Demain les livres

Landernau |

2010, l'année du livre électronique en France ? De nombreux indices semblent l'indiquer : multiplication des modèles de liseuses électroniques, lancement de nouvelles plateformes de téléchargement, implication des géants sur secteur Internet, projets de législation... Et pourtant, force est de constater qu'en France, personne ou presque ne lit au format numérique. La technologie est prête, mais il manque maintenant encore le plus important : le contenu, autrement dit les livres. Parce qu'ils sont ceux qui feront le livre de demain, le blog Bifrost vous propose durant toute la semaine un tour d'horizon des principaux éditeurs d'imaginaire francophones, des petits indépendants à ceux qui dépendent de grands groupes éditoriaux : leur intérêt (ou désintérêt) pour le sujet, leur connaissance (ou ignorance) en la matière, leurs craintes, leurs espoirs, leurs idées, leurs attentes...

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Ont participé à cette enquête :

  • Jean-Luc Blary, des éditions Eons et de la revue Lunatique ;
  • Magali Duez, pour les éditions Griffe d'Encre ;
  • Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d'Encre (Denoël) ;
  • Mathias Echenay, pour les éditions La Volte ;
  • Thibaud Eliroff, éditeur chez Pygmalion et directeur de la collection J'ai Lu SF ;
  • Olivier Girard, du Bélial', qui édite notamment la revue Bifrost et le présent blog ;
  • Pascal Godbillon, directeur de la collection Folio SF ;
  • Gérard Klein, directeur des collections Ailleurs & Demain (Robert Laffont) et Livre de Poche SF ;
  • Bénédicte Lombardo, directrice des collections Rendez-vous Ailleurs (Fleuve Noir) et Pocket SF ;
  • Menolly, pour les éditions Griffe d'Encre ;
  • Audrey Petit, éditrice chez Orbit (Hachette) et directrice de la collection Livre de Poche Fantasy ;
  • Jean Pettigrew, des éditions Alire et de la revue Solaris ;
  • Charles Recoursé, éditeur aux éditions du Diable Vauvert ;
  • André-François Ruaud, des éditions Les Moutons Électriques ;
  • Jacques Séval, pour les éditions Interkeltia ;
  • Julien Vignial, commercial aux éditions du Diable Vauvert ;
  • Jérôme Vincent, pour les éditions ActuSF ;
  • Philippe Ward, des éditions Rivière Blanche ;
  • et Frédéric Weil, directeur du développement chez Mnémos.

N'ont pas souhaité participer à cette enquête les éditions L'Atalante, Bragelonne/Milady, Calmann-Levy, Octobre.

1. Le point de vue personnel, en tant que le lecteur, des éditeurs au sujet du livre électronique.

Ont-ils déjà eu une liseuse électronique moderne entre les mains ? Si oui, quel a été leur sentiment ? Peut-être en possèdent-ils une ? Et dans ce cas, quel usage en font-ils ? Dans le cas contraire, envisage-t-il d'en acheter une ?

En bref : Lorsqu'on parle du livre électronique autour de soi, on s'entend souvent répondre : « Jamais je ne pourrai lire un livre sur écran, ça fait mal aux yeux. » La plupart des gens ignorent que les liseuses modernes utilisent une interface en papier électronique qui offre un confort de lecture très proche de celui du véritable papier. La première question, plutôt personnelle, visait donc à sonder nos éditeurs pour évaluer leurs connaissances sur le sujet. Il s'avère que la plupart savent de quoi ils parlent et qu'ils ont presque eu tous eu une liseuse entre les mains.

Sur les dix-huit éditeurs interrogés, seuls trois possèdent aujourd'hui une liseuse électronique dont ils font un usage strictement professionnel. Trois de plus envisagent d'en faire l'achat prochainement, mettant en avant les avantages de l'appareil dans le cadre de leur activité, encore une fois, professionnelle. La plupart des autres sont curieux de l'objet et se tiennent au courant de l'évolution de la technologie, mais attendent soit une baisse de prix des machines, soit un élargissement de l'offre de livres au format numérique, soit de nouvelles fonctionnalités. Si la plupart sont partagés entre l'aspect pratique du livre numérique et leur amour pour le papier ou l'objet livre, rares sont ceux qui se déclarent totalement opposés au principe.

Le détail des réponses

2. Le point de vue professionnel des éditeurs sur la place du livre électronique dans le marché du livre.

Quel pourrait-être la place du numérique dans le marché du livre ? Est-il un outil de promotion ou un support véritablement nouveau ? Est-il une menace ou un atout pour la lecture et pour le métier d'éditeur ? Comment ce métier va-t-il être amené à évoluer face à la révolution du numérique ? Le livre papier va-t-il, à terme, disparaître totalement au profit du format électronique ?

En bref : Entrons dans le coeur du sujet et demandons à nos éditeurs et directeurs de collection leur point de vue professionnel sur le sujet, au-delà de leur intérêt personnel pour le livre numérique.

Nombreux sont les éditeurs qui réservent leur pronostic ou prennent des gants : si bouleversement il doit y avoir, ce n'est pas pour tout de suite, et les éléments manquent pour faire plus que tirer des plans sur la comète. Pour d'autres au contraire, c'est dès aujourd'hui qu'il faut s'y préparer, pour éviter de répéter les erreurs de l'industrie du disque et en subir les conséquences. Pour beaucoup, le numérique séduirait dans un premier temps les consommateurs de livres techniques, le secteur de l'éducation, les jeunes et les adeptes de nouvelles technologies. Pour quelques-uns, il s'agit d'un outil de promotion formidable, pour d'autres, un nouveau support à part entière dont l'avenir est inéluctable, pour quelques-uns, le moyen d'inventer peut-être une nouvelle forme de littérature interactive et plus "fun".

Au sujet de l'évolution de leur métier, les avis sont très partagés, ce qui n'est pas étonnant pour une profession aussi protéiforme, très différente selon si l'on est un petit indépendant ou acteur d'un grand groupe : certains se préparent à un véritable bouleversement du métier, d'autres s'attendent à ce que ces changements affectent d'autres maillons de la chaîne du livre : fabrication, distribution, vente, etc. Un seul point sur lequel ils sont tous d'accord : quel que soit le visage du marché du livre d'ici à ce que le livre numérique y soit véritablement implanté, on aura toujours besoin, entre l'auteur et le lecteur, de passeurs d'ouvrage, autrement dit eux, les éditeurs...

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3. La question de la réévaluation des droits d'auteur dans le cadre du livre numérique.

En novembre dernier, un groupe d'auteurs, réunis au sein d'un collectif intitulé Le Droit du Serf, lançait un appel incitant les auteurs à refuser tout avenant de contrat concernant la vente de leurs livres au format numérique. La raison ? La proportion des droits d'auteur, identique à celle pratiquée pour le livre papier, jugée comme relevant de la « spoliation » alors même « qu'il n'y a pas de distribution, que le coût de la diffusion devrait être très faible et que l'essentiel du boulot éditorial est déjà effectué », écrivait Ayerdhal. Quel est le point de vue de nos éditeurs sur cette polémique ?


On ne pouvait pas manquer l'occasion de ce dossier pour donner la possibilité aux éditeurs de s'expliquer sur cette polémique qui a brièvement secoué la sphère SF à l'automne dernier. Toutefois, nombreux sont les éditeurs qui, employés de grands groupes dont les aspects purement pécuniaires dépendent de service commerciaux, et qui n'ont pas de pouvoir sur ces questions. Il me semble que « personne ne cherche à "arnaquer" qui que ce soit, ou à se faire un maximum de bénéfices sur le dos des auteurs » et tous s'accordent sur le fait que si la vente d'un livre numérique permet de dégager plus de bénéfices, c'est l'auteur qui doit bénéficier de cette plus value. Certains arguent que s'ils sont forcés de pratiquer ces pourcentages, c'est surtout le fait de grands groupes de distribution qui, craignant de devenir dispensable dans le cadre du numérique, leur imposent de reprendre le modèle économique du livre papier pour ne pas avoir à renoncer le « tas d'or » sur lequel ils sont assis.

Si l'on s'en tient au graphique ci-dessous, la vente d'un livre numérique, par exemple, directement depuis le site de l'éditeur permettrait, en théorie, d'économiser plus de 50 % du coût d'un livre (part détaillant + part diffuseur/distributeur + une partie de la part fabrication). Mais est-ce aussi simple ? Il faut signaler qu'au jour d'aujourd'hui, la TVA sur la vente de livre numérique est toujours de 19,6 %, ce qui engloutit aisément la part distribution/diffusion. Par ailleurs, nombreux sont les éditeurs qui signalent que la fabrication et la diffusion d'un livre, tout immatériel qu'il soit, a quand même un coût, coût qui est mal connu aujourd'hui. Économiser la part détaillant signifierait aussi se passer du libraire, ce qui peut paraître évident du point de vue technique, mais peut aussi déranger dans un pays très attaché à son réseau de librairies indépendantes, protégé depuis près de 30 ans par la loi Lang.

En définitive, la problématique des droits d'auteurs n'est que le sommet d'un iceberg qui cache un véritable flou juridique et de nombreux autres problèmes, malgré les préconisations du rapport Zelnik. Quelle sera la part des droits d'auteurs dans le cadre d'une vente numérique ? Mais aussi, quelle sera la durée de cession de droits d'un livre numérique devenu par définition inépuisable ? Pour en arriver à un nouveau modèle quoi soit à la fois équitable pour les auteurs et économiquement viable pour les autres acteurs de la chaîne, il faudra en passer par la résolution de ces problèmes.

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4. Le livre électronique : bilan des premières expériences et projets pour l'avenir.

Quels projets nos éditeurs ont-ils dans le domaine du livre électronique ? Et pour ceux qui ont déjà un pied dans le numérique, quel bilan peuvent-ils faire de cette expérience ? Quelle part le numérique représente-t-il dans la vente d'un titre ? Le fait qu'un livre soit disponible en numérique a-t-il un effet, positif ou négatif, sur les ventes de la version papier ? Ressentent-ils les effets d'un éventuel piratage ?

Pour conclure ce dossier sur l'avènement livre électronique, il est temps de faire, avec les quelques éditeurs de notre pool qui se sont déjà essayé au numérique, un bilan de ces premières expériences. Sans surprise, les éditeurs ayant déjà publié en numérique sont pour la plupart des indépendants et/ou des structures de petite taille, qui disposent d'une importante marge de manoeuvre et d'une plus grande réactivité. La plupart signalent que les ventes numériques, comparés aux ventes physiques, sont marginales, à l'exception flagrante de notre éditeur québécois. Les fichiers proposés sans DRM, qu'ils soient vendus ou offert temporairement à titre publicitaire sont ceux qui ont le plus de succès et peuvent parfois, en provoquant le buzz, encourager les ventes de la version papier, même s'il est « toujours difficile d’évaluer précisément quelle cause a eu quel effet dans un résultat global ». Aucun ne signale une chute drastique des ventes après la mise à disposition d'un livre numérique, signe d'un éventuel piratage, même si, comme tous le signalent, le piratage concernera probablement les best-seller des grosses maisons d'édition.

Pour ce qui est de parler de leurs projets, peu nombreux sont les éditeurs à déclarer n'en avoir pas au moins l'embryon du début de l'idée, même si quelques-uns avoue ne pas l'envisager du tout. A nouveau, il y a rupture entre grosses maisons d'éditions, dépendant de structures comme la nouvelle plateforme Eden, souvent citée, et plus petits éditeurs qui disposent d'une plus grande liberté. Nombreux sont ceux qui disent désireux de se lancer dans le numérique, et pour qui les projets sont à l'étude ou les lancements imminents. Il y a fort à parier qu'on entendra à nouveau de projets dans ce domaine au cours des semaines et des mois à venir, et notamment celui du Bélial', que l'on vous expose en détail à la fin de cet article.

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Alors, 2010, l'année du livre électronique ? Tous les éléments sont en place...

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