Où Francis Valéry nous parle de l'avancement de son projet Les Mondes de l'essaim, roman de SF pourvu d'une bande-son dont l'ambition est d'être la plus non-humaine possible…
Où Francis Valéry nous parle de l'avancement de son projet Les Mondes de l'essaim, roman de SF pourvu d'une bande-son dont l'ambition est d'être la plus non-humaine possible…
De nos petits possibles…
Mon travail sur Les Mondes de l’Essaim avance gentiment, à son rythme et dans trois directions.
Je continue de prendre des notes et de les structurer, de temps en temps, sous la forme de petits articles dont les premiers ont été mis en ligne ici-même ainsi que sur la page de présentation du projet. J’essaie de montrer comment, de manière simple et naturelle, c’est-à-dire en constatant l’existence de phénomènes vibratoires ne devant rien à la présence d’un observateur humain, donc sans artifice ni intervention d’ordre culturel, il est possible de créer des « gammes ». C’est-à-dire de collationner un ensemble de sons liés par des rapports harmoniques, de leur donner le statut, culturel cette fois, de « notes », et d’expérimenter les sensations que peuvent susciter l’agencement de ces notes : ce que l’on appelle de la « musique ». Ces articles sont sans prétention – ils ne visent qu’à montrer qu’il n’y a pas une manière unique de concevoir des gammes, que cette opération est le résultat d’une série de choix, voire d’un accommodement avec le réel (comme la création de la gamme tempérée). Ces articles fournissent la base d’une réflexion sur ce que pourrait être une musique extraterrestre, basée sur d’autres choix que ceux qui se sont exprimés au sein de nos cultures terriennes.
Pour l’instant, je continue de mener ces réflexions, sans grande prétention. Elles paraitront sans doute futiles à « ceux qui savent » — je me souviens de la réflexion méprisante d’un étudiant en musicologie, il y a une quinzaine d’années, lorsque j’avais (déjà !) exposé ces petites considérations dans le cadre d’une rencontre organisée à Lyon, me faisant remarquer que tout cela était « du niveau CM2 ». Peut-être. Sans doute, même ! Mais pour parodier je ne sais plus quel philosophe : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ! (et donc simplement). Et je crois qu’il peut être utile, parfois, de retourner à l’école… et de reprendre là où ça a commencé à dérailler ! Le CM2 me paraît un bon (re)départ.
Mon deuxième angle d’approche des Mondes de l’Essaim consiste à écrire des fragments du journal de l’ambassadeur Broderick, en poste sur la planète-océan Ayou. C’est le personnage principal à travers lequel les lecteurs vont appréhender peu à peu le monde sur lequel tout cela se passe. Ces jours-ci, j’ai travaillé sur une scène qui débute par un événement fondateur : le moment où Sholvä se met à chanter. Sholvä est une île volcanique inabordable en temps ordinaire, tant ses falaises s’enfoncent à pic dans l’océan. Au centre de son cratère se trouve un lac, et sur ce lac il y a une île où vit une communauté de personnages secrets, détenteurs de la mémoire de toute la planète. De temps à autre, les trois lunes d’Ayou entrent en conjonction, ce qui provoque divers phénomènes comme une baisse significative du niveau de l’océan autour de Sholvä et un changement de direction des vents dominants. Des ouvertures d’ordinaire sous le niveau des eaux apparaissent alors dans les flancs de l’île montagne, le vent s’y engouffre et remonte le long d’anciennes cheminées volcaniques : ce qui fait chanter la montagne. A un endroit précis de l’île, une ouverture permet de traverser la montagne et d’atteindre directement l’îlot central : un chemin praticable pendant seulement quelques jours. Il y a alors un vaste pèlerinage : venus de toutes les îles de l’archipel, des jeunes gens gagnent Sholvä pour y subir une initiation au terme de laquelle ils deviennent, à leur tour, détenteur d’une partie de la mémoire collective des peuples d’Ayou. Je n’en dirai pas davantage — j’en ai sans doute déjà trop dit !
Ma troisième occupation consiste à composer et enregistrer les musiques qui accompagnent ces événements : du chant diaphonique de la montagne aux récitations incantatoires des moines de la communauté de l’îlot. Mon optique est résolument non humaine. Ma musique tient à la fois du paysage musical (non culturel par nature) et de l’expression d’une forme d’indicible, de non humanité (culturellement autre). Autant dire que je reviens souvent sur ma copie et que j’ai la sensation d’avancer avec une extrême lenteur — voire de ne pas avancer du tout… quand je jette un œil au stock de fichiers .wav qui s’entassent dans mes poubelles virtuelles. C’est difficile. Je traverse de nombreux moments de découragement, me demandant alors dans quelle galère je me suis fourvoyé ! Et puis je reviens à mes claviers et à mes constructions hétéroclites desquelles j’essaie de tirer des sons avant de les bidouiller.
Voilà. J’écris ces lignes le jeudi 17, au petit matin — je me suis réveillé peu après 4h, après m’être retourné dans mon lit pendant un bon quart d’heure, lorsqu’il fut évident que je ne parviendrais pas à me rendormir. La nuit fur très courte. Je suis en permanence plongé dans les Mondes de l’Essaim — le jour, j’écris et je compose ; la nuit, j’essaie de dormir… mais Broderick s’invite à visiter mes rêves. J’avance. Lentement, mais j’avance tout de même. Pour tout dire, la perspective d’avoir soixante ans dans trois jours — tout seul dans mon coin — ne participe que très modérément à mon enthousiasme naturel…
Du coup, je me demande si je ne vais pas aller me recoucher et tenter de dormir une paire d’heures de plus ?