Radioactivity is in the air for you and me

Etudes |

Happy Tchernobyl Day. À l'occasion du trentième anniversaire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, l'on s'intéresse aux œuvres de fiction prenant pour base le désastre ou s'en inspirant. Au sommaire de ce premier billet sur trois : la chanson « Radioactivity » de Kraftwerk, le roman Chernobyl de Frederik Pohl et le film La Terre outragée de Michale Boganim.

C’est peu dire que le nucléaire alimente les fantasmes autant que l’imagination. D’abord perçue comme bénéfique – ah, ces incroyables publicités dans les années 30 vantant les sous-vêtements au radium – puis comme infiniment destructrice après Hiroshoma et Nagasaki, l’énergie nucléaire, avec toute son ambiguité, a irrigué dans la culture populaire. (Rappelez-vous, l’été dernier, on s’était d’ailleurs penché sur trois docufictions dépeignant les effets d’une guerre nucléaire.)

En 1986, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a durablement ébranlé les consciences (et le désastre de Fukushima a ravivé le débat sur l’énergie atomique). Les trente ans de cet accident fournisse l’occasion de s’intéresser à son incidence dans la culture populaire, au travers d’une sélection réduite d’œuvres – une chanson, un livre, un film. Une sélection réduite, par choix… et aussi parce que les chansons, romans et films non-documentaires focalisés sur Tchernobyl ne sont peut-être pas si nombreux qu’attendus. De quoi toutefois fournir de la matière pour quelques billets, le premier s’intéressant à la catastrophe elle-même.

 

La chanson

radioactivity-1-kraftwerk.jpgSi le groupe allemand Kraftwerk s’est d’abord fait connaître avec le morceau-fleuve « Autobahn » sur l’album du même titre, après trois disques appartenant désormais à la préhistoire du groupe, c’est leur chanson « Radioactivity » sur l’album éponyme qui leur a valu la reconnaissance. Adieu le krautrock automobile, place à un hymne aux sonorités polaires. Tout commence par une nappe de synthétiseurs à même de former l’apparition d’une pellicule de givre sur le plus enflammé des dancefloors (voire de refroidir du graphite en fusion), suivie par un message en morse qui épelle « R-A-D-I-O-A-C-T-I-V-I-T-Y ». S’ensuit une mélodie simple, triste et imparable – Kraftwerk ayant toujours œuvré dans l’immédiateté sous cet aspect-là – avant que la voix plaintive de Ralf Hütter :

« Radioactivity
Is in the air for you and me
Radioactivity
Discovered by Madame Curie
Radioactivity
Tune in to the melody »

Les paroles, d’abord chantées en anglais, passent ensuite en allemand. « Radioactivity » est sans conteste le sommet de l’album, où alternent chansons et morceaux plus expérimentaux. D’abord jugée ambigüe, « Radioactivity » s’est vue modifiée après la catastrophe de Tchernobyl, avec des paroles clairement orientée anti-nucléaire sur la version retravaillée de la chanson présente sur la compilation The Mix (1991). Le refrain débute par un « Stop » catégorique, tandis que Tchernobyl fait désormais partie des catastrophes listées au début du morceau  :

« Tschernobyl, Harrisburgh
Sellafield, Hiroshima »

Ainsi, sur la tournée Minimum-Maximum de 2004-05, une voix robotique balance quelques nombres pas très rassurants sur la production de plutonium de la centrale de Sellafield 2 en introduction du morceau (à voir ici). Depuis 2012, le quatuor robotique a régulièrement modifié les paroles lorsqu’il joue « Radioactivity » en concert et Fukushima est à son tour rajouté à la litanie des catastrophes. Lors du concert No Nukes cette même année 2012, Kraftwerk chante une version en japonais du morceau, avec des paroles adaptées pour l’occasion :

« There's radioactivity also in Japan
Today and Forever
Fukushima Radioactivity
Air Water Everything
There's radioactivity also in Japan
Stop Right Now »

(Source pour la traduction)

Une chanson mutante – pas forcément l’intention de départ, et espérons qu’il ne sera pas nécessaire à Hütter de modifier encore les paroles. Dans tous les cas, un classique de Kraftwerk, qu’on ne se lasse pas de réécouter.

Malgré l'image de la vidéo, reprenant la pochette de la version remasterisée Radioactivity, il s'agit ici de la version originale de 1976.

Bis repetita : malgré l'image de la vidéo, qui reprend la pochette originale, il s'agit ici de la version du morceau présente sur The Mix.

La version No Nukes 2012, chantée en japonais.
 

 

Le livre

En nos contrées, l’on connaît surtout Frederik Pohl pour son roman Planète à gogos, écrit en collaboration avec Cyril Kornbluth, et son « cycle de la Grande Porte ». L’auteur s’est pourtant illustré aussi sur des thématiques moins science-fictives, et plus radioactives dans le cas qui nous intéresse présentement. En mars 1988, près de deux ans après la catastrophe de Tchernobyl, Pohl publie Chernobyl, roman inédit en français.

Le roman serait-il paru deux (ou dix ou vingt) ans plus tôt qu’on aurait cru à de la science-fiction. De la spéculation, voire du catastrophisme. Ici, Pohl nous livre une version romancée des événements survenus à Pripiat en avril-mai 1986. « Romancée » certes, mais (aux yeux du béotien qu’est l’auteur de cet article) fort documentée.

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Tout commence tranquillement le 25 avril à Pripiat, riante petite bourgade du nord de l’Ukraine. La centrale nucléaire de Tchernobyl fait vivre une bonne partie de la ville et en représente la fierté : ce 25 avril, des officiels yéménites visitent les lieux ; Simyon Smin, directeur-adjoint de la centrale, leur fait l’article, dans l’espoir de leur vendre les réacteurs RBMK-1000. Après tout, ces réacteurs de grande puissance à tube de force, de conception soviétique, valent bien leurs équivalents américains utilisant de l’eau pressurisée au lieu de tubes de graphites pour modérer la réaction en chaîne. Certes, le dernier numéro de la gazette Literaturna Ukraina fait état de manques, mais c’est normal : l’Union Soviétique teste la glasnost, la transparence, depuis même pas deux mois. Durant la nuit, alors que Smin s’est absenté pour une réunion familiale, une expérience est menée sur le réacteur n° 4, visant à le faire fonctionner à bas régime. Sur l’ordre de leur supérieur, Khrenov, les techniciens passent outre les sécurités et amènent le réacteur à s’emballer puis exploser. L’ingénieur Leonid Sheranchuk, surnommé le « plombier » par Smin, est l’un des premiers à se rendre sur place.

La première moitié de Chernobyl se concentre sur les premières journées qui suivent la catastrophe et la lutte forcenée contre l’incendie ; la deuxième partie s’éloigne un peu de Pripiat et montre l’aspect politique des événements. L’ensemble fonctionne à la manière d’une fresque : chaque chapitre suit un personnage, les plus récurrents étant Smin et Sheranchuk. On y croise un lâche ingénieur russo-lituanien, ceux qu’on appelle pas encore les liquidateurs, un couple d’américains d’ascendance ukrainienne perdu dans la nature…

On peut sûrement reprocher à Frederik Pohl quelques inexactitudes (n’étant pas physicien ni spécialiste de l’URSS, je ne saurais pointer lesquelles), mais il faut se rappeler que cette œuvre de fiction est sortie même pas deux ans après la catastrophe. Pohl a composé avec les éléments dont il pouvait disposer à l’époque. Le roman n’a rien d’un témoignage à charge contre l’URSS, ni, inversement, d’une vision béate du monde soviétique sous l’ère Gorbatchev. L’auteur nous y montre un quotidien crédible : les tentatives d’œuvrer dans la transparence, l’ombre permanente du KGB, le comportement ambigu des Ukrainiens durant la Seconde Guerre mondiale (le personnage de Smin est juif), mais également l’héroïsme des uns et des autres pour lutter contre la catastrophe, l’efficacité brutale de la machine administrative une fois lancée. L’ensemble forme une lecture prenante, quoique surtout dans sa première moitié ; la seconde, en s’éloignant de Pripiat, voit son intérêt faiblir quelque peu.

Néanmoins, quel que soit son degré de véracité, Chernobyl éveille plusieurs choses : 1) l’envie de se documenter davantage sur ce drame et 2) l’idée que ça ferait une putain de série TV.

 

Le film

À défaut de série TV, on peut toutefois regarder La Terre outragée (2011), film français de Michale Boganim. Réalisateur de documentaires, c’est là sa première (et pour l’instant seule) incursion dans la fiction.

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Là aussi, tout commence le 25 avril 1986, belle et riante journée (mais un peu pluvieuse) à Pripiat. La jeune Anya se prépare à se marier avec Piotr. Le 26, jour des noces, Piotr est appelé pour ce qui est annoncé comme un feu de forêt ; il ne reviendra pas. Alexei, qui travaille à la centrale, est mis au courant mais on lui défend d’en parler. À tout le moins peut-il faire partir sa femme et son fils, Valery, peu avant que la ville soit enfin évacuée par l’armée. La première partie du film s’achève sur le départ précipité des habitants de Pripiat ; la seconde débute dix ans plus tard. Anya est désormais guide dans la Zone, où elle fait visiter à des touristes français son ancienne ville, désormais abandonnée. Elle voudrait partir, tout quitter mais ne peut s’y résoudre, partagée qu’elle est entre son amant ukrainien, qui se complait dans cette Zone si délétère, et son amoureux français, qui souhaite l’emmener vivre à Paris. Quant à Alexei, il erre, marginal, cherchant en vain à retourner à Pripiat…

Après la lecture de Chernobyl, la vision de La Terre outragée laisse parfois perplexe sur les détails : a-t-on affaire à du symbolisme ou bien a-t-il plu des pluies sombres ? les chiens se sont-ils mis à aboyer a priori sans raison ? les poissons sont-ils tous morts dans l’eau de la rivière Pripiat ? les habitants ne se sont-ils pas rendu compte qu’une fumée s’élevait de la centrale, distante d’une poignée de kilomètres seulement ? (Et le temps est-il si instable en Ukraine, passant de la pluie au soleil plusieurs fois par jours ?). Dans sa seconde partie, on est en terrain connu, grâce aux nombreuses photos qui circulent de Pripiat, devenue ville fantôme (la piscine vide, la grande roue n’ayant jamais servi, les appartements pillés). La centrale est là, menaçante.

En dépit de réserves somme toute mineures, il n’empêche : la peinture sensible des protagonistes est réussie, avec une Olga Kurylenko qui porte le film à bout de bras (l’actrice étant sûrement désireuse de prouver qu’elle pouvait autre chose que de tourner dans des grosses productions américaines), et si La Terre outragée s’apesantit en définitive peu sur la catastrophe elle-même et les efforts pour la juguler, c’est pour mieux se concentrer sur l’après. Est-il possible seulement de quitter Pripiat, quand bien même le gouvernement vous a relogé, à Slavoutitch, cette ville crée de toute pièce pour accueillir la population de Tchernobyl, ou ailleurs ? Pour Anya, Alexei, le jeune Valery, tout les ramène à Pripiat.

La seconde partie du film aborde, quoique de manière marginale, la question du tourisme. Ce qui forme une transition parfaite pour la suite de ce billet, qui s’attachera au tourisme nucléaire.

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