On connaît tous le jour où la Terre s'arrêta — qui ne tombe pas le même jour que celui des Triffides — mais connaissez-vous celui où la Terre prit feu ? Film pré-apocalyptique de Val Guest sorti sur les écrans anglais à l'automne 1961, Le Jour où la Terre prit feu propose une possible fin du monde causée par l'atome et dont les effets de réchauffement climatique apparaissent d'une pertinence et d'une clairvoyance douloureuse…
Le Jour où la Terre prit feu [The Day The Earth Caught Fire], Val Guest (1961). Noir & blanc, 98 minutes.
Il a fait chaud cet été, non ? Regardez voir… dans le passé. En 1961, Val Guest – réalisateur britannique plutôt prolifique dans les mauvais genres qui nous intéresse, en particulier avec The Quatermass Experiment – proposait à ses spectateurs un printemps torride. Et plus si affinités apocalyptiques.
Bienvenue à Londres, ses rues désertes, sa Tamise asséchée… Tandis que les haut-parleurs évoquent la détonation de deux « bombes correctives », un homme déambule seul, se rend jusqu’à son travail, les bureaux du Daily Express. La machine à écrire ne marche pas, il lui faut dicter son texte.
Flashback. Trois mois plus tôt, la pluie tombe à verse sur la capitale anglaise. Normal. Dix jours viennent de s’écouler depuis l’explosion d’une méga bombe atomique américaine. Moins normal. L’opinion publique s’en inquiète, à juste titre. Qu’elle flippe : la Russie vient d’en faire péter une autre, 20% plus puissante. Voilà qui donne du grain à moudre à Pete Stenning, journaliste au Daily Express. Pour être honnête, Stenning n’a pas écrit d’article depuis pas mal de temps et compte un peu trop sur l’aide de son collègue Bill Maguire, le monsieur science du quotidien. Il y a sûrement des infos à creuser au sujet de ces deux bombes atomiques : est-ce que cela a un lien avec les taches solaires ou avec les récents tremblements de terre ?
Tout en cherchant à grappiller des informations, Stenning se lie d’amitié avec Jeannie Craig, standardiste au Met Centre. Stenning est divorcé, a le droit de voir son fils de temps à autre ; Jeannie est une jeune célibataire, indépendante – et pas forcément hétérosexuelle, si j’interprète correctement ce bout de dialogue, quand Stenning la questionne sur un détail personnel : « That's your fault or his? – There doesn't happen to be a "his". » En 1961, l’homosexualité était encore pénalisée en Angleterre mais les âmes conservatrices auront été rassurées : Jeannie tombera dans les bras de Steve, bien que celui-ci aura dû y mettre du sien (et plus qu’un peu) pour la séduire.
Mais assez avec la romance : bien vite, la situation tourne en eau de boudin. Pas tout de suite : les températures dépassent gentiment les maximales saisonnières et c’est agréable… Puis surgit un étrange brouillard de chaleur qui bloque Londres… ainsi qu’un tiers du globe. Puis un cyclone balaye la capitale. Puis une éclipse a lieu dix jours avant la date prévue – ce qui pourra s’expliquer par la suite : les bombes atomiques n’ont pas fait que modifier l’axe de rotation de la Terre. Puis les chaleurs continuent de grimper. Stenning fait part de ses inquiétudes à Bill :
« What can it do to us, Bill, apart from altering the Earth's climates?
– Monkeying around with nature on this scale, who knows what the implications are. »
Le Premier Ministre anglais est à la ramasse : « I ask you now to face the future calmly and constructively, remembering that here in Britain, at least, the weather is something we are used to coping with. » Ce à quoi rétorque Maguire : « I wonder who writes his punch lines. » S’ensuivent incendies et pénurie d’eau. Et donc : rationnements drastiques. Voir les habitants d'une capitale occidentale, en sueur, faire la queue pour obtenir un peau d'eau a quelque chose de… je ne sais pas, de bizarrement prophétique ? Certains pètent les plombs.
« Jeanie : They've all gone insane.
Stenning : Yeah, it's the new fashion. »
Quelle solution pour l’humanité ? Corriger le mal par le mal ? Réussira-t-on à sauver le monde ?
Le film ne tranche pas, laissant le spectateur décider. Craignant que le public américain n’apprécie pas une fin aussi ambigüe, les studios Universal, qui distribuaient le film aux USA, ont rajouté des sons de cloches sur les ultimes images. Une idée idiote, qui altère la volonté du réalisateur et le propos de ce Jour… Un Jour… qui a connu en 2014 une restauration et une réédition fort bienvenues. Découvrir ce film en 2018, année caniculaire comme… pas mal des dernières années, et près de soixante ans après sa sortie initiale, constitue une expérience étonnante et qui ne met pas forcément à l’aise. Bon nombre de scènes sonnent juste, trop juste.
« The human race has been poisoning itself for years with a great big smile on its fat face.
– Well, that's how it is, Pete. People don't care about the news until it becomes personal. »
Si, dans les causes, Le Jour où la Terre prit feu se plante – il faut un séisme de forte magnitude pour altérer la rotation terrestre, une bombe atomique n’y parviendra guère –, il se montre étonnamment juste dans les conséquences catastrophiques (jamais à court d’une bonne hypothèse, Bill Maguire évoque la fonte des glaces polaires et ses effets) et les réponses drastiques qu’elles impliquent en matière de pénurie et restriction. Je suppose que les images de Val Guest s’inspirent des pénuries de la Seconde Guerre mondiale, et on peut craindre qu’elles s’avèrent annonciatrices de ce qui est susceptible de nous attendre dans vingt, trente ans (ou dix ?). Dans tous les cas, on est tous dans le même bateau (sans eau). Fuir ? Pour aller où ?
« Stenning : And if it doesn't work?
Maguire : Evacuation by spaceship. All aboard for the moon. You want the best dead planets, we are them. »
Pour aussi pertinent qu’il soit, Le Jour où la Terre prit feu comporte quelques défauts : un usage intensif d’images d’archive et, surtout, d’un matte painting pas très réussi. Les incrustations se remarquent et laissent trop deviner le tournage en studio. Qu’importe : je chipote pour chipoter. En dépit de ces légers défauts, la suspension d’incrédulité fonctionne à plein régime. Surtout parce qu’il n’y a guère d’effort à fournir pour suspendre ladite incrédulité. Allez, encore quelques dixièmes de degrés en plus, on y est presque.
Bref.
Avec cela, j’ai failli omettre de préciser que le film choisit d’aborder les événements par le petit bout de la lorgnette, à savoir une équipe de journalistes – le Jour… a été tourné dans les locaux du véritable Daily Express et on verra tout, des bureaux de presse aux rotatives. La presse d’investigation a une mission cardinale, dans son devoir d’informer le public, et Val Guest ne manque pas d’insister là dessus, à raison. Côté image, le film joue habilement du noir et blanc coloré : si le long flashback qui occupe l'essentiel du film est en noir et blanc, les scènes au présent ont des teintes jaunâtres qui en accentuent bien l'impression suffocante. Côté casting, Edward Judd interprète joliment un Pete Jenning troublé mais dragueur en diable… mais on retiendra Leo McKern dans le rôle de Bill Maguire, journaliste scientifique bougon mais généreux, et, surtout, Janet Munro, qui interprète avec brio Jeannie Craig, protagoniste féminin étonnamment fort et indépendant. Les échanges verbaux entre ces trois protagonistes est un festival de répliques.
Fun fact #1, Le Jour où la Terre prit feu a été tourné aux studios Shepperton, pas très loin de là où vivait J. G. Ballard – qui, à ce moment-là, n’avait pas encore encore sa fameuse tétralogie apocalyptique. Sècheresse, vents violents (quoique à la marge) : ce Jour… en coche deux sur quatre. Fun fact #2 : le film est sorti sur les écrans anglais le 23 novembre 1961, soit trois semaines après que l’URSS ait fait détonné les 57 mégatonnes de la Tsar Bomba au dessus de la Nouvelle-Zemble. Fun fact #3 : il existe un certain Bill McGuire (pas Maguire, mais ça se prononce quasi pareil), professeur émérite en géophysique et catastrophiques climatiques à University College de Londres, qui a publié en 2013 un ouvrage intitulé Waking the Giant: How a changing climate triggers earthquakes, tsunamis, and volcanoe . Parfois, la fiction devrait cesser d’influencer la réalité.
Bref. Un film à (re)découvrir.
Introuvable : en DVD
Irregardable : non
Inoubliable : oui