« A la fin de l’année dernière, il m’est apparu que l’envie d’écrire semblait bel et bien revenue – sans certitude quant à la profondeur de cette envie : l’approche de la soixantaine pouvait parfaitement avoir suscité en moi une envie de jouer une dernière fois à l’écrivain… avant de laisser tomber à nouveau, cette fois définitivement… » Où Francis Valéry continue de parler d'écriture et évoque de potentiels projets.
Journal d'un Homme des bois, 20 juillet 2014
L’été dernier – je l’ai déjà raconté – le service culturel du Musée des Confluences de Lyon m’a proposé de participer à un événement, mêlant SF et astronomie. J’ai écrit le texte de « La dernière chance », nouvelle de SF volontairement grand public – elle n’évite donc pas quelques clichés – et une musique pour en soutenir une lecture publique. Cinq chapitres et cinq mouvements. Cette opportunité d’exploiter mes petits talents d’écriture à la fois littéraire et musicale, a été un formidable déclencheur. Dans le même temps, il y avait ces discussions régulières avec mon vieil ami Jean-Jacques Girardot, sur un possible roman à quatre mains – Jiji a un projet déjà très documenté et très convaincant. Bref, à la fin de l’année dernière, il m’est apparu que l’envie d’écrire semblait bel et bien revenue – sans certitude quant à la profondeur de cette envie : l’approche de la soixantaine pouvait parfaitement avoir suscité en moi une envie de jouer une dernière fois à l’écrivain… avant de laisser tomber à nouveau, cette fois définitivement ; s’agissait-il vraiment du retour de cette foutue nécessité intérieure, bien difficile à expliquer – ceux qui ont ressenti la rage d’écrire me comprendront. La nouvelle année est arrivée. J’ai connu plusieurs périodes d’exil intérieur : ces journées où rien d’autre qu’écrire ne fait sens. Je crois que c’est une forme d’autisme – un processus permettant de maintenir un lien avec soi-même, au prix d’une coupure avec le monde extérieur. A dire vrai, je n’ai jamais su si écrire était la maladie ou l’antidote. J’ai avancé sur le projet avec Jiji. J’ai pris quelques notes sur d’autres possibles. Et puis est venue cette idée de livres audio – qui m’a bien occupé ces derniers mois et a fini par se concrétiser, grâce aux Éditions du Bélial’. Et puis je me suis souvenu…
Je me suis souvenu de la volonté de Philip Ward d’éditer chez Rivière Blanche un recueil de mes textes d’obédience fantastique – pour l’essentiel ceux parus dans Ténèbres à la toute fin du précédent millénaire, déjà dans cette esthétique bio-fictionnelle, jouant des ambigüités entre le réel et l’imaginaire, ancrés dans le Bordeaux underground des seventies. Dreampress.com m’avait d’ailleurs fait la même offre, si je ne m’abuse. Je me suis ensuite souvenu d’une proposition, cette fois de Actus SF (remontant à l’origine du monde !) d’éditer un petit volume avec « Bleu » (une novella parue dans Ténèbres) et sa préquelle inédite (à l’époque, je n’avais pas été foutu de retrouver le manuscrit). Toujours ces textes dans Ténèbres ! Je me suis également souvenu de plusieurs projets en littérature jeunesse – souvenirs un peu flous, je me rappelle vaguement de deux volumes dans la série des Julien publiée chez Magnard, terminés et qui doivent attendre quelque part. Et la petite voix dans ma tête a continué de piocher dans la boîte de Pandore de mes actes manqués : « Tu te souviens qu’Olivier t’a dit mille fois qu’il aimerait un inédit pour Bifrost ? », « Tu te souviens que Gilles t’avait parlé du Talent ressuscité, suite directe au Talent assassiné ? », « Tu te souviens de cette éditrice de littérature générale qui t’avait demandé de lui proposer un roman ? », « Tu te souviens… » : ça finit par faire beaucoup de souvenirs ! Et beaucoup de projets qui ne sont certainement plus d’actualité – Gilles Dumay n’est pas assez suicidaire pour avoir envie de me publier à nouveau chez Denoël ! Mais peut-être que quelques-uns de ces vieux projets le sont encore, d’actualité ? J’ai envoyé quelques mails, ça et là, à des personnes avec lesquelles je n’avais plus été en contact depuis une éternité, simplement pour dire que j’étais sorti de mon trou, que j’avais envie de prendre l’air et le soleil, que je m’étais souvenu de tel projet : peut-être était-il possible de (ré)envisager une collaboration ? Bref, le mail du type un rien secoué qui commence par annoncer qu’il a été ailleurs pendant dix ans et a donc tout soudain coupé les ponts, passe un petit moment à tourner autour du pot en matière d’excuses, pour finir par avouer qu’il ne sait pas vraiment où il se trouvait pendant tout ce temps mais que, retour de l’écrivain prodige oblige, il dirait bien oui, en fin de comptes. Un peu gonflé, tout de même – j’en conviens. En toute logique, la plupart de mes correspondants se sont contentés de ne pas répondre – et on peut les comprendre. Sauf deux qui ont répondu : « c’est pas grave, on t’aime toujours, dès que tu as un manuscrit finalisé, envoie ! ». Les vrais copains, quoi. Ceux qui savent que rester en vie, ne serait-ce que cela : rester en vie, n’est facile pour personne.
Il y a vingt ans – j’en avais quarante – j’étais capable d’écrire dix heures par jour, tous les jours, et de publier bon an mal an, quatre ou cinq livres (essais, livres jeunesse, romans) et une vingtaine de nouvelles. Aujourd’hui, je parviens à écrire deux heures et puis j’ai un effondrement de la glycémie ou une crise d’hypotension, et si j’ai le malheur de m’assoir dans un fauteuil pour reprendre des forces, alors je m’endors en quelques secondes. Je parle là des bonnes journées. Les mauvaises journées, je ne peux juste rien faire, incapable de faire fonctionner mon corps et avec un cerveau aux abonnés absents. Mon temps « utile » est donc consacré, dans sa presque totalité, à travailler pour la Maison d’Ailleurs – c’est ce qui me fait (sur)vivre. Pour recommencer à « produire » de la fiction, je suis donc obligé de m’appuyer sur ce qui existe déjà : il m’est en effet beaucoup plus facile de revoir/corriger un texte ancien que d’en écrire un nouveau. Et je m’aperçois qu’il est moins fatiguant, pour moi, de composer de la musique que d’écrire de la fiction. Mon retour dans le monde des « littératures de l’imaginaire » (il paraît qu’on dit comme ça, maintenant) s’est donc manifesté par le retour de CyberDreams sous la forme d’une collection de livres audio. La première proposition a été la reprise de mon spectacle lyonnais de novembre, la deuxième a été une lecture de « Bal à l’Ambassade », une nouvelle parue dans CyberDreams (la revue), sous la signature de F. Paul Doster, avec un habillage sonore et musical composé pour l’occasion. J’ai proposé à plusieurs auteurs d’être de cette aventure – mais ils ont tous refusé, bien entendu pour les meilleures raisons du monde, au moins de leur point de vue. Faute de combattants, la troisième proposition, à paraître sans doute à la rentrée de septembre, sera donc également un de mes textes – mais pour élargir encore la palette esthétique de la collection, il s’agira cette fois d’un texte fantastique, beaucoup plus long. Nous en reparlerons. Côté livre, je me dois – au moins dans un premier temps – de m’appuyer là encore sur ce qui existe déjà ; je n’ai absolument pas la possibilité, en terme « d’énergie », de me lancer de suite dans l’écriture d’un roman inédit – mais j’y pense très sérieusement et un dossier se constitue peu à peu, concernant un livre, un space opera à la manière, en toute immodestie, de mes maîtres étasuniens (Simak, Vance, Silverberg, Russell, Oliver…), qui pourrait voir le jour fin 2015. J’ai un an pour l’écrire ! En attendant, j’ai (re)commencé à travailler à ce projet de recueil fantastique pour Rivière Blanche.
La première difficulté consiste à retrouver les textes…
J’ai conservé tous mes écrits de la période 1984/2001 sur des disquettes formatées Mac – j’ai longtemps travaillé sur un Mac+ puis un LC 470, ainsi que sur plusieurs Powerbook. Quand mon LC 470 a rendu l’âme, ça a été une catastrophe. J’ai du acheter un iMac – qui n’avait pas de lecteur de disquettes, dont le lecteur de disquette optionnel (cher !) ne lisait pas les disquettes formatées à haute densité sur mes Mac précédents, et qui est tombé en panne une semaine après la fin de la garantie. Après dix-sept années de militantisme proMac, je suis donc passé à l’ennemi sans le moindre remord et ai rangé dans un coin mes boîtes de disquettes devenues parfaitement illisibles. Les ayant retrouvées (elles n’étaient pas vraiment perdues), Je me suis dit que, peut-être, si je dénichais un vieux Mac sous système 5 en état de marche, je pourrais lire mes vieilles disquettes, copier leur contenu sur le disque dur, les reformater pour qu’elles soient lisibles sous les deux formats Mac/PC (je crois me souvenir qu’on pouvait faire çà), enregistrer mes fichiers en .rtf, les remettre sur mes disquettes reformatées, et ensuite les lire sur un de mes PC – le .rtf devrait permettre une réouverture sous un Word pour PC plus ou moins récent. Beau programme. Pas sûr que ça fonctionne. Et de toute façon, je ne connais aucun heureux propriétaire d’un vieux Mac en état de marche. Pourquoi garder un vieux Mac ? Cela fait quinze ans qu’il est impossible de trouver dans le commerce une imprimante pouvant fonctionner sur un Mac autrement qu’en USB – et les Mac du précédent millénaire n’ont bien entendu pas de connectique USB ; et si par chance vous trouvez une imprimante ancienne en état de marche, il est impossible de trouver des cartouches d’encre ! En lançant les iMac et en imposant l’USB, Apple a réalisé l’opération la plus putassière de toute l’histoire de la micro-informatique, jouant à fond la carte de l’obsolescence forcée, obligeant toute sa clientèle à upgrader l’ensemble de son hardware. Quelle magnifique foutage de gueule ! (quand on pense que ces gens-là passent pour des héros anarchistes !).
Bref, j’ai dû partir à la recherche des textes imprimées – dans Ténèbres, dans d’autres revues, dans des anthologies… Pas forcément simple, ne serait-ce que parce que j’ai oublié la plupart des textes que j’ai écrits ! Il y a quelques années, par hasard, j’ai appris qu’il y avait une fiche wikipédia sur moi, initiée par je ne sais qui, complétée à l’occasion par je ne sais pas davantage qui – sauf ces derniers temps où un tout jeune lecteur de SF m’a contacté pour avoir accès à mes archives, dans le but de compléter ma fiche wiki, en particulier la bibliographie. Charmante attention. Je connais donc au moins une des personnes qui s’occupent de cette fiche – et je connais aussi la personne qui a pris la photo illustrant la fiche, puisqu’elle s’est présentée à moi lors d’un festival Utopiales. C’est plutôt sympa, ces gens qui ont envie d’écrire sur vous dans la plus grande encyclopédie du monde ! On n’est pas certain de mériter cet honneur, mais bon, ça fait plaisir d’avoir ce genre de « reconnaissance », faut bien l’avouer. Pourquoi je parle de ça ? Ah oui, parce que c’est grâce à cette bibliographie que j’ai retrouvé la mémoire de certains de mes écrits et leur localisation éditoriale – en même temps, savoir que j’ai publié tel truc dans la revue, au hasard, Maelström, ça me fait une jambe à moitié belle, dans la mesure où je n’ai aucune souvenir que ce qu’est/fut la revue Maelström… Mais c’est un début.
En attendant d’avoir composé le sommaire définitif de ce recueil, j’ai commencé à scanner des pages de revues ou d’anthologies, puis je les imprime en gros (oui, parce que je ne vois pas grand-chose non plus) et je commence à ressaisir le texte (et la, franchement, c’est chiant !). Je sais qu’il existe des logiciels de reconnaissance de caractères… mais chaque fois que j’ai vu un texte ainsi « récupéré » c’était pire que tout ! Pour une nouvelle, il vaut mieux tout retaper (même si, franchement… mais je l’ai déjà dit). Au jour d’aujourd’hui, j’ai retapé le texte de « Bleu » et je l’ai pas mal réécrit – dans le sens d’un meilleur rendu lors d’un passage à l’oralité ; parce que je ne vous l’ai pas encore dit, mais « Bleu » sera ma prochaine proposition audio avec un habillage musical privilégiant les instruments acoustiques à cordes (guitare, sitar, dulcimer…). Présentée par la rédaction de Ténèbres comme mon « chef d’œuvre dans le domaine du fantastique » (pas de souci pour mes chevilles, j’écris ces mots chaussées de charentaises enfilées à l’écrabouille), cette très longue nouvelle, à en croire le courrier des lecteurs de Ténèbres, a pas mal secoué en son temps. C’est assez étrange. Je n’ai jamais été un lecteur de fantastique et je n’avais jamais eu envie d’en écrire, avant que mes amis Benoît Domis et Daniel Conrad me proposent de participer à l’aventure Ténèbres, une vraiment belle revue de librairie. Je ne connais rien au fantastique – mais je pratique depuis toujours ce que j’ai appelé, dans une conférence donnée en Suisse il y a quelques années, le « pas de côté », c'est-à-dire une sorte de déphasage avec le réel qui permet d’entrevoir un envers du monde, et d’identifier des failles qui permettent d’aller y puiser de la substance. J’ai toujours eu des visions, j’ai toujours entendu des voix, j’ai toujours deviné des choses avant qu’elles ne surviennent. A certaines périodes de ma vie, ce mode de fonctionnement a été très présent. Il y a trois ans, quand j’ai construit et aménagé un chalet, que j’ai commencé à retaper une petite maison construite par mon grand-père paternel, tout en essayant de faire revivre l’immense jardin et le potager que lui et ma grand-mère entretenaient, j’ai eu une grande période « shamanique ». Mon animal totem me visitait presque chaque nuit, dans mes rêves, pour discuter avec moi et me faire avancer sur mes projets. Et mon grand-père m’apparaissait parfois, juste pour me faire un signe de la main, en souriant – avant de se dissoudre dans l’air vibrant des matins froids. Je ne crois pas aux fantômes. Je sais bien que ces visions viennent de moi – qu’elles constituent une sorte d’interface entre une connaissance commune (extérieure et ancestrale) et mon propre savoir. Je ne vais pas aujourd’hui entrer dans les détails, parler de synchronicité et évoquer la conscience de l’univers – disons simplement que je suis quelqu’un qui fonctionne comme ça, toujours à la recherche du détail que d’autres, moins attentifs à cet aspect du réel, ne verront pas. Mes textes dans Ténèbres ressortissent à ce positionnement. Ils sont très fortement autobiographiques – mais le « je » qui s’y manifeste est le plus souvent un autre. Il s’agit également d’un fantastique urbain très contemporain – même si des motifs du fantastique traditionnel s’y expriment à l’occasion. D’après ce que m’ont dit mes éditeurs – et plusieurs amis comme Patrick Marcel – il semblerait que personne, au moins en France, n’avait jamais abordé le fantastique de cette manière et avec cette sorte d’écriture. Et que même, il aurait paru évident qu’il n’était pas possible, a priori, d’aborder le fantastique ainsi. Je ne sais pas. Je ne dispose d’aucun point de comparaison – faute de culture envers cette pratique littéraire. Stephen King n’écrit-il pas ce genre de choses ? (je ne l’ai jamais lu mais j’ai vu pas mal de films tirés de ses œuvres). Et en son temps, Lovecraft n’inscrivait-il pas certains de ses récits dans un environnement urbain contemporain ? Je n’ai donc jamais compris ce que mes textes avaient de particulier. Je sais juste ceci : ils m’ont valu, en leur temps, une avalanche de commentaires enthousiastes et il arrive encore qu’on m’en parle en regrettant qu’ils n’aient pas été repris en un recueil. Bonne nouvelle : cela va enfin se faire…