L comme Liquid Sky

L'Abécédaire |

Sex, drugs and new wave. On replonge dans une époque où l'on craignait moins la fin du monde et le sida, avec Liquid Sky, ovni cinématographique de Slava Tsukerman…

Liquid Sky, Slava Tsukerman (1982). Couleurs, 112 minutes.

À l’origine, je comptais évoquer pour cette lettre L un film soviétique post-apocalyptique, Lettres d’un homme mort. Faute de réussir à trouver dans une langue autre que celle de Brejnev, j’ai opté pour un film psychédélique américain : Liquid Sky. Après tout, l’affiche me semblait plutôt cool et j’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’un film de science-fiction au vague culte underground – les ingrédients parfaits pour figurer dans cet Abécédaire désolé et désolant. Son réalisateur, le cinéaste d’origine russe Slava Tsukerman, ne m’évoquait pas grand-chose : un coup d’œil à sa filmographie sur l’Imdb indique surtout qu’il a tourné des documentaires dans les années 70 et, après Liquid Sky, sorti au début des années 80, pas grand-chose – deux films de fiction et trois documentaires.

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La science-fiction, le film en annonce la couleur dès le début – un début fort coloré. Dans un ciel new-yorkais encore transpercé par les Twin Towers, une soucoupe volante (pas plus grande qu’une soupière) se pose sur le toit d’un penthouse habité par Margaret et Adrian.

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Les ET débarquent…

La première est mannequin, la seconde est une musicienne expérimentale se produisant dans les clubs undergrounds de la métropole. Margaret traîne parfois avec Jimmy, un autre mannequin, plutôt casse-pied et accro à la cocaïne (ou à l’héroïne – sous l’appellation liquid sky –, hein, il n’est pas difficile). Par ailleurs, la mère de Jimmy s’entiche d’un ufologiste allemand, Johan Hoffmann, venu étudier les phénomènes extraterrestres. Imposteur ou non, Hoffmann est peu intéressé par les charmes de la mère de Jimmy et préfère développer à la place une étrange théorie : les aliens sont présents sur Terre pour tirer leur énergie d’une molécule produite par les opiacés ou au moment de l’orgasme. Voilà qui expliquerait pourquoi les cadavres s’accumulent autour de Margaret… À la décharge de cette dernière, la plupart des types qui viennent la voir ne lui demandent pas vraiment son consentement et ne s’embarrassent pas vraiment non plus de savoir si elle a pris son pied (non).

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Margaret

En cette période marquée par le mouvement #metoo, c’est bien cet aspect-là qui choque : Margaret est violée, ou à tout le moins abusée, à plusieurs reprises – et pas que par des hommes. Cela, sans que cela pose trop de problème à quiconque. Le trauma viendra surtout des cadavres : merde, encore un mort sur le lit. La trajectoire de Margaret l'amènera à reprendre le contrôle sur sa vie et sa sexualité, contre tous ceux qui l'utilisent pour satisfaire leurs propres besoin. Si la jeune femme dispose d’un pouvoir bien particulier, elle n’en fera cependant pleinement usage qu’une seule fois, pour se venger. Drôle de personnage que Margaret, androgyne, bisexuelle (« Whether or not I like someone doesn't depend on what kind of genitals they have », déclare-t-elle), potentiellement asexuelle (elle ne montre aucun intérêt pour la bagatelle), victime puis vengeresse, à la langue acérée. Alien, presque, dans son rapport détaché au monde et à son corps. Ce n’est pas un hasard si son apparence – chevelure peroxydée et look ambigu – doit beaucoup à David Bowie, dont l’interprétationsous influence de Thomas Jerome Newton dans L’Homme tombé du ciel de feu Nicolas Roeg devait être à l’époque encore fraîche dans les mémoires. Margaret le revendique :

« And I am androgynous not less than David bowie himself. »

Ok, Bowie était un alien. Dans le rôle de Margaret, Anne Carlisle l'est aussi, et se montre impeccable. Accessoirement, elle joue aussi le personnage de Jimmy (androgynie, quand tu nous tiens…). Il est intéressant d’apprendre que l’actrice a publié une novélisation du film en 1987 (son unique roman, pour autant que je sache) ; néanmoins, n’ayant pas lu ce livre, je ne peux qu’en évoquer l’existence. Bref. Quant à la relation de Margaret aux aliens sur son propre toit, celle demeure-ci accessoire : longtemps, la mannequin n’a aucune idée de la présence d’une soucoupe volante posée sur son penthouse. En matière de premier contact raté, Liquid Sky se pose là : les extraterrestres sont là, eh bien, uniquement pour se défoncer.

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Jimmy et Margaret

De fait, l’aspect science-fictif du film s’avère mineur – une soucoupe volante dans sa forme la plus classique, pas vraiment de premier contact. Ce n’est pas E.T., l'extraterrestre ou Rencontre du 3e Type. Le spectateur ne verra des aliens que ce qu'ils voient, et à leur manière : une série de visuels colorés hautement psychédéliques…

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My God, it's full of colors!

Liquid Sky n’est pas Blade Runner non plus, même si les deux films sont sortis le même été 1982 : on est à New York ici et maintenant. L’intérêt de Slava Tsukerman réside ailleurs que dans la mise en scène d’aliens ou d’une métropole futuriste : ici, l’intérêt se situe dans la description d’un milieu new-yorkais, arty, branché, camé et surtout superficiel.

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Johan Hoffman

Le fim est-il le reflet de son époque ? En août 1982, quand Liquid Sky sort sur les écrans américains, le VIH n’est (pour autant que je sache) pas encore identifié en tant que tel : à tout le moins suppose-t-on qu’un agent infectieux pourrait être la cause d’une série de décès dans la région de Los Angeles. Imaginer que Liquid Sky représente une métaphore du sida est une hypothèse séduisante mais très probablement erronée, les dates ne concordant pas vraiment. On peut éventuellement le considérer comme involontairement prémonitoire.

« And I kill with my cunt. Isn't it fashionable? »

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Adrian en pleine performance

Qualifié de film punk (je veux bien qu’on m’explique), Liquid Sky se démarque par ses visuels très datés eighties – tant l’ambiance colorée de l’appartement de Margaret que ces quelques scènes perçues par les aliens, en aplats de couleurs saturées – et par sa musique. Musicalement, il fait appel à une BO tendant plutôt du côté de la new wave. Enfin, une new wave revue et corrigée façon cauchemar dans un cirque (il y a un petit côté Young Marbre Giant sous LSD, si cela veut dire quelque chose). L’essentiel de la musique a été composée par Slava Tsukerman, Clive Smith et l’artiste Brenda Hutchinson sur un synthétiseur Fairlight CMI .

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Le résultat, dissonant en diable, donne une ambiance pour le moins particulière au film. À vrai dire, celui-ci perdrait beaucoup de son attrait sans cette bande originale aux ritournelles synthétiquement complètement folles – d’aucuns trouveront cela inécoutable, c’est à craindre. Dommage enfin que le rythme du long-métrage laisse à désirer : avec près de deux heures au compteur et une intrigue qu’on aura peine à qualifier de frénétique, il a le temps de susciter l’ennui.

Dans le genre, on pourra rapprocher Liquid Sky d’un autre ovni faisant intervenir une femme fatale, des extraterrestres, sur fond de musique stridente : Under the Skin.

En 2014, Slava Tsukerman a annoncé un Liquid Sky 2, avec Anna Carlisle dans le rôle principal (curieux, vu la façon dont son personnage finit). Depuis, rien de neuf. Les aliens ne semblent pas prêts de revenir se camer sur Terre.

Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui

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