De La Contrée à L’Atelier : Semaine 05

Journal d'un homme des bois |

« Vivre, c’est aussi se souvenir et relire. Marion ne me contredira pas. Ni sans doute Arthur C. Clarke… » Entre réveillon, galette des rois, musique et Les Enfants d'Icare, le déménagement de Francis Valéry se poursuit…

Vivre, c’est aussi se souvenir et relire. Marion ne me contredira pas. Ni sans doute Arthur C. Clarke…

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Jour 29 : Samedi 31 décembre 2016

Ce soir, c’est réveillon. Comme ma compagne s’est également explosé une dent la semaine dernière, et que le plomb provisoire n’a pas tenu, le menu sera léger et la soirée risque de tourner court – d’autant qu’il n’y a rien à la télé !

En attendant, j’installe les bass-traps, superposés, à la place qui sera la leur, de manière définitive, une fois bricolé un support. A ce moment de mon récit, je sens bien qu’une question vous titille : un bass-trap, c’est quoi ? Et ça sert à quoi ?

Explication. Une enceinte acoustique projette de l’énergie sonore de manière omnidirectionnelle, pas seulement depuis la membrane des haut-parleurs. Cette énergie se diffuse donc en formant une sphère. Si vous collez votre enceinte trop près d’un mur, vous empêchez la sphère de se développer correctement d’un côté et l’enceinte diffuse selon un dôme hémisphérique. Si vous posez en plus votre enceinte au sol, vous faites disparaître la moitié inférieure de la zone de diffusion qui devient un quart de sphère. Continuons le massacre et poussons notre enceinte tout contre le mur perpendiculaire : ainsi positionnée au coin d’une pièce, l’enceinte diffuse selon un huitième de sphère. A chaque réduction du volume de diffusion, la puissance sonore perçue par l’auditeur est dégradée d’environ 6 décibels. En plaçant une enceinte en coin, on perd environ 18 décibels. Pour compenser, l’auditeur monte le volume de l’amplificateur. Cela pourrait suffire à compenser la perte d’énergie sonore. Malheureusement, ce n’est pas si simple : la diminution de la zone de diffusion de l’enceinte affecte fort différemment les diverses bandes de fréquence. Les aigus et les médiums sont les grands perdants de l’opération, tandis que les graves ne sont pas trop affectées – et que les ultra-graves ne le sont pas du tout. Autrement dit, ce type de positionnement des enceintes déséquilibre considérablement le spectre sonore et lorsque l’auditeur monte le son pour compenser la perte globale, il confirme ce déséquilibre : le son est alors perçu avec un très fort renforcement des graves.

Il y a des gens qui aiment que les basses soient très présentes – on ne s’étonnera pas de constater, chez eux, un placement des enceintes favorisant ce phénomène. Le plus souvent, les gens font cela de manière intuitive… et ils sont très satisfaits d’avoir un « gros son » parce qu’ils ont placé les enceintes dans les coins de leur salon, au-dessus d’un buffet ou d’une étagère (quasiment à ras du plafond !). Chacun son truc – je dois avouer qu’aimant l’aspect un peu « sauvage » du son, c’est ce que j’ai tendance à faire moi-même. En fait, je suis plus pervers que cela : je mets mes enceintes où je peux et c’est avec un équaliseur à une trentaine de bandes que je me « creuse » un son très riche en fréquences extrêmes (la basse et le pied de caisse d’un côté, les cloches des cymbales de l’autre  !).

Bien entendu, tous les goûts sont dans la nature et chacun règle sa chaîne hi-fi comme il souhaite l’entendre. Mais ce qui est sans conséquence pour une écoute personnelle se révèle vite catastrophique quand il s’agit de réaliser un mixage en studio, car l’écoute doit être d’une parfaite neutralité. Les enceintes de proximité utilisées pour le mixage se doivent de ne flatter aucune fréquence et leur positionnement dans la pièce doit limiter au maximum les effets indésirables comme des renforcements (ou des affaiblissements) de certaines fréquences, des ondes stationnaires, des échos indésirables, etc. C’est là qu’on utilise des matériaux absorbants (par exemple pour « manger » les graves en excès) ou diffusants (par exemple pour « Éclater » en une multitude de mini-réflexions sur diverses fréquences un écho suscité par une pièce réverbérante). Cela s’appelle le traitement acoustique. C’est la première chose à faire lorsque l’on souhaite aménager un studio de mixage (ou bien sûr d’enregistrement) – en fait, c’est la priorité absolue. Pour produire un mixe de qualité, il faut absolument disposer d’un local aussi proche que possible de la perfection acoustique.

Un bass-trap, c’est donc un gros bloc de matière absorbante de section triangulaire, dans laquelle sont creusées des entailles plus ou moins profondes, destinées à retenir le surplus de fréquences graves, en empêchant leur réflexion – donc leur renvoi vers l’auditeur. On place les bass-traps dans les coins, là où, justement, les fréquences graves s’accumulent et créent toutes sortes de problèmes.

C’est tout bête – mais c’est très efficace !

Bon. Ça sera tout pour cette année.

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Jour 30 : Dimanche 1er Janvier 2017

L’Atelier ne ressemble toujours pas à un studio d’enregistrement opérationnel – et il s’en faut de beaucoup ; mais on commence à se dire que ce doit être l’idée. Les guitares et les claviers s’y entassent gentiment, au fil de mes allers et retours.

À part cela, cédons à la tradition et adressons nos meilleurs vœux à nos lecteurs – nos meilleurs vœux de quoi, l’histoire ne le dit pas ; mais chacun complètera en fonction de ses désirs ou de ses besoins. Soyez fous ! Demandez l’Impossible ! En ce qui nous concerne, si déjà nous pouvions avoir un peu moins froid, ce serait un bon début. Après cela, j’aimerais que l’Énergie me revisite et que tous ces petits projets qui me maintiennent en vie finissent pas se concrétiser – au moins certains !

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Jour 31 : Lundi 2 janvier 2017

À l’automne dernier, j’ai retrouvé un gros carton contenant une soixantaine de cassettes audio de mes petits travaux musicaux plus ou moins anciens, certains enregistrements remontant au début des années soixante-dix. Je m’étais promis d’y jeter une oreille – poussé par une vague envie (très narcissique) de réaliser une compilation de ce qui me semblerait encore audible, et de la sortir, à l’intention des copains, pour fêter mes cinquante années de pratique musicale. J’ai eu ma première guitare à l’été 1969, j’avais treize ans. Il me reste donc deux ans et demi pour produire cette compilation – soit bien plus de temps qu’il n’en faut pour ne plus en avoir envie !

Ce matin, je me suis replongé dans ce lot de cassettes et ai retrouvé le master quatre pistes d’un morceau qui, selon le déroulé de la séance d’enregistrement, s’est appelé « Marion » puis« Fait divers » et enfin « La fille aux allures de garçon ». C’est sous ce dernier titre qu’il est sorti début 2002, couplé avec « Au New-York Bar ». Ces deux morceaux ont été écrits et composés en 2000/2001, pendant des tournées. Je me souviens très bien avoir écrit « La fille aux allures de garçon » dans un bar, à Limoges, inspiré par une rencontre faite la veille, dans un autre bar de la ville. J’en ai enregistré une première version à Lausanne, courant 2001, avec un Portastudio 414 MKII Tascam, acheté d’occasion quelques mois plus tôt, dans un magasin de musique de Brives.

Le Portastudio 414 MKII est un enregistreur analogique à quatre pistes mono plus deux fois deux pistes stéréo, sur K7 ordinaire mais défilant à 9,5 cm/s au lieu des 4,75 cm/s habituels. Du coup, on ne peut pas écouter le master sur un lecteur fonctionnant à la vitesse normale – il faut d’abord faire un mixe stéréo général et l’exporter vers un autre magnéto (à K7 ou à bande). Pas très pratique. Mais à cette époque où la MAO (musique assistée par ordinateur) balbutiait, c’était la seule solution simple et financièrement abordable pour réaliser des maquettes « À la maison » » ou enregistrer un groupe en répétition ou en concert. C’est d’ailleurs là que le Portastudio prend tout son intérêt. Il ne s’adresse pas vraiment à un « homestudioïste » – comme on dit aujourd’hui – souhaitant enregistrer toutes les pistes, une par une, car ce me semble à peu près impossible, en l’absence d’une connectique MIDI, de synchroniser avec les pistes mono, un sous-mixage qui serait envoyé en lignes 5-6 ou 7-8. Au bout du compte, en homestudio de type DIY (Do It Yourself = c’est moi qui fait tout), c’est seulement un quatre pistes. Par contre, en live, les entrées stéréo peuvent être utilisées, par exemple, pour injecter deux tables de mixage indépendantes : une pour repiquer la batterie, avec autant de micros qu’on le souhaite, et produire un sous-mixage placé dans le PAN, l’autre pour sonoriser un troupeau de choristes ou une armada de claviers ou n’importe quoi d’autre. Du coup, les quatre entrées principales peuvent servir à la voix principale et à trois instrumentaux (guitare, basse, clavier par exemple). La connectique est très complète et il a des réglages de sensibilité très efficaces. Bref, si le Portastudio 414 MK II est devenu une machine de légende, ce n’est tout à fait sans de bonnes raisons.

Si certains de mes lecteurs étaient présents à l’inauguration de l’Espace Jules Verne de la Maison d’Ailleurs, il y a déjà bien longtemps, c’est cet enregistreur qui diffusait les bruits de foule, sur huit pistes, que j’avais construits à partir d’enregistrements radios en langues étrangères, plus ou moins bidouillés (certains étaient passés à l’envers). Ce qui ne nous rajeunit pas.

Pour en revenir à « La fille aux allures de garçon », le déroulé de la séance d’enregistrement a été conservé. Il indique une prise témoin guitare-métronome-voix en piste 1 ; une prise batterie en piste 2 ; une prise basse en piste 3 ; un sous-mixage des pistes 2 et 3 vers la piste 4 ; une prise percussions en piste 2 ; un sous-mixage des pistes 2 et 4 vers la piste 3 ; une prise de guitare acoustique en piste 2 ; une prise de guitare électrique en piste 4 ; une prise du chant en piste 1 (avec les pistes 2, 3 et 4 en témoins au casque) ; puis un mixage de ces quatre pistes définitives, suivi d’un transfert vers un enregistreur stéréo. Rustique mais assez efficace si l’on prend garde à travailler proprement, en réduisant au minimum le souffle et les bruits de fond, en particulier lors des sous-mixages.

À réécouter ce morceau, j’ai presque une envie de numériser les pistes 1, 2 et 4, telles qu’elles ont survécu, en essayant toutefois de nettoyer le bruit de fond, puis de réenregistrer la basse et la batterie sur des pistes distinctes. Je pourrais alors faire un nouveau mixage, cette fois numérique. C’est l’histoire d’une journée de travail. Mais qui d’autre que moi cela pourrait intéresser ? Et n’est-ce pas surtout une occasion de plus pour ne pas travailler sur mes projets en cours que j’ai toutes les peines du monde à faire avancer depuis bientôt un an ?

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Jour 32 : Mardi 3 janvier 2017

J’ai commencé à relire Les Enfants d’Icare d’Arthur C. Clarke – après avoir vu le premier volet de l’adaptation TV qui est, en ce moment, diffusée sur SyFy. D’emblée, il est évident que le texte original est bien plus malin que l’adaptation qui en a été faite. Je pense que je reviendrai sur le sujet, si j’arrive à visionner les deux derniers volets – car si je dispose d’un minuscule téléviseur à La Contrée, branché sur une parabole (et sur lequel je peux donc visionner SyFy), la télé qui est à L’Atelier ne reçoit que la TNT via une antique antenne râteau et un décodeur acheté en complément ; or l’adaptation des Enfants d’Icare est diffusée à des horaires où je suis depuis longtemps rentré à la maison ! Il faut que je pense à regarder la diffusion (la dernière) qui a lieu vendredi prochain, en début d’après-midi. Sinon, bernique.

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Jour 33 : Mercredi 4 janvier 2017

Dire qu’on se gèle vraiment, c’est peu dire – comme aurait dit ma grand-mère. Ce matin, tout est blanc à perte de vue. Le spectacle vaut le détour – mais je n’ai pas le courage de sortir pour prendre des photos.

Hier soir, le décodeur TNT acheté pour raccorder l’antenne de toiture à notre vieille télé (pas si vieille en fait, elle doit avoir quatre ans, mais par ces temps d’obsolescence forcée…) a rendu l’âme. Il aura fonctionné trois semaines. Mais dans quel monde on vit ! En même temps, moi qui passe mon temps à râler qu’il n’y a jamais rien d’intéressant à la télé, j’ai sans doute été entendu…

Déjà que je ne parviens pas à capter la radio – il faut que je bricole une antenne – et que je n’ai pas encore d’accès à internet, autant dire que je vais me trouver encore plus isolé du monde extérieur. Mais peut-être devrais-je dire : plus à l’abri du monde extérieur ? Car franchement, à en juger aux bribes d’information distillées par France Infos quand je suis au volant de ma voiture, peut-être vaut-il mieux ne rien savoir et continuer de faire ce que j’ai à faire – écrire et composer – sans me soucier du temps qui passe et de l’avancée du chaos.

À La Contrée, j’ai un mail de reprise de contact, concernant le projet d’exposition SF. Les sélections finales ont été faites, à partir de mes propositions de couvertures. Je dois désormais prendre les mesures précises de tous ces magazines, pulps et comicbooks. L’occasion d’une toujours aussi plaisante petite piqûre de rappel visuel.

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Jour 34 : Jeudi 5 Janvier 2017

Fini, carnaval : j’ai tombé le masque du hamster joufflu. Mon abcès dentaire n’est plus qu’un vieux souvenir. Levé à 6h en pleine forme, comme dans le temps. Mais quelque chose me dit que ça ne va pas durer. Je profite de cette éclaircie énergétique pour écouter « La fille aux allures de garçon » avec un peu de recul par rapport à sa redécouverte. Premier constat : la ligne de batterie, très minimaliste, est typique de l’époque (post-rock) et de mes quelques influences New Wave – le choix du moins-disant témoigne aussi du fait que je n’ai jamais joué de la batterie qu’en dilettante, sans jamais vraiment travailler l’instrument. Second constant : le riff percussif sur quatre toms tourne plutôt pas mal, mais les toms ne sont pas accordés d’un point de vue tonal – longtemps, les batteurs ont réglé leurs toms pour que « Ça sonne », sans se préoccuper des fréquences exactes retenues (des notes, si l’on préfère, même si les percussions produisent des nappes spectrales plutôt que des notes bien définies). Troisième constat : la ligne de basse, jouée à l’époque sur une Jazz Bass fretless (c’est-à-dire avec une touche « lisse » sans barrettes ni repères, comme sur une contrebasse) reste sympa, avec des glissandos quinte/octave/neuvième, mais elle n’est pas toujours d’une grande justesse… Conclusion : il faut refaire la piste 3 du master, qui est un sous-mixe basse/batterie/percussions. Je commence donc par numériser la K7 telle qu’elle a été éditée, ce qui va me servir de nouvelle piste témoin, et entreprends de réenregistrer (directement sur l’enregistreur numérique) la ligne de basse, sur ma basse fretless – une copie de marque Harley Benton d’une Jazz Bass Fender, plutôt convaincante : on n’insistera jamais assez sur la qualité vraiment bluffante des instruments haut-de-gamme de cette marque appartenant au distributeur allemand Thomann. Outre le son et le confort de jeu, un autre intérêt de cette fretless est que des traits horizontaux sont tracés sur la touche, simulant les frettes des basses normales, ce qui constitue une aide appréciable pour un doigté précis, et donc pour jouer juste !

À l’écoute, ce n’est pas terrible. Le son de la basse est beaucoup trop aigu. Il va donc falloir recommencer, mais en mettant en œuvre davantage de matériel de correction du son, et aujourd’hui je n’en ai pas le temps.

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Jour 35 : Vendredi 6 Janvier 2017

Grande et frileuse journée à La Contrée – frileuse car mes poêles à pétrole n’étant pas dotés du don d’ubiquité, depuis qu’ils sont à L’Atelier ils ne sont plus ici. Comme prévu, j’ai visionné les deux derniers volets des Enfants d’Icare, sur SyFy – et comme je m’y attendais, je reste un rien dubitatif ; mais soyons honnête : si j’ai un souvenir précis et très fort sur le plan émotionnel de la première partie du roman, avec la chute sur la découverte de l’aspect des extra-terrestres, je ne me souviens pas vraiment de la suite ! Que l’adaptation télévisuelle me déçoive quelque peu, me donne à penser que le roman m’avait peut-être laissé sur ma faim, lui aussi. Ce qui expliquerait cette impasse mémorielle. Plus de quarante ans après sa lecture dans la collection du CLA – où il avait été réédité en 1969, après sa parution originale dans Le Rayon Fantastique – il est nécessaire que je le relise.

Retour à L’Atelier où je commence par « faire du bois » pendant une bonne heure, car le week-end est annoncé comme particulièrement froid.

Puis je continue de remettre en service une partie des synthés – j’ai toujours un peu de mal à retrouver mes marques et à tout (re)mettre en place après un démontage complet du studio, surtout après une aussi longue période. Je vais également commencer à câbler le pourtour de la pièce afin d’utiliser le (futur) réseau d’enceintes selon diverses configurations, en fonction de mes envies de mixage et/ou de diffusion. Cela va prendre encore plusieurs semaines.

Anita a rapporté une galette des rois à la frangipane. Le soir venu, tandis que j’en mange un quartier en m’efforçant de me concentrer sur l’instant présent, une idée musicale me traverse l’esprit : un motif tellement évident qu’il en est presque simplet, s’étirant sur trois mesures à quatre temps, et une quatrième mesure à seulement deux temps ; en contrepoint, j’entends une ligne de percussions sur sept temps, répétée deux fois. Et l’ensemble tourne en boucle, constituant les fondations d’un développement mélodique ultérieur. Je note rapidement et reviens vers la frangipane. Mais celle-ci à peine digérée, je m’aperçois que mon idée est juste insignifiante, pour ne pas dire sans intérêt. Faut pas demander ce qu’ils mettent aujourd’hui dans la frangipane !?

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