Où l'on conclut ce tour d'alphabet avec The Zanzibar Cat, recueil de nouvelles signé Joanna Russ. Entre réinterprétation de figures du fantastique, pastiches, récits s'inscrivant dans des cycles, et textes plus personnels, The Zanzibar Cat varie les genres… sans parvenir toutefois à convaincre totalement.
The Zanzibar Cat, Joanna Russ. Baen Books, 1984. Poche, 286 pp.
Il y a des noms que l’on voit apparaître de loin en loin sans que l’occasion ne se présente d’aller examiner ça de plus près. Pour ma part, c’était le cas de Joanna Russ… jusqu’à l’article que lui a consacré Sofia Samatar dans le dossier « L’Imaginaire au féminin » sur Just A Word. L’œuvre la plus connue de l’autrice américaine est certainement son romanL’Autre Moitié de l’homme, mais elle a aussi à son actif deux recueils intitulés The Zanzibar Cat — et ça tombe bien, il me fallait justement quelque chose pour nourrir ce navrant Abécédaire à la lettre Z. Il s’agit ici de l’édition parue chez Baen en 1984, dont le sommaire diffère un peu de la version parue chez Arkham House en 1983 (trois nouvelles en moins, trois autres nouvelles en plus).
Sur les seize nouvelles, publiées entre 1962 et 1979, que compte le recueil, plus de la moitié a été traduite en français dans différents supports : à vrai dire, il s’agit de la revue Fiction pour l’essentiel, mais on en trouve aussi dans les anthologiesUnivers ou Le Livre d’or de la science-fiction. (Par conséquent, les titres français seront donnés quand ils existent.)
Petit tour d’horizon…
« Lorsque tout changea» (1972) introduit à la fois le recueil et le monde de « Whileway » — Lointemps dans la langue de Julia Verlanger —, développé dans L’Autre Moitié de l’homme. La nouvelle débute avec une femme au volant d’une voiture, roulant vite. Le doute (certes provisoire) sur le sexe de la personne narrant l’histoire laisse d’abord supposer que Lointemps est un monde où les sexes et leurs rôles ont été inversés ; à vrai dire, il n’en est rien. Le narrateur est une narratrice et le lecteur ou la lectrice se trouve sur une planète où les femmes vivent seules, les hommes ayant disparu depuis des siècles suite à une maladie. Sauf que… voici qu’arrive une délégation en provenance de la Terre, uniquement composée d’hommes. Bien entendu, ceux-ci font preuve d’un machisme ordinaire et ne cessent de se demander où sont passés leurs homologues à roubignolles. Cette nouvelle intrigante, récompensée par un prix Nebula, ébauche l’univers et l’intrigue, et donne envie d’en savoir plus — par exemple en lisant L’Autre Moitié de l’homme, même si l’autrice indique dans l’introduction au texte que le projet du roman est bien différent.
Changement de décor pour « Les Voyages extraordinaires d'Amélie Bertrand» (1979) : le narrateur subit une expérience déroutante en empruntant, peu avant 15h, un passage souterrain à la gare de Beaulieu-sur-le-Pont, quelque part en France. Une femme présente sur le quai — Amélie Bertrand — lui raconte alors ses voyages, car en plein milieu de ce souterrain se trouverait une sorte de portail spatio-temporel. À moins qu’Amélie Bertrand, qui se languit en la compagnie de son mari, n’affabule ? Ses récits riche en sense of wonder ont-ils une once de vérité ? Comment savoir, alors que la gare est promise à des travaux ? Une jolie réussite, poétique et évocatrice.
Las, les nouvelles suivantes m’ont moins emballé. « The Soul of a Servant » (1973) rappelle Le Désert des Tartares de Dino Buzzati ; le narrateur, soldat, s’ennuie dans cette caserne située dans ces montagnes frontalières, s’amourache de la fille du chef de la garnison (qu’il finit par violer, là, comme ça), se fait détester des autres… jusqu’au moment où arrivent les barbares. Une réflexion sur la violence et son inutilité ? « Gleepsite » (1971), dont le titre fait référence à une blague d’ingénieur concernant un matériau aux propriétés merveilleuses, et voit un être métamorphe s’adresser à deux sœurs, dans un contexte post-apo et de rêveries. Une nouvelle dont les subtilités, à supposer qu’il y en ait, m’ont échappé.
Le recueil contient une poignée de nouvelles sur lesquelles je n’ai pas grand-chose à dire. Rapidement : dans « Corruption » (1976), on suit un agent s’infiltrant dans une arcologie ennemie… et prenant goût à la société qu’il est supposé saboter. « Dragons and Dimwits » (1979) pastiche la grosse fantasy qui tache. Amusant sans plus. « The Precious Object » (1970), texte expérimental, m’a laissé perplexe. Passons. Il est question de téléporteurs dans « Nobody’s Home » (1972), une invention qui a bien changé la vie des gens sur une Terre passablement dépeuplée. Les gens vivent désormais en mariage à deux, trois, plus, et cette élite oisive passe son temps à faire la fête.
Quelques nouvelles relèvent du fantastique et font appel à des figures connues : fantômes ou vampires. On rencontre des épigones du comte Dracula dans « Emily chérie » (1962) et « Les Hommes nouveaux » (1966). On retiendra surtout la deuxième, située dans la Pologne communiste et proposant une réflexion sur le vampirisme, le communisme et la dialectique historique. Quant à « Il est une autre rive… » (1963), elle propose une histoire de fantômes à Rome, touchante à défaut d’être particulièrement originale dans son déroulé et sa chute. Enfin, « Mon bateau » (1976) louche du côté de Lovecraft. Les prémisses étaient intéressantes : un scénariste raconte à son agent une anecdote de sa jeunesse, où il est question de la première étudiante noire de son école et de sa propension à rêver… Une approche toute personnelle des Contrées rêves… mais à laquelle j’ai de nouveau peiné à accrocher.
Heureusement, il y a « Petit manuel de conversation courante à l'usage des touristes » (1972). Cet exercice de style est certainement l’une des nouvelles les plus réussies du recueil. Prenant la forme d’un manuel de conversation courant à l’usage des touristes (hé, c’est le titre, qu’allez-vous imaginer d’autre ?) terriens en territoire extraterrestre, la nouvelle prend vite la forme d’un appel au secours.
« This cannot be my room because I cannot breathe ammonia.
I will be most comfortable between temperatures of 290 and 303 degrees Kelvin.
Waitress, this meal is still alive.» (Désolé, je n’ai pas la traduction sous la main)
« Le vlet se joue à deux » (1974) appartient au cycle d’Alyx, un ensemble composé de quelques nouvelles et d’un roman, centré autour du personnage d’Alyx la voleuse. Des textes de fantasy… jusqu’à ce qu’il y soit question de l’Autorité Trans-Temporelle et de voyages dans le temps. Rien de tout ça dans la présente nouvelle. On y suit un assassin, venu défier le roi au jeu de vlet. Sauf que l’assassin tombe sur la concubine au lieu du souverain. Tant pis, ils joueront quand même. Le plateau de jeu n’a jamais servi, le jeu est donc « vierge », et ce qu’il se passe sur ses cases se répercute dans la réalité. Ce n’est pas la première occurrence d’un tel trope en SF, mais Joanna Russ ici mène bien sa barque dans cette nouvelle à l’ambiance sombre.
Terminons piteusement avec « Le Duc, la fille du meunier et le chat de Zanzibar » (1971), un conte riche en humour et en jeux de mot, rendant hommage à Hope Mirrlees mais qui ne m’a pas laissé une impression impérissable. Peut-être aurais-je dû lire Lud-en-Brumes…
Dans l’ensemble, The Zanzibar Cat m’a donc laissé une impression mitigée, celle d’un rendez-vous raté. Dommage. Mais la bibliographie de Joanna Russ est sûrement riche d’ouvrages qui feront oublier ce recueil.
Introuvable : d’occasion seulement
Illisible : le fait d’être tombé sur un ePub mal relu n’a pas aidé
Inoubliable : las...