Bienvenue dans un âge farouche, arpenté par des hommes et des femmes revenus à la barbarie et vivant dans des cavernes. Un monde où des dinosaures rôdent derrière chaque rocher, un monde où l’homme est un loup pour l’homme. Ou un singe. Bienvenue dans La Guerre du feu de demain. Bienvenue dans le monde de Yor, le chasseur du futur !
Yor, le chasseur du futur [Il Mondo di Yor], Anthony M. Dawson (1983). 220 minutes, couleurs.
Après la civilisation, que restera-t-il ? La barbarie ? C’est ce que semblait envisager le cinéma italien de science-fiction des années 80 : Enzo G. Castellari nous emmenait dès 1982 en l’an de grâce 2019 avec ses Nouveaux Barbares, tandis qu’en 1984 Lucio Fulci nous projetait quelques décennies plus loin avec 2072, les mercenaires du futur et que Bruno Mattei nous faisait découvrir Les Rats de Manhattan. Et en 1983, Anthony M. Dawson, alias Antonio Margheriti, nous… euh… Comment dire ?
Reprenons aux origines. En 1909, J.H. Rosny aîné publie La Guerre du feu et initie toute une tripotée de fantaisies préhistoriques. Soixante-cinq ans plus tardEn 1974, bravo, vous savez compter., le dessinateur argentin Juan Zanotto et le scénariste Ray Collins (alias Eugenio Zappatrio) se lançaient dans la publication de Henga el cazador, série de BD située dans un Néolithique fantaisiste.
Publiée et traduite en italien dès 1975, Henga est devenu Yor. Les choses auraient peut-être pu en rester là. Mais en 1982, John Milius a mis tout le monde d’accord avec Conan le barbare. Comme tout succès, celui-ci a engendré différents succédanés… dont, à sa manière, une adaptation de Yor.
Le réalisateur italien Anthony M. Dawson avait œuvré dans bon nombre de genres : la science-fiction (Le Vainqueur de l’espace,La Planète des hommes perdus), le péplum (Les Derniers Jours d’un empire), l’horreur ( La Vierge de Nuremberg), l’espionnage (Opération Goldman ), le western (Avec Django, la mort est là), le fantastique (Contronatura), l’adaptation de classiques de la littérature (Les Hauts de Hurlevent), l’érotique ( Les Mille et une nuits érotiques)… Alors pourquoi pas une fantaisie préhistorique ?
À l’origine envisagé comme une mini-série, Yor, le chasseur du futur, coproduction italo-turque, existe en fin de compte en trois versions : la version ciné italienne (98 minutes), la version destinée au marché américain (89 minutes)… et la version télévisée longue de 4 heures. Comme on aime bien se faire mal dans ce navrant Abécédaire, c’est bien entendu la version longue qu’on a regardée. Toutes trois sont auréolées d’une réputation de nanar intersidéral. Alors, voyons voir…
Lost in the world of past
In the echo of ancient blast Yor's world!
There is a man from future
A man of mystery Yor's world!
La suite ? Yor (Reb Brown), gambadant tranquillement à travers les montagnes, vient fort aimablement en aide à la jolie Ka-Laa (Corinne Cléry) et son mentor Pag (Luciano Pigozzi), quand ceux-ci sont attaqués par un dinosaure. À en juger par la queue hérissée de piques, c’est de toute évidence un stégosaure. Ah non : quand il se retourne, il a la trogne d’un tricératops. S’agirait-il donc de cet animal mythique dont tout paléontologue bourré a dû rêver, le stupéfiant stégocératops ???
Donc Yor fait des galipettes – roulade par ici, petit bond acrobatique par là – et massacre le stégoratops. S’abreuve à son sang, parce que, comme disait en substance un philosophe des siècles passés, ce que tu as tué te rends plus fort. Bref, dans la foulée, Yor a sauvé Ka-Laa. Invité du village d’où viennent Pag et la jeune femme, Yor ne se laisse pas attendrir pas cette dernière, il préfère boire et regarder les filles danser et s’interroger sur son passé (« Tu es le fils du feu tombé du ciel »).
Mais lorsqu’une horde d’individus hirsutes et simiesques, mené par le hirsute et simiesque Ucan (Aytekin Akkaya) entreprennent d’attaquer les villageois, visiblement dans le but de voler à Yor son mystérieux pendentif fait dans un non moins mystérieux métal, notre héros n’a d’autre choix que de fuir avec Ka-Laa et Pag.
Le trio va ainsi voler d’aventure en aventure. Yor, blondinet costaud ignorant tout de son passé, veut connaître la vérité à ce sujet. Raison pour laquelle il délaisse un temps ses compagnons pour aller rendre une visite de courtoisie à la reine Roa (Ayshe Gul), souveraine du peuple des sables, blondinette comme lui. Auraient-ils un lien de parenté ? Bon, le peuple n’est pas très sympa, à l’inverse de Roa. Accompagnant Yor, la reine se découvre une ennemie en la personne de Ka-Laa, pas très ravie de se découvrir une rivale. Aux yeux de Pag, ça passe, hein : osons la polygamie, affirme le vieil homme à demi-mots.
Pas de bol, Ucan et les siens débarquent, blessant Roa, qui meurt de façon pratique d’une bosse à la tête. Yor est un peu chagrin – « Perché mio dio? » s’écrie-t-il en levant les bras au ciel –, Ka-Laa un peu aussi. Pag est déçu, il n’y aura pas de plan à trois pour son ami Yor. Quand à Ucan, il est bien ennuyé, puisqu’il tombe dans une rivière et meurt aussitôt. L’eau, non seulement ça fait rouiller mais surtout ça tue.
Plus tard, le trio sauve quelques gamins d’un dimétrodon géant, et arrive dans un village côtier. Le chef du village est assez jouasse que sa fille Tanita, 16 ans à tout casser, n’ait pas péri et se propose de l’offrir à Yor. Ce dernier dirait pas non, Pag non plus (« Hé, la polygamie, tu sais… ») mais Ka-Laa n’est pas très chaude. Ce qui est chaud, ce sont les flammes qui détruisent le village : ses habitants ont eu la mauvaise idée de tuer un dieu – enfin, un type qui se faisait passer pour tel. Ni une ni deux, Yor, Pag et Ka-Laa embarquent à bord de la dernière barcasse du village, laissant les survivants pleurer parmi les ruines, et vont à la recherche du sanctuaire des dieux, quelque part au milieu de la mer.
C’est là que Yor, le chasseur du futur vire pleinement à la science-fiction, utilisant des tropes déjà vus mille fois : les derniers représentants d’une civilisation technologique vivent sur une île lointaine, sous la coupe d’un Leader Suprême et de ses androïdes. Bien entendu, il y a des rebelles. Bien entendu, les gentils se retrouvent entre eux et les méchants meurent. Fin. Bien entendu, vous ne verrez rien des soucoupes volantes que tente de vous vendre l’affiche internationale.
On connaît tous la différence entre navet et nanar. Le premier est raté et sans saveur, et ne suscite guère que l’ennui. Le second est raté mais d’une si belle manière qu’il divertit. Et à ce titre-là, Yor, le chasseur du futur en constitue un magnifique représentant. Tout dans ce téléfilm est foireux : l’eurodisco ridicule du générique, le charisme de bulot de Yor (imaginez que Rocky du Rocky Horror Picture Show s’essaie à devenir Conan), les dinosaures, la chauve-souris géante parachute, les combats mous, le scénario inconséquent, les plans qui tentent de masquer l’utilisation intensive d’un même décor sous différents angles, le montage qui ne s’embarrasse pas de scrupule à diffuser le même plan à dix secondes d’intervalle… En somme, il est impossible de conserver longtemps son sérieux. Évidemment, quand une telle partie de plaisir dure quatre heures (techniquement, un peu moins si l’on compte les longs génériques de fin et le long résumé des épisodes précédents).
Le sérieux, Yor n’en a que faire, et c’est cela qui contribue notamment à rendre le téléfilm sympathique. On en appréciera les bourdes — ah, ces pagnes en peau de bête qui manquent de laisser voir l’entrejambes des acteurs, ou ces tuniques qui crient « togliti i vestiti! ») – et les expressions inimitables de Reb Brown dans le rôle-titre.
On appréciera aussi les beaux paysages désertiques de la Cappadoce. L’affiche française signée Druillet a beau essayer de muscler le truc – des nichons, de la barbarie, des cités cyclopéennes –, Yor reste au ras des pâquerettes… même si l’on remarque un effort notable pour les deux dinosaures (ils sont grands). En revanche, le conseiller scientifique a été oublié au passage : avec bienveillance, on mettra tout cela sur le dos de la vilaine radioactivité qui baigne le continent où évoluent Yor, Ka-Laa et Pag. (D’ailleurs, en matière de radioactivité et de streumons, lisez la rubrique « Scientifiction » du Bifrost 93.)
Bref. Les temps sont durs, les temps sont moches, et on aurait tort de se priver d’une telle tranche de rire.