U comme Ultimate Care II

L'Abécédaire |

Au lieu de s'occuper de faire le ménage, on préfère se faire rincer les oreilles par Matmos avec leur dernier album en date, Ultimate Care II. Quarante minutes d'un mélange entre electro et musique concrète, avec, comme principal instrument, une machine à laver…

Ultimate Care II, Matmos (Thrill Jockey, 2016). 38 minutes, 1 morceau.

Le temps est venu de faire un peu de ménage, et de dire quelques mots sur l’Ultimate Care II de Whirlpool…

« The Ultimate Care™ II system gives you the flexibility to wash a wide variety of fabrics. Easy to use consoles make it simple to select the wash/spin speed combination for each and every load. »

Le modèle semble exister depuis au moins une quinzaine d’années, et, à en juger par ces avis postés sur www.washing-machine-wizard.com, les avis semblent diverger quant à la fiabilité de l’appareil, beaucoup d’utilisateurs lui reprochant de tourner mal. Pour sa part, votre serviteur s’en fiche un peu, possédant un modèle d’une autre marque. Ultimate Care II est également le titre du nouvel album en date de Matmos, et à en juger par les propos du groupe, le lave-linge en question leur a donné pleine satisfaction. Suffisamment pour employer cet appareil électro-ménager comme instrument principal du disque en question et lui donner son titre.

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Quelques mots sur Matmos : ce duo de musiciens australiens, composé de M.C. Schmidt et Drew Daniel, est probablement le groupe d’electronica le plus conceptuel et le plus déjanté qui soit. Qu’on en juge à leur discographie, qui mêle l’expérimentation et la musique concrète à un humour pince-sans-rire. Et à un brin de SF probablement, leur nom provenant directement du film Barbarella : le matmos, c’est cette entité liquide et maléfique, vivant sous la cité de Sogo (bien que présent dans la bande dessinée de Jean-Claude Forest, il ne porte pas ce nom-là, c’est là une (belle) invention du réalisateur Roger Vadim).

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Barbarella face au matmos
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Les premiers albums du duo – Matmos, Quasi Objects, The West – conjuguaient electro et musique concrète. Il faut attendre leur quatrième disque, A Chance To Cut Is A Chance To Cure, pour voir le duo décoller ; cet album-là se basait sur des sons chirurgicaux – métaphoriquement autant que littéralement, des samples de séance d’opération étant employés –, pour un résultat aussi original que… crispant. The Civil War inventait la folktronica, collision entre l’electronica la plus pointue et le folk : moins crispant, mais original tout de même. The Rose Has Teeth in the Mouth of a Beast multipliait les collaborations (Björk, Antony sans les Johnsons) pour une dizaine de morceaux centrés sur autant de personnalités LGBT, telles que Patricia Highsmith, William S. Burroughs ou Louis II de Bavière – de fait, les deux têtes chercheuses de Matmos, en couple à la ville, n’ont jamais fait mystère de leur préférence sexuelle. Deux ans plus tard, Supreme Balloon constituait une amusante pochade en mode 8-bits, avec, en conclusion du disque, une déconnade de 25 minutes évoquant le Pink Floyd des grandes heures passé au filtre des musiques des vieux jeux vidéo. The Marriage of True Minds avait un concept un peu plus vaseux : grosso modo, la télépathie, et malgré quelques bons moments, l’album peinait à fonctionner en tant qu’unité et apparaissait davantage comme une succession de morceaux disparates.

Trois ans plus tard, voici donc Ultimate Care II, album se basant sur la machine à laver éponyme produite par Whirlpool. Et pourquoi pas ? Au cours d’un programme de lavage, une machine à laver émet une grande variété de sons, sans compter tous ceux qu’il est possible de lui faire émettre en utilisant le tambour comme percussion (forcément), en frottant divers objets, en y faisant couler de l’eau. Etc. Et l’album s’inscrit pleinement dans la discographie du duo, qui a toujours pris soin de prouver que tout est musique ou matériel pour la musique.

Sûrement parce que précisément la machine à laver n’est pas forcément l’objet qu’on associe le plus à la musique. On peut toutefois citer Sonic Youth, le groupe américain ayant sorti en 1995 la chanson « Washing Machine » sur l’album du même nom, ou encore Kate Bush qui, sur Aerial (2005), parvient à faire sonner les mots « Washing machine » d’une manière obscurément érotique (« Mrs. Bartolozzi »).

Comme de juste, UC2 débute donc avec le cliquètement du bouton que l’on remonte puis le bruit liquide de l’arrivée d’eau dans la machine, et c’est parti pour près de quarante minutes de délire où l’electronica la plus abstraite côtoie la musique concrète la plus… concrète (forcément). L’édition vinyle du disque se divise en deux parties, logiquement titrées « Wash Side » et « Rinse Side ». Bref, les sons, censément tous produits/émis par la machine à laver – moyennant un éventuel retravail –, mélangent entre ceux que l’on peut aisément identifier (tapotage, grincement des boutons, couinement des doigts mouillés sur le métal, battement régulier du tambour en plein cycle), et tous les autres, bien moins identifiables. De fait, dans les notes du disque, Matmos prend soin de préciser qu’aucun synthétiseur, qu’aucune boîte à rythme n’a été utilisée : rien que la machine. L’ensemble évoque un voyage sonore du autour et dans le lave-linge.

On remarquera le T-shirt Sonic Youth porté par Drew Daniel…

À partir de la trentième minutes, UC2 part en vrille, sous la forme d’une réjouissante jam technoïde, aussi indus que concrète, quasi hystérique par endroit. Ça tape dur, la machine à laver donne tout ce qu’elle a dans le ventre. À toutes fins utiles, faut-il néanmoins préciser que l’appareil de Schmidt et Daniel a conservé toute son intégrité à l’issue de l’enregistrement du disque ? Il court sur YouTube une vidéo où l’on voit une machine à laver méthodiquement s’autodétruire après qu’on a jeté dans le tambour un aimant ; avec Autechre en fond sonore, c’est imparable (mais on y reviendra, plus tard). Enfin, de manière somme toute logique, UC2 s’achève par la sonnerie de fin de programme, laissant les oreilles de l’auditeur joyeusement essorées…

En fin de compte, le résultat s’avère des plus écoutables, et carrément fun (cela change des« Variations pour une porte et un soupir » de Pierre Henry). Après un The Marriage of True Mind assez décevant, Ultimate Care II constitue une boutade pince-sans-rire, montrant un duo en bonne forme.

Introuvable : non
Inécoutable : ça dépendra des sensibilités
Inoubliable : oui

Et pour qui a une quarantaine de minutes devant lui :

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