Continuons l'exploration de la science-fiction est-allemande. Après le très communiste premier contact de Die Goldene Kugel, place à un récit d'anticipation placé sous le signe de la découverte d'un nouveau matériau révolutionnaire : Gigantum d'Ebehardt del'Antonio. (Oh… c'était déjà le cas avec Ultrasymet bleibt geheim de Hans Vieweg…)
Gigantum, Eberhardt del’Antonio. Das Neue Berlin, coll. « Die Gelbe Reihe », 1956. GdF, 368 pp.
L’on continue de s’intéresser à la science-fiction d’Allemagne de l’Est, avec Gigantum. Il s’agit là du premier roman d’Eberhardt del’Antonio (1926-1997), auteur est-allemand dont la bibliographie ne s’étend que sur six titres, publiés entre 1957 et 1991. Après avoir exercé divers métiers par la force des choses et subi les aléas de la Seconde Guerre mondiale, il travaille comme constructeur au développement de systèmes de pompes, monte un bureau des inventions (Büro für Erfindungswesen), est membre de la Kammer der Technik (Chambre des techniques) et de la Gesellschaft für Weltraumforschung und Raumfahrt (« société pour la recherche et l’exploration spatiales »), et s’intéresse au cinéma au point d’obtenir par correspondance un diplôme de psychologie cinématographique. Installé à Dresde à partir de 1959, il ne quittera plus la ville, où il décèdera quarante ans plus tard.
Gigantum , donc, roman publié au sein de la collection « Die Gelbe Reihe » (ainsi nommée par rapport à la reliure en toile jaune sous la jaquette) des éditions est-berlinoise Das Neue Berlin. À l’instar de Ultrasymet bleibt geheim de Hans Vieweg, il ne s’agit pas ici d’un réel roman de science-fiction, terme honni dans le bloc de l’Est car trop connoté américain : on se trouve ici en présence d’un « utopischer Roman », et plus précisément d’un « Betriebsroman », sous-genre centré sur la production industrielle. Dit comme ça, cela ne fait pas forcément rêver le lecteur épris d’expériences de xénopensée ou de vertige cosmique…
Le roman débute dans un futur indéterminé mais proche de quelques décennies – à la date d’écriture. À Munich, Lydia Schwigtenberg, jeune chercheuse (environ vingt-cinq ans) prometteuse, travaille sur les transuraniens, et parvient à mettre au point un matériau hyperdense, mais inflammable à l’air – chose qui provoque l’incendie du laboratoire. Qu’importe : les applications industrielles peuvent être immenses ! À Dresde, au sein de la firme Raketa-Hexe Dresden, on teste la Hexe (« sorcière »), une voiture sur monorail (également dotée de roues secondaires télescopiques). Rainer Hausberg teste le prototype sur le trajet Dresde-Munich : il a rendez-vous avec les gens du labo, mais il tombe en chemin sur une scène d’accident, et se sert de la vitesse inégalée de la Hexe pour gagner Augsburg et déposer le blessé à l’hôpital de la ville. Voilà qui le fait arriver en retard à la réunion. Lydia vient tout juste de donner un nom à son nouvel élément : dérogeant à la règle implicite de lui donner son propre patronyme, elle opte pour « Gigantum », cet élément succédant au déjà massif Mammutum.
Lydia et Rainer vont se retrouver à travailler ensemble, afin de doter la Hexe d’une puissance inédite, capable de la propulser à des vitesses inédites : non plus trois cents misérables kilomètres-heures, mais neuf cents ! Rainer va également commencer à courtiser Lydia. Mais, au cours d’un essai grandeur nature, sur le trajet Trondheim-Moscou, Rainer commence à se sentir mal : il s’avère qu’il est atteint d’une toute nouvelle maladie, qui a surgi au Groënland, et qui provoque la paralysie progressive des membres. Or, Lydia cherche à mettre au point un traitement, mais Rainer refuse que sa bien-aimée apprenne sa maladie. S’en sortira-t-il ?
Bon… D’un point de vue romanesque, Gigantum s’avère d’un intérêt mineur. Ses trois cent soixante pages traînent en longueur et suscitent surtout l’ennui, d’autant que le roman souffre de défauts structurels (certes, il s’agit d’un premier roman). Divisé en deux parties de tailles inégales, Gigantum tente, dans sa brève seconde partie, de relancer l’intérêt en donnant un gros coup de boost à l’intrigue : la maladie de Rainer et l’apparition de saboteurs supplantent la seule intrigue technique. Las, les personnages principaux, Lydia Schwigtenberg et Rainer Hausberg, n’inspirent pas grand-chose au lecteur. Lydia est belle et, avec ses doctorats en physique et en médecine, extrêmement compétente ; Rainer est altruiste et ponctuel : Eberhardt, n’en jette pas plus, on va croûler sous l’empathie ! Pas d’antagonistes, pas de conflit : l’essentiel concerne la pure recherche et la romance contrariée entre Rainer et Lydia. Cette dernière évoque d’ailleurs, de loin, le maître-mot de Metropolis de Fritz Lang : « Entre le cerveau et les mains, le médiateur doit être le cœur ». La doctoresse d’un côté, l’ingénieur de l’autre, et leur amourette au centre.
Bref, autres temps, autres attentes… mais peut-être ai-je l’esprit totalement vicié par mes lectures de SF anglo-saxonnes/impérialistes/capitalistes…
Le plus intéressant se situe bien sûr dans la description de ce monde qui n’est pas advenu. Dans le futur décrit par del’Antonio, l’Allemagne semble être réunie – du moins n’est-il pas fait mention de la moindre séparation, et le monde dans son entier paraît vivre en bonne entente, aucun conflit n’étant mentionné (à l’inverse de Die Goldene Kugel ou Ultrasymet…, où le monde est loin d’être en paix. Il y est vaguement fait mention d’une alliance européenne (« Europabündnis », p. 276), dotée d’une union douanière, sans que plus de détails soient donnés — l’entrée du Groënland dans cette union est remise en question, de même que la libre circulation des gens (potentiellement problématique en cas d’épidémie, dans le cadre du roman). Les gens y sont bosseurs : sûr et certain, la journée de travail de 6 heures incite à être productif (cf. p. 77.). La Stasi est mentionnée, mais semble ici dépourvue de caractère menaçant.
Du côté des inventions, rien de fracassant, et Eberhardt insiste étrangement pour que les véhicules de son invention soient tous perchés sur des pattes fines, tels des cigognes : le monorail Hexe est pourvu de six « jambes » de ce genre, mais le bateau DIXI n’en possède que deux. On trouve également un appareil de synthèse vocal (appuyez sur b puis a, ça émettra « ba »), qui inquiète un peu Lydia : cela signifiera-t-il à terme la mort du chant ? Sans oublier des machines à bidouiller le climat.
Rien de bien fracassant. Et ce ne sont pas la douzaine d’illustrations intérieures par Adelhelm Dietzel, dépourvues d’un caractère spécialement marquant, qui rehaussent le livre.
En somme, une curiosité archéologique. Mais en continuant à creuser, peut-être tombera-t-on à la fin sur de bons bouquins de SF de RDA…
Introuvable : oui
Illisible : oui
Inoubliable : non