Direction l'Amérique du Sud, avec Adolfo Bioy Casares (auteur dont les initiales le prédestine à figurer dans ce navrant Abécédaire) avec son deuxième roman, Plan d'évasion, qui a eu la lourde tâche de succéder au classique qu'est L'Invention de Morel.
Plan d’évasion (Plan de evasion), Adolfo Bioy Casarès, roman traduit de l’espagnol (Argentine) par Françoise-Marie Rosset. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001.
Il serait dommage de réduire l’œuvre d’Adolfo Bioy Casarès à sa seule Invention de Morel. Aussi brillant soit-il (et il est brillant), ce roman n’est que le premier d’une œuvre romanesque – certes réduite, Bioy Casarès ne se caractérisant pas par sa prolixité.
Est-ce nécessaire de le rappeler ? Adolfo Bioy Casarès (1914-1999) est connu, reconnu pour avoir été l’ami de Jorge Luis Borges et pour avoir créé avec lui le personnage de H. Bustos Domecq, dont les enquêtes pastichent volontiers les romans d’énigmes policières. Romancier et nouvelliste, il a publié en un demi-siècle sept romans et autant de recueils. Son œuvre connaît une partie « souterraine » : des publications de jeunesse — une demi-douzaine de romans —, dont ABC a veillé à effacer toutes traces après la sortie de son premier roman officiel, L’Invention de Morel (1940). Celui-ci raconte l’arrivée d’un fugitif sur une île de Polynésie, réputée maudite. Dans son journal, l’homme raconte les événements étranges dont il est le témoin, en particulier les apparitions inexpliquées d’une clique d’individus qui semblent ne pas le voir. Parmi ces gens, la belle Faustine, dont il tombe amoureux, et Morel, qui a mis au point certaine invention… Roman encensé par la critique, en particulier Borges (« J’ai discuté avec son auteur des détails de la trame, je l’ai relue ; il ne me semble pas que ce soit une inexactitude ou une hyperbole de la qualifier de parfaite » déclare-t-il en conclusion de sa préface), adapté deux fois au cinéma, ayant inspiré Alain Resnais pour L’Année dernière à Marienbad voire J.J. Abrams pour la sérieLost (sans oublier George Perec, qui y fait référence dans La Disparition) il a accédé au rang de classique. Que faire ensuite ? Prendre son temps et écrire un autre roman.
Ce sera Plan d’évasion (1945), qui se situe dans la droite lignée de L’Invention de Morel : une île, des événements qui défient la nature et le bon sens. Bien après les faits, le narrateur reprend la correspondance qu’il a échangée avec son neveu, le lieutenant de vaisseau Henri Nevers.
« Il y a à peine un jour que je suis dans ces îles et j’ai déjà vu quelque chose de tellement grave qu’il me faut bonnement et simplement t’appeler au secours. »
En 1913, Nevers est parti pour le bagne de Cayenne, en qualité de surveillant, quoique à la suite d’une mesure disciplinaire — voilà où courir les jupons mène. Sur l’île du Diable, Nevers est témoin, de loin, d’événements étranges. Les événements, ce sont des individus et des animaux aux comportements erratiques ; il y a des morts aussi, que certains tentent d’évacuer en cachette. Que faire ? En parler aux supérieurs hiérarchiques ? Le problème est que le gouverneur du bagne, Castel, semble lié de près à ces phénomènes. Henri Nevers va tenter d’en savoir plus, sans perdre de vue pour autant son projet de regagner la métropole. (Et difficile d’en dire davantage sans spoiler comme un gros porc.)
Plan d’évasion reprend donc certains éléments de L’Invention de Morel : un décor insulaire et exotique, un protagoniste en fuite, étranger aux mécanismes mis au point par l’antagoniste (qui s’avère un nouveau savant fou), une amoureuse idéalisée, une mise en doute des événements rapportés — ici, non par l’éditeur mais par l’oncle de Nevers. Dans une certaine mesure, avec la réitération de ces thématiques, Plan d’évasion fonctionne en tant que double de L’Invention de Morel, mais s’oppose toutefois à ce premier roman sur d’autres points. Là où le fugitif de L’Invention… tente de s’intégrer, là où Morel enclot ses invités dans une boucle temporelle, Nevers n’a d’autre désir que de fuir, et Castel lui-même impose une méthode de fuite un plan d’évasion (certes inhumaine) à ses malheureux cobayes.
Pareillement, la révélation de la nature science-fictive des événements diffère. L’Invention de Morel table sur l’intelligence du lecteur ; Plan d’évasion accumules les mystères, mais il faut bien une explication en bonne et due forme pour les dévoiler. Et cela fonctionne hélas moins bien. C’est fascinant, certes, mais la nature épistolaire du roman en distancie le lecteur (à tout le moins votre serviteur), qui peine à trouver intérêts aux dits mystères. Surtout, la fin ne fascine pas autant que celle de L’Invention… : tout ça pour ça ? À moins qu’il ne se trouve au sein du roman une structure, un plan caché, que je n’aurais perçu ?
En somme, Plan d’évasion se révèle un deuxième roman aussi curieux et science-fictif que L’Invention de Morel. Moins fort, moins puissant que son prédécesseur néanmoins. Une légère déception.
À noter que Plan d’évasion a tout de même été couronné en 1979 par le Prix du Meilleur Livre Étranger, prix littéraire décerné à… un roman étranger traduit (sans blague). Des œuvres insignes comme Cent ans de solitude ou Le Seigneur des anneaux (entre autres) l’ont ainsi reçu.
À suivre avec Le Songe des héros, troisième roman de l’auteur qui fera l’objet d’un billet ultérieur.
Introuvable : pas loin Illisible : non Inoubliable : presque