La SF des pulps : une approche factuelle 1/3

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Suite aux récentes discussions sur le forum quant à la collection Pulps et la nature même des pulps, Francis Valéry nous livre ici une approche factuelle des pulps magazine. Dans la première partie de cette étude, notre érudit ami explique ce qu'est, physiquement, un pulps.

Ces dernières semaines, dans le contexte du lancement d’une nouvelle collection intitulée« Pulps », aux éditions du Bélial’, il a beaucoup été question de la « science-fiction des pulps » : un concept un peu flou qui semble ressortir davantage au marketing que relever d’une approche scientifique. On ne voit pas très ce qui caractériserait cette branche ou ce sous-genre de la littérature de science-fiction. On évoque volontiers un supposé « État d’esprit des pulps », sans pour autant avancer ce qui pourrait ressembler à un cahier des charges ! À l’évidence, le sujet intéresse. Le sujet passionne. Le mot même de « pulps » semble véhiculer une charge émotionnelle étonnante. Du coup, tout est permis – y compris affubler les mots d’un sens qu’ils n’ont pas.

D’où cette tentative de clarifier les choses. En utilisant une méthode qui me paraît pertinente et efficace : commencer par refermer le couvercle de la boîte à fantasmes puis se tourner vers le factuel. Et seulement le factuel.

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Un « pulp magazine » (parfois désigné sous le nom « pulp ») est d’abordune publication périodique dont le contenu consiste, pour l’essentiel, en textes de fiction. Ainsi, des publications comme Lectures pour Tous et Je sais Tout ne peuvent pas être considérées comme des « pulps à la française » comme on le lit parfois, car il s’agit de magazines généralistes : les textes de fiction (des romans en feuilleton) ne consistent qu’une part très minoritaire du sommaire. Sans même parler de leur excellente qualité de fabrication, comparable à celle de leurs homologues britanniques comme The Strand, et très supérieure à celle des pulp magazines étasuniens. Donc premier critère : un « pulp », ça publie avant tout de la fiction : nouvelles, novellas, romans en feuilleton.

Après le contenu, examinons le contenant soit l’objet lui-même : le mot « pulp » fait référence à un type de papier et à un format de publication – ce dernier conditionné par le procédé d’impression.

Le papier utilisé est fabriqué à partir de pulpe de bois mêlée à un liant. Il est très absorbant ce qui limite la finesse et la précision de l’impression. Et il est très acide, donc il vieillit mal : le papier imprimé finit par brunir et devient sec et cassant. Cette évolution est inéluctable. On peut seulement la ralentir via un protocole de conservation rigoureux : pochette protectrice en papier désacidifié, plaque de rigidité en carton également neutre, stockage à l’abri de la lumière et de la chaleur.

Le format de publication est quant à lui bien défini : un pulp magazine standard mesure 7 × 10 pouces, ce qui fait en centimètres environ 17,5 × 25. Ce sont des dimensions théoriques, découlant du format du papier utilisé. Dans la pratique, c’est un peu plus subtil (à quelques millimètres près !), à cause du procédé d’impression et de façonnage.

L’intérieur d’un pulp magazine est en général imprimé sur des machines rotatives qui utilisent des bobines de papier de 28 pouces (72 cm) de large. Après l’impression en continu, recto-verso, la bande de papier est tranchée en longueurs imprimées de 40 pouces (100 cm). Sur chaque face de ces feuilles de 72 × 100 sont imprimées 16 pages de magazine, en quatre lignes/colonnes de quatre pages. Il y donc 32 pages par feuille, recto-verso. Chaque feuille est pliée 4 fois pour constituer un cahier de 32 pages au format 17,5 × 25. Les cahiers sont superposés et massicotés sur trois faces. Comme tout ceci se fait rapidement, il est normal que certaines pages soient un peu plus courtes que d’autres (de quelques millimètres) suite à un pliage un peu approximatif qui les fait échapper aux lames du massicot. Trois (ou quatre, parfois davantage) cahiers différents sont ainsi indépendamment imprimés et rognés. Puis on passe à l’assemblage : les cahiers (un exemplaire de chaque) sont superposés avec, là encore, plus ou moins de précision, et après calage du dos un système d’agrafage rudimentaire mais très solide vient les relier, sur le côté. Rien n’est cousu, ni collé. La reliure se limite à ces deux agrafes. Un « trois cahiers » comporte donc 96 pages, un « quatre cahiers » en comporte 128, etc. Certains pulp magazines font plus de 300 pages !

Puis la couverture est imprimée. Compte tenu de l’épaisseur du cahier intérieur qui s’ajoute à la largeur des plats, une couverture entière mesure environ 25 × 36. On voit donc que sur une surface au format 100 × 72, on peut imprimer, en une seule fois, huit couvertures en couleurs – et leurs versos en noir et blanc. On utilise pour cela du papier beaucoup plus épais que celui des cahiers, de bonne qualité et bien blanc, nettement plus coûteux. Et on travaille non plus en noir et blanc mais en quadrichromie (en trichromie et même en bichromie, dans les périodes de disette !). Afin de réduire les frais de fabrication, plutôt que d’imprimer huit exemplaires de la même couverture, on imprime huit couvertures différentes. C’est pourquoi les éditeurs de pulp magazines produisent toujours de nombreux titres. En jouant sur la périodicité de certains titres, on peut rentabiliser la surface d’impression de façon parfaite. Ainsi tel éditeur produisant dix titres, sortira par exemple six mensuels et quatre bimestriels, ces derniers voyant leurs couvertures fabriquées deux par deux, sur deux mois consécutifs – tandis que les couvertures des six mensuels seront imprimées chaque mois. On raconte ainsi qu’ Astounding Stories serait né juste pour occuper une place vide dans la maquette d’impression des couvertures des autres pulps de l’éditeur. Le papier de la couverture étant déjà payé et l’intérieur en noir et blanc s’effectuant sur du papier bon marché, le projet d’un magazine de SF destiné à concurrencer les publications de Gernsback aurait donc été accepté parce qu’il ne coûtait quasiment rien !

Une fois la bande de papier imprimée et débitée en longueurs d’un mètre, celles-ci sont massicotées et on obtient nos huit couvertures. Reste à éventuellement rainer la couverture (pour qu’elle se plie aisément), à encoller la face intérieure du verso ainsi qu’une petite zone sur le rebord de la première et de la dernière pages, à plier la couverture et à glisser à l’intérieur le triple cahier central, puis à laisser sécher l’ensemble.

Voilà pourquoi les pulps qui ont été bien conservés ont des couvertures plus ou moins débordantes – si elles n’ont pas été frottées et usées.

Certains pulp magazines ont été réalisés à un format inférieur à ce « standard pulp format » de 10 × 7. Il s’agit souvent de publications semi-professionnelles, plus marginales que les pulp magazines largement diffusés, et imprimées sur du matériel moins performant. On désigne en général ce format par l’expression « small pulp size ». Il a été également beaucoup utilisé pour des publications britanniques originales (quelques numéros de New Worlds) ou des éditions britanniques de magazines étasuniens (comme Astounding/Analog) mais le papier employé tend à disqualifier ces publications quant au qualificatif de « pulp magazine ».

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À l’inverse, quelques véritables pulp magazines sont à un format beaucoup plus grand, proche du traditionnel « US letter » (8 ½ × 11 pouces, soit environ 21,6 × 27,9) toujours d’usage en Amérique du Nord. C’est par exemple le cas d’Astounding Stories, entre janvier 1942 et avril 1943. Ce format est appelé « bedsheet » et on parle alors de « bedsheet size ».

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À suivre : un historique des pulps.

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