Retour sur l'horizon : du sense of wonder à la SF métaphysique ? (2/2)

Livres |

Il y a deux jours, Roland C. Wagner décortiquait pour nous la préface de Serge Lehman à Retour sur l'horizon, anthologie évènement qui fête les 10 ans de la collection Denoël Lunes d'Encre (dont nous rencontrions le directeur Gilles Dumay la semaine dernière) et les "100 ans de la science-fiction française". Bien que ce soit surtout la préface qui ait fait gloser sur les forums assidument fréquentés par le fandom, attaquons-nous à présent au véritable cœur de la bête : les textes sélectionnés par l'anthologiste. Et pour poursuivre les hostilités ouvertes par Roland C. Wagner, c'est Sylvie Denis, anthologiste de renom, à qui l'on doit notamment l'une des précédentes anthologies Escales, qui s'y colle aujourd'hui.


(Retrouvez cet article dans Bifrost n° 55, à paraître le 29 octobre)

Lire 1. Où l’on évoque la préface de Serge Lehman par Roland C. Wagner

2. Où l’on aborde les fictions de l’anthologie, par Sylvie Denis

La pulsion de mort plane sur cette anthologie. Il convient de la lire en écoutant La Chanson optimiste (10), que chantait Jean Guidoni sur l’album Je marche dans les villes et dont la dernière phrase était : « Comme le dit Marguerite Duras en experte, ce monde est pourri qu’il aille à sa perte. », chanson qui me mettait en joie à l’époque (oui, c’était il y a longtemps, désolée pour les moins de vingt ans dépourvus d’imagination qui croient que le monde est né avec eux et Internet) car son désespoir sur fond de mélodie guillerette avait la politesse de ne pas se prendre au sérieux…

Avant lecture, le titre, Retour sur l’horizon, ne m’attirait pas vraiment, mais après lecture, ma foi, je ne peux que le trouver des plus adaptés. Il semblerait que l’humeur du temps soit au retour sur soi, à la rumination en marchant en rond dans sa chambre et aux méprises, du moins en ce qui concerne l’anthologiste.

Dans la présentation du texte de Philippe Curval, Serge Lehman fait en effet allusion à la préface que j’ai écrite pourEscales 2001 en disant que la description que je faisais de la bulle de présent signifiait « la raréfaction des futurs possibles ».

Or, je n’ai jamais voulu dire que la bulle de présent réduisait les futurs possibles. D’une part parce que je ne me suis jamais mêlée de prédire le nombre de futurs possibles, probables ou autres — le risque de se tromper est trop grand pour que je le prenne —, d’autre part parce que la « bulle de présent » est un effet d’optique, rien de plus qu’un moyen de décrire la façon dont nous envisageons les choses. Et je précisais bien que « pour faire de la S-F […] il faut oser sortir de la bulle de présent. »

Dans quelle mesure les textes de l’anthologie en sortent ou pas, voilà une question que chaque lecteur pourra se poser et à laquelle il saura sans nul doute répondre tout seul.

On ne peut tout de même s’empêcher de remarquer que le futur lointain n’y est pas présent, que lorsqu’on va dans l’espace, on ne va pas plus loin que dans la ceinture des astéroïdes, et que nombre des personnages que l’on rencontre ici me font songer au Daniel Diersant jeuryen, petit homme des années soixante-dix prisonnier d’une société absurde et aliénante qui peine à « en sortir ».

Bizarrement — dans la mesure où je ne m’y attendais pas —, Jean-Claude Dunyach et Jérôme Noirez se retrouvent sur le terrain des relations de couple difficiles. Dans les « Fleurs de Troie », de Jean-Claude Dunyach, le protagoniste a pour compagne Moire, qui s’éloigne de plus en plus de lui à mesure qu’elle plonge dans une vie virtuelle — excellemment vue et décrite par l’auteur comme l’une des tendances fortes de notre temps. Notre héros gagne — fort bien, grâce à une modification de son cerveau, une autre bonne idée — sa vie comme explorateur dans la ceinture d’astéroïdes. Ayant rencontré une fleur des plus étranges sur l’un d’eux, il perd son associé, dont le cerveau est envahi par une sorte de programme informatique extraterrestre qui le pilote sur terre et y provoque des dégâts irrémédiables. Ayant perdu son amour, son ami et associé, et entrevoyant la puissance destructrice de la chose qu’il a ramenée, notre narrateur décide de repartir dans les astéroïdes, laissant entrevoir au lecteur une façon radicale de régler tous les problèmes de l’humanité. J’aurais préféré qu’il décide de laisser sa femme à ses fictions et de bâtir un joyeux empire financier avec son pote, mais il est évident que pour l’auteur, c’est l’inatteignable mystère féminin qui importe : sans lui, point de bonheur sur cette terre, ce qu’on ne peut en aucune façon lui reprocher.

Dans « Terre de Fraye », de Jérôme Noirez, un phénomène désigné sous le nom réjouissant de Bloop déverse des océans grouillants de créatures marines sur la Terre, provoquant le lent engloutissement de tout ce qui s’y trouve. Clioné le surfer, qui s’est retrouvé célèbre en affrontant l’océan qui terrifie ses contemporains, exerce son art sous les yeux des caméras et d’un fan japonais porté sur la boisson jusqu’au jour où il rencontre une singulière créature qui s’intéresse à lui d’une manière qui l’intéresse lui aussi. Jérôme Noirez est un délicieux satiriste, la vision de Bill Clinton coiffé d’une méduse et le personnage désespéré du Japonais perpétuellement bourré sont un plaisir, ainsi que ses descriptions de créatures marines chimériques et envahissantes. J’ai un peu plus de mal à comprendre son héros, lequel, ayant donc trouvé une créature féminine et fréquentable, découvre qu’elle est une sorte de réceptacle pour la progéniture d’un peuple extraterrestre. Heureusement, elle le choisit lui, et notre artiste-héros ayant établi sa suprématie sur cette nouvelle extension du domaine de la lutte, peut continuer à ignorer le monde qu’il méprisait de toute façon depuis le début.

Fabrice Colin et Léo Henry sont notre duo métafictionnel. Bienvenue au royaume des références, des emboîtements et des labyrinthes.

Le texte de Léo Henry me laisse extrêmement dubitative — en dépit ou à cause de la délicieuse inventivité de l’auteur quand il s’agit de créer des œuvres et des auteurs imaginaires. Cantor (comme le mathématicien ?), le narrateur, travaille pour Mozart Assassiné, une organisation d’où est issue une cité-république dont vingt-six pour cent des habitants sont des artistes et dont l’économie repose entièrement sur la culture. En effet, dixit Cantor : « L’accès aux banques de données informatiques […] offre aux scientifiques de Mozart Assassiné la possibilité de diagnostiquer avant cinq ans le quotient de création de chaque enfant. Il s’agit ensuite de l’élever dans des conditions idéales pour favoriser ses penchants. » Nul besoin d’avoir fait de longues études scientifiques pour se dire qu’une telle idée, présentée avec si peu de recul, flirte dangereusement avec le grotesque… Notre Cantor a donc pour métier de sauver des personnes dont le potentiel artistique a été gâché ; la nouvelle nous le montre entrant dans la conscience d’Absalon Nathan, un vieil homme qui n’a pas écrit les œuvres qu’il portait en lui. Voilà donc une nouvelle contenant trois synthèses d’œuvres fictionnelles doublement imaginaires, lesquelles mettent en scène des auteurs ou des œuvres qui jouent eux-mêmes, ou sont la proie de phénomènes de copie, d’avalement et de duplication. En conclusion, Cantor, qui se dit dépourvu de « don » justifie son activité et son existence par le fait qu’il est le dépositaire de l’œuvre mort-née d’Absalon Nathan. Cantor n’est donc rien d’autre qu’un vecteur, un homme dont l’être et les qualités n’existent que pour servir l’idéologie de Mozart Assassiné, laquelle me semble des plus étranges… J’aurais préféré quant à moi que l’auteur se contente de jouer de ses miroirs métafictionnels sans tenter de les parer d’un fondement « scientifique » fort maladroit…

Point d’étranges utopies chez Fabrice Colin, mais Philip K. Dick, des androïdes et des illusions.

J’aimerais vraiment comprendre ce qui préoccupe Fabrice Colin lorsqu’il écrit ce genre de texte. J’arrive, avec un effort, à l’appréhender d’un point de vue intellectuel, mais cela me paraît immensément abstrait et lointain. J’ai été obligée de faire un schéma pour pointer les emboîtements de texte, ce qui prouve que soit certains de mes neurones ne fonctionnent plus très bien, soit que Fabrice Colin est très malin.

Donc, dans « Ce qui reste du réel », un Fabrice Colin fictif écrit à un Serge Lehman parallèle pour lui dire qu’il avait l’intention d’écrire un texte pour son anthologie. Le texte aurait parlé de Philip K. Dick et aurait été notamment basé sur le fameux discours de Metz dans lequel celui-ci déclarait que « il y a presque autant d’univers qu’il y a de gens, que chaque individu vit en quelque sorte dans un univers de sa propre création ». Ce Fabrice Colin-là écrit à l’anthologiste qu’en vacances dans un refuge de montagne il a trouvé le manuscrit de la nouvelle qu’il projetait, écrite par un certain Emmanuel Werner. C’est ce texte qui commence alors, et l’on y rencontre Ambrose Melanko, qui arrive dans un hôtel de montagne du Colorado dans le cadre de l’enquête qu’il mène pour retrouver la tête perdue d’un Philip K. Dick androïde. Au même endroit se trouve une certaine Eléonora, une jeune femme qui ne sait pas qui elle est et pourquoi elle est là, mais qui ne tarde pas à rencontrer une certaine Jane, laquelle se consacre à la transcription des textes que lui dicte son frère Philip, un mannequin en fauteuil roulant. Le texte en question a pour sujet une femme qui découvre qu’elle n’est peut-être qu’une androïde. La clé du texte est sans nul doute dans une des réflexions du Fabrice Colin bis : « Le moment qui m’intéressait était celui où l’écrivain se vit comme une de ses créations et se retrouve pris au piège de sa propre logique littéraire. » Le fait est qu’il a raison : nous sommes effectivement des fictions. Tout être humain est un récit qu’il se raconte à lui-même et qu’il modifie à mesure qu’il avance dans la vie. Cela signifie-t-il pour autant qu’il soit une illusion ? Oui, sans doute, mais cela ne change rien à sa valeur, et puis, quelle importance ? Pour plus ample développement de cette idée qui semble en déranger plus d’un, je conseillerais Je suis une boucle étrange (Dunod, 2006) de Douglas Hofstader, où l’auteur explique fort bien le comment et le pourquoi des boucles autoréférentielles et de leur rôle dans l’existence de la conscience chez les êtres humains.

Evidemment, dans ce jeu de miroirs, le monde extérieur n’est représenté que par les rumeurs de guerre montant de la vallée que surplombent la montagne et l’hôtel, mais même s’il m’est agréable de demeurer quelque temps sur ces sommets solipsistes et mélancoliques — cette montagne a tout de même quelque chose de magique — je tends à penser qu’il faut mieux, pour ma santé mentale, ne pas en abuser.

« Lumière Noire » , de Thomay Day, combine assez brillamment singularité et post-apocalyptique. J’aimerais que l’on se souvienne que la singularité est une hypothèse émise par Vernor Vinge, d’abord en 1983 dans Omni, puis en 1993 dans un article intitulé « The Coming Technological Singularity, How to Survive in the Post-Human Era. » (http://www-rohan.sdsu.edu/faculty/vinge/ longnow) dans lequel il postule qu’une intelligence supra-humaine naîtra de la technologie créée par les humains. Au-delà de cette frontière paradigmatique, la donne étant radicalement transformée, il sera impossible de seulement concevoir le monde qui en résultera.

Ce qui signifie, entre autres, que rien n’interdit d’écrire de la science-fiction sans singularité aucune — Vinge a d’ailleurs rédigé un article consacré à toute une série de scénarios non-singularistes ! (11) Mais si on décide de suivre servilement ce postulat, on peut, comme Thomas Day, entraîner son lecteur dans un monde en ruine. La catastrophe singulariste s’est produite : un certain Lumière Noire a fait s’effondrer les réseaux informatiques de la planète et plongé le monde dans le chaos. On ne peut vivre que par groupes de trois dans des zones radioactives. Comme dans out bon récit post-apocalyptique, la seule question qui compte est la survie, et son héros, qui traverse le Canada et une partie des Etats-Unis à bord d’un camion géant dans un monde hivernal, prouve qu’il ne se débrouille pas trop mal sur ce terrain en tuant deux affreux et un chien et en sauvant une femme. Il se trouve, heureusement, que Lumière Noire a des projets à longs termes et comme le dit l’hilarant DJ du début et de la fin du texte : « La vie continue, heureusement. ». La raison pour laquelle il faut en passer par une improbable tabula rasa pour en arriver là appartient à l’auteur — après tout, il ne s’agit que d’un fantasme, et lorsqu’ils sont bien noirs, on sait qu’il vaut mieux les expulser en mots qu’en actes.

Les mots, c’est peut-être ce qui a manqué au terroriste de Laurent Kloezter, parfait exemple d’abruti portant la mort en lui et la répandant tout autour. Il a transporté une arme, un « virus informationnel », encore un, pour éliminer les Musulmans mais épargner les Européens, et nous assistons à son interrogatoire, qui, bien entendu, sert de vecteur au virus qui ne fonctionne pas tout à fait comme prévu. Le tout étant d’une noirceur un peu trop classique pour moi. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir que des imbéciles sont capables de porter la mort en eux et dans le monde, c’est de comprendre pourquoi il en est ainsi, et peut-être, comment on pourrait les en empêcher.

Les nouvelles d’André Ruellan et de David Calvo sont de celles qui-ne-sont-pas-de-la-SF-à-proprement-parler-mais-on-s’en-fout. « Je vous prends tous un par un » est de ces textes courts et joyeusement mabouls où le point de vue d’un personnage sur un tout petit morceau de l’univers en crée un autre, provoquant chez le lecteur une jubilation à la hauteur de sa mégalomanie. Il en est de même pour le vieillard agonisant d’André Ruellan : une jolie tranche d’horreur bien angoissante. Il s’agit là de la mort, la vraie, celle que précède l’interminable agonie du corps réel, pas la pulsion qui hante nos esprits tortueux de mammifères bourrés de contradictions, mais celle qui viendra inévitablement nous bouffer tout cru. Non pas la raison pour laquelle nous avons un problème avec l’horizon, comme le dit l’anthologiste, mais celle-là même pour laquelle il est indispensable de regarder au-delà.

Finalement, avec ces deux-là, mes textes préférés sont des satires qui n’hésitent pas à attaquer notre époque de front. Le malheureux protagoniste de « Tertiaire », d’Eric Holstein, incarne dans sa déchéance la direction vers laquelle nous entraîne la société matérialiste du néo-capitalisme triomphant. L’auteur y déploie des trésors d’inventivité pour décrire son triste quotidien de data trader dans un monde de brutes pour qui tout est signe — de statut et d’insertion sociale, de réussite, d’intelligence, etc … — et absolument rien d’autre. Tout se vend et tout s’achète, bagnole et droit de circuler sur l’Orbital construit au-dessus du périphérique, corps, déco d’appartement et ainsi de suite, et la grande mécanique folle du monde n’a d’autre but que d’entretenir cette pitoyable course au bling-bling. Faute de posséder la moindre trace de capacité d’analyse du monde dans lequel il vit, Emerson Mighty, devenu Abel 8328, ne peut que suivre le mouvement. Ou comment saisir l’un des éléments essentiels du zeitgeist de cette fin de décennie pour le plaisir des lecteurs. J’espère pour ma part lire d’autres textes d’Eric Holstein, un auteur qui a un vrai point de vue sur notre monde, ça m’intéresse énormément…

Pareil pour le pauvre Seiter de Catherine Dufour, qui, se conformant à ce qu’on lui demande dans son entreprise, vend de la camelote à de pauvres gens aussi perdus et impuissants que lui avec des conséquences parfois fort fâcheuses. Le tout avec un réjouissant luxe de détails et les jolies remarques méchamment mordantes dont l’auteur a le secret.

Philippe Curval, quant à lui, décrit un monde où les derniers communistes européens se sont réfugiés à l’intérieur du Dragonmarx du titre, une immense forteresse qui occupe le centre de Vienne. Contrairement à ce que cette introduction pourrait laisser penser, l’aspect politique demeure secondaire, Curval préférant jongler pendant tout le texte avec nombre de notions antagonistes et contradictoires. Les Chiens rouges qui ravagent les quartiers périphériques de la ville et enlèvent ses habitants cherchent avant tout à les « encommunister », en créant Dragonmarx à l’intérieur du Ring, les communistes ont conquis l’anneau des Nibelungen, le matérialisme dialectique fait bon ménage avec Wotan et la technomagie permet de contenir les assauts des forces capitalistes… On l’aura compris, Curval s’amuse comme un fou, et le combat final contre l’Hydre capitaliste, qui culmine avec la fusion de millions d’exploités en un « gestalt du prolétariat » — un clin d’œil à Poupée aux yeux morts de Roland C. Wagner, où les esclaves du Néo-Puritanisme fusionnent mentalement pour lutter contre l’entité incarnant cette même doctrine ? —, ne fait que confirmer l’impression initiale : la seule logique présidant à cette novella est celle de la réification des métaphores pour un résultat tout aussi jouissif qu’inattendu.

Avec « Pirate », on est aussi dans la métaphore mais pour un résultat très différent. Mahéva Stéphan-Bugni explore la psyché d’un individu presque invisible dans une société tout aussi aliénante que celles d’Eric Holstein et Catherine Dufour, mais avec un résultat très différent. Point de rire grinçant mais de l’absurde et de la poésie. Le malheureux, qui s’appelle ou ne s’appelle pas Thomas, illustrateur pour l’ « Agence Nationale des Artistes », se rend à la convocation d’une administration tatillonne qui tente de lui faire établir son identité (Pirate ou pas Pirate ?) et découvre un bâtiment qui n’est pas censé exister. Il est vrai que dans cette Ville, Internet, ce nid de terroristes et de pédophiles, n’existe pas. Et voilà Thomas qui se lance dans une étrange communication avec les improbables habitants de cet improbable bâtiment. Comme souvent chez les Français, l’art est la réponse à bien des problèmes, mais ici, l’atmosphère du texte est prenante et la pirouette finale belle et joliment menée.

L’issue de l’art n’est d’ailleurs même pas offerte au personnage de l’Hilbert Hôtel de Xavier Mauméjean, qui m’a rappelé le personnage de majordome des Vestiges du Jour de Kazuo Ishiguro que joue Anthony Hopkins dans le film du même nom. Une belle description de l’absurdité du monde des conventions sociales, dommage que l’auteur ne soit pas allé plus loin en s’attaquant au pourquoi et au comment de cette étouffant univers.

Je suppose qu’on est également dans la métaphore avec Daylon, mais je ne sais pas trop de quoi. Celui-ci nous raconte une histoire de géants arrivés on ne sait comment sur Terre. Leur technologie étant bien plus avancée que la nôtre, elle a amené l’humanité à encore plus d’anomie que ses propres inventions. Le héros, genre jeune déjà dégoûté de tout, semble détester tout le monde à part lui-même et sa dulcinée ; il poursuit celle-ci alors qu’elle doit participer à une mission chargée de stopper un phénomène qui met en danger les géants et finit par trouver, sans vraiment d’explication pour le lecteur perplexe, un moyen d’accompagner sa petite amie dans son ascension (littérale) pour atteindre un au-delà où il se dissout. On se croirait dans Contact, cet insupportable film au terme duquel Jodie Foster rencontrait Dieu sur une plage après qu’on nous avait fait croire qu’il s’agissait d’un film de S-F.

Selon Serge Lehman, ce texte serait une solution à la prétendu crise du space opera, dont il semble penser que l’histoire a été définitivement achevée par Kim Stanley Robinson et Dan Simmons. Idée singulière : de la même façon qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de donner mon avis sur la quantité de futurs disponibles dans l’univers, je vois mal comment on peut déclarer, devant l’immensité des siècles, que plus personne ne trouvera jamais le moyen d’écrire quoi que ce soit d’intéressant sur l’exploration de l’univers par notre espèce.

Tout a été écrit sur les grandes questions de la vie, de la mort, de l’amour et du grand horloger, tout a été écrit, par Shakespeare, Homère, Rabelais, Molière, Proust et qui il vous plaira d’ajouter à la liste. Je reste néanmoins convaincue que du moment où nos lointains ancêtres décidèrent qu’il n’était pas question qu’ils continuent à manger cru et à se peler les fesses sous la pluie avec les autres bestioles de la savane, notre sort de mammifère mécontent était définitivement scellé. Autrement dit, tout a peut-être été écrit mais l’histoire, celle de l’humanité, n’est pas terminée. Notre jolie civilisation du pétrole s’effondrerait-elle sous le plafond suffoquant de l’effet de serre qu’elle ne le serait toujours pas, et qu’il y aurait encore à dire sur les étranges aventures du genre homo.

Demeure au final une anthologie légèrement au-dessus de la moyenne, dont on peut espérer que la réception ne sera pas trop affectée par le discours théorique nébuleux de l’anthologiste.

Image de une : Détail de l'illustration de Manchu pour Retour sur l'horizon.

(10). http://www.dailymotion.com/relevance/search/Jean+guidoni+chanson+optimiste/video/xt415_guidoni-81-la-chanson-optimiste_music
(11). What if the singularity does NOT happen ? Vernor Vinge http://www-rohan.sdsu.edu/faculty/vinge/longnow/index.htm

Haut de page