Toujours à la recherche de la perle rare de la science-fiction est-allemande, l'Abécédaire s'aventure avec Carlos Rasch dans les profondeurs de la mer Baltique. Im Schatten der Tiefsee, ou comment faire pousser du varech avec l'aide de l'énergie atomique dans le but de nourrir la population mondiale…
Im Schatten der Tiefsee. Zukunftsroman, Carlos Rasch. Das Neue Berlin, 1965. Grand format, 272 pp.
Magma am Himmel, Carlos Rasch. Verlag Neues Leben Berlin, coll. « Spannend Erzählt », 1975. Grand format, 304 pp.
Toujours à la recherche de la perle rare de la science-fiction est-allemande, l’Abécédaire s’intéresse maintenant à Carlos Rasch. J’avais évoqué le bonhomme rapidement au travers du billet consacré à Als die Götter starben (1963) de Günther Krupkat. Le roman de ce dernier s’intéressait à des thématiques pré-astronautiques similaires à celles de Der blaue Planet de Carlos Rasch, paru la même année.
Carlos Rasch, donc, écrivain est-allemand né en 1932 au Brésil, ayant émigré en Allemagne avec ses parents en 1938. Il vécut d’abord à Elbing (désormais Elbląg sur le territoire polonais), avant de s’installer en Saxe-Anhalt puis dans le Brandenburg. Journaliste dans un premier temps, il devint écrivain à plein temps en 1965 – l’année de la parution de Im Schatten der Tiefsee. Néanmoins, il tomba en disgrâce auprès de la censure et ses publications se raréfièrent. Au total, il a publié onze romans entre 1961 et 1988. Entre 2009 et 2011, Rasch sort une novélisation en quatre parties du script pour une série destinée à la télévision est-allemande, Raumlotsen (« Les Aiguilleurs de l’espace »), jamais tournée à l'époque.
On l’a dit, le deuxième roman, Der blaue Planet (« La planète bleue ») de Rasch met en scène un premier contact extraterrestre durant l’antiquité. Son premier roman, Asteroidenjäger (« Chasseurs d’astéroïdes ») est un pur récit d’aventure spatiale, qui bénéficiera d’ailleurs d’une adaptation ciné en 1970 sous le titre Signale, Ein Weltraumabenteuer.
Troisième roman de son auteur, illustré par Hans Räde, Im Schatten der Tiefsee (« Dans les ombres des abysses ») se déroule sur Terre… et sous la mer, comme son titre l’indique sans ambages. Nous voici dans les années 1990. Afin de prévenir d’éventuelles pénuries de nourriture, des fermes sous-marines sont édifiées afin de cultiver de manière intensive des algues. Le roman raconte la mise en place d’une telle ferme dans les profondeurs de la mer Baltique afin de cultiver le varech, les problèmes techniques auxquels elle est confrontée, les invraisemblables solutions techniques que les personnages proposent pour y remédier. Dans le lot, notons ces quelques suggestions : vitrification du fond de la mer pour que le varech s’y accroche mieux (bist du seriös, Carlos ?), ainsi que l’immersion d’un réacteur nucléaire afin de réchauffer la mer et accroître ainsi le rendement d’algues (Carlos, wirklich ??). Il y est également question d’un mystérieux « Soleil des profondeurs » (Tiefseesonne) et de rêves du futur, mais ces éléments étranges ne débouchent sur rien ici.
Carlos Rasch signe une postface, enthousiaste face au progrès technologique mais pas bêtement béate pour autant : l’utopie, d’accord, mais elle doit profiter à tout le monde. Et s’il est cool d’écrire au sujet de futurs lointains, de vaisseaux spatiaux et d’aliens, il ne faut pas négliger le futur proche, les problèmes humains et leurs solutions, forcément humaines. Intéressant, certes, mais cette postface expose tout de même les limites romanesques de Im Schatten der Tiefsee, qui ne se distingue guère du Betriebsroman (roman d’usine) lambda… si ce n’est qu’il est situé dans le futur. Les péripéties à base d’inventions de recettes d’algues et de réparation de moissonneuses sous-marines ne font pas rêver, c’est peu de le dire, et le roman peine à passionner. On s’y ennuie poliment. En fait, ça manque cruellement de futurs lointains, de vaisseaux spatiaux et d’aliens.
Néanmoins, soulignons que Rasch ne divague pas trop lorsqu’il suggère des algues comme nourriture de base. Il cite plusieurs exemples de par le monde dans sa postface, et l’idée continue de faire florès, du moins si j’en juge par ce documentaire diffusé dans l’émission 60 Minutes de la chaîne américaine CBS (sur lequel je suis tombé par hasard) : on y suit un « agriculteur des mers » américain, et la manière dont son activité est décrite – créatrice d’emplois, et même écologique par certains aspects – s’avère plutôt intéressante, un signal positif en cette époque plutôt morose face à l’avenir.
Bref. Il en reste que, en dépit de cette perspective goémonesque, Im Schatten der Tiefsee demeure un roman pas exactement inoubliable. Là où ça devient intéressant d’un point de vue romanesque, c’est que Carlos Rasch l’a réécrit. Oui, bon, voir un auteur réécrire un livre n’a rien de neuf : Michel Tournier l’a fait avec talent avec Vendredi ou la vie sauvage, version destinée à la jeunesse de Vendredi ou les limbes du Pacifique. Dans cet Abécédaire, j’avais également évoqué Anthony Horowitz et sa série « Le Pouvoir des Cinq », réécriture pêchue des « Cinq », cycle laissé inachevé. Carlos Rasch n’innove pas en la matière. Qu’importe.
Ainsi, dix ans après Im Schatten der Tiefsee, Carlos Rasch a publié Magma am Himmel (« Du magma dans le ciel »), sorte de suite/réécriture dopée aux radionucléides. Nous voici trois quarts de millénaire après Hiroshima, dans une humanité vivant dans l’utopie – une société sans classe, unifiée sous la férule d’un gouvernement mondial. Or, voilà que des robots découvrent au fond de l’Atlantique, là où la croûte terrestre est la plus mince, un péril : une bombe (le fameux « Soleil des profondeurs » de Im Schatten…), déposée là par des gens (ces fichus capitalistes d’Américains !) dans l’éventualité d’un troisième conflit mondial, avec comme optique celle de tout faire péter que de laisser la victoire idéologique à l’adversaire. En cas d’utilisation, la bombe aurait détruit l’Afrique et l’Amérique du Sud. Voilà nos descendants futurs bien embêtés. Grâce à une technologie de miroirs temporels, ils entrent en contact avec leurs ancêtres… à savoir les protagonistes de Im Schatten der Tiefsee. L’action se poursuit alors sur deux trames, passé et avenir, et comme si cela ne suffisait pas, on y croise des extraterrestres, les Éridaniens, ainsi que des dauphins évolués ayant formé une société en marge de la nôtre.
Oublié, le terne roman d’usine marin qu’est Im Schatten der Tiefsee : avec Magma am Himmel, Carlos Rasch donne l’impression de découvrir les joies et délices de la science-fiction la plus débridée. Qu’on résume : utopie, voyages temporels, robots, aliens, animaux upliftés (six ans avant les néodauphins de David Brin dans Marée stellaire mais huit ans après ceux de Robert Merle dans Un animal doué de raison), le tout dans un récit-catastrophe mené tambour battant. Une réussite, vraiment. Et les illustrations en bichromie s'avèrent plutôt sympas dans leur approche plus spectaculaire et gentiment psychédélique.
Et ce roman signe le début de la fin pour Carlos Rasch, qui ne publiera pas sous son nom d’autre roman avant 1986 (Vikonda, qui tient surtout de la novella). Doit-on en juger que le roman a déplu à la censure ? La concomitance des dates ne signifie pas pour autant une relation de cause à effet, d’autant que Magma am Himmel ne m’a pas paru politiquement contraire à l’idéologie communiste. L’accent est davantage mis sur l’action que sur les éléments scientifiques. Allez savoir si c’est cet aspect qui a déplu aux censeurs…
Quoi qu’il en soit, on tient peut-être ici la perle rare de la science-fiction de RDA. Mais continuons à chercher…
Introuvable : non, les romans de Rasch étant désormais réédités en numériques
Illisibles : non si vous êtes germanophone
Inoubliable : hé, pas loin !