H comme Hantise

L'Abécédaire |

En attendant la sortie prochaine de la série Netflix basée sur le roman Maison hantée de Shirley Jackson, on passe en revue les précédentes adaptations cinématographiques : La Maison du diable de Robert Wise et Hantise de Jan de Bont. En tête, une question lancinante : dix-neuf ans après sa sortie, le temps a-t-il bonifié le remake ?

Maison hantée [The Haunting of Hill House], Shirley Jackson. Roman traduit de l’anglais [US] par Dominique Mols. Presse Pocket, coll. « Terreur », 1979 [1959]. Poche, 254 pp.
La Maison du diable [The Hauting], Robert Wise (1963). 112 minutes, noir et blanc.
Hantise [The Haunting], Jan de Bont (1999). 113 minutes, couleurs.

En cette année 2018, Netflix devrait proposer une nouvelle adaptation du fameux roman de Shirley Jackson, Maison hantée, sous la direction de Mike Flanagan – réalisateur américain à qui l’on doit le récent (et réussi) Jessie sur la chaîne VOD. Il s’agira d’une mini-série en cinq épisodes, qui constituera la troisième adaptation du roman. Voilà qui vaut bien qu’on se penche sur les deux précédentes, non sans auparavant un détour par le texte originel. Il s’agit là du cinquième roman de son auteure, paru en 1959, après trois récits encore inédits en français et Le Cadran solaire, et avant Nous avons toujours vécu au château (1962), court roman à l’ambiance trouble.

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« Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps une existence saine dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles elles-mêmes, aux dires de certains, ne feraient que rêver. Hill House se dressait toute seule, malsaine, adossée à ses collines. En son sein, les ténèbres. Il y avait quatre-vingts ans qu’elle se dressait là et elle y était peut-être encore pour quatre-vingts ans. À l’intérieur, les murs étaient toujours debout, les briques toujours jointives, les planchers solides et les portes bien closes. Le silence s’étalait hermétiquement le loin des boiseries et des pierres de Hill House. Et ce qui y déambulait, y déambulait tout seul. » (p.9)

Hill House est donc cette demeure, édifiée par Hugh Crain près de cent ans plus tôt, et qui semble avoir gardé l’influence néfaste de son propriétaire. Hill House, grande bâtisse inquiétante dont tous les angles sont subtilement déformés – aucun n’est droit –, dont certaines pièces sont aveugles, dont aucune porte ne reste ouverte bien longtemps. C’est là que le docteur Montague décide de mener des expériences sur le sommeil, et recrute plusieurs individus ayant censément eu des expériences avec le paranormal par le passé. Comme Eleonore : femme âgée d’une trentaine d’années, elle s’est occupée de son acariâtre mère jusqu’à son décès, mais peine à trouver sa place en ce monde ; surtout, elle aurait été témoin d’un polstergeist. Quant à Theodora – Theo –, femme extravertie, ce serait la télépathie. L’une et l’autre s’en défendent : il s’agissait du hasard, d’une mauvaise interprétation des faits, rien de plus. Quant au dernier du groupe, Luke Sanderson, il n’a aucun rapport avec le paranormal ; sa présence à cette expérience est uniquement due au fait qu’il descend de Crain et que les personnes ayant accordé la location de Hill House au Dr Montague l’ont fait sous l’expresse condition que Luke soit là. Bien vite, des phénomènes étranges se produisent : du vacarme nocturne, une inexplicable zone de froid à proximité de la nursery, des inscriptions apparaissant sur les murs, adressés à Eleonore. Que se passe-t-il réellement ? Est-ce le fantôme de Hugh Crain ? Est-ce la maison elle-même ?

« Je n’ai pas besoin de vous rappeler, je pense, que le fait de décrire certaines maisons comme impures ou interdites – voire même sacrées – est aussi vieux que l’humanité. Il ne fait aucun doute que certains lieux s’entourent inévitablement d’une atmosphère de sainteté ou de bonté. Dès lors, il n’est peut-être pas téméraire de dire que certaines maisons, par contre, sont nées mauvaises. Quelle qu’en soit la raison, voilà plus de vingt ans que Hill House est impropre à être habitée par des êtres humains. Qu’en était-il avant cela ? Sa personnalité a-t-elle été modifiée par les gens qui y ont vécu ou par les actes qui y ont été perpétrés ? Était-elle mauvaise dès le début de son existence ? » (p. 77)

Roman d’épouvante au statut culte, Maison hant ée se caractérise par une montée en puissance passablement curieuse. Les trois premiers chapitres de Maison hant ée posent les personnages et racontent l’arrivée à Hill House – voilà qui laisse le temps d’introduire Eleonore et sa personnalité fragile, malheureuse, et plus que tout désireuse d’avoir un lieu où on l’attendrait, où elle serait appréciée pour ce qu’elle est. Les trois chapitres suivants voient l’apparition des phénomènes étranges en question – et s’avèrent les plus à mêmes de susciter l’inquiétude. Si le fantastique de Shirley Jackson est discret, peu spectaculaire, il n’en reste pas moins présent : rien ne permet d’affirmer que les manifestations surnaturelles sont explicables d’une manière rationnelle ou que tout prend naissance dans la psyché troublée des personnages. Néanmoins, à partir du septième chapitre se crée une rupture : le roman adopte un ton à la limite du comique, avec l’arrivée de l’épouse du Dr Montague, une femme autoritaire et superstitieuse (à l’opposé de son mari), dont chaque apparition suscite une consternation amusée. Mais Hill House et Eleonore étant ce qu’ils sont, Maison hantée se termine de manière tragique.

« Il est impossible pour un œil humaine de visualiser isolément la coïncidence malheureuse des lignes et des espaces qui, réunis dans la façade d’une maison, lui donnent l’air de respirer le mal. Et cependant, il y avait là un je-ne-sais-quoi – une juxtaposition insensée, un angle mal tourné, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture, qui faisaient de Hill House un hâvre de désespoir, d’autant plus terrifiant qu’il semblait préserver un visage éveillé, avec la vigilance de ses fenêtres aveugles et le soupçon de gaieté que suggérait une corniche. N’importe quelle maison, pratiquement, peut donner l’impression de tourner un regard particulièrement expressif vers la personne qui la voit brusquement, alors qu’elle ne s’y attendait pas, ou bien si elle l’aperçoit sous un angle inhabituel. Il suffit d’une méchante petite cheminée, d’une lucarne pareille à une fossette, pour donner au nouveau venu une sensation de complicité. Mais quand une maison exhale l’arrogance et la haine, quand elle est sans cesse sur le qui-vive, cette maison-là ne peut être que mauvaise. En quelque sorte, Hill House semblait s’être faite toute seule, s’être érigée selon ses propres plans entre les mains des constructeurs. Elle s’était ajustée à son ensemble bien particulier de lignes et d’angles, et dressait sa gigantesque tête contre le fond du ciel, sans concessions à l’humanité. C’était une maison sans gentillesse, qui n’était pas destinée à être habitée. Il n’y avait pas en elle la moindre place pour l’homme, ni pour l’amour, ni pour l’espoir. Les exorcismes sont impuissants face à la substance d’une maison. Hill House resterait ce qu’elle était jusqu’au jour de sa destruction. » (p. 41-42)

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Quelques années après sa parution, le roman de Shirley Jackson a atteint le chemin des salles obscures. Maître d’œuvre de cette adaptation : Robert Wise, à qui le livre avait plu. Quand il tourne La Maison du diable (un titre français un brin malheureux), Robert Wise est un cinéaste respecté, à la tête d’une filmographie respectable d’une trentaine de longs-métrages comprenant notamment Le Jour o ù la Terre s’arrêta (1951) et West Side Story (1961).

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Loin de la débauche colorée de ce dernier long-métrage, Robert Wise opte pour le noir et blanc, choix pertinent et du plus bel effet. Côté casting, Julie Harris endosse le rôle d’Eleonore, Claire Bloom celui de Theo, et Richard Johnson celui de l’exquis Dr Montague, renommé ici Markway. Enfin, c’est un tout jeune Russ Tamblyn (le Dr Jacoby de Twin Peaks) qui interprète Luke Sanderson – un personnage qui constituera le comic relief qu’était Mme Montague, inénarrable dans le roman et juste… normale dans le film.

Tout est fait pour rendre Hill House un endroit où règne l’inquiétude. Filmée en contre-plongée, la demeure s’impose, écrasante, comme une créature passive, à l’agressivité sourde. Filmée en plongée, elle écrase les individus qui osent y pénétrer. Comme dans le roman, les angles droits s’y font rares. Les pièces du manoir se distinguent par leur surcharge ornementales, leurs miroirs inclinés (parfois légèrement déformants). Robert Wise et Davis Boulton, son directeur de la photographie, tournent de nombreuses scènes avec des objectifs grands angles, avec pour résultat de faire paraître les lieux plus vastes qu’ils ne le sont en réalité. De fait, l’essentiel de l’ambiance tient à cela : un noir et blanc superbe, un éclairage judicieux, un décor étouffant, des cadrages exacerbant ce sentiment d’oppression. Et une ambiance inquiète, où le spectateur hésite : Eleonore est-elle folle ou bien y a-t-il quelque présence maléfique à l’œuvre ?

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Les effets spéciaux sont réduits à la part congrue – le principal d’entre eux est probablement cette scène où une porte se déforme sous la pression exercée par quelque fantôme. On le sait bien, le meilleur moyen d’insuffler la peur est la suggestion. Robert Wise excelle en la matière, le réalisateur faisant naître un sentiment d’inquiétude exquis avec trois fois rien : un tintamarre surnaturel de l’autre côté d’une porte, des personnages terrifiés – et à ce jeu-là, Julie Harris et Claire Bloom tirent leur épingle du jeu. La séquence la plus terrifiante est probablement celle où la caméra opère un lent travelling avant sur un motif de tapisserie où, les ombres aidant, semble y naitre un visage à l’expression maléfique. Magie de la paréidolie ! Ce n’est rien qu’une tapisserie, mais quelle terreur…

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Tout cela concourt à faire de La Maison du diable un chef d’œuvre du film d’épouvante, qui supporte bien les revisionnages.

Et en 1999, Jan de Bont, directeur de la photographie devenu réalisateur, à qui l’on doit le solide Speed (ainsi que sa suite, et Twister et Tomb Raider : Le Berceau de la vie), a tourné un remake d’un film n’en appelant pas un. Auréolé d’une réputation de navet, Hantise mérite-il cela ?

La réponse est un oui sans ambages.

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Après une première moitié médiocre mais pouvant faire illusion, la seconde bascule franchement dans le grand-guignol et le grotesque, optant pour le spectaculaire là où La Maison du diable brillait par l’inverse, et avec des images de synthèses ayant bien mal vieilli, dix-neuf ans après sa sortie. La photographie est passable, mais ne met pas en valeur la demeure, qui se contente d’être une version sérieuse du manoir de la Famille Addams  ; aucune alchimie ne se forme entre les acteurs, mention spéciale à Lily Taylor et Catherine Zeta-Jones dans les rôles de Nell et Theo ; Owen Wilson fait du Owen Wilson, ce dont on peut difficilement lui tenir rigueur parce que c’est Owen Wilson. La performance de Lily Taylor est à côté de la plaque. Seul Liam Neeson, dans le rôle du Dr Montague Markway Marrow (mais pourquoi le renommer ? Montague, c’est très bien !), s’en sort à peu près. À aucun moment le film ne suscite la moindre inquiétude – si ce n’est la lancinante question « Quand ce calvaire se termine-t-il ? » On assiste à un enchaînement de séquences fantastiques aléatoires, de prises de décisions stupides et d’incohérences ; les lister… ARGHH. [S'en va hurler dans les ténèbres.] La réinterprétation des scènes du film de Wise ne fonctionne pas (en particulier la séquence sur l’escalier du jardin d’hiver, amenée gratuitement et terminée sans qu’elle n’ait une influence sur la suite), et plus le film avance, moins il entretient de liens avec Maison hantée, jusqu'à un final magnifique de ridicule. Si se tourner et se retourner dans sa tombe constituait une source d'énergie, nul doute que Shirley Jackson alimenterait à elle-seule la côte Est des USA.

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Ce pourrait donc être un nanar à gros budget si ce Hantise ne se prenait tant au sérieux.

« Il y avait dix-neuf ans que ce film avait été oublié et il serait peut-être encore oublié pour dix-neuf ans. »

Reste à espérer que Mike Flanagan lorgnera plus du côté de Robert Wise que celui de Jan de Bont pour son adaptation. Dans tous les cas, il reste le livre, qu’on ne se privera pas de relire.

Introuvable : non
Illisible : (re)lisez le livre !
Irregardable : (re)regardez le film de Robert Wise !
Inoubliable : (ré)oubliez le film de Jan de Bont !

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