Après Les Xipéhuz de Rosny aîné, l'on continue de s'intéresser à la « prehistoric fiction » avec Ô Grand Rosenfeld, une fantaisie due à la plume de Daniel Wallace — l'auteur du roman Big Fish, que Tim Burton a porté à l'écran en 2003.
Après Les Xipéhuz de Rosny aîné, l'on continue de s'intéresser à la « prehistoric fiction » avec Ô Grand Rosenfeld, une fantaisie due à la plume de Daniel Wallace — l'auteur du roman Big Fish, que Tim Burton a porté à l'écran en 2003.
Daniel Wallace s’est fait remarqué au début des années 2000 lorsque Tim Burton a porté à l’écran son premier roman, Big Fish. Un roman où fantastique et réalité s’entremêlaient, au fil de la confession à son fils d’un père à l’agonie, à la jeunesse et au parcours hors du commun… Dans la filmographie du réalisateur, le film succédait à la médiocre Planète des singes et constitue probablement le dernier éclat d’un Tim Burton désormais trop souvent enferré dans ses propres gimmicks. Bon, reconnaissons que Big Eyes (2014) n’était pas mauvais.
Daniel Wallace a publié par la suite d’autres romans, plus ou moins régulièrement – le dernier en date, The Kings and Queens of Roam, étant paru en 2013, après une éclipse de Wallace d’une demi-douzaine d’années. Côté traductions, les éditions Autrement se sont arrêtées au Roi de la pastèque, après le présent Ô Grand Rosenfeld.
Ô Grand Rosenfeld est un drôle de roman, une fantaisie préhistorique se situant dans une lignée similaire à Pourquoi j’ai mangé mon père de Roy Lewis ou la série des « Petits Féroces » de Paul Thiès : un monde préhistorique fantasmé, qui se préoccupe guère de la véracité historique. Ça n'est pas La Guerre du feu de J.H. Rosny aîné ni Sous le vent du monde de Pierre Pelot. Ici, l’argument préhistorique est d’ailleurs minimaliste : pas de mammouth, de rhinocéros laineux ou de tigre à dents de sabre ; à peine y croisera-t-on une Bête monstrueuse que personne n’a jamais vue. Bref.
« Ô Grand Rosenfeld, notre chef ! Tu n’as d’égal dans aucun des pays auquel on peut songer, ni dans le monde qu’il y a devant nous ni dans celui qu’il y a derrière nous. Dans toutes les autres tribus, chez les Smith ou les Wilson (les cupides Wilson !), personne ne saurait être aussi extraordinaire que le Grand Rosenfeld, troisième du nom ! »
Rosenfeld a donc succédé à son père, qui lui-même avait succédé à son propre père. Mais Rosenfeld, deuxième du nom, est mort en tombant accidentellement d’une falaise et son rejeton s’est retrouvé propulsé chef, un peu à son corps défendant. Surtout, le jeune Rosenfeld n’a pas un charisme de fou, et sa plus importante décision envers la tribu a été de proscrire l’accès aux falaises, ces accidents de terrain si dangereux. Le souci, c’est que Rosenfeld est confronté à deux problèmes : le premier est lointain mais s’approche, et c’est la tribu des Wilson, dont le chef a des vues sur Sally la Très Belle ; le deuxième, c’est que la tribu se retrouve désormais acculée à une falaise. Du coup, leurs chances de survie face aux Wilson semblent assez minces à George le scribe, narrateur de la présente histoire.
La tribu dirigée par Rosenfeld compte trente-mois membres et demi. Demi, parce qu’il y a Roy, « qui est né avec la moitié d’un corps » (la moitié haute, on vous rassure). Outre Rosenfeld troisième du nom, George et Sally la Très Belle, on y trouve aussi Gros Akins, brute qui aimerait bien devenir chef à la place du chef et qui s’avère parfois doué d’éclairs de lucidité :
« Rosenfeld : (…) Tu as regardé un peu ces falaises ? Mon père est tombé d’une falaise infiniment moins dangereuses que celles-ci ne le paraissent. Donc il ne va rien se passer de tel [quitter le Pays-devant-les-Falaises].
Gros Akins : Avec tout le respect qui t’est dû, Ô Grand, ces falaises ne m’ont pas l’air si dangereuses que ça. Ce ne sont peut-être même pas toutes des falaises.
Rosenfeld : Je sais reconnaître des falaises quand j’en vois une, Gros Akins. Crois-moi, elles sont dangereuses.
Gros Akins : Oui. Mais elles ne sont dangereuses que si on s’approche d’elles. Si on traversait les prairies et les champs qui se trouvent entre ici et les falaises, je pense qu’on survivrait et qu’on arriverait bientôt dans un meilleur pays. »
En tant que conte préhistorique, Ô Grand Rosenfeld fait la part belle à l’absurde et aux anachronismes. On ne peut donc s’empêcher de penser à Pourquoi j’ai mangé mon père, sans toutefois les implications idéologiques du roman de Roy Lewis. De fait, narré par le progressiste Edouard, Comment… prône l’expérimentation à tout va, qu’importe les conséquences – tant pis si on fait cramer la savane à la suite d’un feu mal maîtrisé. Rosenfeld, quant à lui, se complaît dans une molle inaction ; il n’est pas réactionnaire, juste excessivement prudent et pas très inventif, et heureusement que George est là pour lui sauver la mise. Bien souvent, le scribe fait office d’éminence grise, aidant Rosenfeld à accoucher d’histoires n’ayant pas encore été écrites et d’idées n’ayant pas encore été formulées.
Le sous-titre ne laisse guère de place au doute : « Une histoire avec des images ». Le roman est donc agrémenté par des illustrations de l’auteur : un style naïf, faussement maladroit, qui rappelle quelque peu celui de Quentin Blake, l’illustrateur favori de Roald Dahl, ou Kurt Vonnegut et son Petit Déjeuner des champions (en moins trash, il n’est nullement question de « beaver » ici). Pour autant, il ne s’agit pas ici vraiment d’un roman pour la jeunesse… quoique. Disons un livre pour enfants mais pour les grands. Rosenfeld, George et les autres sont potentiellement des adultes, avec cependant des attitudes puériles. En fin de compte, Ô Grand Rosenfeld ressemble au caprice d’un auteur désireux de se faire plaisir avec une histoire sans autre prétention que de l’amuser, lui (et ses éventuels lecteurs).
« Les histoires ne finissent jamais, elles s’arrêtent simplement. Celle-ci continue aussi, tout comme le Grand Rosenfeld. Ses aventures ? Elles sont merveilleuses et ineffables ; j’hésite à vous en faire part ici, car vous ne les croiriez pas. »
De manière fort curieuse, ce court roman n’a pas connu d’édition anglaise. La page de l’auteur sur GoodReads indique que Ô Grand Rosenfeld existe en français et en coréen mais pas en anglais – à l’exception d’un tirage limité destiné à l’auteur et ses proches. Comme on peut donc le lire en français, on aurait tort de se priver de cette fantaisie préhistorique, gentiment désopilante.
Introuvable : non
Illisible : non
Inoubliable : oui