Dune en musique : Inspirations II

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Concluons notre tour d'horizon des adaptations musicales de Dune. Après les bandes originales, retour aux albums inspirés plus ou moins lointainement, plus ou moins pertinemment par le roman de Frank Herbert, au travers d'une sélection de disques parus au cours des quinze dernières années — une sélection partielle et partiale, focalisée sur l'electro (mais pas que)…

Un grand merci à Joseph Vintimille pour la doc ! Sa base de données des groupes et musiciens faisant référence à Dune est une véritable mine d’or.

Dans un premier temps , on a vu que le projet d’adaptation de Dune par Alejandro Jodorowski a servi de creuset à toute une avant-garde electro/krautrock. Dans un deuxième temps, ce sont les bandes originales qui ont prédominé, à commencer par celle du film controversé de David Lynch. Dune, en dépit de sa mauvaise réputation, réussi à essaimer dans la culture pop, notamment en matière de musique – on peut se fier à cette liste répertoriant les chansons ou morceaux utilisant des samples tirés du film, mais elle est fort incomplète. Concluons ce passage en revue des albums inspirés par le roman-culte de Frank Herbert, avec une sélection, forcément des plus partielles et partiale, de disques parus au cours de la dernière quinzaine d’années.

Inspirations II

Au fil des décennies, Dune a donc inspiré un nombre considérable d’œuvres musicales, dans des domaines aussi variés que le jazz, l’electro, le rock, progressif notamment, ou le metal. Quand ce n’est pas le roman de Frank Herbert qui donne lui-même son nom aux groupes : outre Bene Gesserit et Dün, abordés dans le premier billet de la série, citons aussi Paul Atreides, Kwistatz Haderach, Shai Hulud, voire Arrakis ou Dune.

« Walk without rhythm / and it won't attrack the worm » (Fatboy Slim, « Weapon of choice »)

Dans le lot, bon nombre de ces artistes se distinguent par leur emploi de samples du Dune de David Lynch. Fatboy Slim, le thuriféraire du big beat, en est un ; l’un des papes de l’electro ambient, feu Peter Namlook, aussi. Le topo introductif de la princesse Irulan est abondamment repris, la Litanie contre la peur aussi, et quelques phrases marquantes reviennent régulièrement (« The sleeper has/must/will awaken »). Il ne sera toutefois guère question de samples dans ce billet : le nombre est inversement proportionnel à l’intérêt de la chose. Ce que l’on cherche ici, c’est une inspiration dunesque dépassant la simple citation filmique sur une seule chanson.

Cette troisième partie va s’attacher en grande parties à des albums parus depuis le début de la décennie ; la plupart sont en écoute sur Bandcamp. Ce magasin de musique en ligne tient autant de la mine d’or que du dépotoir, tant on y trouve de tout. Les « grands anciens » comme Richard Pinhas ou Zed (cf. le premier billet) y côtoie des artistes beaucoup plus obscurs. L’observation du nombre d’albums tagués « dune » donne d’ailleurs de jolis résultats. Tous ne sont pas pertinents, mais l’ensemble s’avère assez considérable. Notons que le tag Frank Herbert donne moins de résultat que Philip K. Dick (10 occurrences, contre 8 pour Herbert) mais plus qu’Asimov (7 résultats) ou Ursula K. Le Guin (2 résultats).

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Commençons tout d’abord par une nouvelle mise au point. Dans le premier billet de cette étude, l’auteur de ces lignes, mal renseigné (on croit avoir fait le tour de la question, mais on se trompe), déclarait que David Matthews était le premier musicien à s’inspirer textuellement de Dune. Un premier rectificatif a indiqué que le groupe de proto-metal australien Buffalo s’avérait le tout premier. Ce qui ferait de Matthews le deuxième ? Non, car il existe un autre groupe, australien lui aussi – à croire que le désert au cœur de l’île-continent est un marchepied vers Arrakis –, qui s’est inspiré de Dune : Cybotron. Ce groupe de krautrock a sorti au cours de sa brève carrière (1976-1980) trois albums, le premier d’entre eux, titré Cybotron, commençant par une chanson titrée « Arrakis ». Un krautrock de bon aloi. (Ne pas confondre ce Cybotron des antipodes avec le Cybotron co-fondé à Detroit par un autre pionnier des musiques électroniques, le tout à tout Juan Atkins.)

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Amusante coïncidence, « Arrakis » est aussi le nom du morceau introduisant Driving Insane (2004) de Black Sun Empire, groupe néerlandais. C’est là une drum’n’bass d’excellente facture, sombre et frénétique. Imagine-t-on pour autant les sables du fief du duc Atréides ? Ce serait plutôt les profondeurs de la demeure des Harkonnen qui viennent en tête. A chacun de voir… « Arrakis » s’avère en tous cas l’un des meilleurs morceaux de l’album.

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Revenons ensuite au siècle dernier. The Dune Concept Album : tout est dans le titre ? Sorti en 1999 par Nero, groupe originaire de Louisville, Kentucky, cet album se veut une bande originale alternative au film de David Lynch. Adieu le symphonique épique de Toto, place aux grosses guitares énervées, voire carrément agressive, et à la distorsion à tout va. Des extraits du film surnagent au sein des morceaux.

L’album se conclut par « Kwizzach Haderach », chaos sonore long de quasiment dix-huit minutes. Ce n’est pas la traversée du désert mais plutôt celle d’une tempête de sable…

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En 2010, une jeune chanteuse québecoise, Grimes, a rendu hommage au baron Harkonnen, avec Giedi Primes, son premier album. Voilà des ambiances plus cosmopolites – tel le très japonisant « Sardaukar Levenbrech ». Au travers de la dizaine de chansons, dont la moitié, par les titres, fait référence à l’univers de Dune, Grimes propose une pop délicate qui varie les inspirations. Par les titres seulement : les paroles semblent n’entretenir par ailleurs aucun rapport avec l’œuvre de Herbert.

« I won't break your heart / In the dark » (« Feyd Rautha Dark Heart »)

Accessoirement : Grimes est (à ma connaissance) l'une des rares musiciennes revendiquant l’influence de Frank Herbert, tous les autres abordés au fil de cette sélection étant de sexe masculin.

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C’est au mucien anglais Roly Porter que l’on doit une nouvelle mise en musique de Dune, avec Aftertime, son premier album solo. Dans l’œuvre de Porter, la science obtient une place de choix, au vu des titres de ses albums suivants : Lifecycle of a Massive Star (2013), ou le tout récent – et magnifique – Third Law (2016). Sans oublier la composition d’une nouvelle bande originale pour le film de René Laloux, Gandahar, lors du festival Days of Fear and Wonder du British Film Institute en novembre 2014.

Ici aussi, les morceaux s’appellent « Caladan », « Arrakis », « Giedi Prime »… Comme dans le cas de David Matthews, est-ce des titres dunesques collés à des morceaux n’ayant rien à voir thématiquement ? Ou bien s’agit-il de pièces musicales réellement inspirées par le roman ?

Les onze morceaux qui composent Aftertime relèvent d’une electro volontiers abstraite, basée sur les textures sonores : un drone élégant et glacé. Les morceaux mêlent grésillements et perturbations soniques avec mélodies éthérées —telles les sept minutes de « Tleilax », minées par des grincements menaçants, des percussions agitées par des robots en roue libre et des éruptions de samples. Pas avare en contrastes, Porter leur fait suivre les cordes majesteuses qui nimbent la brève « Kaitain ». « Corrin » propose la synthèse de ces deux tendances. Quant à « Al Dhanab », sa mélodie plaintive et lointainement orientale nous transporte dans les dunes d’Arrakis… « IX », avec ses sonorités lancinantes, s’avère le morceau le plus abstrait du disque. On se situe ici dans la lignée de Visions of Dune de Bernard « Z » Szajner.

Aftertime , meilleure bande-son pour le roman Dune ? C’est l’avis de votre serviteur. Un peu aride, un peu grandiloquente, carrément glaçante… comme le roman de Herbert ?

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Arrakis: Music inspired by Frank Herbert’s Dune  : avec un tel titre pour ce disque publié en 2012, Timotheos met d’emblée les points sur les i. En quatorze morceaux, le musicien canadien propose autant de mises en musique de l’univers de Frank Herbert – les morceaux dépassent le seul cadre du premier roman de la saga pour explorer musicalement les suites, jusqu’à L’Empereur, comme en témoigne les morceaux titrés « Kralizec », « Hymn to the Divided God » ou « The Scattering », évocateurs des conséquences de la mort de Leto II.

C’est là une electro planante, mélancolique, volontiers ambient, parfois acid (« Great Revolt »), avec des échos de guitares lointaines. L’aspect simili-Aphex Twin sur « Shai Hulud » se teinte de mystique, avec ces sonorités évoquant les bols tibétains. Parfois, les morceaux s’avèrent plus guerriers (« Mentat Messiah ») ou plus délicats (« Irulan »). Une bande-son parfaite pour la lecture du roman ? Pourquoi pas.

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Un peu plus tard en 2012, le musicien Shaddam IV publie Sickbed of Mentats, un EP dont le principal défaut est sa brièveté (cinq titres dont un seul dépasse les trois minutes, laissant l’auditeur avec même pas un quart d’heure de musique et un goût de trop peu). C’est là une synthpop instrumentale, à la netteté chirurgicale, des plus recommandables.

Tendez une oreille ou deux par là :

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En avril 2013, Dathon, musicien originaire de l’Illinois, a publié The Thread will be torn. Cet EP emprunte une voie musicale qu’on n’avait plus entendu depuis… le Dune de David Matthews : le jazz ! Mais attention, pas de jazz funky chaleureux ici. Au fil des trois morceaux de cet EP, on dérive du côté du dark jazz. On retiendra surtout « Waking Idaho » est une longue pièce hantée…

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Toujours en 2013, le musicien newyorkais Backtrace a sorti un album intitulé Arrakeen Buried. Il s’agit là d’une seule pièce instrumentale longue de 69 minutes. Un ambient aux sonorités froides et précises, aux textures granuleuses, où l’on imagine volontiers des grains de sable former des motifs fractales. Probablement la bande-son idéale pour illustrer les rêveries mystiques de Paul Muad’dib.

Néanmoins, sur la longueur, Arrakeen Buried hypnotise autant qu’il fatigue. Jamais répétitive stricto sensu, la pièce n’évolue guère au fil de sa durée et peut émousser la patience de l’auditeur.

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Le musicien BassDbler a sorti deux albums dont les titres ne laissent aucune équivoque : Slow Blade Penetrates the Shield (2013) et Machine and Ghola (2015). Le pseudo du musicien et la mise en avant de la basse laisse aussi peu de doutes sur l’instrument privilégié par BassDbler.

Machine and Ghola , pas désagréable, est cependant souvent plombé par les simili-chœurs synthétiques omniprésents sur le disque. Surtout, ce disque comme le suivant pèche dans ses compositions, qui peinent à retenir durablement l’attention.

Curieux?

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Au printemps 2014, le musicien américain Stoneburner a sorti, coup sur coup, trois (3) albums inspirés par Dune ; un quatrième a suivi à l’été 2015. The No Chamber, Songs in the Key of Arrakis, The Sisters of Isolation, The Mouse Shadow : autant d’albums qui explorent en long, en large, en travers l’univers dunien.

À l’opposé de la concision quasi-clinique d’un Shaddam IV, Stoneburner fait dans le roboratif et le lourdingue. Vous souvenez-vous du brûle-pierre qui aveugle Paul Atréides dans Le Messie de Dune ? C’est un peu ça, mais pour les esgourdes.

L’electro de Stoneburner tend vers la grosse techno, mâtinée d’influences orientales. Ce n’est pas très subtil, certes, mais point désagréable sur quelques morceaux. Sur la longueur, c’est épuisant.

Mais si vous y tenez, la page du groupe est ici.

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Comme son titre ne l’indique pas, System VII (2014) est le premier album du groupe anglais IX.

« System VII is a concept album inspired Frank Herbert's Dune series of books » : voilà ce qu’indique la page du disque. A la différence de bon nombre de disques évoqués dans cet article, aucun titre de morceau ne fait explicitement référence à Dune (peut-être le dixième, «IXIAN Archive Entry 119-27 »).

La douzaine de morceaux relèvent d’une electronica faisant la part belle aux ambiances. On retiendra notamment les douze minutes de « The Machines (part I-III), aussi épiques qu’excellentes.

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Depuis début 2015, un groupe texan nommé Wormsign s’attache lui aussi à explorer l’univers de Frank Herbert. L’album Wormsign, paru début avril 2016, a été précédé par quelques morceaux indépendants. Litany (2015) fait bien sûr référence à la fameuse « Litanie contre la peur » – ce sont 2’30" où une voix éthérée est parasitée par des bruits parasites –, tandis que Caladan (2015) nous ramène vers la planète natale de Paul Atréides pour huit minutes moins aquatiques qu’industrielles (on peut ne pas apprécier).

L’album Wormsign, paru début avril 2016, faire preuve de davantage d’ambition. Deux pistes, riches chacune de six morceaux. La face A, « Bene Gesserit/Thumper/Gom Jabbar/Desert Mouse », relève d’un ambient minimaliste. La face B, « Kyne's Garden/Thopter/Prescience », se conclut par un bourdonnement synthétique menaçant (agaçant si l’on veut, mais c’est là du pur drone) et les vocalises d’une émule de Lisa Gerrard.

Si Wormsign est (à vue de nez) le dernier album en date consacré à Dune, gageons que ce n’est sûrement pas le dernier tout court à s’aventurer du côté d’Arrakis.

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En conclusion

La vingtaine d’albums présentés au fil de ces billets consacrés au versant musical de Dune ne représentent in fine qu’une maigre sélection au regard du vivier. Notamment parce que ce passage en revue musical s’est focalisé sur l’electro, l’auteur de ces lignes péchant par manque de connaissance (et d’attrait) pour le metal, autre genre musical ayant puisé son inspiration dans Dune.

Y a-t-il une adaptation musicale définitive du roman de Frank Herbert ? Quel album est le plus pertinent au regard de Dune ? A chacun de se faire son idée, en fonction de sa perception du roman de Frank Herbert et de ses goûts musicaux – et rien ne se discute plus chèrement que les goûts musicaux ! Suivant les musiciens, les albums s’inspirent plus ou moins lointainement du texte, choisissent tour à tour de proposer des ambiances propres à évoquer ce futur distant, des chansons valorisant l’héroïsme des protagonistes, Paul Atréides en tête, ou encore des trucs n’ayant pas grand-chose à voir mais qu’importe, c’est cool.

Qu’en retenir ? L’œuvre de Frank Herbert peut se targuer d’une postérité étonnante, qui ne connait probablement pas d’équivalent. Dune, sa saga au long cours s’est vue déclinée sur plusieurs médias – un film, deux téléfilms, cinq jeux vidéos et une tripotée d’albums –, bien plus que les cycles de Fondation, des Seigneurs de l’Instrumentalité ou d’Hypérion peuvent s’en prévaloir. Et pourquoi pas ? La musique tient une place non négligeable au sein du roman Dune, avec le personnage truculent de Gurney Halleck, mercenaire qui, accompagné de sa balisette, pousse volontiers la chansonnette.

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