On ne l’attendait plus, mais voici un nouveau numéro de Transgénération Express tourné, celui-ci, vers la fantasy. Sous toutes les coutures, car ce genre s’est tellement développé qu’il a bien élargi son champ d’actions. Il nous permet de voyager au milieu des classiques monstres et fées mais aussi sur les mers. Et même jusqu’au Paris de la fin du XIXe siècle. Dépaysement garanti !
De la fantasy intelligente pour les plus jeunes
Les plus jeunes aussi méritent une littérature de qualité. Avec Le Collectionneur de monstres, Arthur Ténor leur offre ici un roman intelligent et passionnant.
À l’Académie diplomatique d’Isuldain, la chambrée des Crépusculaires reçoit sa première mission d’importance : régler le conflit entre Thémédéor, le « collectionneur de monstres » et les Kazkares, une tribu de chasseurs. Pour ce faire, ses cinq membres seront accompagnés de leur Mentor, le magicien Méléandion. Ce dernier dirigera les tractations, mais profitera de l’occasion pour observer le comportement de ses élèves, juger leurs initiatives et leurs actions. S’ils réussissent la mission, leur chambrée peut espérer atteindre le deuxième niveau de noviciat, celui d’apprentissage (l’académie en compte trois). C’est dire l’importance de ce voyage pour Orhass, un humain magicien, Akron, un Sang-Gris, Memnéphiphéon, un elfe des Songes, Éléona, une elfide du marais d’Elfeu, et Mythrite, une sorcière des Mondes glauques. Or, tout ne va pas être simple pour ces représentants de l’empereur : les forces en présence ne veulent pas d’eux pour résoudre ce prétendu différend commercial et sont prêts à tout pour ne pas les voir se mêler de leurs affaires. Pour les diplomates, le danger viendra de partout !
Arthur Ténor est habile pour tresser des histoires abordables pour les plus jeunes, mais suffisamment complexes et riches pour ne pas être simplistes. La trame du Collectionneur de monstres est un court roman intelligent et rythmé, avec des rebondissements et de l’action. Il fait confiance à l’intelligence de son lecteur, mais aussi à sa mémoire, car, au début, il est facile de se perdre entre les différents personnages aux noms exotiques. C’est là un problème propre à la fantasy, mais d’autant plus vrai que le récit est bref.
Les personnages, justement, sont croqués avec humour : les accointances entre certains d’entre eux vont se dessiner dès les premiers temps du trajet vers la citadelle de Thémédéor, avec piques et échanges pleins de forfanterie. Et s’ils montrent leurs faiblesses et prouvent leur jeunesse au début de leur aventure par des propositions dignes d’une cour de récréation, peu à peu, la réalité de la situation va les amener à modérer leurs ardeurs et réfléchir un peu plus longtemps avant d’agir. Leurs vies et celle de Méléandion sont en jeu, rien de mois. Toutefois, avant cet embryon de sagesse, le lecteur pourra sourire devant certaines de leurs actions, naïves, téméraires, voire quasi suicidaires.
Tout au long du récit, Arthur Ténor se rappelle à qui il s’adresse et réussit, tout en maintenant le caractère sérieux et effrayant des monstres rencontrés, des risques encourus, à rendre la lecture de son roman accessible même à des plus jeunes, avec juste ce qu’il faut de crainte pour le sort des personnages principaux, de sang et de cruauté, de descriptions de créatures méchantes et fort laides, d’action et de suspens pour intéresser tout jeune lecteur de fantasy qui se respecte. Un roman de plus à collectionner, donc, et à dévorer.
Johan Heliot, de son côté, propose avec « L’Imparfé » une trilogie entraînante dont les deux premiers volumes sont déjà parus chez Gulf Stream.
Chaque année, les enfants de treize ans du royaume de Jhalipûr doivent quitter leurs familles pour se rendre à la capitale et commencer leur formation : École des guerriers pour les garçons, École des fées pour les filles. Mais tout va mal commencer pour Tindal : son nom apparaît bien sur la liste… mais du côté des filles. Il va donc être envoyé à l’École des fées ; même si l’erreur provient du scribe officiel, pas question de remettre en question la liste. L’humiliation est totale pour le jeune garçon. Et les premiers jours dans une maison normalement réservée aux seules jeunes filles sont emplis de moments difficiles, voire très gênants.
Bien vite, ces petites contingences matérielles vont être oubliées, car un danger terrible menace le royaume : le Sombre, en principe enfermé dans l’Incréé, a trouvé un moyen détourné, sinon de s’échapper, du moins d’obtenir le pouvoir. Il lui suffit de détruire les couleurs, origine du pouvoir magique des habitants de Jhalipûr. Les fées puisent en elles la force nécessaire à leurs sorts. La bataille promet donc d’être terrible.
Le prolifique Johan Heliot signe donc ici les deux premiers volumes d’une trilogie annoncée (le troisième tome, Le Royaume qui ne voulait plus la guerre, sort ces jours), plutôt écrite pour les 9-12 ans. La structure en est classique mais efficace : un jeune garçon sorti de son milieu familial, mis en difficulté et qui va devoir risquer sa vie pour sauver ses amis, ses concitoyens, sa société. En gros, le scénario habituel du roman d’initiation. Dit comme cela, rien de palpitant – sauf que si. L’auteur est un bon écrivain, qui maitrise son sujet et sait mettre ses connaissances au service de son imagination. Surtout, il connaît les attendus de ce genre de texte et se permet de les tordre à sa façon. Les romans mettent en scène des fées, des guerriers, un roi, des gnomes ; bref, le casting habituel, rassurant et qui permet au jeune lecteur de se sentir en terrain connu. Bien vite, Heliot place ces personnages dans des situations pas si évidentes et pas si classiques : il utilise les stéréotypes de ce genre littéraire et de notre société et les retourne pour permettre aux lecteurs de se poser de saines questions, plus ou moins originales, mais fondamentales, tout en se distrayant. Par exemple, est-il normal que des professions soient réservées aux garçons ou aux filles ? Quels parents, les biologiques ou ceux qui ont élevé le nouveau-né, sont-ils les plus légitimes, les plus proches de leur enfant ? Jusqu’où peut-on aller pour aider et sauver les autres ?
On retrouve aussi, au détour des pages, la formation d’historien de Johan Heliot, ancien professeur de cette discipline. Certaines allusions nous confirment cette passion toujours présente : le chapitre narrant une fin de journée où les habitants de la capitale se tournent contre les « Étrangers » s’intitule « La nuit du verre brisé ». Résonance évidente avec la nuit de cristal de 1938 de terrible mémoire. Des passages du roman font de manière évidente écho à des moments sombres de notre propre histoire. D’autres chapitres montrent plutôt le côté joueur de l’écrivain, tel « Piège de cristal », plutôt réservé aux parents (les jeunes de 2019 connaissent-ils encore John McClane?). « Jalousie et ressentiment » dont le rythme et les sonorités rappellent Crime et châtiment de Dostoïevski. Johan Heliot est un auteur cultivé, donc, habile à user de son savoir pour enrichir une intrigue, proposer des pistes à ses jeunes lecteurs. Une chance pour eux de découvrir la fantasy. Et de façon intelligente, on vous dit !
Arthur Ténor - Le collectionneur de monstres – Scrineo – août 2019 (roman inédit – 186 pp. GdF. 12,90 euros) – À partir de 12 ans*Classification proposée par l’éditeur.
L’imparfé - Johan Heliot
1. Le Royaume qui perdait ses couleurs – Gulf stream – mars 2019 (roman inédit – 230 pp. GdF. 13,90 euros) – 9-12 ans
2. Le Royaume qui n’avait plus de roi – Gulf stream – septembre 2019 (roman inédit – 222 pp. GdF. 13,90 euros) – 9-12 ans
Sur les mers
Encore maintenant, les pirates fascinent. Ils ne possèdent plus les traits d’Errol Flynn, mais plutôt de jeunes filles courageuses, n’ayant pas froid aux yeux et prêtes à risquer leur vie pour venir en aide à leur famille.
Mouse rêve un jour de devenir capitaine de la Chasseresse, le vaisseau commandé par sa grand-mère. Mais l’arrivée de Stag, un ancien marin au regard mauvais, va bouleverser ses plans et sa vie : son père disparaît, sans que l’on sache s’il est mort ou non ; son petit frère, Sparrow, lui est enlevé pour être vendu ; sa grand-mère est assassinée devant ses yeux. Tout cela pour trois pierres précieuses aux pouvoirs incommensurables, selon les légendes. Trois Opales : celle de la Mer, celle du Ciel et celle de la Terre. Pour sauver ceux qu’elle aime, Mouse va devoir parcourir les mers à la recherche de ces joyaux et affronter des périls effrayants, comme les terrodyls, oiseaux monstrueux et assoiffés de sang.
Si la protagoniste est sympathique, elle finit toutefois par agacer tant elle prend des décisions sans réfléchir à leurs conséquences. Cela permet certes à l’autrice de multiplier les actions, de sauter du coq à l’âne, mais c’est parfois difficile à suivre et à légitimer. D’autant que certains autres personnages sont à la limite de la caricature. Dommage, car Sarah Driver possède une imagination féconde. Elle entraîne son lecteur dans des contrées lointaines et terriblement réalistes pour certaines. Les créatures rencontrées, souvent cauchemardesques, font leur travail. Mais sans plus.
La lecture de la Quête des opales s’avère distrayante, mais manque d’originalité et peut donc être réservée aux plus jeunes qui n’ont pas plus intéressant à lire.
Faisons à présent un saut qualitatif de géant. Le héros de Pascale Quiviger, Thibault, est prince. Mais plutôt que de se préparer à son futur rôle de roi, il préfère parcourir les mers sur L’Isabelle, son navire, accompagné d’un équipage fort en gueule, mais efficace et solidaire. Il a su, par sa simplicité, mériter leur respect. Ils sont heureux de naviguer ensemble. Sur le chemin du retour pour leur royaume, l’île de Pierre d’Angle, dirigée par le roi Albéric, un passager clandestin parvient à tromper la vigilance des gardes et prend la mer avec eux. Or, c’est une femme, mauvais présage selon toutes les superstitions marines… et de surcroît, il s’agit d’une ancienne esclave évadée. Mais Thibault refuse de l’abandonner et finit par s’éprendre d’elle. Sentiment partagé. Les noces ont lieu en mer. Peu avant l’arrivée de la terrible nouvelle : le père du jeune homme vient, contre toute attente, de périr. Il ne reste que quelques jours à L’Isabelle pour rentrer avant que Jacquard, demi-frère de Thibault, ne prenne sa place sur le trône, selon les lois de Pierre d’Angle. Or ce Jacquard est aussi malfaisant que son aîné est ouvert et tolérant.
Disons-le tout de go, Le Royaume de Pierre d’Angle fait partie de ces séries addictives (le cycle doit comporter quatre ouvrages), qu’il est difficile de laisser de côté une fois commencées. Heureusement, le troisième tome (Les Adieux) est prévu pour mi-mars et le dernier, si tout va bien, en fin d’année. D’emblée, Pascale Quiviger sait nous rendre les personnages sympathiques et essentiels en quelques pages : Thibault, ce futur roi qui n’a pas envie de cette charge et se sent plus à l’aise sur l’eau avec ses compagnons, à explorer le monde. Ema, la belle évadée, au caractère bien trempé, à l’obstination salvatrice ; l’amour puissant qui naît rapidement entre eux est aussi clair qu’évident. Il y aussi Lucas, l’infirmier attentif aux moindres symptômes, à l’écoute des patients. L’amiral Donec, aux tics moqués gentiment par son équipage. Guillaume Lebec, droit et solide en toutes circonstances. Et bien d’autres. D’ailleurs, c’est une prouesse, l’autrice multiplie les personnages sans que cela ne gêne le rythme ni la compréhension de l’histoire. Car il arrive fréquemment qu’on se perde dans une masse d’individus, qu’on ne retrouve plus le prénom de celui-ci, le confondant avec celui-là. Ici, pas de problème de cet ordre. Tout est fluide, chacun est à sa place. Il faut dire que l’autrice a travaillé son texte, puisqu’elle a été obligée de repenser tout son cycle. En effet, le récit de Pierre d’Angle prévoyait au départ onze volumes, mais seuls six sont parus au Canada avant interruption, obligeant Pascale Quiviger à revoir sa copie et à resserrer l’action, à modifier des personnages, voire à en supprimer. Résultat : un petit bijou de grâce et d’aventures, de tragédies et de bonheurs.
Car le cœur des lecteurs est mis à rude épreuve dans ce récit. Pascale Quiviger ne ménage pas ses personnages. Au contraire, elle leur inflige des tourments parfois inhumains. Et, comme dans toute tragédie classique, certains éléments sont écrits et sus par avance. Ce qui nous place, lecteurs, dans une position terrible puisque nous voyons le malheur avancer, se profiler à l’horizon, sans rien pouvoir faire mais en continuant à espérer un miracle, un changement dans le destin.
Pour compenser, sans doute, ce côté noir, l’autrice multiplie les situations cocasses, drôles, tendres. Et, même dans les moments difficiles, elle sait user d’un peu de légèreté. Car Pascale Quiviger a un style bien à elle, avec des tournures surprenantes parfois, ensorcelantes souvent. Des petites phrases qui dédramatisent un moment pesant, qui allègent une situation tendue. Et cela permet de tourner les pages sans s’en rendre compte, sans pour autant nous retrouver devant le style lisse, interchangeable et sans saveur de tant d’ouvrages.
Bonne pioche pour Epik, cette nouvelle collection de la maison d’édition Rouergue. C’est une joie de plonger avec Thibault et Ema dans les eaux chaudes de Khyriol, passer avec succès Cap Mauvais, découvrir la ville alliée de Bergerac et rentrer enfin à Pierre d’Angle, pour découvrir cette île aux paysages contrastés, aux secrets terribles et funestes.
La Quête des opales - Sarah Driver
1. Écume [The Huntress: Sea – 2017] – Fleurus – mars 2019 (roman inédit traduit de l’anglais [Royaume-Uni] par Camille Roze – 372 pp. GdF. 14,90 euros)
2. Blizzard [The Huntress: Sky – 2017] – Fleurus – septembre 2019 (roman inédit traduit de l’anglais [Royaume-Uni] par L. Williams – 446 pp. GdF. 14,90 euros)
Le Royaume de Pierre d’Angle - Pascale Quiviger
1. L’art du naufrage – Rouergue, collection « Epik » – 10 avril 2019 (roman inédit – 492 pages – 16,90 euros) 2. Les filles de mai – Rouergue, collection « Epik » – 18 septembre 2019 (roman inédit – 464 pages – 16,90 euros)
De la magie et un soupçon de steampunk dans l’air
Ambre est une jeune fille détestable au premier abord tant elle prend les autres de haut. Fille du Général Volontas, soutien indéfectible de l’empereur, elle ne supporte plus le carcan imposé par sa position et par son père. Lors d’une chevauchée où elle a réussi à fausser compagnie à son escorte, elle rencontre deux enfants atteints d’un mal terrible qui les transforme en meurtriers sans cœur. Peu après, le royaume de son père est envahi par les hommes de l’empereur, la transformant en fugitive. Sa fuite va l’amener, bien malgré elle, à découvrir la vérité sur sa naissance et ses pouvoirs. Cela se fera dans la peine et la douleur… et aussi dans le dépaysement, car si le premier tome sur déroule, comme son nom l’indique sur L’île sans nom, dans le deuxième, La voleuse de flux, Ambre débarque dans un Paris bien semblable au nôtre, mais situé vers la fin du XIXe ou le début du XXe siècle. Un Paris imaginaire où les magiciens surveillent la moindre activité anormale.
David Moitet n’hésite donc pas à surprendre son lecteur, passant d’une histoire typique de la fantasy, avec des chevaliers, des clans, de la magie à un univers plus proche de la fantasy urbaine : Paris, la tour Eiffel, le métal, la médecine. Le pari s’avère réussi, car l’auteur sait raconter et mettre du rythme dans sa narration, changeant de protagoniste au moment voulu pour maintenir le suspens. De plus, l’intrigue mise en place dans La voleuse de flux a de quoi passionner : l’irruption de la modernité, de la médecine, des armes à feu brouille les certitudes et ravive les attentes. Même si certains rebondissements sont un peu téléphonés ou préparés de tellement loin qu’on les attend sans surprise, d’autres nous sautent dessus sans prévenir et maintiennent la tension, jusqu’à la dernière page, ou presque.
Au fil des pages, les personnages prennent de l’épaisseur. D’autres les rejoignent, tout aussi riches et crédibles – avec une mention spéciale pour le valet Edward, vrai nid de stéréotypes, et donc fort amusant. David Moitet multiplie les personnages secondaires et, grâce à cela enrichit son histoire de chemins de traverse, de fausses pistes, lui permettant ainsi de garder son intérêt jusqu’au bout.
Par contre, à vouloir être trop efficace, le style de l’auteur en devient trop transparent, trop « simple », trop nourri de clichés et de lieux communs. Cela gâche le tableau pourtant favorable dressé jusqu’ici et finit par lasser le lecteur, même si ce défaut n’enlève que peu au plaisir de cette lecture enlevée et agréable.
Les secrets de Tharanis - David Moitet
1. L’Île sans nom - Didier jeunesse – février 2019 (roman inédit – 277 pp. GdF. 15 euros) – À partir de 12 ans*Classification proposée par l’éditeur.
2. La voleuse de flux - Didier jeunesse – août 2019 (roman inédit – 277 pp. GdF. 15 euros) – À partir de 12 ans*Classification proposée par l’éditeur.