
Comme ce fut le cas aussi pour nombre d’auteurs de sa génération, l’œuvre de Roger Zelazny n’a guère inspiré
les producteurs de cinéma. Seule exception : Les Survivants de la Fin du Monde (Damnation Alley), adaptation d’un
roman mineur de Zelazny, Route 666Note de Clément :
D'abord publié en France chez Chute Libre puis en Titres/SF, puis en 2000 dans la collection Présence du futur dont il sera le dernier numéro (numéro 666 !) (je vous renvoie à la chronique qu’en fait Laurent Leleu dans Bifrost
n°55). Il est vrai que, par son intrigue linéaire, sa succession de scènes d’action et son décor post-apocalyptique, le roman
se prêtait bien à l’exercice et offrait à un réalisateur inspiré tout le matériau nécessaire à une bonne
série B. Pas de bol, le produit final se révéla être un désastre.
Zelazny vs. Lucas
Les Survivants de la Fin du Monde
n’est pourtant pas une production Roger Corman ou Samuel Z. Arkoff,
bricolée avec trois bouts de ficelle. Le film fut produit par la 20th
Century Fox et bénéficia d’un budget conséquent. La compagnie en
attendait visiblement beaucoup, bien plus en tous cas que de leur autre
sortie s-f de l’année 1977, tournée par un quasi-inconnu et sans la
moindre célébrité à l’affiche, un certain Star Wars…
La réalisation en fut confiée à Jack Smight, un habitué des films à grands spectacles, notamment 747 en Péril (Airport 1975) ou la super-production La Bataille de Midway (Midway)
et sa pléiade de stars, d’Henry Fonda à Charlton Heston. Le type même
du metteur en scène compétent mais sans une once de personnalité,
capable de respecter le cahier des charges et de fournir dans les
délais impartis un produit de consommation courante destiné au plus
grand nombre.
Dans les rôles principaux, deux acteurs de série B plutôt inattendus sur un film à gros budget : George Peppard et Jan-Michael
Vincent. L’un comme l’autre n’ont guère marqué l’histoire du cinéma mondial, et si l’on se souvient
d’eux aujourd’hui, c’est essentiellement pour les rôles qu’ils ont tenu dans des séries à succès des
années 80, respectivement L’Agence Tous Risques (The A-Team) et Supercopter (Airwolf).
Plus étonnant encore, on trouve à leur côté Paul Winfield et la française Dominique Sanda. Le premier fut l’un des
premiers acteurs noirs nommés aux Oscars (Sounder en 1972) et interprètera en 1978 le rôle de Martin Luther King dans
une prestigieuse mini-série télévisée (King). La seconde, fraichement auréolée d’un titre
d’interprétation à Cannes pour son rôle dans L’Héritage (L’Eredità Farramonti) de
l’Italien Mauro Bolognini, s’essayait là à un genre cinématographique inédit pour elle. Qu’étaient-ils donc
venus faire dans pareille galère…

Plus anecdotique, on notera enfin la présence au générique de Jackie Earle Haley, dans le rôle d’un jeune sauvageon recueilli
par le reste de l’équipe. Trente ans plus tard, et après une longue traversée du désert, on redécouvrira cet acteur
grâce à Watchmen, où il endossait le pardessus de Rorschach.
Enfer et Damnation (Alley) !
Du roman de Zelazny, les scénaristes Alan Sharp et Lukas Heller ont
conservé… presque rien ! Certes, il y est toujours question d’un futur
post-apocalyptique et d’une traversée des Etats-Unis d’ouest en est,
mais c’est à peu près tout. Même l’origine de ce périple se voit
modifiée. Il n’est plus question d’amener un vaccin à Boston. Ici, un
petit groupe de survivants de la guerre atomique servant de prologue au
film capte un message radio provenant des abords de New York et décide
de partir à la recherche de cet îlot de civilisation.
Exit aussi Hell Tanner, le héros du roman. Le personnage interprété par Jan-Michael Vincent se nomme Tanner tout court, et ce
n’est plus du tout un Hell’s Angel mais un militaire ! Plus précisément l’un des officiers qui était chargé du
lancement des missiles nucléaires à l’origine de la quasi-destruction de la planète. On croit rêver.
Inutile de chercher dans le roman les autres personnages de ce film,
ils ne s’y trouvent pas. A commencer par le major Denton, que joue
George Peppard, figure martiale et rassurante au milieu de cet univers
chaotique, et servant de contrepoint au personnage plus exubérant de
Tanner. On sent bien de temps en temps une certaine tension entre les
deux hommes, mais même ce point n’est guère développé. Les autres
personnages sont encore plus inexistants.
Ne reste pas grand-chose non plus des multiples
péripéties imaginées par Zelazny. Les scénaristes n’ont conservé que le
slalom au milieu des tornades qui entrainera la perte de l’un des deux
véhicules en route vers la Côte Est. Pour le reste, on a droit ici à la
menace de scorpions géants, de cafards amateurs de chair humaine, d’une
poignée de hillbillies tout émoustillés à l’idée de pouvoir tripoter
Dominique Sanda, et d’un tsunami sorti d’on ne sait où. Les effets
spéciaux sont absolument affligeants, même pour l’époque (incrustation
maladroite de vilaines bestioles filmées en gros plan et maquettes
trempées dans une bassine, difficile de ne pas ricaner). A croire que
l’intégralité du budget des effets spéciaux est allé dans la conception du camion
blindé à bord duquel voyagent nos héros. Et surtout, on se demande quel
est l’intérêt d’acheter les droits d’un roman pour au final n’en garder
quasiment rien.
Vivement la fin du monde !
Outre la nullité de ses trucages, Les Survivants de la fin du monde
souffre énormément de la vacuité de son scénario, à tous points de vue.
Les péripéties s’enchainent paresseusement, entrecoupées de scènes où
les comédiens jouent aux touristes post-apocalyptiques : on s’amuse
dans un casino en ruines, on visite un centre commercial délabré, on
entonne des gospels au volant pour passer le temps. Difficile pourtant
de jeter la pierre aux acteurs tant leurs personnages sont des
coquilles vides, définis au mieux par un ou deux traits de caractère.
Jean-Michael Vincent joue les jeunes chiens fous, George Peppard affiche
en permanence un air sombre et renfrogné, Dominique Sanda hurle à tout
bout de champ, et Paul Winfield ne s’anime que lorsqu’une horde de
cafards se met à le boulotter.
Le désastre s’achève sur un happy-end hallucinant tant il parait incongru, quand au terme de leur périple les survivants
débarquent dans un décor champêtre où les accueillent dans la joie et l’allégresse quelques gentils fermiers que
l’Apocalypse a épargné. Dieu merci, à ce stade de navrance et de léthargie auquel tout spectateur normalement constitué
est parvenu au bout d’une heure trente de supplice cinématographique, on n’attend plus rien d’autre de ce film que
l’apparition à l’écran du mot « fin », accueillie comme une bénédiction.

Incontestablement, Damnation Alley avait le potentiel pour donner naissance à une jolie série B, à ranger entre La Course à la Mort de l’An 2000 et Mad Max, premier du nom. Le résultat est à ce point honteux
qu’on sera mieux avisé de l’enterrer au fond du jardin, entre deux rangées de navets.