuis longtemps. Bilan : quelques téléchargements, avec l'impression que les lecteurs
s'attendent à obtenir le numérique pour une bouchée de pain. Et ça pose problème, s'ils ne comptent pas acheter le livre
papier. Sur le marché français, il n'y quasi pas de vente de livres numériques, il est trop tôt pour évaluer quelque chose.
Cinq ans et demi après y avoir mis pied, et malgré la crise qui a failli nous laminer, nous sommes toujours convaincu d'avoir pris le bon
chemin. Il semble bien, d'ailleurs, que le vrai décollage soit pour très bientôt. Chez nous, le numérique a été beaucoup
moins affecté par la crise que le papier, et représente actuellement 1/3 de notre CA, contre 10% en 2006. Enfin, la possibilité ouverte
l'année dernière d'acheter les livres numériques sans DRM directement sur notre site a tiré nos ventes vers le haut, mais sans
faire baisser celles de Mobipocket. Le fait qu'un exemplaire soit disponible en version numérique n'a pas affecté les ventes de la version
papier, car la clientèle n'est pas la même. Nous avions, au départ, mis en place un tarif privilégié pour ceux qui se
procureraient les deux versions. En un an et demi, ça n'a servi qu'une seule fois, pour un seul titre. Jusqu'ici, nous n'avons aucunement à
souffrir des effets d'un éventuel piratage. Mais nous ne sommes pas encore assez gros, je pense et nous n'avons pas de "super-best-seller" genre
"Harry Potter" au catalogue. Tandis qu'un certain pourcentage des livres papier expédiés par la Poste n'arrivent jamais à leur
destinataire, ce qui nous coûte certainement plus cher que l'hypothétique manque à gagner du piratage (car je ne doute pas que le nombre
de lecteurs par exemplaire numérique soit légèrement supérieur à 1).
Au moment d'écrire ces lignes, c'est-à-dire au début de janvier 2010, le numérique est bien évidemment la partie congrue de
nos ventes. Je lisais, hier matin, que le dernier Marc Lévy aurait vendu 140 exemplaires en format numérique pour le temps des Fêtes en
France. Ce qui est loin de ce qui se passe actuellement en anglosaxonie avec près de 50% des ventes de Dan Brown sur des supports numériques
! Avec une seule librairie en ligne au Québec, à savoir "jelis.ca", Alire a, comme éditeur, tout de même vendu à l'automne
2009 (la plateforme a ouvert ses portes le 26 août) près de 400 livres numériques (nous y offrons pour l'instant une quarantaine de
titres). Ce qui est pas mal puisque bien peu de gens ont des lecteurs numériques au Québec. Par contre, il s'en est certainement trouvé
pas mal sous les sapins puisque nous avons fait une soixantaine de ventes entre le 25 et le 31 décembre). Alors je pense au jour où tout le
monde aura son lecteur numérique comme iil a actuellement son téléphone portable, et il sera temps de se refaire un petit sondage sur
l'état de l'édition numérique et la pertinence d'offrir des contenus pour ce support !
On a commencé l’année dernière avec les textes de poésie de la collection VO.X, qu’on a offert au
téléchargement au format PDF sur notre site. Evidemment, il est toujours difficile d’évaluer précisément quelle cause a
eu quel effet dans un résultat global. Le fait est que c’est une collection de poésie qui, en ventes pures, a dépassé nos
espérances et, très largement, les ventes moyennes du secteur poésie. Pour nous, c’est un vrai succès et on pense que cette
diffusion gratuite n’y est pas étrangère.
Le livre numérique gratuit comme outil de promotion, c’est le même principe que les lectures publiques, voire les prépublications
de bandes dessinées dans les magazines, où on a une BD pour le prix du journal : les ventes ne baissent pas pour autant. Il n’y a rien
de plus piratable qu’un livre : on peut le prêter, le donner, le lire à voix haute, le photocopier, un livre circule. Nous sommes face
aux mêmes peurs irrationnelles que celles suscitées en leur temps par l’apparition du livre de poche ou du livre à 10 francs.
Plus récemment, on a lancé une application iPhone, qui propose gratuitement – et temporairement - le roman « jPod » de
Douglas Coupland en intégralité. Les retours qu’on a eu pour le moment sont excellents, beaucoup de lecteurs nous ont dit : «
C’est super, merci, du coup j’achète le roman. » On n’est pas des espèces de littéraires éthérés
qui vivent dans un monde de nuages et qui claquent la bise aux bisounours le matin. On achètes des textes, on les fait corriger, composer, tout
ça coûte de l’argent, on ne cherche pas à tout donner gratuitement après. Pour l’instant, le numérique gratuit tel
qu’on l’utilise est un outil de promotion pour le papier, rôle qu’il remplit parfaitement. Sur « jPod », on est
aujourd’hui quasiment à l’épuisement du premier tirage, un écoulement comme on n’en a jamais vu pour les romans de
Coupland. C’est un bilan très positif, et je pense que l’existence de l’application iPhone y est vraiment pour quelque chose.
Quel sont les projets de votre maison d'édition / groupe éditorial ?
Aucun. Griffe d'Encre s'est bâtie autour de l'envie de créer des objets-livres dont l'aspect serait aussi important que le contenu. Nous
comptons donc rester fidèles au papier. Mais si l'occasion se présentait d'établir un partenariat avec un éditeur numérique,
nous offririons volontiers cette chance supplémentaire de se faire connaître à nos livres et nos auteurs.
Chez Ailleurs & Demain comme au Livre de Poche, il n'y en a pas. De toute façon, cela se décidera au niveau de la maison d'édition,
voire du groupe. Je ne suis donc pas concerné.
Folio SF étant une collection de poche, les droits d'exploitation de 95% (en gros) des ouvrages qui y sont publiés ne nous appartiennent pas.
Ils nous sont cédés par des éditeurs tiers et c'est eux, le cas échéant, qui auront les droits numériques sur ces
ouvrages et pourront les proposer à la vente. Donc, désolé, je botte un peu en touche, mais...
Pour l'instant, c'est seulement à l'étude. Cela dit, Orbit est un label SFF prestigieux et très réactif, attentif aux
différentes évolutions du livre et de son économie. Nul doute donc que le label se positionnera logiquement et concrètement le
moment venu. Pour ma part, je suis partisane pour qu'on avance sur cette réflexion.
J'ai lu et Pygmalion sont deux maisons du groupe Flammarion, lequel collabore avec Gallimard et Le Seuil/La Martinière pour mettre en place une
plateforme de diffusion numérique, appelée EDEN. Elle est déjà fonctionnelle et propose un certains nombre d'œuvres en version
numérique. Le lecteur ne peut pas s'y connecter directement pour télécharger des textes, mais il peut commander par le biais d'un
libraire. A terme, le but est de mettre en ligne une version numérique de chacun des livres qui sortent dans l'une ou l'autre des maisons du
groupe, mais nous n'en sommes pas encore là.
Denoël étant filiale à 100% du groupe Gallimard, toute l'activité livre électronique de Denoël, et donc de Lunes d'encre,
est liée à la plateforme commune Gallimard/Flammarion/La Martinière qui se met en place actuellement, avec un modèle
économique qui a le bon goût de « protéger » la librairie traditionnelle (mais que je ne connais pas encore dans les
détails). J'ai assisté à une réunion « livre électronique » que j'avais personnellement provoquée, au terme de
laquelle il m'a semblé : « urgent d'attendre ». Le modèle économique que je suis obligé de proposer à mes auteurs se
heurte actuellement à leur volonté d'avoir des droits électroniques de l'ordre de 33%, ce qui est impossible car le modèle
Gallimard/Flammarion/La Martinière a été conçu pour 14% de droits d'auteur maximum, d'après les données en ma possession.
Comme à un niveau qui me dépasse les discussions et les réflexions ne sont pas achevées, sans même parler de la
difficulté que représente la loi Lang sur le prix unique du livre qui n'a pas anticipé la révolution numérique, toute action
concrète me semble prématurée et je regrette d'autant plus les lettres qui ont été envoyées à certains auteurs de
Lunes d'encre et ont provoqué un mini-psychodrame à la mi-novembre 2009 dont je me serais bien passé.
Vu notre situation, c'est à dire minuscule éditeur qui visant un public particulier, pour l'instant, nous n'avons aucun projet. Mais je pense
qu'un jour ou l'autre nous mettrons des fichiers à disposition du public. Pour l'instant, nous pouvons donner/vendre un fichier .PDF aux personnes
qui nous le réclament. Mais il y en a très peu : 3 ou 4 demandes en 2009. Et nous avons donné le fichier en échange de l'achat du
livre papier.
On y pense, on y songe, ce serait bien. En gros, on y pense de plus en plus mais il n'y a rien de vraiment concret pour l'instant. Mais ouvrir ce
dossier est un objectif à court terme. Et tout se fera avec l'accord des auteurs bien évidemment.
On va continuer à utiliser notre application iPhone, qui permet énormément de choses, à des fins promotionnels. Ce que nous avons
fait avec « jPod », c’était pour promouvoir une nouveauté. Mais on peut aussi s’en servir pour redonner vie aux titres
du fonds qui ont disparus des rayons des librairies, en republiant ces contenus de manière gratuite, recréer un intérêt pour ces
livres et renvoyer les lecteurs en librairie. On peut aussi imaginer publier des extraits d’un roman ou des nouvelles d’un recueil de
manière hebdomadaire ou mensuelle. Beaucoup de choses sont possibles, et on compte bien se servir de cette période où beaucoup de choses
se passent pour expérimenter.
Pour ce qui est des livres numériques payants, ça se fera un jour, mais pour l’instant il faut susciter l’intérêt du
public. Donner pour recevoir.
Pour la mise en numérique de La Horde du Contrevent, c'est un ami qui s'en est chargé. Il a aussi envie de vraiment apporter quelque chose
avec le numérique, faire apparaître le signet pour voir les blasons et savoir qui s'exprime, apporter de la musique et que sais-je. Parce que
ça c'est intéressant, que de pouvoir créer quelque chose de nouveau avec un nouveau support, pourvu que ça ne soit pas du gadget,
mais que cela enrichisse la littérature. Finalement avec nos expériences de Bande Originale de Livre ou de dvd, nous sommes prêts à
accompagner un auteur, s'il en a l'envie, sur un complément numérique. Nous verrons lorsque cela se présentera, en tout cas pour la
vente de livres numériques, nous attendrons que la situation sur le marché se soit un peu éclaircie.
Pour les Moutons électriques, nous sommes sur le point de signer avec un e-distributeur pour certains de nos titres.
Nous avons plusieurs projets dans le cadre de la dématérialisation de notre activité. Mais, bien entendu, nous ne possédons que peu
de moyens financiers pour pouvoir les mettre en oeuvre. En 2010, si nous arrivons à réunir les fonds nécessaires, nous pourrons lancer
un premier site/univers pilote en ligne qui viendra étendre de manière importante certains de nos livres publiés. Les utilisateurs
pourront alors enrichir et participer directement aux univers et aux histoires de ces romans. D'autres projets sont en phase de conception ou de
pré-production mais nous sommes très attentifs aux modifications rapides des usages et aux discussions en cours entre les partenaires de la
chaîne du livre concernant le sujet. Enfin, nous discutons activement avec nos partenaires historiques afin de trouver les bonnes voies. Je suis
convaincu aussi que ces mutation ne pourront être vécues par les petits et moyens éditeurs qu'en groupe, en s'associant et en mettant en
commun les difficultés et les risques, les idées et les efforts.
Quelques mots sur l'aspect encore rudimentaire de ce qu'on peut proposer en numérique. Outre le format pdf, qui transpose la mise en page du livre
au lecteur, le format qui semble vouloir se généraliser, c'est le epub. Mais on ne peut pas encore produire grand-chose d'intelligent avec ce
format. D'autant que le résultat n'est parfois pas le même si vous le lisez sur un iPod ou un SonyReader, par exemple. Certes, le texte est
là (mais trop souvent les italiques ou les caractères engraissés, sans oublier les petites capitales, disparaissent, ce qui est
drôlement chiant quand on lit certains romans, qui en deviennent carrément illisibles), mais il y a plus que le texte dans un livre : il y a
aussi une mise en pages, un sens de la présentation, bref un confort de lecture que, pour l'instant, on ne peut retrouver avec le format epub,
dont la seule fonction pratique est d'ajuster à sa guise la grosseur du caractère. Enfin, un vrai dernier mot pour dire que ce que permettra
dans un avenir pas trop lointain le lecteur numérique, ce sera de pouvoir enfin travailler avec de l'hypertexte. Et là, ça risque de
perturber pas mal le monde du livre papier, voire même l'écriture tout court. Pour ma part, comme je me coltine avec l'hypertexte depuis 1986
(j'ai comme qui dirait commencé au berceau !), j'ai vraiment très, très hâte de tenir dans mes mains une plateforme adaptée
à ce genre de contenu. La véritable révolution numérique commencera à ce moment-là !
Clément
Et pour finir, parlons du livre numérique au Bélial'. Le sujet nous passionne et nous sommes convaincus, Olivier et moi, que c'est le moment
de se lancer : si le marché du livre électronique en est à ses balbutiements, c'est moins la faute des lecteurs qui tardent à s'y
mettre que des éditeurs, pour la plupart frileux, qui y vont à reculons. Nous aimerions pouvoir diffuser nous-mêmes, via le site du
Bélial', les livres de la maison, la revue Bifrost, voire de d'autres choses au format numérique, afin d'offrir à nos lecteurs le
meilleur service possible.
Nous prévoyons de lancer à moyen terme une plateforme de vente de livres électroniques directement via le site belial.fr, avec plus
plusieurs point-clés :
-
des prix raisonnables, inférieurs à ceux des livres papiers, mais avec la possibilité pour le lecteur de fixer lui-même le prix
du livre s'il veut donner plus pour encourager l'auteur et la maison d'édition ;
-
la possibilité d'acheter, à la pièce, des nouvelles issues d'un numéro de Bifrost ou d'un recueil édité au
Bélial' ou, à un tarif avantageux, le recueil entier ;
-
un compte utilisateur permettant, une fois le livre numérique acheté, de télécharger le fichier dans le format
désiré, mais aussi de télécharger à nouveau un fichier au besoin, voire de l'obtenir dans un autre format pour le lire sur
un autre support ;
-
des conditions équitables pour les auteurs publiés, qui toucheront sur chaque vente un pourcentage qui reste à définir, mais
qui sera de toute façon supérieur à celui du livre du papier, les coûts de production et de diffusion étant réduits ;
-
et surtout, enfin, des fichiers "bios" garantis sans DRM, pour permettre à nos lecteurs de lire sur le support et dans les conditions de leurs
choix, sans contrainte technique.
Il s'agit, bien entendu, d'informations données à titre indicatif, d'un idéal de ce que nous aimerions proposer. Mais le diffuseur du
Bélial' ayant également son mot à dire, il se peut que tout cela soit amené à évoluer. Dans tous les cas, on vous tient
au courant...