Le Jeune Homme et les Étoiles

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En attendant la sortie de l'intégrale des Galaxiales de Michel Demuth, en librairie le 17 novembre, découvrez l'introduction de Richard Comballot, maître d'œuvre de cette édition, qui explique la genèse de ce projet au long cours…

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C’est d’abord l’histoire d’un enfant rêveur, né quelques semaines avant le début de la Seconde Guerre mondiale, qui rencontre la littérature de science-fiction au tout début des années 1950, en se ramassant sur le coin de la figure un exemplaire du Conquérant de la planète Mars d’Edgar Rice Burroughs (1), tombé d’un placard entrouvert, dans un appartement où il emménage. Et qui, conséquemment, recherche en librairies des lectures similaires, découvrant coup sur coup, entre 1951 et 1954, les collections « Anticipation » du Fleuve Noir, le « Rayon Fantastique » de Hachette & Gallimard et « Présence du Futur » de Denoël, sans oublier bien sûr les revues Fiction et Galaxie, qui seront à l’origine, chez lui, de bien des émerveillements…

Cet enfant, on le retrouve un peu plus tard, devenu adolescent, jeune homme… sur ses quelques très rares photos qui ont survécu. Sur l’une d’elles, il est assis sur l’herbe, ou plus exactement accoudé sur sa veste, fixant l’objectif, livre en mains, élégamment vêtu — chemise blanche, petit gilet boutonné — et arborant une mèche brune… presque rebelle, mais l’air sérieux : l’archétype du garçon déterminé, qui connaît son affaire et sait où il va… Il doit avoir seize ou dix-sept ans. Dix-huit peut-être. Et rêve, on le sait maintenant, de publier de la science-fiction.

À cette époque, il a déjà accouché de plusieurs nouvelles. Et se prépare à écrire un premier roman. Il l’ignore, mais il ne tardera pas à concrétiser ses rêves en publiant, en 1958 — année capitale pour lui puisque c’est également l’année de son mariage —, une première nouvelle dans Satellite, quelques mois avant son dix-neuvième anniversaire. Il y publiera à douze reprises, ce qui lui permettra, remarqué par Alain Dorémieux, d’entrer rapidement à Fiction, et plus largement chez Opta, où il fera montre de tous ses talents : d’auteur, de traducteur, de secrétaire de rédaction… mais n’anticipons pas… et ne déflorons pas la préface de Serge Lehman…

Lorsque, en 1965, le toujours jeune Demuth propose sa première « Galaxiale » dans Fiction, il a une trentaine de récits à son actif, tous supports confondus, ce qui constitue déjà un joli palmarès, et il vient seulement de fêter ses vingt-six ans.

« Je continuais à écrire beaucoup et commençai en 1964 Les Galaxiales, sans penser au départ écrire une histoire du futur », se confie-t-il lors d’un entretien au long cours. (2)

Voici comment Dorémieux, rédacteur en chef, le présentait à l’occasion de la parution de « L’Été étranger », premier texte du cycle : « Placées au début sous le signe d’un space opera à l’imagerie colorée, ses nouvelles ont peu à peu dérivé vers des conceptions plus ambitieuses, caractérisées par le choix de sujets sociologiques ou psychologiques, avec des résonances épiques et poétiques. […] Avec le récit que nous publions aujourd’hui, Michel Demuth aborde une nouvelle étape de sa carrière. Il s’agit en effet du premier texte à prendre place dans une série intitulée Les Galaxiales, qui retracera divers épisodes de l’Histoire future de l’humanité, depuis l’an 2000 jusqu’à un lointain avenir. Ainsi donc, après Demain les chiens de Simak, après les Chroniques martiennes de Bradbury, après l’Histoire du futur de Heinlein, voici entamée, pour la première fois sous la plume d’un auteur français, une fresque chronologique échelonnée selon un plan d’ensemble, et obéissant à une perspective historique. » (3)

Un an plus tard, rédigeant le chapeau de la cinquième nouvelle de la série dans la revue, ce même Dorémieux faisait le constat suivant : « Ce qui frappe dans cette suite d’histoires, c’est la variété de ton adoptée par l’auteur, qui s’est refusé à écrire une banale “histoire du futur” envisagée toujours sous le même angle, mais tente au contraire chaque fois de varier sa technique et de modifier ses éclairages. » (4)

L’auteur nous propose trois « Galaxiales » dans Fiction en 1965 — sans oublier une quatrième, et pas des moindres, dans le fanzine Mercury de Jean-Pierre Fontana (5) —, trois en 1966, une en 1967… puis plus rien : après huit « épisodes », la série s’interrompt, Michel Demuth n’a plus le temps d’écrire, dévoré par les traductions et les taches éditoriales.

Pourtant, si l’on se réfère au tableau chronologique publié de façon partielle dans le numéro 141 (août 1965), puis dans le tableau complété proposé dans le numéro 154 (septembre 1966) — auquel il ne manque que deux titres par rapport à la version exhaustive et définitive apparue pour la première fois en 1974 —, il ne restait qu’une petite vingtaine de nouvelles à produire. Ce qui est en même temps peu… et beaucoup, convenons-en.

Une fois, et une fois seulement, il y reviendra dans le cadre de Fiction : dans le numéro 245 de mai 1974, avec « Les Médiateurs m’ont envoyé ». Dorémieux souligne, lors de sa présentation, interpellant son collègue et ami : « Un creux de sept ans, mon cher Michel, ce n’est pas rien. Mais c’est qu’entre-temps tu es devenu, comme on dit, quelqu’un d’“important”, un big boss de l’édition de SF en France. » À ce sujet, Gérard Klein, qui réédite « Le Retour de Yerkov » dans l’une de ses anthologies et se prépare à publier chez Robert Laffont le recueil Les Années métalliques, constate effectivement : « Presque seul, il porte la charge chaque année de l’édition de 30 à 40 volumes ou numéros de revues et il est certainement l’éditeur le plus “pro” (sinon le seul) de toute la science-fiction en France. Cela explique que, depuis de longues années, il ne trouve guère le temps d’écrire et de poursuivre en particulier sa série des Galaxiales qui devait dessiner une vaste histoire du futur. » (6)

Et Dorémieux a beau le menacer de « représailles en cas de non-récidive » (7), il ne le verra pas lui proposer de nouveaux inédits par la suite, puisqu’il quittera la direction de Fiction quelques mois plus tard.

À partir de là, les Galaxiales ne seront plus envisagées, pour leur créateur, qu’en recueils et non plus « à la découpe », en revue. Il a, a posteriori, expliqué : « Il a fallu que Sadoul m’en parle pour que je me décide car l’écrivain s’était peu à peu oublié. » (8)

Le premier volet est finalement publié chez J’ai Lu en 1976, sous une efficace couverture de Chris Foss. Et le succès est au rendez-vous : « Les Galaxiales avaient été présentées à la télé par Lancelot, avec un gros plan sur la couverture, et dès le lendemain les demandes des libraires explosaient. Un jour, Sadoul m’appelle et me dit : “Tu en es à 85 000.” » (9)De plus, l’ouvrage remporte l’année suivante le Grand Prix de la Science-Fiction Française (qui ne s’appelait pas encore Grand Prix de l’Imaginaire), dans la catégorie… roman… face aux Prédateurs enjolivés  (10) de Pierre Christin et L’Échiquier de la création(11) de Dominique Douay.

George W. Barlow, qui le prend en charge pour les pages critiques de Fiction, met en avant la profondeur de champ de la série, avançant qu’on « pourrait s’amuser à classer ces nouvelles en catégories, depuis le space opera jusqu’à la politique fiction. » (12)

Il faudra cependant attendre trois ans pour voir paraître le second volume, composé en majorité d’inédits, alors qu’il devait initialement paraître l’année suivante. On imagine que l’accouchement a dû être pour le moins compliqué. Mais le livre est là. Jean-Marc Ligny, toujours dans les colonnes de Fiction, ne tarit pas d’éloges à son sujet : « Huit nouvelles, huit perles, un futur parallèle aux Seigneurs de l’Instrumentalité — sinon dans les faits, du moins dans sa force d’évocation, et l’étrangeté des mondes décrits. » (13)

Quant au troisième, qui devait clôturer la saga, il ne verra pas le jour, ni dans les années 1980, ni par la suite, Demuth ne parvenant jamais, au fil des années, à dégager le temps et l’énergie nécessaires à son écriture.

Lorsque je l’interviewe, en 2001, il en est toujours à déplorer cette situation, promettant une délivrance proche : « Blocage, blocage… Il faudrait que je m’immerge totalement là-dedans… Et c’est ce que je fais en ce moment. Je m’y remets grâce à des pressions amicales, comme celles de Daniel Riche, et des lettres de lecteurs. » (14)Sans oublier celles de Jacques Chambon, qui l’exhorte à boucler la série en vue d’une intégrale qu’il se dit prêt à accueillir chez Flammarion, dans sa fameuse collection « Imagine »…

Il ambitionne par ailleurs de boucler un autre recueil hors-Galaxiales et un roman pour la jeunesse… tout en traduisant toujours à tour de bras. Il continue, par conséquent, à se disperser, y compris en écrivant à deux reprises pour les anthologies du signataire de la présente introduction.

En 2003, Jacques Chambon disparaît. Puis c’est au tour de Michel Demuth, lui-même, de nous quitter en 2006.

S’éteint alors tout espoir de voir un jour la série achevée…

Mais les mois et les années passant, une double idée s’imposa à votre serviteur.

Il fallait commencer par rassembler un gros best of (hors-Galaxiales), toutes périodes confondues, des années 1950 aux années 2000 ; qui intègrerait notamment les textes les plus récents, que l’auteur lui-même avait souhaité réunir de façon autonome.

Il faudrait ensuite mener à bien les Galaxiales… en faisant écrire par d’autres les parties manquantes ! Puisqu’on disposait du tableau chronologique, il suffirait d’attribuer chaque titre à un créateur d’univers différent, à un confrère, amateur de la série : projet immédiatement « vérifié » auprès de quelques auteurs-amis et validé par Luce Demuth, la veuve de Michel.

Cette dernière me confia sans tarder une copie de son disque dur, afin de m’assurer que ne s’y trouvait pas quelque inédit utilisable pour l’un ou l’autre de ces projets. Vérification faite, y figuraient juste une poignée de départs de textes, mais rien de très conséquent, à l’exception d’une cinquantaine de pages de Me et personne d’autre, son embryonnaire roman pour la jeunesse.

Le best of se trouva rapidement rassemblé… et publié au Bélial’ en 2010 sous une couverture de Caza et sous le titre de À l’est du Cygne.

Le deuxième projet mit plus de temps à aboutir. Si Olivier Girard se déclara également intéressé et l’inscrivit aussitôt dans la rubrique « À paraître » des éditions du Bélial’, il ne me donna que récemment, à la fin du premier confinement, le feu vert, programmant plus tardivement encore notre intégrale des Galaxiales pour l’automne 2022.

Vint alors le moment de m’occuper des nouvelles manquantes qui étaient au nombre de onze puisque deux, parmi les treize qui auraient dû composer le troisième volume, avaient été publiées isolément, il y a longtemps, attendant sagement dans les pages de Fiction et Mercury leur reprise ultérieure.

À ce propos… puisque nous évoquions le disque dur de l’intéressé : signalons que nous y avions retrouvé un dossier sobrement intitulé «  Galaxiales » qui contenait, outre une version relue et corrigée de « Les Médiateurs m’ont envoyé », une version « revisitée », liftée, de « Yragaël ou la fin des temps », hélas inachevée — mais témoignant à elle seule des évolutions dans la pensée et l’écriture demuthiennes —, et le début de « Chanson pour givrer le temps », premier fragment du troisième et alors virtuel opus.

Alors, oui, vint le moment, entre la fin 2020 et le début 2021, de boucler la boucle. Je me rendis rapidement compte en posant les choses que les données de 2010 avaient considérablement évolué et que nombre de « sympathisants » n’étaient pas/plus disponibles : Ayerdhal — qui avait réservé son ticket, et même un deuxième pour une collaboration avec Jean-Claude Dunyach — nous avait quitté. Même chose pour Daniel Walther et Roland C. Wagner qui s’étaient dits potentiellement intéressés. Raymond Milési avait quitté le monde de la SF. Jean-Claude Dunyach ne travaillait plus pour l’instant que sur ses chansons. Jean-Marc Ligny et Claude Ecken, engagés sur d’autres projets, ne disposaient pas du temps nécessaire à leur immersion dans le nôtre.

Il fallut donc réaliser un nouvel état des forces en présence et repartir avec un équipage partiellement renouvelé. Et au final, après une bonne année de travail, le résultat était là, à la hauteur de nos espérances ; avec des auteurs qui avaient même parfois accepté de produire deux textes pour compenser les défections.

C’est ainsi que nous retrouvons aujourd’hui, groupés sous la bannière des Galaxiales, Christian Léourier, Dominique Warfa, Ugo Bellagamba, Joëlle Wintrebert, Richard Canal en tandem avec Olivier Bérenval, Colin Marchika, Jean-Jacques Girardot et Jacques Barbéri. Un équipage qui a fière allure !

Le résultat… vous pourrez l’observer à votre tour.

L’objet d’abord. Que vous avez nécessairement en mains si vous lisez cette introduction autrement qu’en numérique. Un livre lourd, massif, comme la collection « Kvasar » en a le secret. Sous une couverture dont le dessin ne pouvait être confié à personne d’autre que Philippe Druillet, le compagnon de route des années 1960, 1970, qui me donna son accord immédiat pour la reprise du dessin désiré — et tiré, évidemment, du cultissime album Yragaël. Merci à lui !

Quant au contenu, il vous faudra aller au bout des trente nouvelles pour en juger.

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Pour les deux premiers tiers signés Demuth, l’écriture est poétique souvent, flamboyante parfois : « Je recherche ma musique à moi, qui repose beaucoup sur la poésie et l’écriture automatique. J’ai dû être nourri par les poètes, de Jacques Prévert à Saint-John Perse, en passant par Rimbaud, Charles Cros ou Hugo. » (15) On passe du classique au moderne, et parfois même par l’expérimental, ce qui a fait dire à l’intéressé : « Quand je relis certaines Galaxiales, je me dis que j’ai fait un peu fort dans le rimbaldisme exacerbé, que j’aurais dû “moins en faire”, que je suis parfois à la limite de l’incompréhensible. » (16)Cette remarque vaut surtout pour une nouvelle courte telle que « Les Médiateurs m’ont envoyé », pour laquelle il faut effectivement s’accrocher un brin !

Le troisième tiers, écrit par des confrères qui avaient pour la plupart découvert les Galaxiales il y a bien longtemps, est au niveau attendu. Chacun, ayant pris en charge un seul texte, deux au plus, donne le maximum, prenant appui sur le tableau chronologique, sur le corpus demuthien, reprenant à son compte l’univers, la terminologie, les néologismes, cherchant toujours à illustrer le titre qui lui a été confié.

La greffe a pris et bien pris, permettant aux Galaxiales de reparaître, non plus sous la forme d’une œuvre inachevée, ouverte, en devenir, mais au contraire bouclée, pouvant être lue, désormais, du début à la fin.

« Monument mythique de la Science-Fiction française » (17)pour Philippe Curval, œuvre fractale et désormais collective, notre intégrale des Galaxiales brille de mille feux au firmament de la SF nationale.

Désormais, elle vous appartient !


Richard Comballot



Notes

(1). Dans une édition Hachette de 1938.

(2). « Michel Demuth ou la nostalgie de l’avenir » par Richard Comballot, in Bifrost n°25, 2002.

(3). Fiction n° 140, 1965.

(4). Fiction n° 153, 1966.

(5). « Yragaël ou la fin des temps », qui donnera lieu à l’album de BD éponyme (Dargaud, 1974), dessiné par Philippe Druillet et prépublié dans Pilote (1973-1974).

(6). Le Grandiose Avenir, Seghers, 1975.

(7). Fiction n° 245, 1974.

(8). Richard Comballot, op. cit.

(9). Ibid.

(10). Robert Laffont, 1976.

(11).J’ai Lu, 1976.

(12).Fiction n° 276, 1977.

(13). Fiction n° 307, 1980.

(14). Richard Comballot, op. cit.

(15). Richard Comballot, op. cit.

(16). Ibid.

(17).Galaxie n° 149, 1976.

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