Don't dream it, be it : Rencontre avec les Sweet Transvestites

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Après s'être intéressé au Rocky Horror Picture Show ainsi qu'à ses vraies-fausses suites, ses tentatives de remakes et ses parodies porno, il est temps de laisser la parole à ceux qui continuent à faire vivre ce film-culte quarante ans après sa sortie : les Sweet Transvestites, le fan-club officiel emmené par Brigitte Pistol, qui ont accepté de répondre à nos questions.

Début juillet, alors que la canicule battait son plein, votre serviteur s’est rendu, magnétophone à cassette sous le bras, à l’Espace Jemmapes, dans le 10e arrondissement parisien, afin d’y rencontrer les Sweet Transvestites.

Dans un précédent article, on y évoquait les troupes qui continuent à faire vivre le Rocky Horror Picture Show en faisant de la projection du film une véritable expérience interactive où ce qui se passe sur l’écran se passe aussi sur la scène et dans le public. Pendant une quinzaine d’années, sous l’égide de Brigitte Pistol et Christophe Morand, les Sweet Transvestites ont assuré l’animation du film au Studio Galande, tous les samedis soirs de l’année (ou peu s’en faut). À présent, la troupe emmenée par Brigitte Pistol seule a quitté le Galande et continue à assurer l’animation dans différents cinémas de France et de Navarre.

C’est donc à l’issue de l’une des séances de répétition des Sweet Transvestites que l’interview s’est effectuée. D’abord Brigitte Pistol, avant que les membres du cast nous rejoignent peu à peu.

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Brigitte, racontez-moi votre découverte du Rocky Horror Picture Show, votre réaction à ce film ?

Brigitte : J’ai découvert le Rocky Horror Picture Show très tardivement, en 1996, lors de la Nuit des Films Cultes, sur Canal + [1]. J’ai déliré tout de suite dessus, j’ai trouvé ça génial. J’habitais alors à Rouen, et j’ai montré le film à tous mes amis. Quand on est revenu habiter à Paris, j’ai consulté l’Officiel des Spectacles et j’ai vu que le film était projeté au Studio Galande.

Les animations du Rocky Horror Picture Show existaient déjà en France, avant que vous créiez les Sweet Transvestites ?

B. : Ça a commencé en 1979 ou 1980. Il n’y avait pas d’animation pour ainsi dire : c’était les gens dans la salle qui faisaient l’animation. Le bordel total, il y avait de la flotte et du riz partout… Cela, six jours sur sept. Le gérant du Galande me disait que c’était l’horreur : la moquette par terre ne séchait jamais, il y avait aussi des rats. Puis des troupes se sont peu à peu constituées, au départ pas vraiment costumées. En 1988, une troupe a commencé à avoir des costumes. Il y en a ensuite eu une autre, avec laquelle on a joué pendant un an — on a commencé en 1992. Cette troupe avait des costumes, pas parfaits, mais au moins ils en avaient. On a joué pendant un an avec eux. Moi, je voulais qu’on ait des costumes parfaits et surtout qu’on répète, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque. J’ai fait du théâtre pendant sept ans, et je voulais un spectacle bien théâtral. On a donc fini par créer les Sweet Transvestites, en 2001. On a eu pratiquement tout de suite la séance du samedi. Au fil des années, j’ai conçu encore plus de costumes, en travaillant sur photo. Mon compagnon, Christophe, qui jouait Riff, réalisait tous les accessoires. On a opté pour le perfectionnisme.

Comment s’est passé votre toute première représentation ?

B. : Ça s’est bien passé, même s’il n’y avait pas beaucoup de monde. La première séance qu’on a faite a eu lieu à minuit, parce qu’il y avait une autre troupe qui jouait, parfois, le samedi à 22h. Autant dire que… c’était l’horreur : le public comptait cinq, six personnes. Dix, c’était merveilleux. On avait beaucoup répété à la maison, avec des membres qui venaient de troupes différentes. On connaissait l’animation mais le public ne suivait pas. À mon avis, à minuit, ça n’aurait jamais marché bien longtemps. Et cela a duré un mois. Un soir où l’on remplaçait la troupe de 22h — parce qu’ils n’étaient jamais là —, le gérant est venu et m’a dit que la séance de minuit, c’était fini. J’ai protesté. Mais il m’a dit que les Sweet Transvestites allaient prendre celle de 22h. On a commencé alors à avoir du monde, pas beaucoup plus. Puis la salle s’est remplie au fil des années, au point qu’on devait souvent refuser du monde ces dernières années.

Oui, il fallait s’y prendre à l’avance pour réserver les billets…

B. : Et on a arrêté au mois d’août l’année dernière.

Sauf indiscrétion, pourquoi ?

B. : Il n’y avait aucune reconnaissance de la part du Galande. On était bénévoles, l’argent n’était pas ça le problème… mais juste un peu de gentillesse. Ils étaient assez désagréables avec nous. Avant, on faisait des sketches de vingt minutes, que j’écrivais et qu’on jouait juste avant le pré-show Village People, toujours en rapport avec la saison (Noël, les Rois mages…) et avec le Rocky. Puis on nous a interdit de les jouer, car ils faisaient finir la séance trop tard : on terminait normalement à 0h45. Cela dérangeait donc le gérant. Il ne voulait même plus qu’on fasse le pré-show Village People. Ce que j’ai fait, c’est de sabrer dans le film pour récupérer le temps du pré-show. On a continué comme ça un temps.

Pourtant c’était un sacré boulot, vous étiez là tous les samedis soirs, toute l’année.

B. : Pendant dix ans, Christophe et moi ne sommes jamais partis en vacances. Si on le faisait, c’était du dimanche au vendredi. La dixième année est tombée lors du 35e anniversaire du Rocky Horror Picture Show : les organisateurs d’une convention à Los Angeles nous ont demandé de venir jouer. On est partis et on a loupé un samedi – le premier en dix ans. Et les États-Unis, ça nous a plu. Alors l’année suivante, on a loupé deux samedis ; trois ou quatre l’année suivante, et l’année dernière (2014), on allait louper sept samedis. D’habitude, on avait des gens de la troupe pour nous remplacer, mais l’année dernière, ça n’a pas été possible. Alors on a dit au Galande qu’on serait absent pendant sept semaines et qu’on allait arrêter. On leur a demandé s’ils avaient prévu du monde pour nous remplacer : non. Au lieu de trouver un arrangement, ils ne nous ont rien dit. Alors on est partis. Quand on est revenu des USA, je ne suis même pas retournée au Galande.

Il y a maintenant une nouvelle troupe le samedi, les Deadly Stings…

B. : Ce sont des anciens des Sweet Transvestites. Ou plutôt un ancien. Il n’a pas vraiment de troupe, ce sont rarement les mêmes membres qui jouent, et ils n’ont pas de rôle attribué.

Ça n’est pas trop difficile de recruter ?

B. : Un peu : le plus dur est de trouver des gens sur qui on peut compter sur le long terme.

Je me souviens des appels à volontaires que vous faisiez à la fin de chaque séance, et d’une séance où vous aviez dû remplacer le professeur Scott par une marionnette.

B. : Ah oui. On avait parfois du mal à recruter. Là, en ce moment, on a du mal à recruter des mecs. J’ai contacté des comédiens, mais je crois que je vais arrêter : ils veulent que ce soit rémunéré. Au Galande, on n’était pas rémunéré : c’était au chapeau. Ce qu’on récoltait servait pour les costumes, à payer le site, le nom de domaine, et quand on jouait à l’extérieur. Malheureusement, les comédiens ne viennent pas si ça n’est pas payé. J’aimerais bien des fans, mais masculins – il y a souvent beaucoup plus de filles… Mais on a connu beaucoup de périodes semblables. Ça nous est arrivé d’avoir des casts uniquement féminins. La troupe compte actuellement une fille, une petite blonde, qui a joué tous les rôles de mecs.

Justement, quelles sont les qualifications, les compétences requises pour rejoindre les Sweet Transvestites ?

B. : Les compétences ? Ce dont on rêve, c’est que les gens soient fiables.

[Charlotte, l’assistante de Brigitte Pistol, nous a rejoints.]

Est-ce qu’il faut avoir vu le Rocky un nombre minimum de fois ?

Charlotte : Non, il faut juste le connaître un peu.

B. : Il faut connaître l’univers quand même. Il faut répéter. On a des antisèches, des fiches pour chaque rôle.

C. : Elles sont très détaillées. Les placements, les costumes, le moment où les changer.

B. : La salle du Galande était petite, il fallait donc bien connaître les placements. On répète en fonction de la grandeur de la scène : il y a des choses qu’on peut faire sur les grandes scènes, qu’on ne pouvait pas faire au Galande. Parmi les autres compétences : l’esprit d’équipe aussi. Et sinon : être studieux, motivé.

C. : La fiabilité. L’important, c’est d’être là aux répétitions et de prévenir quand on s’absente.

C’est assez astreignant. Vous faites combien de répétitions par semaine ?

B. : Une par semaine. Pour ne pas perdre. L’animation passe avant tout : c’est ce qu’on sait faire, et bien. Mais on travaille aussi sur un autre projet : la pièce.

C. : Au moins en version condensée.

Le Rocky Horror Show ?

B. : Oui. J’en rêve depuis huit ans. On avait commencé, mais cela a capoté à cause de gens peu fiables. On avait des comédiens, mais l’un d’entre eux, une fille, ne venait pas répéter. On avait fixé une date pour la représentation : quinze jours avant, cette comédienne n’est plus venue répéter. J’ai voulu la remplacer, mais le comédien qui jouait Brad s’est barré dans la foulée, et le projet est tombé à l’eau… Mais c’est quelque chose que je voudrais vraiment monter. Ailleurs que dans un cinéma, pour des versions un peu cabaret. Quand on fera le Rocky Horror Show, ce sera différent, on n’aura pas d’écran derrière. Ça nous donnera de l’air, permettra de faire des digressions sur les costumes.

C. Il y a une part de créativité qui est importante, ne serait-ce que pour les chorégraphies. C’est aussi très agréable pour nous de faire des choses différentes.

B. : Cependant, c’est l’animation qui nous a fait connaître. Et on continue à nous solliciter. Nous irons bientôt à Genève, puis Lyon, avant de revenir Paris, au Brady. Dans un premier temps, ce sera tous les trois mois ; probablement tous les mois par la suite. Ce n’est pas que je ne veux pas faire de l’animation toutes les semaines : je voudrais avoir des gens disposés à le faire toutes les semaines. Au Galande, cela me rendait folle, ces gens qui ne vous préviennent pas, qui disparaissent… D’où l’histoire du professeur Scott joué par une marionnette. Je te rassure : j’ai tout le cast en marionnettes. D’ailleurs, on avait fait une animation pour Paris Tech : ils n’avaient pas d’argent, et on leur a dit que, déontologiquement, on ne pouvait pas faire cela pour rien. On s’est accordé avec l’organisateur pour jouer un petit bout du film, jusqu’à l’arrivée de Rocky – environ vingt minutes – et pour le faire à trois. Cela a quand même donné quelque chose avec les marionnettes. En fait, c’est la meilleure séance que j’aie faite. J’avais la marionnette de Janet, Frank avait celle de Brad, Christophe faisait Riff puis Rocky. J’ai revu l’organisateur à la Gay Pride, il m’a dit qu’il en avait gardé un excellent souvenir et que toute l’école en parlait encore.

Justement, j’allais vous demander quels sont vos meilleurs et vos pires souvenirs…

B. : Eh bien voilà, celui-là. Les spectateurs étaient hyper contents, ils nous ont embrassé, nous ont proposé une collation. Habituellement, lors des séances privées, on ne nous demande pas si on veut boire ou manger ; les gens ne sont pas aux petits soins. À Paris Tech, si. À La Ciotat, c’était pas mal non plus. On avait des marionnettes aussi.

C. : On a fait le cinéma Éden à cinq, c’était un peu juste comme cast, mais la séance était vraiment sympa.

B. : C’est le plus vieux cinéma du monde.

Et un pire souvenir ?

C. : Il y a eu des séances au Galande assez sportives, mais les gens sont toujours contents à la fin. Sur le coup, on en bave, mais finalement c’est bien.

B. : J’ai deux pires souvenirs, datant de la même semaine en 2002. On était à Nantes, d’abord pour un festival gay-lesbien. Le Rocky a été diffusé après Priscilla, folle du désert – jusque-là, ça va – et il y avait des numéros de drag-queens, ou plutôt de transformistes, entre les films. On a commencé à une heure du matin, au moins. La salle était aux trois quarts pleine, et quand on a fini, elle était au quart. Ce n’était pas terrible, mais toujours mieux que l’école des Mines. C’était une soirée sur le thème Mexico et je me demande bien ce qu’on venait faire là-dedans ! Ils nous avaient placés au fond de la salle, juste à côté du buffet et du bar. Les élèves étaient tous en train de manger et surtout de boire, personne ne regardait. Au bout d’un moment, l’organisateur est venu et nous a dit qu’il faudrait peut-être arrêter là. Christophe lui a dit : « Ce n’est pas moi qui arrêterai, c’est toi qui le feras ». Et l’organisateur nous a fait cesser à la scène du dîner.

C’est assez tard dans le film…

B. : Et on était content que ça se finisse, ça oui…

Mais en règle générale, ça se passe bien avec le public, les gens sont réceptifs ?

B. : Oui

C. : Même si ça se passe mal pour nous, qu'on n'est pas satisfait de notre prestation parce qu'on a raté quelque chose, les gens sont super contents.

B. : À nos débuts au Galande, des gens gueulaient parce qu’on était grossier. Il y a longtemps, j’ai vu une bonne femme, qui a quitté la salle alors que j’étais en train de me changer dans les escaliers [à la fois vestiaire pour les comédiens et chemin de sortie]. Elle m’a dit : « Si vous étiez fans du film, vous ne seriez pas devant l’écran. – Écoutez, madame, si vous voulez voir le Rocky sans personne devant l’écran, eh bien, louez le DVD… » Parce que de telles projections du Rocky Horror Picture Show n’existent plus nulle part ailleurs en France. (Peut-être à Londres et en Allemagne.)

C. : Quand le Rocky a été projeté récemment au Cinéma Paradiso, les gens attendaient qu’on fasse l’animation.

B. On était censés rester assis dans la salle mais on a fini par le faire. Sans changement de costumes ni rien du tout. J’avais proposé aux organisateurs qu’on fasse l’animation, mais ils avaient refusé, disant que la salle était trop grande, qu’on serait trop petits devant l’écran. D’autant que les spectateurs écoutaient le film au casque. On devait faire un pré-show puis aller nous asseoir avec notre casque dans la salle. Et puis, en entrant dans la salle, il y a un type, – tu me dis que c’est un producteur – [Charlotte acquiesce] à l’entrée qui nous dit : « Allez, mettez le feu. » Et on a fait l’animation.

C. : Quand on est rentrés dans la salle, les deux mille spectateurs nous ont acclamés. Cela nous a fait vraiment plaisir. Si j’avais un meilleur souvenir, ça serait celui-là. C’est très impressionnant.

 

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Par ailleurs, ça fait des années que vous voyez le Rocky. Il n’y a pas de lassitude à la fin ?

B. : Le film, je ne le vois pas vraiment. On ne le voit pas, on l’entend. Je le connais par cœur, toi aussi peut-être déjà.

C. : Oui, oui.

B. : Ce qui est marrant avec ce film, c’est que plus tu le regardes, plus tu trouves des trucs que tu n’avais jamais vus. Lorsque je fabrique les costumes, je passe le film en image par image, et je découvre des trucs. L’autre jour encore, j’ai remarqué encore quelque chose que je n’avais pas remarqué avant. C’est extraordinaire. Le décorateur était très fort.

Créer les costumes doit représenter un sacré travail… J’étais souvent dans les premiers rangs, parfait pour voir le soin apporté aux détails.

B. : Lorsque j’ai débuté, il y avait une Américaine, Ruth Fink Winter, juge des costumes dans les Conventions, qui était hyper pointilleuse. Elle avait écrit un article[2] où elle louait mes costumes. Tiens, voilà pour moi. Et elle a un site où elle décrit chaque costume en détails. Elle regardait le Rocky à une époque où il n’y avait pas encore de DVD mais seulement de la VHS. Elle notait les détails : par exemple, le col de Magenta mesure onze centimètres. À son contact, je suis devenue perfectionniste aussi. J’ai fabriqué tous les costumes – je n’avais pas réfléchi à ça au début. Après avoir refait deux fois la cape et le corset de Frank N. Furter, je me suis dit que j’allais concevoir tous les costumes, pour être sûre de leur qualité. Mais cela a changé aux États-Unis, où ils ne sont plus aussi pointilleux qu’avant. Là-bas, il n’y a pas de costumier : chacun apporte son costume. Certains sont très réussis, d’autres… pfft. C’est inégal. L’année dernière, on a vu le cast de Vegas : c’était limite. Puis on a vu celui de Tucson. Là… Arrivés au « Time Warp », j’ai demandé à Christophe s’il pensait qu’on pouvait s’en aller. Non, impossible, d’autant qu’on était au premier rang. Quand ça s’est fini, j’ai espéré que personne ne me demande mon opinion, parce que je suis incapable de mentir.

Est-ce que vous avez eu l’occasion de rencontrer des membres originels du Rocky Horror (Picture) Show ?

B. : Oui, j’ai rencontré Richard O’Brien, puisqu’on est le fan-club français officiel. Il y a une maison-mère, le fan-club international, qui a été créé par Sal Piro, celui qui a inventé l’animation. Maintenant, quand tu veux fonder un fan-club du RHPS, il faut demander l’autorisation à ceux des USA. Nous avons donc fait la demande, par l’intermédiaire de Ruth Fink Winter ; Sal Piro a donné son accord, ne manquait plus que celui de Richard O’Brien. On l’a rencontré deux ans plus tard, dans sa loge, lors d’une tournée du Rocky Horror Show en Angleterre, où il jouait l’usherette – que j’ai joué également. Parmi les autres que j’ai vraiment rencontrés, il y a Barry Botswick [Brad], avec qui j’ai joué pendant la convention des 35 ans. On a rejoué la scène du déshabillage. Cela se passait censément 35 ans après le film ; Brad rencontrait Magenta et Columbia – qui arrivait dans un fauteuil roulant, moi j’arrivais en boitant –, on discutait et hop, j’enlevais à Brad son pantalon, c’était le but de l’opération. J’ai rencontré Pat Quinn [Magenta] à une convention, mais on n’a pas eu l’occasion de beaucoup discuter. Maintenant on échange via Facebook, et je devrais la voir à Londres la prochaine fois que j’irai là-bas. J’ai aussi un très bon copain, qui jouait un Transylvanien, le plus jeune, ainsi que l’assistant du photographe. C’est par son intermédiaire que j’ai connu du monde, notamment le premier Rocky, celui qui a créé le rôle dans la pièce mais qu’on n’a pas pris pour le film. Enfin, j’ai aussi approché Sue Blane, la costumière, puisqu’on a reçu des prix pour les costumes : on a été primés à Londres lors d’une convention, et Sue Blane nous a remis le prix.

[Robin et Marie-Alix arrivent.]

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Riff-Raff, alias Robin

L’acteur qui joue Rocky dans le film n’a plus fait de cinéma par la suite ?

C. : Peter Hinwood était mannequin en fait.

B. : Et antiquaire maintenant. Si, il avait joué auparavant dans deux-trois films, assez limite. Il ne savait pas chanter, donc il est doublé ; il ne savait pas jouer, du coup Rocky dans le film ne parle pas, à l’inverse de la pièce ; il ne savait pas danser, ça se voit : dans la pièce, Rocky fait la roue, des saltos arrière, plein de trucs, et il dit entre autres à Frank d’aller se faire foutre. J’ai demandé à mon copain transylvanien qui, dans l’équipe du film, voulait coucher avec Hinwood. Il m’a répondu : « Le réalisateur peut-être ? » Franchement, c’est juste un sex-toy. Parce que normalement, Rocky, il est comme lui [Brigitte désigne Robin, qui interprète justement Rocky, et qui est plutôt sec et fluet], ce n’était pas un « muscle-man ». Dans le film, chanter « In just seven days I can make you a man » ne correspond à rien puisqu’il est déjà bodybuilé.

De temps à autres, il y a des rumeurs concernant un éventuel remake du RHPS. Vous en pensez quoi ?

C. : …

B. : …

R. : …

M.-A. : …

Ça veut tout dire…

B. : Tout le monde dit que ça ne marchera pas. De toute façon, cela fait un tollé partout.

Et Shock Treatment, vous en pensez quoi ? Le film existe à vos yeux ?

B. : S’il n’y avait que moi, je ferais l’animation de Shock Treatment. La musique est mieux. L’histoire… faut suivre. J’avais vu Shock Treatment justement à la convention, et je me suis dit en rentrant des USA que j’aimerais le monter, mais alors là, il faudrait… quinze personnes. Il y a beaucoup de personnages.

J’avoue que je n’ai pas encore vu le film[3]. J’ai le DVD, mais à la maison…

B. : Mais si tu l’as avec des sous-titres, regarde-le, notamment parce que la musique est vraiment très bien.

C. : Elle est plus rock, plus travaillée en termes d’orchestration.

B. : Je te rassure, la musique que tu entends dans le Rocky, ça n’est pas la musique de la pièce, les mêmes arrangements diffèrent. Richard O’Brien a fait ce qu’il a fait et voilà. Qui lui a demandé de ralentir le rythme, je n’en sais rien, mais la musique du film est quand même un peu lente. Dans la pièce, ça déménage plus, c’est plus enlevé. Est-ce que ça explique pourquoi le Rocky Horror Picture Show n’a pas marché au cinéma, je n’en sais rien. Dans le film, ils ont rajouté la scène du dîner, mais ce n’est pas ça qui a fait capoter le truc. Le truc marrant : la lenteur donne l’impression que c’est fait pour que les gens puissent placer des blagues, interagir avec les personnages à l’écran. En réalité, pas du tout. Dans la pièce, impossible de placer de blagues. J’ai vu le Rocky Horror Show à Wimbledon, avec une nouvelle mise en scène de Richard O’Brien. Et la pièce durait 1h20. En comparaison avec la version qu’on avait vue avant à Sarrebrück, et qui durait 2h15, parce qu’il y avait des blagues, un peu, pas beaucoup, des jetés de plein de trucs – les Allemands sont délirants.

Une sacrée différence…

B. : Même dire des conneries lors de la pièce d’O’Brien, tu n’as pas le temps. Je crois qu’il l’a fait exprès. Il faut savoir que O’Brien déteste l’anim.

Le Rocky Horror Picture Show met quand même en scène des extraterrestres, il y est question d’un time warp… Je me demandais si vous appréciez les films de SF.

B. : Les films de science-fiction cités dans le générique du début, je les ai tous vus, sauf Le Jour des triffides. Mais c’était plus les films d’horreur que je regardais, Dracula et les trucs du genre. Mais de la SF aussi. C’est une époque où on voyait beaucoup de films de science-fiction, mais est-ce que ça existe encore maintenant ?

Si, il s’en fait encore tout plein…

M.-A. : Mais ça n’est plus le même style. C’est plus sociétal, des choses comme ça, qu’axé sur la technologie.

Quarante ans après la sortie du film, est-ce que vous pensez que le Rocky Horror Picture Show est toujours pertinent, d’actualité ?

C. : Vu comment les salles sont remplies, je dirais oui.

B. : On pensait que les gens venaient surtout voir le Rocky, principalement au Galande, pour jeter de l’eau et du riz. Moi, je déteste ça. Parce que ça déprécie le travail que l’on fait. Si c’est pour lancer de l’eau et du riz, nous n’avons pas besoin de répéter. Et si l’on ne fait pas ça, l’animation marche très bien aussi.

C. : Les gens s’amusent autant. À La Ciotat, on n’a pas eu le droit de jeter de l’eau et du riz pour des raisons évidentes, mais les gens avaient l’air tout aussi content.

B. On a participé à la Gay Pride aussi. Et nous avons été sidérés de voir le nombre de fans du Rocky qu’il y a… Je n’imaginais même pas à quel point. Les gens se précipitaient vers nous, prenaient des photos, nous disaient qu’ils adoraient le Rocky. Donc, il y a des fans. Mais peut-être pas où l’on croit. Peut-être pas au Galande. Il y a quelqu’un qui organise un event vers Halloween, je ne sais pas si tu as vu ça sur Facebook pour le quarantième anniversaire du Rocky Horror Picture Show, secret party et cætera : il a dix-sept mille personnes d’inscrites. Bon, il n’aura peut-être pas dix-sept mille personnes, mais quand même. Et là, on va le jouer en Suisse, au bord du Lac Léman ; l’organisateur m’a dit, au bas mot, de s’attendre à deux mille cinq cents à trois mille personnes, et s’il fait beau, plutôt six ou sept mille personnes.

C’est impressionnant…

B. : Quand on a vu le Rocky Horror Show à Sarrebrück, il y avait cinq mille personnes dans la salle, dont les trois quarts étaient déguisés. Au Galande, j’ai voulu tester le Kararocky : faire chanter les gens. Mais pour les faire chanter… faut ramer. Et pour les faire venir déguisés, alors là… Même s’il y en a qui viennent, habillés n’importe comment…

R. : À Strasbourg, c’était surtout du cosplay d’un peu de tout. C’était presque une Gay Pride.

B. : Oui, mais au Galande, les mecs enfilent la robe de leur sœur, mettent un peu de rouge à lèvre. Le travelo de base. Sans l’effort de mettre des costumes. J’ai été voir le Rocky Horror Picture Show à Londres : les Anglo-Saxons connaissent tous le film, les chansons, ils viennent déguisés. Mais il n’y a pas d’animation, il n’y en a plus à Londres depuis des années. Il y a juste au début quelqu’un qui explique, qui distribue des petits trucs, des cartes où il y a marqué Janet, Brad. L’explication dure environ une demi-heure, puis le type part et te laisse avec le film. Eh bien, les gens dansent, chantent. Parce que c’est un truc anglo-saxon. Les Français… Ce n’est pas pour rien que la tournée européenne n’est jamais passée par la France. Entre 1996 et 2006, une troupe a tourné en Europe, elle a été partout sauf en France. Nous avons été les voir en Allemagne, deux fois. Et le comédien jouant le narrateur m’a dit qu’il n’en revenait pas de voir des fans français, parce qu’on lui avait dit que les Français n’aimaient pas le Rocky. Moi je persiste et signe à vouloir monter le Rocky Horror Show. Mais pas à la Kamel Ouali. On m’a dit que pour le monter, il me faut des gens qui chantent hyper bien. Non, je n’ai pas besoin de gens qui chantent hyper bien… Je ne sais pas si tu as déjà entendu le cast original de 1973, c’est… Bon, Tim Curry chante bien, Richard O’Brien aussi. Mais Pat Quinn, on dirait un chat. Les autres, ils ne savaient pas chanter.

Ça s’entend dans le film. Dans la chanson « Damnit Janet », Barry Botswick a du mal à monter dans les aigus, c’est…

B. : Tu sais que c’est Barry Botswick qui a créé le rôle de Danny dans Grease ? Il joue bien, sexy et tout. Mais il n’a pas participé au film, je crois qu’il y a eu une magouille, une emmerde avec son agent. Tu te rends compte de la carrière qu’il aurait pu avoir… Parce que là, la carrière de Barry Botswick est restée un peu underground. Mais il tourne toujours : la série Spin City, George Washington dans un téléfilm…

Dans le cast du film, il n’y a que Susan Sarandon qui a fait vraiment carrière. Tim Curry un peu aussi.

B. : Oui, mais il a beaucoup changé… Il y a deux ans, il a fait un méchant AVC. Il est désormais dans un fauteuil roulant, l’air un peu perdu. Il a pris un coup de vieux aussi. Les gens qui postent des photos de lui maintenant, avec une image de Frank N. Furter à côté, je trouve cela dégueulasse. Je n’ai pas voulu la relayer, je n’aimerais pas qu’on me le fasse. Lui, je ne sais pas, d’autant qu’il se produit en public, alors il doit bien s’y attendre… DansÇa, tu sais que c’est lui. Il joue dans Le Cri du sorcier, dans Legend aussi : Darkness, c’est lui. Après, il a fait Congo. Dans ce film, ils cherchent les mines du roi Salomon, et il joue le savant qui veut voler les diamants. Dans Octobre Rouge, il joue le docteur. Il a même joué dans la Famille Addams : il fait Gomez, le mari de Morticia.

[Suit un bref débat pour savoir si Tim Curry a bien joué dans La Famille Addams, que ce soit le film ou la série. Brigitte est persuadé que oui, mais nous émettons des doutes : il s’avère que oui, Tim Curry a bel et bien joué dans le téléfilm La Famille Addams, les retrouvailles.]

B. : Tim Curry a aussi dans Clue/Cluedo. Aux États-Unis, ils s’amusent : après le show, ils font des parties de cluedo. C’est presque une animation : ils refont le jeu, en s’habillant comme les personnages du film. Côté Rocky Horror Picture Show, il y a un cast de Los Angeles, Sin of the Flesh, qui fait des courts-métrages, plein de trucs : ils n’arrêtent pas. Ils ont même prêté leurs costumes pour un film de cul inspiré duRocky.En fait, il y a deux films de cul d’après le Rocky : leRocky Porno Video Show [Marie-Alix éclate de rire]. C’est pas que je regarde des pornos, mais celui-là, si, forcément ! Le dernier, le Rocki Whore Picture Show, je crois qu’il remonte à deux ans. Tu l’as vu, toi.

R. : Euh, ouais, les costumes sont vraiment fidèles...

B. : Il y avait des décors, des costumes exacts. Je me suis dit qu’un cast était derrière ça. Effectivement, les Sin of the Flesh ont prêté leurs costumes et ont peut-être été conseillers. Mais le réalisateur a changé les paroles des chansons, tout en gardant l’air. « Let’s do the time warp again » devient « Let’s do the orgy again ». Alors tout le monde baise avec tout le monde, mais comme aux Etats-Unis, ils sont devenus complètement puritains, Rocky est désormais une fille. À aucun moment Frank ne se tape Brad. À aucun moment, il n’y avait des histoires de gays. Comme dans l’épisode de Glee : les élèves rejouent le film, et ils ont pris une fille, une Noire assez grosse, pour interpréter Frank. Pour le « Touch-a-touche-me », Rocky ne touche en aucun cas Janet.

C’est affadi ?

B. : Il y a une vague de puritanisme et c’est pour ça que les casts américains ont beaucoup de Frank joués par des femmes.

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Columbia, alia Marie-Alix

[La cassette arrive à sa fin, il va être temps de conclure…]

Est-ce que, parmi les paroles de chanson, il y en a une qui vous servirait de devise ?

M.-A.: « Don’t dream it, be it »

R. : Je pense que c’est plus la chanson « Sweet Transvestite » qui est vraiment emblématique.

B. : Oui, mais ça n’est pas une devise. Moi ce serait « Let’s do the time warp again » ou alors « with voyeuristic intention ». Mais ce n’est pas une devise, c’est ma signature, parce que, quand je ne sais pas quoi marquer aux gens… Non, une devise… Tout le monde pense à « Don’t dream it, be it ».

C’est libérateur en tout cas.

B. : Je ne sais pas si c’est si libérateur que ça.

R. : Je pense qu’inconsciemment, on l’applique quand même.

B. : Je n’avais pas pensé à ça… Moi ce qui m’a plu dans le film, c’est que c’était complètement immoral et très drôle. C’est vraiment symptomatique d’une époque. En ce temps-là, des gens qui se fiançaient et se mariaient, c’était ridicule.

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Quelques jours plus tard, sous des températures un brin plus clémentes, je suis retourné à l’Espace Jemmapes, nonobstant un magnétophone quelque peu récalcitrant, terminer l’interview et recueillir les témoignages de Mathieu (qui joue Frank N. Furter, parfois le Criminologue, mais qui a testé tous les rôles), de Robin et Marie-Alix.

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Le Narrateur, alias Mathieu

Quand et comment avez-vous découvert le RHPS ? Et comment avez-vous rejoint la troupe ?

Mathieu : C’était en 2005. J’étais allé voir le film au Galande avec des amis. J’ai donc vu la troupe qui se produisait, et j’ai trouvé géniale cette interaction qu’il y a entre le film, le public, les personnages entre eux, l’extraordinaire ressemblance des costumes, des accessoires, tout le côté scénographie professionnelle de la chose. Cela dégageait une grande énergie, c’était hyper sympa. C’est un environnement dans lequel je me suis reconnu, et donc, j’ai franchi le pas très vite. Je leur ai dit que j’avais trouvé ça génial », et ils m’ont demandé si je ne voulais pas venir avec nous. J’ai dit « oui ! », et un mois après, j’ai commencé les répétitions. C’était aussi en 2005.

R : Il y a deux ans, avec des amis : on voulait assister à la séance du samedi avec les Sweet Transvestites, mais on s'y était pris le soir même et il n'y avait plus de places, alors on y est retournés la semaine suivante. La première fois, ça allait très vite, c'était hyper dense entre le film et l'animation, mais j'ai tout de suite adoré : la scénographie devant l'écran est vraiment impressionnante et super bien réglée, et puis l'interaction entre le public, le film et les animateurs est vraiment grisante. J'y suis retourné plusieurs fois, et il y a un peu plus d'un an, nous y sommes allés avec Marie-Alix – on était déguisés, elle en Columbia, moi en Frank –, et Christophe nous a proposé de rejoindre la troupe à la fin de la séance. J'ai hésité deux secondes parce que je n'y croyais pas vraiment et j'ai accepté. Marie-Alix, partant un an en Irlande ne pouvait pas, mais elle nous a rejoints en rentrant, il y a quelques mois.

Que faites-vous dans la vraie vie / hors du RHPS ?

R : En ce moment, un peu de théâtre et de cinéma, ainsi que des petits boulots, après avoir fini un master d'Histoire-Anglais. Marie-Alix a commencé des études de psychomotricité après une licence d'Anglais-Espagnol.

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Le site web des Sweet Transvestites
La page Facebook

 

[1] Très précisément, la nuit du 14 novembre 1996. Le Rocky Horror Picture Show a été suivi de Easy Rider et de Orange M écanique. Cf. l’article de Libération paru à l’époque, au ton très méprisant.

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