Dans son numéro 89, l'équipe de Bifrost s'était intéressée à l'œuvre de Nancy Kress, en faisant toutefois l'impasse sur les romans inédits en français. Raison pour laquelle, tardivement, on s'intéresse à An Alien Light, quatrième roman de l'autrice et première incursion dans la science-fiction sur la forme longue… Une planète étrangère, une colonie oubliée, des aliens interloqués : que pourrait-il se passer de mal ?
An Alien Light, Nancy Kress. Arbor House / Morrow (1988), 372 pp. GdF.
Dans le numéro 89 de Bifrost, le guide de lecture consacré à Nancy Kress a fait globalement l’impasse sur ses romans inédits en français. Sur la trentaine de romans que l’autrice a écrit, seuls une demi-douzaine a été traduite en français. Est-ce blâmable ? De ce que j’ai lu de Kress, une chose m’a paru sûre : la distance de la novella lui convient que celle du roman. Néanmoins, flânant dans les rayonnages Imaginaire de The Last Bookstore, gigantesque bouquiniste de Los Angeles, je suis tombé sur An Alien Light. Le titre était intriguant, l’illustration de couverture aussi. Alors pourquoi pas…
Lorsque paraît An Alien Light en 1988, Nancy Kress a déjà à son actif trois romans : Le Prince de l’aube, The Golden Grove et La Flûte ensorceleuse, relevant tous d’une sorte de fantasy, ainsi qu’un recueil, Trinity and Other Stories. Le présent roman est donc la première incursion de notre autrice dans la science-fiction sur la longue distance.
L’énigmatique premier chapitre nous présente des aliens, les Ged. À l’aide de leurs Esprits-Bibliothèques, ils poursuivent inlassablement un but : celui de comprendre ces créatures bipèdes hargneuses que sont les humains. Les humains sont à la source d’un insoluble paradoxe : attendu que les races sentientes aggressives s’autodétruisent avant de devenir spatiopérégrines, comment les humains ont-ils atteint les étoiles ?
Nous voici sur une planète, qui n’est de toute évidence pas la Terre — sinon, pourquoi le jour y durerait soixante-douze heures ? On y trouve une île, un endroit passablement radioactif depuis qu’un vaisseau humain s’y est écrasé il y a longtemps ; les survivants ont gagné le continent, ont fondé deux villes qui, au fil du temps, ont nourri une inimitié mutuelle. Jela, la Sparte de ce monde étranger ; Delysia la cité marchande. Et il y a le R’Frow, ce dôme où vivent les Ged et auprès duquel s’amassent des humains, dans l’espoir d’y pénétrer. Car les Ged laissent pénétrer, parfois, des humains, qui y sont nourris, logés, blanchis – mais dans quels buts ?
On suit Ayrys, jeune souffleuse de verre et proscrite qui, en chemin, rencontre Jehane. Ayrys fuit Delysia, Jehane vient de Jela : elles ne peuvent s’entendre mais une situation oblige Jehane à protéger Ayrys. Leurs chemins s’écartent à l’approche de R’Frow mais se rejoignent à nouveau à l’intérieur du Dôme… C’est là aussi que réside SuSu, une prostituée qui se prend d’amitié pour un géant albinos. Tandis que les tensions grandissent entre jelites et delysiens, les Ged continuent, imperturbablement, d’enseigner leurs connaissances aux humains. Calmes au possible, les Ged fonctionnent selon une logique différente et paradoxale aux yeux des humains : pourquoi leurs hôtes leur donnent-ils des armes tout en leur intimant de rester pacifiques ? À croire que la violence fait partie intégrante des humains, qui ne cessent de s’entretuer au fil d’escarmouches, leur principale crainte étant d’attirer l’attention de leurs hôtes. À vrai dire, comment ne pas devenir fous sous ce dôme à la lumière étrangère ? Et à qui faire confiance : aux ennemis jurés de l’autre tribu ou aux impénétrables aliens ?
Sur ces prémisses questionnant la nature humaine et la violence qui lui est/serait inhérente, An Alien Light avait de quoi proposer un roman passionnant… et le résultat m’a paru mitigé. Commençons par les points négatifs : la distance de prédilection de Nancy Kress est et reste la novella ; sur la distance du roman, l’intérêt se dilue au fil d’une intrigue peu palpitante et faisant de la rétention de sense of wonder. Bien que plusieurs chapitres se situent du point de vue des Ged, ces aliens demeurent faiblards pour ce qui est de la xénopensée ; j’ai surtout eu l’impression de voir quelques grands dadais désemparés par une bande de sales mioches turbulents (et meurtriers). Le contexte extérieur, à l’état d’esquisse, m’a laissé sur ma faim, tant pour ce qui est des humains que des autres aliens ; il faut également accepter l’idée que les humains soient les seuls créatures capables d’agressivité dans le cosmos. L’écosystème de cette planète étrangère n’est pas bien poussé lui non plus, mais c’est un moindre mal, l’essentiel de l’action se déroulant sous le dôme Ged.
Néanmoins, le roman comporte plusieurs éléments dignes d’intérêt : l’intrigue met en avant plusieurs personnages féminins forts et nuancés, Ayrys en premier lieu mais aussi SuSu, femme brisée mais résiliente. Jela la combattante tourmentée m’a paru un brin en deçà. Quant aux spécimens masculins, leur caractérisation est plus faible. L’ambiance est légèrement orientalisante – cela change des futurs mettant systématiquement en scène une civilisation spatiale anglo-saxonne ou, à tout le moins, occidentale. Ian R. MacLeod le fait avec davantage de bonheur dans Poumon vert, mais la tentative de Nancy Kress est valable. Les deux modèles de société gardent tout intérêt, en particulier la société guerrière de Jela où l’homosexualité, masculine comme féminine, est de mise ; les rapports hétérosexuels sont tabous s’ils dépassent la seule procréation. Cela dit, ces aspects-là demeurent diffus dans ce roman trop long pour son propre bien.
An Alien Light promet plus qu’il ne délivre, et reste un roman assez décevant. Tant pis. L’autrice a fait mieux depuis et on relira sans trop de réserves ses novellas.
Introuvable : seulement d’occasion
Illisible : non
Inoubliable : nope