L'homme qui cherchait le vertige, un entretien avec Gilles Dumay

Rencontres |

Créée en 1999 pour perpétuer une longue tradition chez Denoël et succéder à une collection Présence du futur à bout de souffle, Lunes d'Encre semble parvenue aujourd'hui à un nouveau palier, qu'elle ne pourra franchir qu'en se transformant... C'est en tout cas ce que semble penser Gilles Dumay, directeur de Lunes d'Encre depuis sa naissance, et à qui le blog Bifrost a pu poser quelques questions à l'occasion de la soirée organisée pour le dixième anniversaire de la collection. L'occasion de faire le bilan, de se projeter dans le futur, mais aussi de réfléchir à ce qui fait la spécificité d'une collection hors-normes et hors-genres.


La librairie Millepages, qui accueillait la soirée des 10 ans.

Quel a été ton parcours avant Lunes d'Encre ?

Je suis arrivé dans le fandom au début des années 90, d'abord en tant qu'auteur et chroniqueur énervant (c'était un moyen comme un autre d'« évacuer » la mort de ma mère dont j'étais très proche et qui m'avait foutu par terre), puis j'y ai publié les anthologies Destination Crépuscule, trois numéros, ce qui m'a permis de prendre contact avec plein d'auteurs. Parallèlement à ça, après avoir vécu plus de vingt ans près de Nice, je me suis installé à Amiens où j'ai un petit peu bossé chez Encrage, un petit peu bossé comme crêpier, manutentionnaire dans les supermarchés (travail de nuit), puis j'ai fait deux ans à la chambre de commerce et d'industrie d'Amiens comme maquettiste avant de me mettre à mon compte et de créer Orion Éditions et Communication, qui a publié entre autres les anthologies Étoiles Vives. C'est à cette époque que j'ai rencontré Olivier Girard qui, le fou !, venait de lancer Bifrost. On a vite sympathisé et commencé à bosser ensemble.

Comment es-tu arrivé chez Denoël ?

Durant l'été 98, Olivier Rubinstein, sur le conseil de Marion MazauricNote de Clément :
A l'époque directrice de la collection J'ai Lu SF, elle dirige aujourd'hui la maison Au Diable Vauvert.
, m'a appelé pour qu'on se rencontre. Il venait de reprendre la direction de Denoël et cherchait quelqu'un pour prendre la suite de Serge Brussolo qui avait très brièvement dirigé « Présence du futur ». Il m'a aussi proposé de m'occuper du polar et des thrillers, ce que j'ai refusé de faire ; c'était une erreur, puisque maintenant ce genre me motive énormément, mais à l'époque je n'avais ni les épaules ni le carnet d'adresses nécessaires. A bien y réfléchir, rien ne me dit que ça ait réellement changé.

J'ai pris la direction de « Présence du futur », que j'ai enterrée pour permettre la naissance de Folio SF qui fêtera ses dix ans l'an prochain ; et j'ai proposé Lunes d'encre pour remplacer/prendre la suite de « Présences », la collection de Jacques Chambon aux inoubliables couvertures monochromes bleues. Le Bal des loup-garou, La Partition de Jéricho font partie de l'héritage de Jacques (qui était devenu, peu avant sa mort, un de mes amis ; on s'entendait très bien). Les débuts ont été difficiles, mais Darwinia et Les Loups des étoiles (début 2000) ont mis la collection sur de bons rails.

Aujourd'hui, quelles sont tes relations avec ta hiérarchie, et notamment Olivier Rubinstein ?

Il intervient très peu (même si parfois sur les couvertures...) ; il ne me met pas particulièrement la pression. Mais si les chiffres ne sont pas bons, le service commercial me le fait remarquer, ce qui n'est jamais bon signe. Chez Denoël, il y a très peu de gens qui lisent des Lunes d'encre et ils ne lisent pas les mêmes auteurs. Les filles des cessions de droits ont beaucoup aimé Kelly Link et le recueil de Serge Lehman. Abel Gerschenfeld, le directeur littéraire de la maison, lit Christopher Priest (mais en V.O !). Olivier Rubinstein a lu et beaucoup aimé Les Puissances de l'invisible de Tim Powers et La Séparation de Christopher Priest. J'ai l'impression d'avoir davantage de succès interne avec les titres que je fais en Grand Public, comme Fabienne Ferrère que tout le monde lit ou presque. Personne n'a lu Vélum (ne parlons même pas d'Encre) alors que c'est un des tout meilleurs trucs que j'ai publiés.

Olivier Rubinstein et Gilles Dumay

On trouve des livres très différents au catalogue. Comment définirais-tu, aujourd'hui la ligne éditoriale de la collection ?

Je publie :

1/ Ce que j'aime (voire ce qui me passionne) : Christopher Priest, Robert Charles Wilson, Robert Holdstock, Serge Lehman, etc. Tout mon travail tend vers la possibilité de publier des livres comme Vélum ou Encre.

2/ Ce que je dois publier : j'essaye d'assumer l'héritage de « Présence du futur » et de « Présences », la collection de Jacques Chambon. Et je peux difficilement passer à côté des suites, préquelles et autres bourgeons de cycles. Disons que si je ne le sens vraiment pas (comme les machins autour d'Ambre), j'essaie de refiler le bébé à Folio-SF.

Et je publie tous ces titres sans me soucier des genres auxquels ils appartiennent ; ce qui compte, avant tout, ce sont les auteurs et l'émotion. Le vertige ; je cherche le vertige. Et je ne le trouve que chez Cormac McCarthy, Christopher Priest, Mishima Yukio, Borges, Kafka. Très peu d'auteurs m'amènent à ça.

La collection Lunes d'Encre mise en avant à Millepages.

Publier des auteurs comme Asimov ou Dick, dont tu dis par ailleurs tout le mal que tu penses, c'est une nécessité économique ?

J'assume l'histoire de Denoël, j'essaye de le faire avec le plus grand professionnalisme, mais si on me demande ce que je pense de ces auteurs je réponds franchement (je ne vais pas mentir sur ce qu'ils m'inspirent). En tant que lecteur, Asimov je ne peux pas, c'est au-dessus de mes forces. Mais en tant qu'éditeur, j'ai fait ce qu'il fallait faire sur Fondation et j'ai un autre projet dans les cartons qui m'enthousiasme énormément. J'aime beaucoup certaines nouvelles de Philip K. Dick, comme « Le Père truqué », et Radio Libre Albemuth, qui est son roman le mieux écrit avec Coulez mes larmes, dit le policier. Sur ses autres romans, son style me paraît difficilement supportable. J'ai réessayé l'an dernier de lire Le Dieu venu du centaure et j'ai arrêté au bout de cinquante pages.

Mais c'est pas les pires en SF : par exemple, Van Vogt est illisible. Bernard Werber c'est honteux à tous points de vue. Etc. Distribuer des mauvais points est facile.

Tu reçois beaucoup de manuscrits d'auteurs français non sollicités ?

Je reçois environ 12 manuscrits par semaine, 600 par an.

Après la parution des Tours de Samarante, il y a eu un effet post-Merjagnan. Avec un pic de réceptions quelques mois plus tard.

Mon lecteur ou moi lisons tout, rarement en entier, mais tout est « étudié ». J'ai mes habitudes : je pars souvent déjeuner avec trois quatre manuscrits. Je fais mon premier tri, refusant sans tergiverser ce qui ne me semble pas bien écrit ou pas pour moi, mettant de côté les manuscrits que je vais ramener à la maison. Je réponds personnellement à tous les auteurs dont j'ai lu le livre jusqu'au bout. Je suis très sensible au style (qui est une notion complètement personnelle) et je ne perds pas de temps sur ce qui me râpe les yeux. Par contre, je suis prêt à passer beaucoup de temps sur un manuscrit enthousiasmant mais qui demande, à mon avis, du travail.

Justement, Les Tours de Samarante est un des rares premiers romans d'un auteur français chez Lunes d'Encre...

En dix ans, j'ai signé trois premiers romans francophones pour Lunes d'encre (L'invitée de Dracula, de François-Sylvie Pauly et Pascal Croci, Les Tours de Samarante de Norbert Merjagnan, Le Vaisseau ardent de Jean-Claude Marguerite) et deux pour le Grand Public (Un chien du diable de Fabienne Ferrère, Les Démons de Paris de Jean-Philippe Depotte). Il y aura à nouveau un premier roman en Lunes d'encre en 2011.

Jean-Philippe Depotte et Jean-Claude Marguerite.

En plus d'être directeur de collection, tu es auteur, critique, fouteur de merde... est-ce bien raisonnable du point de vue déontologique ?

Je comprends bien votre question jusqu'au dernier mot...

Non, ce n'est pas raisonnable. Mais je ne suis pas raisonnable. J'ai toujours aimé me mettre dans la merde, en danger, chercher les coups. C'est mon mode de fonctionnement. Ce milieu est petit et un petit trop autosatisfait de mon point de vue (je ne supporte plus l'indulgence coupable). Après, il n'y a pas de véritables enjeux, si peu ; c'est pas comme si j'étais président et que j'essayais de placer mon cancre de fils à la tête (à claques ?) d'une des plus puissantes institutions publiques d'Europe.

Pour les dix ans de la collection, tu publies Retour sur l'horizon, une anthologie de Serge Lehman, parue au début du mois. Peux-tu nous dire comment est née l'idée de cette anthologie ?

Serge Lehman, en discutant avec Pierre Bordage, Alain Damasio et Laurent Genefort, est arrivé à la conclusion que ce serait bien de refaire un Escales sur l'horizon. On en a discuté ensemble, j'ai pensé que les dix ans de Lunes d'encre seraient l'occasion rêvée pour publier une telle anthologie, et nous sommes allés déjeuner avec Olivier Rubinstein, le directeur général des éditions Denoël pour entériner le projet. Étrangement, ni Bordage, ni Damasio, ni Genefort ne sont au sommaire.

Comme on pouvait s'y attendre, la parution de l'anthologie a suscité de vives réactions dans le fandom. As-tu déjà une idée de la réception de l'anthologie au-delà de notre landernau ?

J'entends tout et son contraire. Je l'ai fait lire à plusieurs libraires qui ne sont pas des spécialistes et ils ont plutôt bien aimé, voire beaucoup aimé. Personnellement, je trouve que c'est une bonne antho, les textes de Léo Henry et Jérôme Noirez sont formidables, la plupart des autres sont vraiment très bons ; il n'y a que deux textes qui, en tant que lecteur, ne me plaisent pas. Je vais être pragmatique : niveau buzz c'est déjà un succès, maintenant attendons de voir ce qu'il se passe en librairie. Pour le moment, 17 jours après parution, c'est « calme ».

Gilles Dumay et Serge Lehman

Lunes d'Encre est une des rares collections de SF grand format qui a une véritable identité graphique, avec une charte inchangée depuis sa création...

En fait, la charte a changé, mais par petites touches. Elle va changer, cette fois un peu plus brutalement, au printemps 2010. Mais je veux que ce soit une évolution, pas une déflagration.

L'outil éditorial Lunes d'encre est à bout de souffle, il termine son premier cycle de dix ans sur des chiffres de ventes catastrophiques, qui sont les pires de toute l'histoire de la collection, alors que la qualité des textes proposés n'a à mon avis jamais été aussi haute. On va casser le côté élitiste / littéraire avec des choix graphiques, mais aussi des choix éditoriaux plus fun, plus ancrés dans les genres. Pour reprendre une formule d'Olivier Girard, on va « rééquilibrer » la collection. Du moins, on va essayer, parce que ce n'est pas vraiment ce qu'on m'a demandé de faire. Mon patron, Olivier Rubinstein, est très attaché à la qualité littéraire de la collection et il m'a encore récemment rappelé cet attachement. En résumé : « faut que ça crache plus de pognon, mais sans rogner sur la qualité. »

Les chiffres de mise en place actuels ne permettent plus à Lunes d'encre d'être viable. Après de longues discussions avec les services commerciaux on va se donner une liberté graphique, une liberté dans le domaine des formats et des livres-objets que nous n'avons jamais eue.

Quand je plaisante, je dis que je dois tuer la collection pour qu'elle survive à la crise, mais il y a un fond de vérité dans cette provocation.

Le temps des collections monolithiques est fini (sauf pour des produits de niche extrêmement ciblés genre spin off), les récents errements sur les couvertures d'Ailleurs&Demain montrent bien qu'à peu près tout le monde en a conscience.

Tu es souvent pessimiste quant à l'avenir de la collection...

Si Lunes d'encre était une maison d'édition indépendante sans capacité de recapitalisation, je crois que l'expérience se serait arrêtée cet été (ou même avant). Sur les dix-huit derniers mois, mon ratio ventes / tirages est de 45% (alors que je dois faire 66% pour tenir mon budget) et mon taux de retours est de 37% (alors que je ne dois pas dépasser 33%). Ces chiffres incluent Axis qui a été bien mis en place et a bénéficié de solides réassorts dès le premier mois. Les chiffres au 30 août, avant la parution d'Axis, étaient... je ne trouve pas de mots. Et ça démoralise d'y penser.

Ce que j'ai obtenu en défendant mon budget 2010, c'est une forme de recapitalisation. Je les ai convaincus de continuer ET d'investir.

C'est probablement un fusil à un coup ; si je me plante sur 2010, on se reverra sans doute sur un autre continent. Ca me va, ça veut probablement dire que j'aurai donné ce que j'avais à donner.

C'est vrai que je suis d'un naturel inquiet, mais j'ai les chiffres et je les comprends, ils ne sont pas inquiétants, ils sont désespérants. Je paie, comme tant d'autres, la surproduction actuelle. Tout le monde se tient la main et fait un pas en avant vers le précipice ; certains ont les jambes plus courtes, les reins plus solides, mais ils sont tirés dans la même direction.

Comme ça ne peut pas durer éternellement, il faut se préparer à voir un rang de dominos tomber.

Comment vois-tu l'avenir de la collection au niveau éditorial ?

J'ai beaucoup de mal à me projeter dans le futur et je ne crois pas que ce soit la bonne méthode. Je vais tester tout un ensemble de choses sur le début 2010. Et je commencerai alors à y voir plus clair.

Je vais avoir plus de titres en 2010 (17 au lieu de 10) mais ventilés entre Lunes d'encre, la collection (hard)core, et Grand Public la non-collection par essence, où chaque livre doit acquérir son statut de produit autonome.

Ils me font confiance chez Denoël et ils me soutiennent ; Pascal Godbillon et moi leur avons fait une analyse réaliste du marché et de ses tendances, analyse qui tend vers un « resserrement ». Brutal ou progressif, je ne sais pas. Personne ne sait. Ma stratégie, si elle existe, anticipe ce « resserrement ». On injecte l'argent au moment où l'horizon est obligé de s'éclaircir. C'est de l'eau qui gèle et fait péter un rocher. Le risque, c'est d'être pris dans les éboulis, mais si on ne fait rien on meurt de froid, immobile.

Le rayon Littératures de l'imaginaire à Millepages.

Que t'inspire l'ascension foudroyante d'un éditeur comme Bragelonne ou l'arrivée ces mois-ci du label Orbit en France ?

Bragelonne/Milady et moi on ne fait pas le même métier, je dirige une collection qui vend 25 000 volumes / an ; ils ont des titres qui font le double en une année. Je suis une puce sur leur dos de chien, au mieux. Un petit artisan face à un groupe d'industriels. Orbit, ça concerne davantage Bragelonne et L'Atalante que Denoël. Mes vrais concurrents c'est Interstices et Le Bélial'. Et si avec Olivier Girard on se partage bien les auteurs qui nous intéressent, c'est vrai qu'avec Sébastien Guillot on ne discute pas et on se retrouve donc parfois en compétition, comme sur le roman fulgurant d'Elizarov. Mais c'est le jeu et je l'accepte sans aucun problème. Contrairement à d'autres, les enchères, les négociations avec les agents, c'est ce qui m'intéresse le moins dans ce métier.

Certains titres publiés dans les autres collections de Denoël, Denoël & d'ailleurs notamment, relèvent de la transfiction et auraient avoir leur place chez Lunes d'Encre...

J'ai conseillé le Elizabeth Hand, L'ensorceleuse. Mais je ne l'aurais pas publié comme ça.

Je publie un peu partout chez Denoël ; c'est une maison très ouverte. Je leur propose des choses ; ils acceptent, ils refusent. En tout cas, on parle, on échange et je ne souffre pas d'être enfermé dans ma chapelle, même s'il est vrai que j'aime parfois y rester tranquille, loin des autres.

Je m'entends très bien avec Philippe Garnier à qui je demande régulièrement l'avis ; ça se passe bien. On est opposés sur presque tout. Son avis est toujours intéressant.

As-tu des regrets ?

Des regrets, des erreurs ? Des tas.

Je n'aurais pas dû faire Resident Evil, mais je l'ai fait.

Je n'aurais pas dû publier eXistenZ, mais je l'ai fait.

Je n'aurais pas dû payer aussi cher Des Parasites comme nous... mais je l'ai fait.

Je n'aurais pas dû publier la trilogie Kane, mais je l'ai fait.

Je n'ai pas toujours su tenir tête à mon patron sur certaines couvertures.

Je n'ai pas su gérer l'après-Spin et c'est sans doute ma plus grosse erreur de carrière. Après Spin, il a eu un tunnel de vingt titres (jusqu'à Axis) qui ont perdu de l'argent ou en ont rapporté si peu que ça ne compte pas. 2008 a été une année mauvaise (-25% comparée à 2007), et pour 2009, je ne sais pas encore, évidemment, mais ça ne sent pas très bon. Il faudrait que je revienne au niveau de 2007, mais au jour d'aujourd'hui j'ignore de combien de milliers de volumes vendus je suis en retard. Et j'ai la douce impression qu'il ne vaut mieux pas que je demande, si je veux continuer à bien dormir.

Spin, « le seul véritable chef d'oeuvre de SF paru ces cinq dernières années » selon les libraires de Millepages.

Après, les livres que je n'ai pas pu publier, comme Jonathan Strange et Mr Norrell ou Acacia, là c'est des problèmes de pognon. Par conséquent, je ne regrette rien. Jouer avec des grosses sommes d'argent ne m'intéresse pas. Je ne suis pas joueur, plutôt maçon, une brique après l'autre.

Par ailleurs, je pars toujours du principe que les livres que je publie n'ont jamais le succès qu'ils méritent. Pourquoi les gens préfèrent lire la soupe réchauffée de Terry Goodkind plutôt que Le Royaume blessé de Laurent Kloetzer ; on ne le saura jamais.

Quels sentiments t'inspirent ce dixième anniversaire ?

Aucun sentiment plus fort qu'un autre. Je suis plutôt fier du travail que j'ai accompli ces dix dernières années ; il y a vraiment des textes, des choses à lire, à découvrir. Je m'en veux de ne pas avoir su mieux gérer mon premier et seul vrai succès, Spin. Je suis inquiet des répercussions de la crise, mais aussi de la façon dont on négocie le passage au livre numérique. Je suis fatigué, je n'ai pas pris de vraies vacances cet été, et ça commence à peser. Je suis triste de voir que je n'ai plus le temps d'écrire et que ça ne va pas en s'arrangeant. Je suis amusé des réactions sur Retour sur l'horizon. En tout cas, je ne m'ennuie pas.

La vitrine Lunes d'Encre de la librairie Millepages.

On dit que 2010 sera l'année du livre électronique...

Chez Gallimard, je sais qu'ils préparent des tas de choses, on a commencé à scanner des vieux titres de Présence du futur. J'ai décidé de négocier les droits électroniques de tous les titres que j'achète quand c'est possible, mais ça ne l'est pas toujours (les Américains sont plus frileux que les Français à ce sujet, pour ce que j'ai pu en juger). Ca bouge. Ca se met en place lentement, on va pas dire le contraire. Mais en l'absence de demande (en ce qui me concerne, 2 contacts pour tout 2009 à ce jour, de gens qui après "enquête" sont de gentils lobbyistes du livre électronique) je ne vois pas comment ça pourrait aller plus vite.

Personnellement j'hésite encore à acheter une liseuse dont je ne vois guère l'intérêt à ce jour, puisque je demande les manuscrits sous format papier pour éviter que le nombre de manuscrits envoyés n'explose. 600 manuscrits reçus sur une année, c'est très difficilement gérable, souvent je passe l'été à faire des lettres de refus, si demain je devais recevoir 10 manuscrits électroniques par jour et bien je serais obligé de refuser par principe qu'on m'envoie des manuscrits non sollicités. Alors que l'adrénaline de ce boulot c'est quand même découvrir des auteurs.

Quand Lunes d'Encre fêtera son quarantième anniversaire, pourra-t-on t'appeler Dieu ?

Je ne suis pas salarié et l'aventure peut s'arrêter demain, dans un claquement de doigts. J'ai besoin de cette épée de Damoclès pour fonctionner (avancer ?) et en même temps je sens bien que ça m'use. On ne peut pas tout avoir. Alors trente ans de plus ? Ca paraît juste impossible ; à un moment ou un autre, il faudra que je reparte voyager, c'est ce que je suis, c'est mon véritable moteur...




Propos recueillis et photos par Clément Latzarus

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