I comme I Am Divine

L'Abécédaire |

« Don’t dream it, be it », chantait Tim Curry, incarnant l’extravagant Frank N. Furter du Rocky Horror Picture Show. Cette devise, nul autre que Harris Glen Milstead, autrement connu sous le pseudonyme de Divine, a su l’incarner avec autant de brio — une outrance magnifique et inoubliable, à laquelle le documentaire de Jeffrey Schwartz, I Am Divine, rend joliment hommage.

I Am Divine, Jeffrey Schwarz (2013). 90 minutes, couleurs.

« Don’t dream it, be it », chantait Tim Curry, incarnant l’extravagant Frank N. Furter du Rocky Horror Picture Show. Cette devise, nul autre que Harris Glen Milstead, autrement connu sous le pseudonyme de Divine, a su l’incarner avec autant de brio — une outrance magnifique et inoubliable.

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Divine est décédé voici maintenant trente ans : voilà qui donne un prétexte idéal pour s’intéresser à I Am Divine, un documentaire sorti en 2013. Probablement bien moins connu en Europe qu’aux USA, Divine était une personnalité hors du commun : drag queen exubérant, acteur et chanteur à l’occasion.

« Oh Mary! Oh Holy Trinity! Oh God! It isn't easy being Divine! » (Divine, in Mondo Trasho)

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Au fil de ce désolant Abécédaire, votre serviteur s’est intéressé à quelques reprises à cet acteur – en particulier avec les films de John Waters : Kiddie Flamingos/Pink Flamingos et Polyester, ainsi que Lust in the Dust, western parodique signé Paul Bartel. Mais I Am Divine a le bon sens de reprendre les choses à leur commencement, et au travers des interviews avec les proches de Divine – sa mère, l’une de ses premières petites amies, John Waters – retrace son enfance et son adolescence à Baltimore. Une enfance pas exactement des plus heureuses, avec des camarades de classe frappant volontiers ce gamin rondouillard et quelque peu efféminé. Adolescent, Glen Milstead sort avec une jeune fille bien comme il faut… mais mène une double vie, faites de soirées où lui et ses amis se travestissent. Parce que, hé, c’est ça qui les botte. Et le jeune Glen sait tirer son épingle du jeu.

« When Divine finally did go out and went downtown, he met gay people. And then he went out with a vengeance. He never came back. » (John Waters)

John Waters : un personnage physiquement à l’opposé de Glen Milstead, aussi fin que Milstead se caractérise par des formes généreuses. L’alchimie entre les deux jeunes hommes va provoquer des étincelles, tant les deux se montrent complémentaires.

« Divine was the burlesque of John. »

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Voisin de la famille Milstead, le jeune Waters possède une caméra, et a déjà tourné un premier court-métrage, Hag in a Black Leather Jacket (1964). Autour du jeune homme s’est constituée une petite troupe – les Dreamlanders –, que Glen Milstead va rejoindre ; cela, dès le deuxième court de Waters, Roman Candles (1965), où il va acquérir son pseudonyme. Le documentaire montre ainsi la construction de la persona de Divine — son jeu, son apparence…

« The most beautiful woman in the world turns out to be a man. »

Sous la direction de John Waters et en compagnie des Dreamlanders, Divine enchaîne les films : d’abord le quasi-punk et foutraque Mondo Trasho (1969) puis Multiple Maniacs (1970), mais c’est Pink Flamingos (1972) qui vaudra la célébrité au duo. Dans ce long-métrage où Divine joue… Divine, « la personne la plus répugnante qui soit » et bien déterminée à garder ce titre. Le film enchaîne les séquences trash, avec une scène de coprophagie non simulée en point d’orgue. Diffusé lors des séances de minuit, Pink Flamingos obtient ainsi un statut culte, au même titre que le Rocky Horror Picture Show, El Topo ou Eraserhead.

« It was done for anarchy, and it worked as anarchy. » John Waters

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Mais le trash, ça ne va qu’un temps. Avec Polyester, l’infernal duo Waters-Divine décide de prouver qu’ils peuvent faire davantage que de la gaudriole provocatrice – à savoir, raconter un autre genre d’histoire, faire de Divine une héroïne sympathique et montrer l’étendue de son jeu. Le résultat reste curieux… C’est le début d’une quête de reconnaissance pour Divine… Une reconnaissance que l’acteur va obtenir, passant des scènes underground de San Francisco aux projecteurs de Broadway ; sans oublier en parallèle une carrière musicale (mais cet aspect-là semble avoir pris un petit coup de vieux). Après quelques infidélités à Waters (Lust in the Dust donc, mais aussi un petit Wanda’s Café d’Alan Rudolph, où Divine, pour la première fois de sa carrière, joue un homme), les deux se retrouvent en 1988 pour leur sixième (et ultime) collaboration : la comédie musicale Hairspray (de grâce, oubliez l’existence du remake de 2007 avec John Travolta). La consécration ? Divine décède dans son sommeil le 7 mars 1988, quelques semaines après la sortie du film et peu avant d'entamer le tournage de la série Mariés, deux enfants.

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Sans jamais virer à l’hagiographie, I Am Divine dresse le portrait d’un individu over the top et fragile, drag queen flamboyante, attachant au possible, avec une même constance dans le parcours : être tout simplement une star de ciné – et qui y parvient. En écrasant de tout son poids le conformisme et la bienséance. Et quitte à tirer (hélas) sa révérence au faîte de sa gloire.

S’il y a un reproche à adresser à I Am Divine, il concernerait sa forme, relativement scolaire – alternances de témoignages de ses proches, d’extraits de films et d’anciennes interviews de l’acteur. Encore que… S’agit-il d’un défaut ? Le réalisateur s’efface derrière son sujet, suffisamment extravagant en soi pour qu’il ne s’avère pas nécessaire d’en rajouter. Et l’émotion de poindre plus souvent qu'à son tour.

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Le documentaire est signé Jeffrey Schwarz, un nom pas forcément très connu… bien que ce réalisateur, spécialisé dans le documentaire, soit à la tête d’une filmographie riche de près de cent-vingt œuvres (d’après l’Imdb), longues ou courtes. Une bonne part consiste en fait en documentaires ou en commentaires audio accompagnant les sorties en DVD de longs-métrages de fiction. Néanmoins, à côté de cette activité, Jeffrey Schwarz a entrepris de tourner des documentaires sur des personnalités particulières : le premier s’intitule Spine Tingler! The William Castle Story (2007), consacré – comme le titre l’indique fort justement – à William Castle, producteur de ciné réputé pour ses films-chocs souvent à petits budgets – et, accessoirement, Un bébé pour Rosemary. (Accessoirement bis, Spine Tingler! contient des interventions de John Waters, grand fan du producteur – tout est lié !). Les documentaires suivants de Schwarz se consacrent respectivement à l’acteur porno John Wrangler (Wrangler: Anatomy of an Icon, 2008), l’activiste gay Vito Russo (Vito, 2011)… et donc Divine. À I Am Divine a suivi Tab Hunter Confidential (2015), basé en partie sur l’autobiographie de celui qui fut le partenaire à l’écran de Divine dans Polyester et Lust in the Dust (tout est lié, bis repetita). Le dernier doc en date de Schwarz, The Fabulous Alan Carr, est dédié à Alan Carr, producteur hollywoodien (Grease 1 et 2, Rien n ’arrête la musique). C’est peu dire qu’une constante est présente.

Bref, voilà qui donne envie de s’intéresser au reste de la filmographie de Jeffrey Schwarz, à celle de John Waters. Et surtout à celle de Divine.

Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : tellement

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