C comme Cyberpunk

L'Abécédaire |

En attendant la sortie du Bifrost 96, consacré à William Gibson, on s'intéresse à une déclinaison inattendue du cyberpunk, version musicale. Le présent billet tend donc une oreille charitable vers Cyberpunk de Billy Idol, album si mal reçu qu'il força le chanteur à une traversée du désert de dix ans… Un quart de siècle après sa sortie, Cyberpunk reste-t-il si inécoutable qu'on le dit ?

Cyberpunk, Billy Idol (Chrysalis, 1993). 20 morceaux, 70 minutes.

Le dossier William Gibson du Bifrost 96 autorise de s’intéresser au cyberpunk sous toutes ses formes. Il est certain que le genre a connu une postérité notable au cinéma, avec l’influence inégalable de Blade Runner… mais aussi du côté musical.

Le terme « cyberpunk » provient lui-même d’une nouvelle d’un certain Bruce Bethke, récit relativement bref où il est question d’un garnement rebelle (pour le côté punk) adepte de l’informatique (pour le côté cyber). Paru en novembre 1983 dans les pages d’Amazing, « Cyberpunk » ne recèle guère d’autre intérêt que de signer l’apparition d’un terme ayant fait florès par la suite. En juillet 1984, Gibson mettra tout le monde d’accord avec Neuromancien ; en 1986, l’anthologie Mozart en verres miroirs est l’occasion pour une génération d’auteurs – Gibson mais aussi Bruce Sterling, Pat Cadigan, Rudy Rucker, Lewis Shiner ou Paul Di Filippo – de signaler leur goût commun pour une même esthétique. Évidemment, tout phénomène de mode est condamné à dépérir et à muter. Comme l’indiquait Gibson face à Larry McCaffery : « Sérieusement, je suis fatigué du phénomène. Il y a déjà de mauvaises imitations du cyberpunk, donc on sait que ça va ne faire que décliner. Tout ce qu’il s’est passé, c’est qu’une poignée d’œuvres d’une poignée de nouveaux auteurs ont atterri sur le bureau d’un éditeur en même temps. Celui-ci ne savait pas quoi faire de nous, alors on nous a collé cette étiquette. » Mais tout ceci n’est pas l’objet de ce billet – lisez plutôt le Bifrost 96.

Bref. Dix ans après la parution de la nouvelle de Bruce Bethke, un chanteur de punk-rock s’aliène l’essentiel de ses fans avec la sortie d’un album intitulé Cyberpunk. Ce chanteur, c’est Billy Idol. Ceux qui ont vécu et vibré dans les années 80 se souviennent sûrement de son Rebel Yell, et il faut avouer que son mélange de post-punk et de cold wave s'écoute encore bien, en dépit d'un aspect un brin daté. Billy Idol m'a toujours donné l'impression du gentil mauvais garçon : celui qui, en dépit de sa dégaine etde sa coiffure, est du genre à aider mamie à traverser la route. Ne comptant pas au rang des fans hardcore du chanteur, j’avoue par conséquent un certain faible pour ce disque, auréolé d’une réputation… disons pas très bonne. À vrai dire, c’est pire : l’accueil de Cyberpunk fut si mauvais qu’il fallut dix ans à Billy Idol pour remonter la pente et revenir avec un nouvel album. En 2006 encore, le magazine britannique Q le classait ainsi en 5e position des pires albums, juste après les albums solo de toutes les Spice Girls (normal) et le majeur brandi bien haut qu’est Metal Machine Music de Lou Reed (pas étonnant).

vol12-c-cover.jpg

Cyberpunk. Sérieusement : donner ce titre à un album nécessite une certaine dose d’inconscience ou bien des bollocks grosses comme ça, pour s’approprier ainsi le terme. À vrai dire, je trouve le sous-titre de Outside de David Bowie – « un hyper-cycle dramatique gothique non linéaire » – bien plus humble. Côté graphique, la pochette fait la part belle à de vilains bidouillages sur Photoshop, qui était sûrement le nec plus ultra en 1993. Bien sûr, dès 1994, c’était déjà daté. L’année 1993, c’était justement celle du retour de David Bowie avec le moyenasse Black Tie White Noise, celle où Depeche Mode donne une suite attendue à l’impeccable Violator avec le puissant Songs of Faith and Devotion, celle où Blur et les Smashing Pumpkins concrétisent les espoirs placés en Damon Albarn et Billy Corgan avec Modern Life is Rubblish et Siamese Dreams, idem d’ailleurs pour PJ Harvey avec son deuxième album Rid of Me. Mais 1993, c’est aussi l’année où Kate Bush s’éclipse aprèsThe Red Shoes et c’est l’année du dernier acte de Nirvana avecIn Utero ; au rang des premiers pas, c’est aussi l’année deSuede de… eh bien, de Suede, de Pablo Honey de Radiohead, Debut de Björk, d’Incunabula, le premier album d’Autechre. Bref : personne ne se souvient ou, pire, n’a envie de se souvenir de Cyberpunk.

Mais… Cyberpunk continue d’exister. Alors, comme on aime bien se faire mal dans ce désolant Abécédaire, on presse la touche « play » évidemment. Divisé en vingt pistes, l’album consiste en réalité en treize chansons entre lesquelles s’intercalent sept interludes. Le premier donne le ton. Sur un fond sonore bruitiste inquiet, une voix déformée entreprend d’informer l’auditeur du contexte – l’équivalent musical des cartons présentant la situation au début de Blade Runner.

« The future has imploded into the present. With no nuclear war, the new battlefields are people's minds and souls. Mega-corporations are the new governments. Computer generated info domains are the new frontiers. Though, there is better living between science and chemistry. We are all becoming slavebots. The computer is the new cool tool. Though we say, "All information shall be free," it is not. Information is power and currency of the virtual world we inhabit. So we mustn't trust authority. Cyberpunks are the true rebels. Cyber-culture is coming in under the radar. An unordinary society, an unholy alliance with the tech world, and a world of organized descent.
Welcome to the Cyber Corporation, Cyberpunk… »

Tiens, voilà qui me donne envie d’acoller le préfixe cyber à tout ce qui suit. Hé, c’est bien le thème, non ?

Cyber-basse grondante, cyber-rythmique cyber-travaillée, « Wasteland » associe les cyber-terrains vagues à celui des cyber-cerveaux plongés dans les cyber-réalités virtuelles – des cyber-terres incultes, cyber-littéralement, comme le cyber-indique le cyber-refrain « No religion at all ». Titre rentre-dedans, « Shock to the System » pourrait décrire les émeutes de Los Angeles en 1992 comme en 2092. En revanche, ce titre lancé en éclaireur comme premier single n’a pas eu l’effet escompté, celui (forcément) d’un choc auprès du public – flop très concret, quoi. Le clip consiste en la rencontre, pas forcément nécessaire, entre Tetsuo et Johnny Mnemonic.

« Tomorrow People » se montre plus apaisé, mais cette chanson riche en synthés ne parvient pas dans ses paroles («  A time warp scene / A sci-fy story / A dirt-coloured sky ») à retrouver la poésie de Gibson ou celle du Rocky Horror Picture Show. Le ciel gris comme une télé calée sur un émetteur hors-service possède plus de charme, Frank N. Furter aussi, désolé, Billy.

Commençant par une longue introduction déclamée par un pseudo-hypnotiseur à la voix faisant penser à un Barry White informatisé, « Adam In Chains » est une chanson mollassonne bien trop longue pour son propre bien. Tel Adam enchaîné, Billy Idol veut sa revanche ; tel un homme libre, l’auditeur peut très appuyer sur « skip » et ne s’en prive pas

Avec « Neuromancer », Billy Idol y va de son hommage au roman de Gibson, les paroles pouvant très bien décrire Case le hacker : «  I am neuromancer and I am trancing ». Quoique celui-ci serait plutôt en transe sur une piste de danse que dans le cyberespace. «  I’m out of my mind » déclare Billy Idol sur fond de synthés aigus dans « Power Junkie », et on veut bien le croire ; pour être sûr que l’on comprenne, le chanteur force la folie sur le refrain et sort les grosses guitares. « Love Labours On » est une power ballad pas des plus convaincantes.

Suit « Heroin », une curieuse reprise de la chanson du Velvet Underground dans laquelle s’intercalent les premiers vers du « Gloria (In Exelcis Deo) » de Patti Smith, chanson qui réinterprétait elle-même « Gloria » de Van Morrison. Il est certes amusant de voir, mutatis mutandis, le déplacement de vers d’une chanson à l’autre. Billy Idol n’apporte aucun matériau nouveau, mais propose une cover dopée aux amphétamines, totalement désinhibée. «  Shangri-la » part (naturellement) dans une ambiance orientalisante un brin clichéesque, mais bon, on n’est plus à ça près. La très électro «  Concrete Kingdom » s’évertue à… pas grand-chose. Suivent la suave « Venus » et la sautillante « Then The Night Comes ». Enfin, « Mother Dawn » offre une entraînante conclusion à Cyberpunk – un feu de bois et la chaleur humaine, en attendant l’aube, n’y a-t-il que ça de vrai ?

Qu’en retenir ? Le concept de l’album est vague – il s’agit de la description d’un monde futuriste, au bord de la violence, mais dans lequel les sentiments humains – l’amûûr – gardent leur importance vitale. Rien de nouveau sous le soleil, même caché par le ciel gris calé sur on-sait-quoi.

À vrai dire, le Cyberpunk de Billy Idol a sur moi le même effet qu’un film comme Thomas est amoureux, à savoir une œuvre plombée de défauts mais loin d’être horrible ou odieuse aux sens. Billy Idol a eu le mérite d’essayer autre chose. Côté cahier des charges, l’album fait la part belle au punk-rock avec des arrangements électro ; si ceux-ci datent fortement le disque, les mélodies restent agréables pas désagréables et mémorables, et ne méritent pas l’anathème dans lequel la postérité veut la jeter. Alors, fuck la postérité ?

Introuvable : mais si, en cherchant bien
Inécoutable : oui, non, je ne sais pas
Inoubliable : à sa manière

Haut de page