O comme The Orb's Adventures Beyond the Ultraworld

L'Abécédaire |

Après l'anti-monde, l'ultramonde… Avec le premier album du groupe anglais The Orb, paru voici plus qu'un quart de siècle, on tente une excursion du côté de l'Ultraworld. Au programme, des nuages duveteux, la quatrième dimension, des châteaux en Espagne mais dans l'espace… et quelques clins d'œil à Pink Floyd.

The Orb's Adventures Beyond the Ultraworld, The Orb (Big Life, 1991). 10 morceaux, 150 minutes.

1991 : alors qu’Autechre – alias le groupe fétiche de votre serviteur – en était encore à ses balbutiements, The Orb débarquait dans le petit monde des musiques électroniques. Groupe fondé par Jimmy Cauty et Alex Paterson à la toute fin des années 80, The Orb a fait ses premières armes dans les salles chill-out des discothèques londoniennes, lieux où le duo a pu mettre au point et développer un ambient électro teinté de house – pas exactement du Brian Eno, plutôt son versant dansant et hédoniste. Un duo… qui se sépare bien vite, Jimmy Cauty partant fonder le groupe KLF, dont le premier album s’appelera justement Chill Out (1990). Du son côté, Paterson recrute de nouveaux collaborateurs pour travailler sur les morceaux de ce qui constituera le premier album de The Orb – un double album, s’il vous plaît –, le présent The Orb’s Adventure Beyond The Ultraworld.

Conçue par le collectif The Designer Republic – qui réalisera l’essentiel des pochettes d’Autechre –, la pochette de l’album montre la centrale électrique de Battersea – immortalisée par Storm Thorgerson pour Animals de Pink Floyd. Foin de cochon volant mais une ambiance colorée dramatique. L’intérieur de la pochette quitte le plancher des vaches : une représentation des cieux ptoléméens ou un visage d’astronaute de la NASA…

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La face A est titrée « Earth Orbits » et est introduite par un triomphal cocorico introduit le disque, avant que ne débute véritablement « Little Fluffy Clouds », morceau halluciné porté par les élucubrations météorologiques de Rickie Lee Jones, prononcées d’une voix planante sur fond d’harmonica désertique (un sample chipé à Ennio Morricone). Les quatre minutes sont une promenade dans des éthers lysergiques…

« What were the skies like when you were young?
– They went on forever. They… When I w… We lived in Arizona, and the skies always had little fluffy clouds in 'em, and, uh… they were long… and clear and… there were lots of stars at night. »

Sur le reste de cette première face, « Earth (Gaia) » et « Supernova at the End of the World » constituent deux longues promenades psychédéliques, où se glissent des samples de la NASA (les missions Apollo 11 et 17) et des extraits de films (Flash Gordon, Docteur Folamour). Sympathiques, quoique un peu répétitives, et manquant un peu de la folie qui infuse « Little Fluffy Clouds ».

La face B, titrée « Lunar Orbits », nous emmène donc du côté de notre satellite naturel, avec deux morceaux frôlant le quart d’heure. « Back Side of the Moon », radieux et bucolique comme pourrait l’être un champ hydroponique sous dôme, ne décolle pas vraiment et suscite l’ennui ; « Spanish Castles in Space » est un églogue léger et apaisé – une voix lointaine prononce des choses en russe, sur une instrumentation classique (guitare, basse, gazouillis d’oiseaux).

Avec la face C, l’auditeur approche enfin de l’Ultraworld, tout d’abord avec des sondes : « Ultraworld Probes » est le titre de cette troisième face. Un compte à rebours introduit « Perpetual Dawn », sautillant morceau à tendance reggae où une sorte d’alien flabille (du verbe flabiller, émettre avec la bouche des sons évoquant « ffflblalabl »). « Into the Fourth Dimension » débute par un extrait du « Miserere » d’Allegri, compositeur bientôt rejoint par Vivaldi dont le concerto pour violon « L’Amoroso » se double d’une rythmique énergique. Dernier morceau de cette face C, « Outlands » refait intervenir Rickie Lee Jones, ainsi que Kraftwerk et un synthétiseur Casio à l’adorable son aigrelet, pour une huitaine de minutes hors de ce monde.

Enfin, la face D nous emmène dans l’Ultraworld. Serait-on pourtant de retour sur Terre ? Dans « Star 6 & 7 8 9 » retentissent des gazouillis d’oiseaux, bourdonnements d’insectes, le vrombissement d’une moto puis d’une deuxième… avant qu’une guitare se mette à jouer une mélodie solaire. On repense, de loin, à Pink Floyd et « Grantchester Meadows ».

« A Huge Ever Growing Pulsating Brain That Rules from the Centre of the Ultraworld » pourrait concourir pour le morceau au titre le plus long (mais est dépassé de 11 caractères par « Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving With a Pict » de Pink Floyd). Ce morceau live (semble-t-il) et déconnante empoignade musicale de près de vingt minutes, portée par les mêmes notes obsédantes. On y entend entre autres samples divers un coq (histoire d’asseoir un sentiment d’unité avec « Fluffy Little Clouds »). Les nombreux autres samples, je ne les ai pas reconnus. L’un des deux remixes présents sur la réédition Deluxe de 2006 laisse retentir vers la 4e minute quelques notes caractéristiques de guitare : mais c’est « Shine On You (Crazy Diamond) » de Pink Floyd ! Décidément… En 2010, David Gilmour (est-ce vraiment nécessaire de rappeler qu’il s’agit du guitariste de Pink Floyd ?) collaborera d’ailleurs avec The Orb pour l’album Metallic Spheres.

En somme, ce premier album de The Orb mêle avec bonheur plusieurs influences : l’usage intenseif de samples radiophoniques et cinématographiques à tendance scientifique voire SF, la musique des pionniers de l’électro des années 70 – Brian Eno en tête – et, sans surprise, Pink Floyd, le tout mâtiné de dub. Si, après un excellent morceau introductif (« Little Fluffy Clouds »), The Orb ’s Adventures beyon the Ultraworld semble marquer le pas sur une première moitié un brin trop bucolique, la seconde partie relève le niveau avec une succession de morceaux plus rythmés et joyeusement psychédéliques. L’ensemble se laisse écouter avec un plaisir certain, sans risque d’avoir les oreilles qui saignent à la fin de l’album.

Musicalement, on peut opérer une comparaison entre The Orb et Autechre comme on différencie science-fictionnel et science-fictif : d’un côté, un groupe faisant une musique relative à la SF, au travers des titres et des visuels ; de l’autre, un groupe faisant de la SF musicale (tendance hard SF, reconnaissons-le). Il s’agit bien sûr là d’une interprétation (et je serais curieux de connaître quel attrait les deux joyeux drilles d’Autechre ressentent envers la science-fiction).

Par la suite, le personnel du groupe a évolué, Alex Paterson demeurant le seul membre originel en place. The Orb a publié de nouveaux albums, toujours teintés de science-fiction, qu’il s’agisse de U.F.Orb (1992), Cydonia (2001) ou de Moonbuilding 2703 AD (2015), témoignant de l’intérêt marqué et continu d’Alex Paterson pour le genre. Peut-être ce navrant Abécédaire s’y intéressa-t-il en temps utile…

Introuvable : non
Inécoutable : non
Inoubliable : oui

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