X comme X, the Man with the X-Ray Eyes

L'Abécédaire |

Où l'on se penche sur L'Horrible Cas du Docteur X de Roger Corman, l'histoire d'un savant, pas encore fou au début du film, mais qui ne tarde pas à le devenir, à trop vouloir élargir le spectre de ses perceptions visuelles… Un vibrant plaidoyer contre l'auto-expérimentation !

En 1981, le groupe de rock gothique Bauhaus sortait son deuxième album, l’inégalable Mask. En pénultième position de la face B, la chanson « The Man with the X-Ray Eyes » et ses paroles cryptiques se terminent par quelques phrases faisant directement écho au film éponyme de Roger Corman.

« I have seen too much
Wipe away my eyes
Too much »

Est-il nécessaire de présenter Roger Corman ? Ce réalisateur et producteur américain est connu et reconnu pour son immense filmographie, essentiellement située dans le domaine des séries B, et pour avoir mis le pied à l’étrier à des jeunots (à l’époque) comme Francis Ford Coppola, Ron Howard, Martin Scorsese ou James Cameron. Entre 1955 et 1971, Corman a réalisé cinquante-deux films : cela fait une moyenne de 3,25 par an, mais la seule année 1957 a vu sortir neuf (9 !) de ses films. À partir de 1971, son activité de réalisateur a toutefois cédé le pas à celle de producteur, et il n’a plus guère tourné.

« Sam : "Only the gods see everything"
Xavier : "My friend, I'm closing in on the gods" »
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Sorti en 1963, L’Horrible Cas du Docteur X se situe en plein dans la période créative de Corman. L’histoire est celle du Dr James Xavier, scientifique de renom qui cherche à percer les secrets de la vision : le spectre du visible est si restreint. Que se passerait-il si l’on était capable de percevoir l’ensemble du spectre électromagnétique. Xavier met ainsi au point une substance permettant à l’œil de distinguer les ultraviolets et les rayons X. Mais sur qui la tester ? Employé comme cobaye, un singe meurt, et Xavier ne veut pas mettre en danger la vie d’autrui. En dépit de l’opposition de ses collègues, il teste le produit sur lui-même. Le voilà désormais capable de voir à travers la peau, ce qui permet de sauver des vies lors de mauvais diagnostics — ou à travers les vêtements, ce que découvre le praticien lors d’une soirée dansante. Mais Xavier va causer le décès accidentel d’un ami. Et le médecin de fuir à Las Vegas, où il va exercer la profession de magicien, doté d’un étonnant pouvoir de voyance (et pour cause). Le pouvoir des gouttes étant cumulatif, comme le découvre assez vite Xavier, il voit de plus en plus largement dans le spectre électromagnétique, chose qui n’est pas sans effet sur sa santé mentale. Jusqu’à voir la texture même de la réalité et ce qui s’y cache…

« If thine eye offends thee, pluck it out. »
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Depuis Lovecraft, on sait qu’il ne vaut mieux pas chercher à savoir ce qui se dissimule à l’extrême bout de nos perceptions, et la fin de L’Horrible Cas du Docteur X n’est justement pas sans évoquer le Maître de Providence. Tout juste si l’on ne s’attend pas à voir Xavier s’écrier « Nyarlathothep ! Azatoth ! » Malgré un court passage humoristique (la soirée dansante, où la vision de Xavier traverse désormais les étoffes), la trajectoire de Xavier est celle d’une descente aux enfers ; la scène finale proscrit toute rédemption. La légende veut qu’une fin alternative était envisagée, dans laquelle [SPOILER] Xavier puisse toujours voir malgré son auto-énucléation[/SPOILER]. Xavier s’approche de l’archétype du gentil savant fou : son invention, censée faire le bien (en l’occurrence, améliorer les techniques médicales), finit par causer sa perte — mais le docteur le cherche bien, continuant à s’injecter les gouttes de sa substance en dépit des avertissements de ses amis et des conséquences néfastes.

« Our means of receiving impressions are absurdly few, and our notions of surrounding objects infinitely narrow. We see things only as we are constructed to see them, and can gain no idea of their absolute nature. With five feeble senses we pretend to comprehend the boundlessly complex cosmos, yet other beings with wider, stronger, or different range of senses might not only see very differently the things we see, but might see and study whole worlds of matter, energy, and life which lie close at hand yet can never be detected with the senses we have. » H.P. Lovecraft, « From Beyond »

Le film repose assez peu sur les effets spéciaux. L’essentiel de ceux-ci résident dans la représentation des visions de Xavier : dans un cadre circulaire, l’on voit d’abord le scientifique voir sous la surface des choses (sous les vêtements, sous la peau), avant que sa perception du spectre ne s’élargisse. Les images se troublent alors, deviennent de plus en plus abstraites. Des effets plutôt réussis.

Le film a certes pris un léger coup de vieux, mais pour peu que l’on le regarde avec un œil (pardon) indulgent, il demeure d’une vision (pardon) tout à fait plaisante malgré un rythme inégal. Et Ray Milland, qui interprète James Xavier, est remarquable dans ce rôle de scientifique dévoré par sa propre invention. Dans le genre, L’Horrible Cas du Docteur X m’a paru plus réussi que le plus connu La Petite Boutique des Horreurs.

En somme, une bonne surprise au sein de la filmographie monstrueuse (pardon) de Roger Corman.

Introuvable : oui (non)
Irregardable : non
Inoubliable : oui

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La fameuse règle 34 de l’Internet déclare que, pour chaque truc, il en existe une variante pornographique. Le thème des rayons X pouvant se prêter à des moments graveleux, j’ai cherché (sans assiduité, mieux vaut préciser) un équivalent porno à L’Horrible Cas du Docteur X… mais, curieusement, n’ai rien trouvé sinon un film de 2007, The Girl with the Sex-Ray Eyes (cf. sa fiche Imdb), de Fred Olen Ray (cinéaste dont on reparlera à la prochaine lettre E). Apparemment, il s’agit davantage d’un film érotique que pornographique.

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