Le point de vue professionnel des éditeurs sur la place du livre électronique dans le marché du livre.
Quel pourrait-être la place du numérique dans le marché du livre ? Est-il un outil de promotion ou un support véritablement
nouveau ? Est-il une menace ou un atout pour la lecture et pour le métier d'éditeur ? Comment ce métier va-t-il être amené
à évoluer face à la révolution du numérique ? Le livre papier va-t-il, à terme, disparaître totalement au profit
du format électronique ?
En bref
Entrons dans le coeur du sujet et demandons à nos éditeurs et directeurs de collections leur point de vue professionnel sur le sujet,
au-delà de leur intérêt personnel pour le livre numérique.
Nombreux sont les éditeurs qui réservent leur pronostic ou prennent des gants : si bouleversement il doit y avoir, ce n'est pas pour tout
de suite, et les éléments manquent pour faire plus que tirer des plans sur la comète. Pour d'autres au contraire, c'est dès
aujourd'hui qu'il faut s'y préparer, pour éviter de répéter les erreurs de l'industrie du disque et en subir les
conséquences. Pour beaucoup, le numérique séduirait dans un premier temps les consommateurs de livres techniques, le secteur de
l'éducation, les jeunes et les adeptes de nouvelles technologies. Pour quelques-uns, il s'agit d'un outil de promotion formidable, pour
d'autres, un nouveau support à part entière dont l'avenir est inéluctable, pour quelques-uns, le moyen d'inventer peut-être une
nouvelle forme de littérature interactive et plus "fun".
Au sujet de l'évolution de leur métier, les avis sont très partagés, ce qui n'est pas étonnant pour une profession aussi
protéiforme, très différente selon si l'on est un petit indépendant ou acteur d'un grand groupe : certains se préparent
à un véritable bouleversement du métier, d'autres s'attendent à ce que ces changements affectent d'autres maillons de la
chaîne du livre : fabrication, distribution, vente, etc. Un seul point sur lequel ils sont tous d'accord : quel que soit le visage du
marché du livre d'ici à ce que le livre numérique y soit véritablement implanté, on aura toujours besoin, entre l'auteur
et le lecteur, de passeurs d'ouvrage, autrement dit eux, les éditeurs...
Quelle place pourrait avoir le format numérique dans le marché du livre ?
Il est beaucoup trop tôt pour en décider. La place sera à mon avis marginale au moins dans les cinq ans à venir. Rien
n'est fixé, ni la technique, ni les conditions de cession, ni même la fiscalité. Alors…
Cela fait plusieurs années que l'on annonce l'avènement de l'e-book et on n’en voit pas encore tant que ça. Mais il y a de
grande chance qu'il prenne une place de plus en plus importante, dans un monde ou tout doit être plus compact, high tech... Une menace ou
un atout, difficile à dire. Tout dépend de l’angle du virage et de la façon dont nous le prendrons.
C’est difficile à dire et je pense que ça va énormément fluctuer en fonction des domaines. J’imagine que pour
tout ce qui est livres techniques et encyclopédiques, le parascolaire, ce genre de domaines, le livre électronique représentera
sans doute à terme une part du marché non négligeable, notamment du fait des fonctions hypertexte que permettent certaines
liseuses. Dans ces secteurs, ou l’affectif quant au texte et à l’objet contenant sont minimes, ça devrait beaucoup se
développer. Pour la littérature, c’est sans doute différent ; la pénétration du livre électronique sera
moindre à mon sens. Mais nous verrons.
Le livre numérique est, à l'instar de la TV vs le cinéma ou d'Internet vs les journaux, un média de plus. Il a ses plus et des
moins comparativement au livre papier. Il séduira principalement ceux qui n'achètent un livre que pour le lire et non comme un objet. Les
autres, collectionneurs et amateurs de choses concrètes, continueront à se procurer les éditions papier. Les plus malins feront les
deux : un livre papier pour la collection, un numérique pour le lire sans l'abîmer.
Je pense qu'à plus ou moins brève échéance, le livre numérique fera partie de notre environnement quotidien. Ce
marché se développera d'autant plus que le prix des liseuses (et/ou appareil servant à lire de manière confortable : futurs
smartphones, futurs consoles de jeu portables...) baissera. Et cela ne se fera qu'à condition d'avoir une offre légale au moins identique
à celle que l'on pourrait trouver dans toute bonne librairie. Et il serait assez logique que le poche en pâtisse en premier lieu.
Maintenant, je ne me sens pas menacé pour autant. Mon métier va évoluer mais pas disparaître. Il faudra des passeurs
d'ouvrages. Que ces ouvrages soient lus sur papier bible ou sur papier électronique ne changera rien à l'affaire, à mon sens.
Je ne sais rien, je suis les événements, les risques sont forts pour perturber le fragile équilibre de la chaîne du livre, pour
tous les acteurs, et particulièrement pour les libraires. Or si ceux-ci trinquent, la diversité de l'offre, sa présence (une des
forces en France) en pâtiront et en conséquence éditeurs, et auteurs, donc les lecteurs. D'un autre côté, pour des
éditeurs et des auteurs, cela peut être très stimulant de créer des oeuvres, des objets, mélangeant les media, pourvu que
cela fasse sens.
Je pense que l'e-book serait extrêmement pratique pour tout ce qui est documentation technique, journaux, et surtout manuels scolaires.
Peut-être qu'un jour les enfants arrêteront de transporter des cartables de plusieurs kilos. Dans le marché du livre, je ne sais
pas. Je pense que les générations qui ont appris à lire dans des livres classiques gardent un attachement très fort au papier.
Tourner les pages, toucher le papier, plus ou moins lisse, plus ou moins bouffant, plus ou moins fin, soupeser un livre, regarder la largeur de sa
tranche et savourer à l'avance le nombre d'heures qu'on va passer dessus, changer de format... Ca participe au plaisir de lecture.
La place du numérique dans le marché du livre va être de plus en plus importante. Ce n’est pas un hasard si beaucoup
d’éditeurs de livres à usage professionnels (sciences humaines, technique) vendent leur e-book plus cher que le livre papier. On a
une fonction de recherche dans le texte qui est une énorme plus-value pour cet usage, mais qui ne l’est pas pour un roman. Le livre
électronique est à mon avis une évolution qui se développera plus vite en presse et en livres techniques/scientifiques
qu’en roman. Mais ça viendra aussi pour le roman : même s’il y a pour l’instant en France un rapport quasiment sensuel
au papier et au livre, que j’entretiens aussi, il ne faut pas se leurrer. A 28 ans, ça ne me paraît pas absurde de lire sur
écran, mais demandez à jeune de 18 ans s’il a un rapport physique avec son livre, il vous répondra « non, je m’en
fous ». Il ne faut pas avoir peur de ce qui arrive, c’est juste une question d’adaptation.
Selon moi, le grand basculement interviendra sans doute avec l'école. Un jour peut-être, les liseuses seront un atout pour éviter de
trop charger les cartables des gamins, soulageant leurs épaules et leurs dos. Ils auront ainsi tout le temps sur eux tous leur manuels
scolaires et leurs cahiers. Voilà de quoi sans doute les habituer à lire essentiellement sur des liseuses. Une fois qu'ils auront lu les
livres obligatoires en cours de français sur ces supports, il leur sera sans doute naturel d'acheter ensuite d'autres livres plus personnels
sur ces tablettes. En tout cas ils en auront sans doute beaucoup plus l'habitude que les lecteurs d'aujourd'hui que nous sommes. Là on ne
parlera pas plus d'aspects pratiques pour des férus de technologie mais bien de réflexes pour les générations à venir.
Le numérique est un nouveau support que les éditeurs auraient bien tort de bouder, ne serait-ce que parce qu'il offre au livre une autre
vie. Si le numérique permet de toucher un plus large lectorat que ne le fait actuellement le livre papier, on ne peut que s'en réjouir.
Tout ceci est très nouveau pour notre génération, mais les futurs lecteurs grandiront avec l'idée que le livre peut être
aussi interactif et fun qu'un jeu vidéo ou un DVD. Cette approche pourrait les séduire plus que ne le fait le livre papier aujourd'hui,
et facilitera sans doute le travail des instituteurs qui luttent en permanence pour intéresser les jeunes à la lecture.
Ma boule de cristal est cassée (en fait, je n'en ai jamais eue). Ce qui me paraît évident c'est que le livre électronique va
rapidement prendre des parts de marché en SF ; le lectorat est sensible au progrès technologique, très équipé,
gadgetophile par essence et le livre électronique va au-delà du gadget... Je ne vois pas l'arrivée du livre électronique comme
une « menace », mais plutôt comme une « révolution » qu'il faut prendre dans le bon sens (et si possible pas en
pleine poire). On a le temps, 4, 5 ans devant nous à mon humble avis (c'est les mêmes 4, 5 années de retard que nous avons par
rapport au marché nord-américain), avant que le marché n'évolue vraiment. Je suis effaré par notre retard "français",
et quand je dis "notre" je parle de celui de la profession dans son ensemble. Mais bon, qu'espérer d'autre du pays du minitel ?
Pour le moment, il n'y a pas d'enjeux économiques pour les auteurs et je suis convaincu qu'un auteur a plus à gagner à mettre gratuitement son texte à disposition en format pdf ou epub, qu'à le mettre sur une plateforme où il ne sera pas téléchargé ou alors de façon tout à fait marginale. La mise à disposition gratuite c'est de la promotion, une façon d'« entrer dans la danse » qui ne coûte rien ou presque. Évidemment dans cinq ans, quand le parc de liseuses et autres téléphones portables conçus aussi pour lire du texte sera immense, les enjeux apparaîtront vraiment. Ce qui est à craindre c'est que si on décourage les gens à acheter du texte (fichiers trop chers) durant les cinq prochaines années, on n'arrive plus ensuite à faire reculer l'idée « texte immatériel/texte gratuit ». L'offre gratuite c'est bien, mais elle doit être le plus vite possible accompagnée d'une offre payante « abordable », car le vrai problème de la révolution numérique, c'est la rémunération des auteurs. Problème qu'on ne règlera en aucun cas avec des DRM.
Le business model du livre est en pleine mutation. Comme le CD audio, le livre avec 10 ans de retard va péricliter. Je connais une maison
d'édition de CD (musique) qui voit ses ventes fondre. En 2 mois d'été dans leur boutique, aucune personne de moins de 40 ans n'est
rentrée. Les CD ne sont achetés aujourd'hui que par les "vieux". De la même façon, les livres sont principalement achetés
par une clientèle âgée. Les jeunes ne lisent plus. Et quand ils lisent, c'est sur internet. Les distributeurs et diffuseurs et
libraires vont beaucoup souffrir, mais les éditeurs, même s'ils seront moins exposés à la disparition du livre papier, vont
également se retrouver dans la tourmente, surtout face à des auteurs armés pour commercialiser eux-mêmes leurs oeuvres sur
internet. Les gros éditeurs auront la capacité, s'ils sont assez souples, de modifier leurs produits (livre) pour en faire de vrais
produits électroniques, qui ne seront pas seulement une version pdf, mais une oeuvre multimédia avec de l'hypertexte, de la vidéo,
du graphisme 2D, 3D, des jeux, de la musique, tout cela greffé intelligemment autour du texte. Est-ce que la disparition des frais
d'impression et des frais de distribution permettra aux petits éditeurs de proposer des produits aussi riches ? Le pari n'est pas gagné.
Ça va surtout modifier les pratiques éditoriales consistant à sortir toute la production sur papier, qui créent un énorme flux
aller-retour de livres pour un taux de vente aléatoire; le numérique peut limiter un gaspillage potentiel et optimiser le taux de lecture. De
notre coté, nous allons adapter les textes à chaque support : certains véritablement destinés à une publication
dématérialisée, d’autres qui continueront à être publiés sur papier. Au Diable Vauvert, nous ne nous fixons pas de
règles, ce sera au cas par cas.
Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. Je ne crois pas en tout cas que cela nuira forcément aux livres papiers et ni à notre
métier, j'espère qu'on aura toujours besoin d'éditeurs dans ce monde… En fait, je crois que c'est un outil de plus pour la
lecture, qui peut devenir complémentaire. Après tout, si des gens ont envie de lire sur écran, ça ne m'étonne pas au vu de
nos pratiques contemporaines et ça ne me choque pas le moins du monde. C'est une autre façon de lire. Je pense à la presse. Moi qui
ait horreur de lire des journaux, je me surprends à lire des news et des articles sur mes applications Iphone. Je ne trouve pas ça d'un
confort extraordinaire mais je préfère cette mini-lecture plutôt que d'avoir un journal en main. Chacun son truc. Et surtout, je
reste persuadée, peut-être à tort, que les gens aimeront toujours les livres, les objets, j'entends. En ce qui me concerne, je crois
pouvoir dire que je ne pourrai jamais m'en passer.
Je pense que le livre électronique va prendre une place de plus en plus prépondérante de le marché du livre. Et ce sera plus
une remise en cause de tous les métiers du livre que de celui d'éditeur, auteur, imprimeur, éditeur, bibliothécaire, diffuseur,
distributeurs, libraires. Tous nous serons obligés de nous adapter, autant y réfléchir maintenant. Est-ce un atout ? Je crois que
c'est encore trop tôt pour le dire,mais de toute façon il arrivera et il faudra s'y adapter, alors il faut y réfléchir dès
aujourd'hui.
Pour faire connaître, un peu, des auteurs, ou des oeuvres, le numérique peut être une opportunité de promotion, mais je crois
que le myspace des livres ne me fait pas rêver, c'est un mythe pour le disque. Cela va être un énorme bazar, dans lequel certains
tireront peut-être leur épingle du jeu, des nouveaux acteurs, pas nécessairement des éditeurs. A suivre de près parce que
si c'est pour voir apparaître des "directeurs de contenu" qui cherchent à alimenter les tuyaux de la telephonie, cela ne profitera pas
à grand monde.
En quoi cette révolution va-t-elle affecter le métier d'éditeur ?
Il s'agit d'une évolution de la profession d'éditeur, c'est tout. Cela pourra peut-être constituer un nouvel atout, en tout cas je
ne vois pas quelle menace cela constituerait pour les maisons d'éditions qui ne publient pas elles-mêmes de format de poche. Car le poche
est peut-être menacé — mais ça n'a rien de nouveau et d'ores et déjà les conditions du marché britannique
depuis la fin de l'accord sur le prix unique font que le poche a disparu presque complètement du territoire anglais. Pour les éditeurs de
grand format, et à plus forte raison de beaux livres, je suppose simplement que nous apprendront à nous diversifier et à exploiter
d'autres supports.
Que la création se poursuive, quel qu'en soit le format, que le bon travail éditorial ne soit pas délaissé, parce qu'être
éditeur c'est choisir, influer sur l'oeuvre, échanger, corriger, traduire, la faire connaître, la protéger, la vendre, tout
cela est aussi affaire de conviction, et d'attente de l'auteur vis à vis de l'éditeur.
Ce qui est sûr, c'est que les choses vont simplement changer. Par exemple, en Bande Dessinée, Soleil ou Dargaud adaptent désormais
leurs BD pour qu'ils soient lisibles sur IPhone. Les ventes étant non négligeables, ils y font de plus en plus attention avec des
conséquences sur le travail éditorial. Vu l'écran de l'Iphone, nous aurons sans doute moins de grandes cases prenant tout une page
par exemple (j'extrapole, je n'ai pas d'exemples précis). Ce que je veux dire, c'est que l'avènement des liseuses va changer non
seulement l'économie du livre mais peut-être également le travail d'éditeur. Dans quel sens ? Il faut attendre de voir si les
habitudes de lecture évoluent. Peut-être qu'on se rendra compte que seuls les romans très courts, ou illustrés seront les plus
téléchargés. Peut-être que ce sera aussi le renouveau des feuilletons avec un épisode se chargeant automatiqument chaque
mois sur votre tablette...
Ca va forcément modifier énormément de choses. Je pense que ce n’est ni un atout, ni une menace, c’est juste une
réalité à laquelle on peut choisir de s’adapter ou non. Si on continue à faire du livre papier sans rien changer au
modèle économique, on va subir exactement le même sort que les labels musicaux en ce moment. Mais on peut aussi imaginer une
économie où le papier deviendrait un objet plus luxueux, qui viendrait en complément, pour le plaisir d’un bel objet ou de son
contenu. On parle beaucoup d’une « crise de la lecture » en ce moment, ce qui est assez vrai. Cela dit, avoir peur du
numérique et se retrancher dans une position qui voudrait que la littérature soit indissociable du papier, c’est risquer de
s’aliéner toute une population qui n’aura bientôt plus grand-chose à faire du papier. Si, en tant qu’éditeur,
notre but est de publier des textes quel que soit le support et qu’ils soient lus, on n’a pas intérêt à avoir peur, on a
intérêt à s’adapter.
D'une manière générale, je suis donc très favorable au livre numérique. Une évolution logique du livre, même
si celle-ci se fera sans doute sur la durée. D'un point de vue professionnel, je pense que toutes les structures d'édition
françaises devraient équiper et former leurs employés ; c'est par exemple ce qu'ils ont fait chez Hachette Book Group USA, avec
succès. Je crois que les éditeurs devraient se préparer sérieusement à ces transitions, anticiper plutôt que de
subir. Je ne les vois pas comme une menace pour le métier, mais plutôt comme une redistribution des contraintes, et la
possibilité de repenser le livre, sa production, le rapport que nous entretenons à la lecture. Du point de vue du travail
éditorial, ça ne changera pas grand chose, les romans auront toujours besoin d'être triés, édités,
travaillés, corrigés, support papier ou non. Je préconise d'ailleurs de conserver une ou plusieurs lectures papier, dont on sait
à quel point elles sont irremplaçables pour traquer les coquilles. En revanche, l'arrivée du e-livre risque de bouleverser le
métier des imprimeurs (le faire disparaître, en fait) ainsi que celui de toutes les personnes qui travaillent dans ce qu'on appelle
le service fabrication des maisons d'édition.
Globalement c’est une vraie chance à saisir. Plus il y a de manière de vendre de l’écrit, mieux c’est pour tout le
monde : auteurs, lecteurs et éditeurs. C’est du plus, certainement pas du moins. Surtout pour la forme courte — nouvelles et
novellas —, qui peine en France à trouver des supports. C’est aussi l’occasion pour les littératures de genre, riches
d’un fonds considérable, et à une époque ou les grands groupes abandonnement précisément toute politique de fonds,
de remettre à disposition des lecteurs l’histoire littéraire du domaine. Pour un genre comme la science-fiction, qui se construit
sur son histoire, c’est une opportunité unique. Et ça va en tout cas nous forcer à davantage encore soigner les livres «
physiques », le côté objet, ce qui là aussi est une bonne nouvelle.
Pour un éditeur moyen en taille, indépendant, comme Mnémos, il est très difficile d'envisager ce que pourra être son
métier dans quelques années. Irons-nous vers un renforcement du contact entre les auteurs et le public par une rematérialisation non
pas de l'objet mais de la performance (succès actuel des lectures publiques à comparer au renouveau des concerts, importance des
dédicace, des festivals, de l'aspect "auteur sur la route"). Nous mettons en place une utilisation accrue des outils du web, plutôt, pour
le moment, pour accroître la visibilité des titres et des auteurs que nous défendons. Aurons-nous un système amélioré
de financement (co-production) de livres par les lecteurs, avec un partage des revenus entre les les lecteurs "co-éditeurs", l'éditeur et
l'auteur ? Aurons-nous rejoins une de ces plateformes en ligne d'auto-édition en cours d'élaboration ? Sony propose déjà un
système équivalent. Ainsi qu'Amazon. Quid de Microsoft ?
Si j'étais un simple publieur (car il faut faire la distinction entre publieur (publisher) et éditeur (editor), distinction qu'on oublie
trop souvent en francophonie), peut-être que je m'inquiéterais beaucoup plus. Et à vrai dire, les "publishers" étatsuniens sont
pas mal sur le qui-vive, actuellement, et on les comprend. Mais pour un éditeur dans le sens francophone du terme, peu importe le support
puisque, lui, il est là pour épauler l'auteur à produire un contenu de plus haute qualité, "et ensuite" pour faire
connaître ce contenu à un public cible. Grâce au livre numérique, l'éditeur que je suis pourra donc plus facilement
débusquer et se rendre jusqu'à ces clientèles lointaines qui, actuellement, me coûte une fortune lorsque je veux leur
expédier nos livres papier. En numérique, la distance n'a plus d'importance, et en ce sens, pour parler des revues que j'édite,
à savoir Alibis et Solaris, c'est déjà commencé : plusieurs de nos lecteurs achètent seulement notre support
numérique (version pdf semblable à la version papier, si ce n'est que le tout est en couleur).
Dans la chaîne du livre, ce ne sont ni les auteurs ni les éditeurs qui verront leur métier fondamentalement changer. Tout au plus
les seconds devront-ils procéder à quelques ajustements. En revanche, les diffuseurs, et plus encore les libraires, sont à l'aube
d'une révolution, qu'ils doivent accomplir s'ils ne veulent pas passer à côté du sujet. Evidemment, tout ceci reste soumis
à la demande du lectorat, dont seule une extrême minorité est équipée de liseuses. L'évolution de la chaîne du
livre passe nécessairement par la démocratisation et la généralisation du matériel. Nous n'y sommes pas encore...
Le livre papier à l'ancienne va-t-il disparaître ?
L'arrivée du livre électronique est inévitable, et pas à éviter, d'ailleurs. C'est une évolution logique. J'imagine
que les deux formats pourraient coexister, au moins un temps. L'objet livre demeure attachant : odeurs, bruits, toucher, toutes choses dont est
dépourvu le livre numérique. Nul doute aussi que ça va redistribuer la carte éditoriale, la façon de penser tel ou tel
livre. On peut ainsi imaginer que le livre papier redeviendra quelque chose comme un objet de luxe, rare. L'opportunité pour certains livres
de (re)sortir de l'indifférenciation où les a plongé l'arrivée de la machine à écrire puis de l'ordinateur ?
Peut-être.
Le livre électronique, c'est un ajout à l'offre. Pas plus, pas moins. Le livre papier va continuer son petit bonhomme de chemin, mais
je crois qu'il y aura tout doucement une épuration des parutions de ce côté. Il y aura donc, éventuellement, des textes qui
ne seront publiés que sur le marché électronique, d'autres uniquement sur le marché papier, et une grande majorité sur
les deux marchés. Mais le nouveau support ne tuera pas l'autre. Ne serait-ce que parce que le bon vieux livre en papier, malgré tout
ce qu'on en dit, est encore et toujours un produit de haute technologie. Et qu'en plus, tout le monde sait que, lorsqu'on en achète un, on
pourra encore le lire cinquante plus tard, du moins si on ne l'échappe pas dans son bain.
L'avènement des liseuses me semble inéluctable. La question c'est celle du délai. Il y a dix ans apparaissaient les
premières liseuses au salon du livre de Paris avec de grands débats sur l'avenir du livre. Les choses n'ont guère changé.
Evidemment la technologie progresse, mais à quelle vitesse va-t-elle pénétrer les habitudes des lecteurs ? Combien de temps
avant que cela ne change véritablement l'économie du livre ? Avons-nous 5 ans, 10 ans, 20 ans devant nous ? Et pas sûr qu'au
final les liseuses tuent le livre papier. Elles vont prendre des parts de marché, c'est certain, mais peut-être pas toutes les parts
de marchés. Après tout la télé n'a pas tué le cinéma et le téléchargement illégal sur le net non
plus.